Accueil Blog

Frantz Fanon ; la plume, le feu et la révolution

0

Psychiatre, philosophe et rĂ©volutionnaire, Frantz Fanon a marquĂ© l’histoire par sa critique implacable du colonialisme et son engagement dans la lutte pour la libertĂ©. De la Martinique Ă  l’AlgĂ©rie, son parcours fulgurant a influencĂ© les mouvements de libĂ©ration du monde entier. Entre pensĂ©e politique et rĂ©volution, il demeure une figure incontournable des luttes postcoloniales.

Dans l’histoire des penseurs engagĂ©s, rares sont ceux dont la voix a traversĂ© le temps avec autant de force et de pertinence que celle de Frantz Fanon. Psychiatre, philosophe, rĂ©volutionnaire, il fut l’une des consciences les plus affĂ»tĂ©es du XXe siĂšcle, dĂ©nonçant avec une acuitĂ© chirurgicale les rouages du colonialisme et ses effets dĂ©shumanisants. Son Ɠuvre, Ă  la croisee de la pensĂ©e politique, de la psychologie et de la rĂ©volution, a jetĂ© les bases des Ă©tudes postcoloniales et inspirĂ© les luttes d’autodĂ©termination Ă  travers le monde.

DĂ©couvrir Frantz Fanon, c’est explorer la trajectoire d’un homme qui a fait de son intelligence et de son engagement un rempart contre l’injustice, une voix inextinguible pour les « damnĂ©s de la terre« .

Les racines d’une conscience engagĂ©e

NĂ© le 20 juillet 1925 Ă  Fort-de-France, en Martinique, Fanon grandit dans une famille afro-caribĂ©enne au sein d’une sociĂ©tĂ© marquĂ©e par la hiĂ©rarchisation raciale et l’hĂ©ritage esclavagiste. Son parcours scolaire le mĂšne au lycĂ©e Victor-SchƓlcher, oĂč il est formĂ© par AimĂ© CĂ©saire, poĂšte et figure emblĂ©matique de la nĂ©gritude. Cette rencontre est dĂ©terminante : CĂ©saire lui inculque un sens aigu de la condition noire et de la rĂ©volte contre les oppressions.

En 1943, Ă  18 ans, Fanon s’engage dans l’armĂ©e française pour combattre le nazisme. Il dĂ©chante vite : il est confrontĂ© Ă  la sĂ©grĂ©gation raciale au sein des forces alliĂ©es et Ă  la discrimination Ă  son retour en Martinique. Cet Ă©pisode le marquera durablement et l’amĂšnera Ă  remettre en question les structures de domination qui pĂ©nĂštrent tous les aspects de la sociĂ©tĂ©.

Frantz Fanon ; la plume, le feu et la révolution

AprĂšs la guerre, il s’installe en France pour poursuivre des Ă©tudes de mĂ©decine et de psychiatrie Ă  Lyon. En parallĂšle, il suit des cours de philosophie et d’anthropologie. Il publie en 1952 Peau noire, masques blancs, un essai foudroyant qui analyse le racisme et l’aliĂ©nation du Noir dans les sociĂ©tĂ©s coloniales et postcoloniales. Il y dĂ©cortique les mĂ©canismes psychologiques de l’oppression et pose les bases de sa pensĂ©e : la colonisation n’est pas qu’une entreprise militaire ou Ă©conomique, elle est avant tout une machine de dĂ©personnalisation.

L’AlgĂ©rie, le laboratoire de la dĂ©colonisation

Frantz Fanon ; la plume, le feu et la révolution

En 1953, Fanon est nommĂ© chef de service Ă  l’hĂŽpital psychiatrique de Blida-Joinville en AlgĂ©rie. Il est frappĂ© par la brutalitĂ© du systĂšme colonial français et par les sĂ©quelles psychologiques qu’il inflige Ă  la population indigĂšne. Il rĂ©volutionne les mĂ©thodes de soins en adaptant la psychiatrie aux rĂ©alitĂ©s culturelles locales. Mais trĂšs vite, il comprend que soigner sous le joug colonial revient Ă  tenter de guĂ©rir un patient tout en l’exposant Ă  la maladie.

En 1956, il remet une lettre de dĂ©mission fulgurante au gouverneur français, dĂ©nonçant l’impossibilitĂ© d’exercer une mĂ©decine humaniste dans un systĂšme qui nie l’humanitĂ© de ses patients. Il rejoint alors le Front de LibĂ©ration Nationale (FLN) algĂ©rien et devient l’un de ses thĂ©oriciens les plus influents. ExilĂ© Ă  Tunis, il travaille comme journaliste pour El Moudjahid et parcourt l’Afrique pour tisser des alliances anti-impĂ©rialistes.

Frantz Fanon ; la plume, le feu et la révolution

Son engagement total culmine dans son livre Les DamnĂ©s de la Terre (1961), un manifeste dĂ©colonial radical. PrĂ©facĂ© par Jean-Paul Sartre, il exalte la nĂ©cessitĂ© de la violence comme moyen d’affranchissement. Il y dĂ©peint la colonisation comme une nĂ©vrose collective, oĂč le colonisĂ© ne peut retrouver son humanitĂ© qu’en renversant son oppresseur.

Une pensée qui traverse le temps

Frantz Fanon ; la plume, le feu et la révolution

Fanon meurt d’une leucĂ©mie Ă  l’Ăąge de 36 ans, en dĂ©cembre 1961. Son corps est inhumĂ© en AlgĂ©rie, la terre pour laquelle il a tout sacrifiĂ©. Mais son idĂ©e, elle, survit et continue d’influencer des mouvements de libĂ©ration, des Black Panthers aux activistes sud-africains, en passant par les intellectuels d’AmĂ©rique latine et du monde arabe.

Aujourd’hui, Ă  l’heure oĂč les consĂ©quences du colonialisme se font encore sentir dans les rapports de pouvoir et les luttes identitaires, la pensĂ©e fanonienne reste un outil d’analyse essentiel. Ses idĂ©es sur la violence, l’aliĂ©nation et la nĂ©cessitĂ© d’une transformation radicale des sociĂ©tĂ©s postcoloniales continuent de nourrir le dĂ©bat.

Lire Fanon, c’est plonger dans un cri de colĂšre et d’espoir, une invitation Ă  ne jamais cĂ©der face Ă  l’injustice. C’est comprendre que les « damnĂ©s de la terre » ont toujours eu une voix, et que cette voix rĂ©sonne encore aujourd’hui.

FANON Bande Annonce (2025) Frantz Fanon, Biopic © 2025 – Eurozoom

Carlota Lucumí, la femme qui fit trembler l’ordre colonial

Carlota LucumĂ­, esclave d’origine yoruba, mena en 1843 l’une des plus puissantes rĂ©voltes anti-esclavagistes de Cuba. De Matanzas Ă  Luanda, son hĂ©ritage rĂ©sonne comme un symbole de rĂ©sistance afro. DĂ©couvrez l’histoire oubliĂ©e de cette hĂ©roĂŻne noire, femme, rebelle et figure de mĂ©moire transatlantique.

Carlota LucumĂ­ : la mĂ©moire insurgĂ©e d’une reine oubliĂ©e

Carlota LucumĂ­. Un nom, deux exils. L’un gĂ©ographique, l’autre historique. NĂ©e en Afrique de l’Ouest, sans doute dans une rĂ©gion yoruba, Carlota fut arrachĂ©e Ă  ses terres natales par la traite transatlantique pour ĂȘtre dĂ©portĂ©e Ă  Cuba, dans l’enfer sucrier de Matanzas. De son prĂ©nom originel, il ne reste rien. De sa langue, de ses chants, de ses ancĂȘtres, seule subsiste la marque ethnique que lui ont attribuĂ©e les colons : LucumĂ­. Une gĂ©nĂ©ralisation, un mot valise, pour dĂ©signer les captifs d’ascendance yoruba.

Carlota n’a laissĂ© aucune lettre. Aucun portrait. Elle est de ces figures dont l’histoire officielle n’a voulu ni garder le regard, ni transmettre la voix. Et pourtant, elle a criĂ©. Elle a dirigĂ©. Elle a frappĂ©. Et dans l’effacement mĂȘme, elle est devenue lumiĂšre.

Carlota LucumĂ­ : la mĂ©moire insurgĂ©e d’une reine oubliĂ©e

Le 5 novembre 1843, le feu prend Ă  la plantation de Triunvirato, au cƓur de la province de Matanzas. Pas un feu de canne, mais un embrasement humain. Carlota, accompagnĂ©e de Ferminia LucumĂ­, se lĂšve contre l’ordre colonial. Esclaves, tous et toutes. EnchaĂźnĂ©s, mais dĂ©terminĂ©s. ArmĂ©s de machettes, de haches, de flammes, les insurgĂ©s attaquent l’intendance, dĂ©truisent les symboles de leur asservissement. Carlota est Ă  la tĂȘte.

Elle ne se contente pas de rĂ©sister. Elle organise. Elle Ă©largit. La rĂ©volte s’étend aux plantations voisines : AcanĂĄ, San Rafael
 Cinq domaines en tout. Chaque nouveau foyer est un dĂ©fi lancĂ© Ă  l’empire. Les maĂźtres blancs paniquent. Le pouvoir espagnol comprend que ce soulĂšvement n’est pas une explosion isolĂ©e, mais une coordination. DerriĂšre cette stratĂ©gie, il y a l’intelligence d’une femme africaine.

Carlota aurait attaquĂ© personnellement la fille de l’intendant. Non pas par vengeance, mais pour marquer la rupture, pour signifier que plus rien ne serait comme avant. Son geste se grave dans les mĂ©moires orales. Le pouvoir patriarcal, colonial et esclavagiste vacille sous le choc de cette action fĂ©minine.

Carlota LucumĂ­ : la mĂ©moire insurgĂ©e d’une reine oubliĂ©e

L’insurrection s’étend, mais la rĂ©pression est fĂ©roce. Ce moment terrible portera un nom : La Escalera. L’échelle. Celle sur laquelle on attache les esclaves pour les fouetter, les brĂ»ler, les mutiler. Le chĂątiment devient institution. En rĂ©ponse aux soulĂšvements, l’État colonial lance une purge sans prĂ©cĂ©dent.

Des milliers de personnes (esclaves, affranchis, mĂ©tis libres) sont arrĂȘtĂ©s, interrogĂ©s, torturĂ©s. Des centaines seront exĂ©cutĂ©s sans procĂšs. Parmi les tuĂ©s : Carlota. Elle meurt dans les premiers jours de la rĂ©pression, sans procĂšs ni sĂ©pulture. Mais son souvenir, lui, ne sera jamais complĂštement effacĂ©.

La Escalera marque la fin d’un cycle de rĂ©voltes, mais aussi l’ouverture d’une nouvelle Ăšre de surveillance. L’État espagnol comprend que les esclaves ne sont pas seulement des corps Ă  exploiter, mais des esprits capables de s’organiser. Carlota, en mourant, devient une menace Ă©ternelle.

Carlota LucumĂ­ : la mĂ©moire insurgĂ©e d’une reine oubliĂ©e

Il y a des silences plus assourdissants que les cris. Celui qui entoure la vie de Carlota est de ceux-lĂ . Peu de documents, et ceux qui existent, biaisĂ©s, Ă©crits par des bourreaux, par des scribes de l’Empire. Les tĂ©moignages sur les rĂ©bellions viennent souvent de procĂšs oĂč les esclaves sont torturĂ©s, contraints Ă  parler sous la menace.

L’historienne Aisha Finch souligne l’ambiguĂŻtĂ© mĂ©thodologique : comment reconstruire une mĂ©moire noire Ă  partir d’archives blanches, coloniales, punitives ? Comment distinguer la vĂ©ritĂ© de la stratĂ©gie de survie ? Carlota apparaĂźt entre les lignes, entre les omissions, entre les mots d’autres. MĂȘme dans les Ɠuvres des historiens cubains comme JosĂ© Luciano Franco ou Ricardo VĂĄzquez, elle est relĂ©guĂ©e Ă  l’arriĂšre-plan des chefs masculins.

Et pourtant, sans elle, rien n’aurait Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ©.

Carlota LucumĂ­ : la mĂ©moire insurgĂ©e d’une reine oubliĂ©e

Un siĂšcle plus tard, un autre Carlota surgit. Mais cette fois, ce n’est plus une femme : c’est une opĂ©ration militaire. En 1975, Cuba intervient en Angola pour soutenir le MPLA contre les forces sud-africaines soutenues par l’Occident. Le nom de code de cette intervention ? OperaciĂłn Carlota.

Fidel Castro, fin stratĂšge de la mĂ©moire, invoque l’esprit de l’esclave rebelle pour justifier une politique Ă©trangĂšre. Carlota devient l’icĂŽne d’un socialisme afrocubain transatlantique. L’Afrique est perçue comme la mĂšre blessĂ©e, Cuba comme l’enfant affranchi qui revient dĂ©fendre la matrice.

Dans ce rĂ©cit rĂ©volutionnaire, Carlota n’est plus seulement la rĂ©sistante de 1843. Elle est l’ancĂȘtre spirituelle du soldat cubain de 1975. Une boucle se ferme. Une autre s’ouvre.

La mĂ©moire de Carlota n’a pas Ă©tĂ© spontanĂ©e. Elle a Ă©tĂ© construite, instrumentalisĂ©e. À partir des annĂ©es 1970, le pouvoir cubain mobilise son histoire esclavagiste pour asseoir sa lĂ©gitimitĂ© rĂ©volutionnaire. Carlota devient la preuve que la RĂ©volution de 1959 est le prolongement naturel de toutes les luttes noires d’avant.

Un mĂ©morial lui est dĂ©diĂ© en 1991 sur le site de Triunvirato. IntĂ©grĂ© au programme La Route de l’Esclave de l’UNESCO, il sert Ă  rappeler le rĂŽle des esclaves dans la construction de Cuba. Mais cette mĂ©moire officielle Ă©vacue souvent les contradictions : elle universalise Carlota, la rend presque abstraite, oublie qu’elle Ă©tait femme, africaine, enracinĂ©e dans une culture, une cosmogonie, une langue.

Dans l’imaginaire occidental, la rĂ©bellion est une affaire d’hommes. Des muscles, des armes, de la rage. Carlota dĂ©construit ce stĂ©rĂ©otype. Elle incarne une autre maniĂšre de faire l’histoire. Elle brise les codes de genre imposĂ©s Ă  la rĂ©sistance. Elle n’est ni muse, ni concubine, ni traĂźtresse ; figures typiques associĂ©es aux esclaves fĂ©minines dans les narrations coloniales. Elle est stratĂšge, actrice, dĂ©clencheuse.

Cette position dĂ©range. Elle explique peut-ĂȘtre pourquoi son nom n’a pas Ă©tĂ© immĂ©diatement cĂ©lĂ©brĂ©. Trop femme pour ĂȘtre chef, trop africaine pour ĂȘtre cubaine, trop libre pour ĂȘtre rĂ©cupĂ©rable sans la remodeler.

Carlota appartient Ă  une constellation de femmes noires qui ont fait l’histoire sans entrer dans les manuels. Elle est sƓur de SanitĂ© BĂ©lair en HaĂŻti, de la reine Nanny en JamaĂŻque, de la Ndongo Nzinga en Angola. Toutes ont luttĂ© contre l’ordre esclavagiste, toutes ont Ă©tĂ© marginalisĂ©es aprĂšs leur mort.

Son hĂ©ritage dĂ©passe Cuba. Il nous oblige Ă  repenser l’Atlantique noir non pas comme une mer de larmes, mais comme un espace de rĂ©sistance. LĂ  oĂč les navires passaient, les idĂ©es circulaient. L’insurrection n’était pas locale, elle Ă©tait diasporique.

Nommer Carlota aujourd’hui, c’est rĂ©sister Ă  l’oubli. C’est inscrire dans la langue ce que l’histoire a effacĂ©. C’est faire un pas de cĂŽtĂ©, interroger nos archives, nos rĂ©cits, nos hiĂ©rarchies. Carlota est une praxis. Un acte. Une invitation Ă  raconter autrement.

Elle nous rappelle que l’histoire des peuples noirs ne commence pas avec la douleur, mais avec la dignitĂ©. Qu’il n’y a pas de petites rĂ©sistances. Que mĂȘme sans papier, sans statue, sans chant, une femme noire peut Ă©branler un empire.

Carlota LucumĂ­ ne demande pas qu’on la cĂ©lĂšbre. Elle exige qu’on la continue.

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

À travers gestes tendres et savoirs transmis, le soin des cheveux afro des enfants devient un vĂ©ritable rituel d’amour, de mĂ©moire et d’identitĂ©. Plus qu’une routine capillaire, cet article vous livre des conseils essentiels pour nourrir, coiffer et cĂ©lĂ©brer la beautĂ© naturelle de nos petits, dans le respect de leur texture, de leur histoire
 et de leur couronne.

Hériter de la couronne

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

Les cheveux afro de nos enfants sont bien plus qu’une texture ou qu’un hĂ©ritage gĂ©nĂ©tique. Ils sont le prolongement d’une histoire, d’un continent, d’une dignitĂ©. Et pourtant, combien d’enfants grandissent en pensant que leurs boucles sont Ă  dompter plutĂŽt qu’à cĂ©lĂ©brer ? Ce guide est un acte d’amour. Un hommage aux mamans, papas, tatas et grands-mĂšres qui tressent chaque mĂšche comme on façonne un avenir. À celles et ceux qui refusent de transmettre la douleur du peigne et choisissent, Ă  la place, la tendresse des doigts.

Comprendre les cheveux de nos enfants

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

La structure unique du cheveu afro

DĂšs les premiers mois, les cheveux de nos petits racontent dĂ©jĂ  une histoire. Celle d’un cheveu en spirale, souvent mal compris, parfois maltraitĂ©, mais porteur d’une mĂ©moire ancestrale. Contrairement aux autres types capillaires, les cheveux afrotexturĂ©s prĂ©sentent une forme hĂ©licoĂŻdale, voire en Z, qui crĂ©e naturellement des points de fragilitĂ© Ă  chaque angle du cheveu.

Chez les bĂ©bĂ©s et les jeunes enfants, cette fragilitĂ© est exacerbĂ©e : la fibre capillaire est plus fine, plus poreuse, et se casse plus facilement. Elle a soif ; littĂ©ralement. Elle rĂ©clame une hydratation rĂ©guliĂšre et des gestes empreints de douceur. Si l’on frotte trop fort, si l’on tire trop vite, le cheveu rompt. Et parfois, avec lui, un dĂ©but de confiance.

Dans la sociĂ©tĂ© actuelle, oĂč les boucles sont encore trop souvent perçues comme des anomalies Ă  discipliner, comprendre la spĂ©cificitĂ© du cheveu afro dĂšs le plus jeune Ăąge, c’est offrir Ă  l’enfant un socle de reconnaissance de soi. C’est refuser d’imposer une norme Ă©trangĂšre Ă  son cuir chevelu et embrasser la beautĂ© de ce qu’il est, naturellement.

D’oĂč la nĂ©cessitĂ© de bannir les gestes mĂ©caniques appris sur d’autres textures. Les cheveux afro ne s’apprivoisent pas : ils s’écoutent, se ressentent, se respectent. On ne les traite pas, on les honore.

Un cuir chevelu apaisĂ©, une fibre bien hydratĂ©e, des gestes doux : c’est lĂ  que commence la santĂ© capillaire. Et c’est lĂ  aussi que commence l’estime de soi.

L’importance du cuir chevelu

On parle souvent des boucles, rarement du sol d’oĂč elles Ă©mergent. Et pourtant, c’est dans le cuir chevelu que tout commence. Chez l’enfant, cette peau situĂ©e sous les cheveux est encore plus sensible que chez l’adulte. Fine, fragile, en pleine maturation, elle rĂ©agit rapidement aux agressions : produits chimiques, tresses serrĂ©es, frictions sur des oreillers en coton.

NĂ©gliger le cuir chevelu, c’est planter une graine dans un sol sec. Nourrir uniquement les longueurs sans hydrater la base, c’est comme arroser les feuilles d’un arbre sans jamais toucher ses racines.

C’est pourquoi chaque soin capillaire devrait commencer par lui. Un massage doux du cuir chevelu avec une huile vĂ©gĂ©tale tiĂšde (amande douce, jojoba, ou pĂ©pins de raisin), quelques minutes par semaine, favorise non seulement la circulation sanguine mais aussi la pousse du cheveu. Et plus que tout, il crĂ©e un lien sensoriel et affectif avec l’enfant : une routine d’amour et de soin, loin des cris, des douleurs et des souvenirs douloureux.

Enfin, le cuir chevelu est un indicateur de bien-ĂȘtre. Des pellicules ? Il est peut-ĂȘtre trop sec. Des rougeurs ou dĂ©mangeaisons ? Le produit est inadaptĂ©. Une zone clairsemĂ©e ? Il est temps de relĂącher la tension des coiffures. Être Ă  l’écoute du cuir chevelu, c’est devenir gardien d’un patrimoine vivant.

La vérité sur les shampoings (ce que personne ne vous dit)

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

Moins, c’est mieux

Le marketing nous a appris Ă  croire que propretĂ© rimait avec mousse, que soin signifiait parfum chimique. Mais lorsqu’il s’agit des cheveux afro de nos enfants, cette logique s’effondre. Trop laver, c’est abĂźmer. Trop dĂ©caper, c’est priver le cheveu de sa protection naturelle : le sĂ©bum. Or, les cheveux crĂ©pus sont dĂ©jĂ  pauvres en sĂ©bum, car leur forme en spirale empĂȘche cette huile de se rĂ©partir uniformĂ©ment le long de la fibre.

Chez le jeune enfant, un cuir chevelu nettoyĂ© trop souvent devient vulnĂ©rable : sĂ©cheresse, dĂ©mangeaisons, cassure. VoilĂ  pourquoi il faut repenser nos gestes. Deux shampoings par semaine, c’est souvent dĂ©jĂ  trop. Un seul suffit, surtout si l’enfant ne transpire pas excessivement ou ne vit pas dans un environnement particuliĂšrement poussiĂ©reux.

Mais tout rĂ©side dans le choix du shampoing. Évitez ceux qui contiennent des sulfates (comme le sodium laureth sulfate), des parabĂšnes ou encore des parfums synthĂ©tiques irritants. PrivilĂ©giez des bases lavantes douces comme celles Ă  base de coco ou de sucre, ou, mieux encore, explorez les recettes naturelles que nos aĂŻeules utilisaient sans les nommer.

💡 Suggestion maison simple :

Un mĂ©lange d’eau tiĂšde, de savon noir africain naturel rĂąpĂ©, et de quelques gouttes d’huile de lavande douce. Appliquez, massez dĂ©licatement, rincez.

La magie des aprĂšs-shampoings doux

Si le shampoing nettoie, c’est l’aprĂšs-shampoing qui protĂšge. Trop souvent ignorĂ© dans les routines des tout-petits, il est pourtant un vĂ©ritable soin rĂ©parateur. Il referme les cuticules ouvertes par le lavage, facilite le dĂ©mĂȘlage, et permet de nourrir sans alourdir. C’est un bouclier invisible.

Pour les cheveux afrotexturĂ©s, l’aprĂšs-shampoing n’est pas un luxe. Il est un geste d’amour, un baume contre les agressions du monde. Et comme toujours, la simplicitĂ© est reine : plus l’enfant est jeune, plus la formule doit ĂȘtre pure.

Évitez les produits aux longues listes d’ingrĂ©dients incomprĂ©hensibles. Tournez-vous vers des soins enrichis en aloe vera, glycĂ©rine vĂ©gĂ©tale, lait d’avoine ou huile d’amande douce. Vous pouvez mĂȘme crĂ©er vos propres mĂ©langes hydratants Ă  base de yaourt nature, de miel et d’un filet d’huile d’olive.

đŸ„Ł Astuce maison Ă  partir de 2 ans :

  • œ avocat mĂ»r
  • 1 cuillĂšre Ă  soupe d’huile d’olive
  • 1 cuillĂšre Ă  cafĂ© de miel
    Mixez jusqu’à obtenir une texture lisse. Appliquez aprùs le shampoing, laissez poser 10 minutes sous un bonnet, puis rincez à l’eau tiùde.

Ce masque est une bĂ©nĂ©diction pour les cheveux secs ou rĂȘches. Il apporte douceur, brillance, et surtout : il apprend Ă  votre enfant que sa chevelure est prĂ©cieuse, qu’elle mĂ©rite des soins aussi dĂ©licats qu’un rituel sacrĂ©.

L’art du sĂ©chage

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

Laisser l’air faire son Ɠuvre

Il y a dans l’air une sagesse que nos gestes oublient parfois. Dans un monde oĂč tout va vite (oĂč le sĂšche-cheveux vrombit dĂšs la sortie de la douche, oĂč les serviettes frottent comme des regrets) sĂ©cher les cheveux de nos enfants Ă  l’air libre devient un acte de rĂ©bellion douce. Une dĂ©claration de tendresse.

Le cheveu afro, dans son architecture spiralĂ©e, dĂ©teste la chaleur brutale. Il se rĂ©tracte, il se fragilise, il se brise. Utiliser un sĂšche-cheveux sur des boucles fragiles, c’est comme brĂ»ler une lettre qu’on n’a pas encore lue : on efface un message que la nature nous a confiĂ©.

SĂ©cher Ă  l’air libre, c’est au contraire offrir au cheveu le temps de respirer, de s’étirer, de se dĂ©finir selon son propre rythme. C’est aussi prĂ©server l’hydratation que les soins prĂ©cĂ©dents ont apportĂ©e, Ă©viter l’évaporation soudaine, et maintenir la douceur.

Mais cela va au-delĂ  du soin. Laisser l’enfant vivre ce moment sans prĂ©cipitation, c’est lui enseigner que sa texture naturelle n’est pas un problĂšme Ă  rĂ©soudre, mais un processus Ă  accompagner. C’est l’autoriser Ă  occuper de l’espace, Ă  ne pas se cacher, Ă  exister sans compromis.

✹ Astuce :

AprĂšs avoir rincĂ© l’aprĂšs-shampoing ou le masque, pressez doucement l’excĂšs d’eau avec les mains, puis entourez dĂ©licatement la tĂȘte de votre enfant d’un tissu doux pendant quelques minutes. Ensuite, laissez les cheveux sĂ©cher Ă  l’air libre, Ă  l’ombre, loin du vent froid ou direct.

Éviter la serviette classique

L’erreur la plus rĂ©pandue (et la plus silencieuse) c’est la serviette. Celle, Ă©paisse et rugueuse, que l’on enroule machinalement autour de la tĂȘte, pensant bien faire. Mais les fibres de coton traditionnel accrochent les boucles, soulĂšvent les cuticules, et provoquent ce qu’on appelle la casse mĂ©canique. Chaque frottement est une micro-agression.

C’est encore plus vrai chez les enfants, dont les cheveux sont plus fins, plus vulnĂ©rables.

Alors, on change les rĂšgles du jeu. On abandonne la serviette classique et on choisit la microfibre, douce, lisse, absorbante sans agression. Mieux encore : un simple t-shirt en coton (usĂ©, souple, propre) peut faire des merveilles. Il respecte la forme naturelle des boucles, absorbe l’eau sans les froisser, et ne crĂ©e pas de frisottis inutiles.

đŸ§ș Astuce maison :

RĂ©servez un vieux t-shirt Ă  manches longues, roulez-le pour en faire une “turban serviette” que vous utiliserez exclusivement pour les cheveux de votre enfant. Non seulement il protĂšge, mais il devient un objet familier, associĂ© Ă  un moment de soin et de calme.

Le dĂ©mĂȘlage (entre science, amour et patience)

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

DĂ©mĂȘler les cheveux d’un enfant afro, c’est bien plus qu’un geste de soin : c’est un moment fondateur. Il peut renforcer un lien ou, au contraire, crĂ©er une distance. Il peut transmettre une culture de l’amour-propre ou raviver des blessures enfouies. Chaque coup de peigne est porteur d’un message. Alors mieux vaut qu’il dise : « Je t’aime, et je te respecte. »

Les erreurs Ă  bannir

Trop de parents, pressés ou mal informés, reproduisent les gestes subis dans leur propre enfance. Le peigne qui arrache, les cris, les larmes, la hùte. Mais les cheveux de nos petits méritent mieux que la douleur héritée.

Voici ce qu’il faut impĂ©rativement Ă©viter :

  • DĂ©mĂȘler sur cheveux secs : les cheveux afrotexturĂ©s ont besoin d’ĂȘtre humidifiĂ©s pour devenir mallĂ©ables. À sec, chaque nƓud devient une bataille.
  • Commencer par la racine : cela tire inutilement sur le cuir chevelu, provoque douleur, casse et rejet de la routine.
  • Oublier les sections : sans division claire, les cheveux s’emmĂȘlent davantage, et l’enfant s’impatiente.
  • Utiliser des peignes fins : conçus pour d’autres textures, ils ne respectent ni la densitĂ©, ni la forme du cheveu crĂ©pu.
  • Aller trop vite : la prĂ©cipitation fait mal. Et l’enfant apprend Ă  craindre ce moment, plutĂŽt qu’à le vivre comme un soin.

Chaque erreur est une occasion manquée de construire un rapport positif au cheveu.

Le rituel Ă  adopter

Transformer le dĂ©mĂȘlage en rituel, c’est redonner au soin capillaire sa juste place : un acte de transmission, de confiance, de paix.

Voici le protocole à privilégier :

  • Humidifiez d’abord : utilisez un vaporisateur contenant de l’eau de source, une huile vĂ©gĂ©tale lĂ©gĂšre (jojoba, amande douce) et, si besoin, quelques gouttes d’aloe vera liquide. Cela facilite le glissement des doigts ou du peigne.
  • Divisez en sections : quatre, six, huit… selon la densitĂ© et l’ñge de l’enfant. Cela donne une structure au geste et rassure.
  • DĂ©mĂȘlez avec les doigts en premier. Les nƓuds les plus coriaces se dĂ©fassent souvent mieux Ă  la main, sans douleur.
  • Utilisez un peigne Ă  dents larges pour complĂ©ter, en allant toujours des pointes vers la racine, petit Ă  petit.
  • ComplĂ©tez par une brosse douce, si besoin, pour lisser lĂ©gĂšrement sans casser.

Ce n’est pas seulement une question d’efficacitĂ©. C’est une question de respect. Le cheveu afro, surtout chez l’enfant, mĂ©rite qu’on le touche avec intention, et non avec urgence.

Le bon moment

Le soin du cheveu doit ĂȘtre un moment de complicitĂ©, pas de confrontation. Choisissez une heure calme : aprĂšs le bain, avant la sieste, pendant une histoire. Mettez une musique douce, ou crĂ©ez une routine parlĂ©e : racontez une lĂ©gende, une anecdote de famille, une fable africaine pendant que vous peignez.

Car au fond, ce que l’enfant retiendra, ce n’est pas uniquement comment ses cheveux Ă©taient coiffĂ©s. Il se souviendra surtout de comment il s’est senti pendant qu’on s’en occupait. RespectĂ© ou bousculĂ©. ÉcoutĂ© ou contraint. Ce moment est un miroir de la relation que nous bĂątissons avec lui.

✹ Astuce :

Donnez un nom au vaporisateur (« la potion magique »), inventez des personnages autour des nƓuds (« les lutins emmĂȘlĂ©s »), faites de ce moment un jeu… pour que le soin capillaire devienne une fiertĂ©, pas une corvĂ©e.

Coiffer sans briser (la créativité en héritage)

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

Coiffer un enfant noir, c’est inscrire une mĂ©moire sur son crĂąne. C’est tracer une carte invisible de ce qu’on lui transmet : fiertĂ© ou douleur, beautĂ© ou gĂȘne, libertĂ© ou contrainte. Et trop souvent, les coiffures dites “protectrices” ont, dans les faits, Ă©tĂ© des sources de tension ; au sens propre comme au figurĂ©.

Mais il est temps de changer cela. De faire de chaque mĂšche tressĂ©e un acte d’amour. De chaque coiffure, une cĂ©lĂ©bration, pas une rĂ©signation.

Bannir les coiffures traumatiques

Il faut oser le dire : les rajouts n’ont rien Ă  faire sur la tĂȘte d’un enfant en bas Ăąge. Leur poids, leur tension, leur entretien sont inadaptĂ©s Ă  la fragilitĂ© des cheveux enfantins. Et au-delĂ  du cuir chevelu, c’est l’estime de soi qui vacille quand, dĂšs 3 ou 4 ans, une petite fille apprend que ses cheveux “ne suffisent pas”.

Les coiffures trop serrĂ©es abĂźment les tempes (alopĂ©cie de traction), irritent le cuir chevelu, et peuvent provoquer des maux de tĂȘte chroniques. Elles installent l’idĂ©e qu’il faut souffrir pour ĂȘtre belle ; un mensonge hĂ©ritĂ©, dont nous avons la responsabilitĂ© de nous libĂ©rer.

L’enfant a besoin d’espace. D’oxygĂšne. De savoir que ses cheveux, tels qu’ils sont, sont magnifiques, mĂȘme sans artifices. Surtout sans artifices.

Oser la simplicité

Et si la beautĂ© rĂ©sidait justement dans la simplicitĂ© ? Deux vanilles. Quelques nattes collĂ©es. Un afro puff aĂ©rien. Ce sont souvent les coiffures les plus lĂ©gĂšres qui laissent le plus de place Ă  l’enfant d’ĂȘtre
 un enfant. Bouger, courir, danser, rĂȘver sans ĂȘtre entravé·e par une coiffure rigide.

La simplicitĂ© ne signifie pas nĂ©gligence ; elle peut ĂȘtre une forme de sophistication invisible. Il suffit d’ajouter une touche de soin : une barrette bien choisie, un ruban en satin, un foulard nouĂ© avec grĂące. L’enfant apprend alors que son cheveu n’a pas besoin d’ĂȘtre dĂ©guisĂ© pour ĂȘtre sublimĂ©.

⛔ À Ă©viter :

  • Les Ă©lastiques fins trop serrĂ©s
  • Les barrettes en mĂ©tal ou Ă  bords tranchants
  • Les tissus rugueux comme le coton brut

✅ À privilĂ©gier :

  • Les chouchous en satin ou en soie
  • Les pinces en plastique doux ou en bois
  • Les bandeaux larges doublĂ©s de soie

Car chaque accessoire est un message : “je te protùge”, ou “je te contrains”.

Stimuler la créativité

Le cheveu afro est une toile vierge. Et chaque enfant est un·e artiste en puissance. Lui laisser choisir ses barrettes, ses couleurs, ses perles, c’est lui offrir une premiĂšre occasion de dire : Â«Â voilĂ  qui je suis ».

Ce geste apparemment anodin est en rĂ©alitĂ© fondateur. L’enfant qui participe Ă  sa coiffure apprend Ă  s’approprier son apparence, Ă  expĂ©rimenter, Ă  aimer son reflet. Il ou elle devient acteur·rice de son image, et non simple rĂ©cepteur·rice de normes imposĂ©es.

Inventez ensemble des thĂšmes : “journĂ©e papillons”, “arc-en-ciel”, “perles des ancĂȘtres”. Tressez une histoire autant qu’une coiffure. Donnez-lui les outils de sa libertĂ©, mĂšche par mĂšche.

🎹 Astuce :

Proposez une “boĂźte magique” avec des accessoires sans mĂ©tal, des chouchous doux, des petites pinces colorĂ©es. Laissez votre enfant piocher et composer sa propre coiffure du jour.

Les produits à privilégier

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

Trouver les bons produits pour les cheveux de nos enfants afrodescendants, c’est comme chercher les ingrĂ©dients d’une potion d’amour. Il ne s’agit pas seulement d’hydrater ou de lisser : il s’agit de protĂ©ger, de nourrir, d’honorer une texture que l’histoire a trop souvent tentĂ© d’effacer.

Dans un marchĂ© saturĂ© de promesses creuses et de parfums artificiels, il faut revenir Ă  l’essentiel. À la terre. À la tradition. À ce que les grands-mĂšres connaissaient sans l’étiqueter “clean beauty”. Ce retour aux sources est la meilleure façon d’offrir Ă  nos enfants des soins sains, durables, adaptĂ©s Ă  leur cuir chevelu fragile.

Beurre de karité pur : le protecteur ancestral

On ne le prĂ©sente plus. Le beurre de karitĂ© brut et non raffinĂ© est l’un des joyaux les plus prĂ©cieux du continent africain. Il nourrit en profondeur, scelle l’hydratation, apaise les irritations et protĂšge les pointes des cheveux crĂ©pus contre la casse.

UtilisĂ© en petite quantitĂ©, il peut ĂȘtre fondu au creux de la main, puis appliquĂ© section par section sur cheveux humides ou lĂ©gĂšrement vaporisĂ©s. Sur les pointes, il agit comme un bouclier naturel. Sur le cuir chevelu, il rĂ©pare et calme.

🌿 Astuce :

Choisissez un karitĂ© jaune ou ivoire, Ă  l’odeur naturelle de noix. MĂ©fiez-vous des versions dĂ©sodorisĂ©es ou trop blanches, souvent raffinĂ©es Ă  l’excĂšs.

Les huiles végétales : les gardiennes de la douceur

Chaque huile végétale est un trésor, à condition de bien la choisir selon les besoins :

  • Huile de jojoba : la plus proche du sĂ©bum naturel, parfaite pour Ă©quilibrer le cuir chevelu.
  • Huile de coco : lĂ©gĂšre, pĂ©nĂ©trante, elle protĂšge sans alourdir, idĂ©ale en Ă©tĂ©.
  • Huile d’amande douce : adoucissante, nourrissante, parfaite pour les massages doux.
  • Huile de ricin : trĂšs nourrissante, Ă  utiliser avec parcimonie, mĂ©langĂ©e Ă  une huile plus fluide (jojoba ou coco), surtout en cas de zones clairsemĂ©es.

Ces huiles peuvent ĂȘtre utilisĂ©es en bain d’huile avant shampoing, ou incorporĂ©es dans un vaporisateur pour l’hydratation quotidienne.

Le vaporisateur magique : eau + huile + amour

Un vaporisateur bien prĂ©parĂ© est le meilleur alliĂ© du cheveu crĂ©pu enfantin. Il permet d’humidifier sans mouiller Ă  outrance, de rafraĂźchir les boucles, et de faciliter le dĂ©mĂȘlage sans douleur.

🌾 Recette simple :

  • 2/3 d’eau de source ou d’hydrolat de camomille
  • 1/3 d’huile vĂ©gĂ©tale lĂ©gĂšre (jojoba ou amande douce)
  • Quelques gouttes d’aloe vera liquide (facultatif)

Utilisez-le matin et soir, ou avant toute manipulation.

Les shampoings doux : nettoyants, pas décapants

Le cuir chevelu de l’enfant ne tolĂšre pas les lavages agressifs. Il faut donc privilĂ©gier des bases lavantes trĂšs douces, comme le savon noir africain naturel diluĂ©, le rhassoul (argile marocaine nettoyante) ou des shampoings sans sulfates, sans silicones, sans alcool.

L’objectif : nettoyer sans priver le cheveu de sa protection naturelle. Si le shampoing mousse beaucoup, c’est souvent mauvais signe.

🧮 Astuce :

Diluez le shampoing dans un peu d’eau tiĂšde avant de l’appliquer, pour Ă©viter les concentrations trop fortes sur le cuir chevelu.

Les bons outils : respecter la boucle

Oubliez les brosses dures et les peignes trop fins. Pour préserver les cheveux de nos petits :

  • Peigne Ă  dents larges : idĂ©al pour dĂ©mĂȘler sans casser.
  • Brosse ronde douce (type brosse en poils de sanglier vĂ©gĂ©talien) : parfaite pour lisser sans agresser.
  • Fingers first : rien ne vaut les doigts pour dĂ©mĂȘler les nƓuds les plus rĂ©sistants en douceur.

Les bons accessoires : zéro métal, zéro douleur

Un simple accessoire peut faire beaucoup de dĂ©gĂąts s’il est mal choisi. Le mĂ©tal accroche, le coton assĂšche, les Ă©lastiques trop serrĂ©s cassent.

À privilĂ©gier :

  • Élastiques recouverts de satin
  • Chouchous en soie ou microfibre
  • Barrettes sans parties mĂ©talliques
  • Pinces plates en plastique doux

N’oublions pas que les cheveux d’un enfant sont aussi des antennes sensibles. Les accessoires doivent donc ĂȘtre aussi doux que les gestes qui les accompagnent.

Transmettre plus qu’une routine : une culture, une confiance

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

Coiffer son enfant, ce n’est pas juste une tĂąche Ă  cocher dans un quotidien chargĂ©. C’est un acte d’ancrage. Une maniĂšre silencieuse, mais profonde, de dire : « Tu es Ă  ta place, exactement comme tu es. » Car derriĂšre chaque boucle, chaque nƓud dĂ©fait avec patience, chaque tresse dĂ©posĂ©e avec soin, il y a un monde de symboles. Une mĂ©moire vivante. Et un avenir Ă  réécrire.

Le pouvoir du miroir

Tout commence avec le regard. Pas celui que la sociĂ©tĂ© porte sur nos enfants, mais celui qu’ils apprennent Ă  poser sur eux-mĂȘmes.

Un enfant qui voit sa mĂšre aimer ses propres cheveux crĂ©pus, ses propres traits, son reflet nu, apprend Ă  aimer le sien. Il absorbe cette douceur comme un Ă©lixir invisible. Il comprend que ce qu’on lui a parfois prĂ©sentĂ© comme un « problĂšme » (ses cheveux, sa texture, sa densitĂ©) est en rĂ©alitĂ© une richesse Ă  cĂ©lĂ©brer.

Le miroir devient alors plus qu’un objet : il devient un tĂ©moin. Le tĂ©moin d’un amour de soi transmis par l’exemple. Par la gestuelle. Par le silence complice entre deux vanilles, ou le chant discret pendant un dĂ©mĂȘlage.

Ce n’est pas juste une routine capillaire. C’est une Ă©ducation Ă  l’estime. Un hĂ©ritage Ă  rebours, qui guĂ©rit les gĂ©nĂ©rations passĂ©es tout en Ă©levant les prochaines.

Le cheveu comme affirmation

Pendant des siĂšcles, nos cheveux ont Ă©tĂ© disciplinĂ©s, niĂ©s, dissimulĂ©s. Dans la douleur, dans le silence, dans la honte. Aujourd’hui, en prenant soin de ceux de nos enfants avec patience, tendresse et fiertĂ©, nous brisons cette chaĂźne. Nous faisons du soin capillaire une affirmation politique, affective et esthĂ©tique.

Refuser les standards de beauté eurocentrés ne passe pas toujours par de grands discours. Parfois, cela commence simplement par un geste doux. Une coiffure sans tension. Une absence de larmes. Un compliment chuchoté devant la glace :

« Tu es magnifique. Juste comme ça. »

Et cela suffit. Parce que cet enfant, nourri par ce regard, s’en souviendra toute sa vie. Il grandira avec la certitude qu’il n’a rien Ă  lisser, rien Ă  cacher, rien Ă  effacer pour mĂ©riter l’amour, la dignitĂ© ou la beautĂ©.

âœŠđŸŸ Le soin des cheveux de nos petits est une rĂ©conciliation lente et intime avec notre propre passĂ©. C’est refuser de transmettre la douleur. C’est prĂ©fĂ©rer la caresse Ă  la contrainte. C’est cultiver, dans chaque mĂšche, la libertĂ© d’ĂȘtre soi.

De la racine Ă  la couronne

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

Prendre soin des cheveux de nos petits, ce n’est pas un acte banal. C’est rĂ©parer les silences, guĂ©rir les gestes brusques d’hier, et transmettre Ă  nos enfants l’idĂ©e qu’ils n’ont rien Ă  changer pour ĂȘtre beaux. Ils n’ont rien Ă  lisser pour ĂȘtre acceptĂ©s. Ils n’ont rien Ă  cacher pour exister.

À celles et ceux qui chaque matin tressent l’amour dans les cheveux de leurs enfants : vous ĂȘtes les gardiens d’un royaume. Continuez.

Jean-Jacques Alain, un Martiniquais maire de la ville de Saint-Louis au Sénégal (1829-1848)

Jean-Jacques Alain, ou Alin, est nĂ© en 1777 au Lamentin en Martinique. AprĂšs la RĂ©volution Française, il migra vers le SĂ©nĂ©gal, oĂč il deviendra une figure majeure de Saint-Louis, occupant le poste de maire de la ville de 1829 Ă  1848.

Milli Vanilli, les idoles au destin fracassé

À l’occasion de la sortie du film Milli Vanilli, de la gloire au cauchemar de Simon Verhoeven (le 14 mai), retour sur l’ascension fulgurante et la chute tragique du duo pop le plus controversĂ© des annĂ©es 90. Une histoire vraie, entre imposture musicale, dĂ©rives de l’industrie et enjeux raciaux toujours brĂ»lants.

En 1990, le duo pop Milli Vanilli atteint le sommet de la gloire ; avant de s’effondrer dans ce qui restera comme l’une des plus grandes impostures musicales des annĂ©es 90. Rob Pilatus et Fab Morvan, deux jeunes hommes flamboyants Ă  la silhouette longiligne et aux longues tresses, Ă©taient devenus en un Ă©clair les coqueluches de la pop internationale. Leur ascension fulgurante semblait tout droit sortie d’un conte de fĂ©es moderne : des tubes planĂ©taires, des clips en rotation constante sur MTV, et mĂȘme un Grammy Award du meilleur nouvel artiste.

Mais derriĂšre les sourires ultra-bright et les vestes Ă  Ă©paulettes se cachait un secret explosif. Quelques mois Ă  peine aprĂšs avoir brandi fiĂšrement leur trophĂ©e, ces idoles des hit-parades allaient connaĂźtre une chute vertigineuse. Leur Grammy retirĂ© dans la honte, ils passeraient Ă  la postĂ©ritĂ© non plus comme des stars, mais comme les protagonistes du plus gros scandale de la pop. Voici l’histoire de Milli Vanilli, une histoire de rĂȘve et de cauchemar, de gloire Ă©phĂ©mĂšre et de dĂ©sillusion, rĂ©cemment revisitĂ©e par un docu Ă©vĂ©nement, et dont l’écho rĂ©sonne encore dans l’industrie musicale contemporaine.

Ascension express de deux stars fabriquées

Milli Vanilli, les idoles au destin fracassé
Fabrice Morvan et Robert Pilatus, les visages d’un groupe fabriquĂ© de toutes piĂšces par le producteur Frank Farian.  Photo Ingrid Segeith/Paramount+

En 1988, Rob Pilatus et Fab Morvan n’imaginaient sans doute pas devenir les visages emblĂ©matiques d’une dĂ©cennie. Rob, germano-amĂ©ricain Ă©levĂ© en BaviĂšre, et Fab, français originaire de Guadeloupe, se rencontrent Ă  Munich dans les annĂ©es 80. Tous deux galĂšrent alors dans la scĂšne locale : petits boulots, danse, chant, ils cherchent la lumiĂšre.

Milli Vanilli, les idoles au destin fracassé
Frank Farian et les deux membres du groupe Milli Vanilli. Crédit : X @MilliVanilli

Lorsqu’ils font la connaissance du producteur allemand Frank Farian, leur destin bascule. Farian, dĂ©jĂ  cĂ©lĂšbre pour avoir créé le groupe disco Boney M., voit en ces deux beaux jeunes hommes un potentiel incroyable. Grand stratĂšge de l’image, il est fascinĂ© par leur look “tailor-made for the MTV era”, tout en dreadlocks et en muscles athlĂ©tiques, parfait pour sĂ©duire une gĂ©nĂ©ration bercĂ©e par le culte du clip et de l’apparence.

Sans trop poser de questions, affamĂ©s de succĂšs, Rob et Fab signent un contrat en bonne et due forme. Ils ne le savent pas encore, mais ils viennent de sceller un « pacte avec le diable ». Le producteur ne compte pas les faire chanter sur le disque : il a dĂ©jĂ  en main “Girl You Know It’s True”, un futur tube enregistrĂ© par des chanteurs de studio expĂ©rimentĂ©s. Ce qu’il attend d’eux, ce n’est pas leur voix mais leur plastique irrĂ©prochable et leur Ă©nergie sur scĂšne. Autrement dit, Milli Vanilli sera son invention, un groupe de synthĂšse oĂč l’image prime entiĂšrement sur la musique.

DĂšs 1989, le plan de Farian dĂ©passe toutes ses espĂ©rances. Le single “Girl You Know It’s True” explose en Europe puis aux États-Unis, atteignant le Top 5 dans 23 pays. L’album qui suit, truffĂ© d’autres hits accrocheurs comme “Baby Don’t Forget My Number” ou “Blame It on the Rain”, se vend par millions. En quelques mois, Milli Vanilli devient un phĂ©nomĂšne pop mondial : Rob Pilatus et Fab Morvan enchaĂźnent plateaux tĂ©lĂ©s, sĂ©ances photo et concerts Ă  guichets fermĂ©s. Sur scĂšne, ils enflamment le public avec leurs chorĂ©graphies millimĂ©trĂ©es, leurs vestes Ă  paillettes et leurs sourires complices.

Personne ne se doute que, derriĂšre les enceintes, leurs voix sont prĂ©-enregistrĂ©es. Le succĂšs est si fulgurant que le duo lui-mĂȘme semble dĂ©passĂ© par les Ă©vĂ©nements. « C’était une aventure folle, nous surfions sur la vague, constamment terrorisĂ©s Ă  l’idĂ©e d’ĂȘtre dĂ©masquĂ©s », racontera plus tard Fab Morvan, Ă©voquant cette pĂ©riode oĂč ils vivaient un rĂȘve Ă©veillĂ©. Le rĂȘve justement, va tourner cauchemar plus vite qu’ils ne le pensent.

Le scandale de l’imposture musicale Ă©clate

Milli Vanilli, les idoles au destin fracassé
Rob Pilatus (Ă  gauche) et Fab Morvan du duo Milli Vanilli, aprĂšs avoir reçu le prix Grammy du meilleur nouvel artiste, prix qu’ils ont dĂ» remettre. PHOTO : ASSOCIATED PRESS / DOUGLAS C. PIZAC

À mesure que Milli Vanilli enchaĂźne les n°1 des charts, quelques voix commencent Ă  murmurer que “quelque chose sonne faux”. Rob et Fab, bien que francophones et germanophones, chantent sur disque avec un accent amĂ©ricain parfait, ce qui intrigue certains journalistes. Lors d’un concert Ă  Connecticut Ă  l’étĂ© 1989, la rumeur prend de l’ampleur : en pleine performance sur “Girl You Know It’s True”, la bande-son dĂ©raille et se met Ă  buguer, rĂ©pĂ©tant en boucle un extrait du refrain. Pris de panique, Rob quitte briĂšvement la scĂšne tandis que Fab tente de faire bonne figure. Le public reste interloquĂ©.

Cet incident de playback (rapidement Ă©touffĂ© par la maison de disques) est le premier signe public de la supercherie. En coulisses pourtant, Rob Pilatus et Fab Morvan rĂ©alisent qu’ils jouent avec le feu. LassĂ©s de mentir et redoutant d’ĂȘtre dĂ©couverts, ils font pression sur Frank Farian : ils veulent chanter sur le prochain album de Milli Vanilli, prouver leur vĂ©ritable talent. Mais le producteur refuse net. Convaincu que leurs voix n’ont pas le niveau requis, Farian prĂ©fĂšre maintenir l’illusion. Le duo insiste, au point de menacer de tout rĂ©vĂ©ler et de faire appel Ă  un avocat. C’en est trop pour le mentor qui dĂ©cide alors de sacrifier ses crĂ©atures pour sauver sa propre peau.

Milli Vanilli, les idoles au destin fracassé
Fabrice “Fab” Morvan (au centre) et Rob Pilatus (Ă  droite) tiennent les Grammy Awards des meilleurs nouveaux artistes qu’ils rendront aprĂšs avoir admis qu’ils n’Ă©taient pas les vrais chanteurs du groupe Milli Vanilli, Hollywood, Californie, 20 novembre 1990. (Photo par Vinnie Zuffante/Getty Images)

En novembre 1990, Frank Farian convoque la presse et lĂąche une bombe : Milli Vanilli n’a jamais chantĂ© une seule note en studio. Le scandale Ă©clate comme une traĂźnĂ©e de poudre dans le monde entier. En quelques heures, Rob et Fab passent du statut de superstars Ă  celui de fraudeurs honnis. Eux qui, quelques mois plus tĂŽt, brandissaient fiĂšrement leur Grammy sur scĂšne, se retrouvent contraints de le rendre publiquement. Devant les camĂ©ras du monde entier, les deux jeunes hommes avouent la tromperie la tĂȘte basse et prĂ©sentent leur fameux trophĂ©e dorĂ© en guise d’excuse.

C’est du jamais-vu dans l’histoire de la musique : pour la premiĂšre fois, un Grammy Award est retirĂ© Ă  des artistes. « Nous savons chanter, mais ce maniaque de Frank Farian n’a jamais voulu nous laisser nous exprimer », se dĂ©fend Rob Pilatus dans un entretien de l’époque, incriminant le producteur. Les rĂ©vĂ©lations attisent la colĂšre gĂ©nĂ©rale. Fans, mĂ©dias, industrie ; tous se sentent trahis.

Une avalanche de moqueries s’abat sur Milli Vanilli, dĂ©sormais symbole absolu de l’imposture musicale. Des blagues cruelles circulent dans les late shows, on les surnomme “Milli Vanilli les tricheurs”, et mĂȘme un sketch tĂ©lĂ©visĂ© affligeant met en scĂšne des personnages grimĂ©s en noir (blackface) pour se moquer d’eux. La chute mĂ©diatique est fĂ©roce : comme le dira Fab Morvan, « le label nous a jetĂ©s en pĂąture aux loups ».

Frank Farian, le marionnettiste de l’ombre

Milli Vanilli, les idoles au destin fracassé
Frank Farian. © PHOTO: Karlheinz Schindler/dpa-Zentralb

Dans l’ombre de ce scandale retentissant se tient l’architecte de toute l’opĂ©ration : Frank Farian. Producteur rusĂ© et habituĂ© des coups tordus, Farian n’en Ă©tait pas Ă  son coup d’essai. DĂšs les annĂ©es 70, il avait expĂ©rimentĂ© la recette avec Boney M., groupe disco Ă  succĂšs dont le chanteur Ă  l’écran, Bobby Farrell, ne posait en rĂ©alitĂ© presque aucune note en studio (c’est Farian lui-mĂȘme qui assurait les voix masculines sur les enregistrements). Avec Milli Vanilli, Farian rĂ©pĂšte son schĂ©ma, poussĂ© par sa conviction que le public se soucie davantage de l’apparence que de l’authenticitĂ©. Pourquoi s’en priver ?

En recrutant Rob et Fab, deux danseurs charismatiques, pour incarner la musique d’autres, il exploite cyniquement la culture de l’image triomphante Ă  la fin des annĂ©es 80. En privateur avisĂ©, il verrouille ses jeunes protĂ©gĂ©s par un contrat lĂ©onin : s’ils rompent l’accord, ils devront rembourser des avances colossales, une somme impossible Ă  rĂ©unir pour ces artistes fauchĂ©s. AcculĂ©s, Morvan et Pilatus se retrouvent pris au piĂšge. « Nous sommes tombĂ©s dans un piĂšge, nous avons signĂ© sans avocat, sans manager, sans aucune protection », confiera Fab plus tard, lucide sur leur naĂŻvetĂ© de l’époque.

Le docu musical Milli Vanilli : de la gloire au cauchemar, sorti en 2023, met en lumiĂšre ces mĂ©canismes de manipulation au cƓur de l’affaire. Il rĂ©vĂšle par exemple que la maison de disques amĂ©ricaine Arista Records (dirigĂ©e par le lĂ©gendaire Clive Davis) n’était pas aussi innocente qu’elle l’a prĂ©tendu. Six mois avant la chute, certains exĂ©cutifs auraient eu vent des voix cachĂ©es derriĂšre Milli Vanilli. Mieux, Arista a autorisĂ© le duo Ă  faire du playback lors des Grammy Awards eux-mĂȘmes, cautionnant tacitement la mascarade tant que les dollars continuaient d’affluer.

« Étonnamment, Clive Davis a eu droit Ă  un pass gratuit dans toute cette histoire », remarque le rĂ©alisateur du documentaire, Luke Korem, soulignant que “tout un tas de blancs ont empochĂ© l’argent, pendant que Rob, Fab et les autres artistes noirs Ă©taient jetĂ©s comme de vieilles chaussettes”. Car au-delĂ  de l’anecdote pop, l’affaire Milli Vanilli est surtout l’histoire d’une exploitation Ă©hontĂ©e : celle de cinq artistes noirs (les deux performers et les trois chanteurs de l’ombre) manipulĂ©s par un producteur blanc avide de succĂšs.

De la gloire au cauchemar : destins brisés et renaissance avortée

Milli Vanilli, les idoles au destin fracassé
Milli Vanilli, portraits, London, 27 September 1988, L-R Rob Pilatus, Fab Morvan. (Photo by Michael Putland/Getty Images)

AprĂšs le scandale, le rĂȘve vire au cauchemar pour Rob et Fab. Les deux comparses, jadis insĂ©parables dans la lumiĂšre, affrontent diffĂ©remment la tempĂȘte. Tous deux sombrent d’abord dans une profonde dĂ©pression en voyant leur univers s’écrouler. Pilatus encaisse particuliĂšrement mal la disgrĂące. HumiliĂ©, raillĂ© de toutes parts, il se sent persona non grata partout oĂč il passe. DĂšs 1991, il tente de mettre fin Ă  ses jours lors d’un sĂ©jour Ă  Los Angeles, barricadĂ© dans une chambre d’hĂŽtel, avant que la police ne l’en empĂȘche in extremis.

Loin d’émouvoir, son geste dĂ©sespĂ©rĂ© est tournĂ© en dĂ©rision par certains mĂ©dias, qui y voient une Ă©niĂšme mise en scĂšne cynique. Pilatus plonge alors dans une spirale autodestructrice : drogue, dĂ©lits mineurs, cures de dĂ©sintoxication Ă  rĂ©pĂ©tition. Fab Morvan, de son cĂŽtĂ©, garde la tĂȘte hors de l’eau tant bien que mal. « Nous Ă©tions diffĂ©rents sur le plan Ă©motionnel, confiera-t-il plus tard. Rob ne l’a pas vu venir, moi si. » DĂ©terminĂ© Ă  ne pas sombrer, Fab s’accroche Ă  la musique envers et contre tout.

En 1993, les deux compĂšres essaient un comeback sous le nom Rob & Fab avec un album cette fois chantĂ© de leurs propres voix. HĂ©las, le public les boude totalement (l’album ne se vendra qu’à 2000 exemplaires environ, un flop retentissant). L’industrie musicale, qui les avait hissĂ©s au sommet, leur tourne Ă  prĂ©sent le dos. Ils font alors la paix avec Frank Farian dans l’espoir d’une rĂ©demption. Ironie du sort, le producteur, sans rancune, dĂ©cide en 1997 de relancer Milli Vanilli “version authentique” : il planifie l’enregistrement d’un nouvel album oĂč Rob et Fab chanteraient enfin pour de vrai, intitulĂ© Back and In Attack. Mais le destin en dĂ©cide autrement.

Le 2 avril 1998, Ă  la veille du lancement de la tournĂ©e de retour, Rob Pilatus est retrouvĂ© mort dans une chambre d’hĂŽtel prĂšs de Francfort. Overdose de mĂ©dicaments et d’alcool. Il avait 32 ans. « Je suis convaincu Ă  100% que la controverse et la haine qu’on a subies ont contribuĂ© Ă  la mort de Rob », affirme aujourd’hui le rĂ©alisateur Luke Korem, un avis que partage Fab Morvan. Ce dernier dira de son ami qu’il est “mort le cƓur brisĂ©â€. La tragĂ©die de Rob Pilatus scelle dĂ©finitivement le destin fracassĂ© de Milli Vanilli.

Fab Morvan, lui, a survĂ©cu Ă  l’ouragan mĂ©diatique, mais Ă  quel prix ? Pendant un temps, il a dĂ» donner des cours de français pour payer son loyer. Peu Ă  peu, il a refait surface, reconstruisant sa vie loin des paillettes amĂ©ricaines. InstallĂ© en Europe (il vit entre Amsterdam, Paris et dĂ©sormais l’Espagne), Fab est aujourd’hui pĂšre de famille et continue de se produire sur scĂšne Ă  l’occasion, n’hĂ©sitant pas Ă  reprendre les chansons de Milli Vanilli avec sa vĂ©ritable voix. Son visage affiche toujours le mĂȘme sourire juvĂ©nile qu’à l’époque des clips, mais son regard en dit long sur le chemin parcouru.

S’il a pardonnĂ© bien des choses, Fab conserve une amertume : plus de trente ans aprĂšs, l’image des deux silhouettes tressĂ©es de Milli Vanilli continue d’ĂȘtre exploitĂ©e commercialement, sans qu’il n’en tire le moindre revenu. « AprĂšs 30 ans, on utilise encore mon image et je ne touche pas un centime. Ils exploitent toujours notre image », s’indigne-t-il. Il sait qu’il ne reverra probablement jamais le Grammy qu’on lui a retirĂ©, mais il s’est jurĂ© de prouver au monde qu’il n’était pas qu’un pantin.

Un documentaire choc et des révélations inédites

Milli Vanilli, les idoles au destin fracassé

Des dĂ©cennies plus tard, l’affaire Milli Vanilli fascine toujours autant, au point d’inspirer non seulement un film de fiction (un biopic Ă  grand spectacle prĂ©vu au cinĂ©ma), mais aussi un documentaire musical rĂ©vĂ©lateur. Ce docu intitulĂ© Milli Vanilli : de la gloire au cauchemar propose un regard neuf et Ă©mouvant sur cette saga. DiffusĂ© en 2023, il mĂȘle interviews exclusives (Fab Morvan s’y livre Ă  cƓur ouvert, tout comme les chanteurs de l’ombre Brad Howell et Charles Shaw) et images d’archives inĂ©dites tournĂ©es Ă  l’époque du succĂšs. On y dĂ©couvre l’envers du dĂ©cor de la supercherie, les doutes intimes des deux hĂ©ros pris au piĂšge de leur propre mensonge, mais aussi les manigances en coulisses.

L’une des sĂ©quences marquantes du documentaire montre ainsi Frank Farian, en vĂ©ritable Svengali des studios, orchestrant chaque dĂ©tail de son projet et traitant les artistes comme de simples pions interchangeables. Une autre revient sur le rĂŽle ambigu d’Arista Records et de Clive Davis, soucieux de se dĂ©douaner une fois le scandale rĂ©vĂ©lĂ©. Surtout, le film remet en perspective l’emballement mĂ©diatique de 1990 : il inclut par exemple un extrait Ă©difiant d’une confĂ©rence de presse oĂč des journalistes accablent Rob et Fab de questions agressives, l’un d’eux allant jusqu’à se faire rabrouer pour son arrogance.

Le ton du documentaire est Ă  la fois complice et compatissant. Trente ans aprĂšs, l’heure est Ă  la rĂ©habilitation pour ces idoles dĂ©chues. « Vous connaissiez les gros titres, mais vous ne connaissiez pas l’histoire », souffle Fab Morvan face camĂ©ra, soulagĂ© de pouvoir enfin raconter sa vĂ©ritĂ©. La sienne, celle de Rob, et mĂȘme celle des chanteurs oubliĂ©s, tous victimes collatĂ©rales d’un systĂšme qui les a dĂ©passĂ©s. Le rĂ©sultat Ă  l’écran est poignant : on redĂ©couvre deux garçons en quĂȘte d’amour et de validation, manipulĂ©s puis lynchĂ©s sur la place publique.

L’arnaque Milli Vanilli se mue en cautionary tale (conte moral) sur les dangers d’une gloire bĂątie sur le mensonge. « En rĂ©trospective, ces gars-lĂ  ont peut-ĂȘtre Ă©tĂ© les premiĂšres victimes de la cancel culture, bien avant qu’on invente le terme », note un observateur dans le film. De fait, les rĂ©alisateurs choisissent de ne pas accabler Rob et Fab, mais de montrer les ĂȘtres humains fragiles derriĂšre la façade.

L’hĂ©ritage d’un scandale : image, racisme et pression mĂ©diatique

Milli Vanilli, les idoles au destin fracassé

Au-delĂ  du strass et du scandale, l’affaire Milli Vanilli soulĂšve des questions de fond toujours brĂ»lantes dans l’industrie musicale. D’abord, la course Ă  l’image : Ă  l’ùre MTV des annĂ©es 90, l’apparence des artistes est devenue aussi importante, sinon plus, que leur talent brut. Milli Vanilli en est le cas d’école, poussĂ© Ă  l’extrĂȘme. Cette culture de l’image, toujours actuelle Ă  l’ùre d’Instagram et de la mise en scĂšne permanente, interroge notre rapport Ă  l’authenticitĂ©. Jusqu’oĂč est-on prĂȘt Ă  accepter l’illusion tant que le produit final divertit ?

À l’époque, le public a criĂ© Ă  la trahison. Pourtant, quelques dĂ©cennies plus tard, on consomme sans sourciller des stars construites en studio, arrangĂ©es Ă  l’autotune, ou on acclame des performances scĂ©niques oĂč le playback est monnaie courante. La supercherie de Milli Vanilli a indĂ©niablement changĂ© le regard du public : l’intolĂ©rance absolue du faux en 1990 a laissĂ© place, chez certains, Ă  plus de comprĂ©hension envers les pressions qui pĂšsent sur les artistes.

Ensuite, et surtout, il y a la question du racisme systĂ©mique dans l’industrie du disque. Le documentaire insiste sur ce point : qui a payĂ© le prix fort dans cette histoire ? Deux jeunes hommes noirs en premiĂšre ligne, exposĂ©s Ă  la vindicte planĂ©taire, tandis que les dirigeants blancs qui ont tirĂ© profit de la situation s’en sont sortis sans encombre. Frank Farian, maĂźtre d’Ɠuvre de la fraude, a rapidement rebondi dans sa carriĂšre de producteur.

Clive Davis et Arista ont continuĂ© Ă  engranger les succĂšs. Mais Rob Pilatus et Fab Morvan ont vu leur rĂȘve brisĂ© et leur rĂ©putation anĂ©antie du jour au lendemain. On peut y voir une illustration criante d’un schĂ©ma ancien : des dĂ©cideurs blancs profitent du talent (ou de l’image) d’artistes noirs, puis les laissent tomber lorsque les choses tournent mal.

Charles Shaw, l’un des chanteurs studio de Milli Vanilli, affirme avoir Ă©tĂ© blacklistĂ© par Farian aprĂšs avoir osĂ© rĂ©vĂ©ler la vĂ©ritĂ© en 1989 (il avait dĂ©noncĂ© l’imposture avant de se rĂ©tracter contre un chĂšque de silence). « Vous pensez qu’ils vont Ă©couter le petit gars noir venant du Texas ? » tĂ©moigne-t-il, amer, expliquant qu’aucun label n’a voulu de lui aprĂšs l’affaire. L’exploitation dont il a souffert, tout comme celle de Rob et Fab, met en lumiĂšre un dĂ©sĂ©quilibre de pouvoir tristement banal Ă  l’époque. Milli Vanilli, par la dĂ©mesure de leur scandale, ont rĂ©vĂ©lĂ© les coulisses moins reluisantes d’une industrie prĂȘte Ă  tout pour fabriquer des stars et contrĂŽler leur narration.

Enfin, l’histoire de Milli Vanilli illustre la pression mĂ©diatique extrĂȘme qui entoure les cĂ©lĂ©britĂ©s. En un claquement de doigts, la presse et le public peuvent vous porter aux nues puis vous jeter aux oubliettes. Rob et Fab ont Ă©tĂ© propulsĂ©s du jour au lendemain “idoles pour ados” puis vouĂ©s aux gĂ©monies avec la mĂȘme fulgurance. Cette mĂ©canique de construction/dĂ©construction des stars, dĂ©jĂ  fĂ©roce dans les annĂ©es 90, s’est encore accĂ©lĂ©rĂ©e aujourd’hui avec les rĂ©seaux sociaux.

Difficile, en repensant Ă  leur sort, de ne pas tracer un parallĂšle (toutes proportions gardĂ©es) avec le parcours d’autres pop stars ayant perdu le contrĂŽle de leur image. Britney Spears, par exemple, bien que dans un registre diffĂ©rent, a elle aussi vĂ©cu la sensation d’ĂȘtre traitĂ©e comme un objet par l’industrie et les mĂ©dias, sa vie privĂ©e et son image lui Ă©chappant complĂštement. Dans les deux cas, on trouve de jeunes artistes broyĂ©s par un systĂšme qui les dĂ©passe, transformĂ©s en produits dont on dispose Ă  volontĂ©. Milli Vanilli Ă©tait un mensonge marketing, mais la cruautĂ© avec laquelle ils ont Ă©tĂ© dĂ©molis en dit long sur la soif de scandale et le manque d’indulgence du grand public.

L’ultime note d’une histoire inoubliable

Aujourd’hui, l’évocation de Milli Vanilli suscite un mĂ©lange de fascination et de mĂ©lancolie. Fascination pour cette histoire invraisemblable (“de la gloire au cauchemar” en un battement de cils) que mĂȘme Hollywood n’aurait osĂ© imaginer. MĂ©lancolie en pensant au sort de Rob Pilatus, talentueux danseur et chanteur aspirant, qui n’aura jamais pu redorer son blason et dont la vie s’est consumĂ©e sous les quolibets. Fab Morvan, lui, continue de porter le flambeau, rappelant Ă  qui veut l’entendre qu’il sait chanter et qu’il aime la musique plus que tout. Sa tĂ©nacitĂ© force le respect : Ă  plus de 50 ans, il se bat encore pour la reconnaissance de son art, sans rien renier de son passĂ©.

L’imposture musicale de Milli Vanilli reste gravĂ©e dans l’histoire, mais Ă  la lumiĂšre du temps et des rĂ©vĂ©lations du documentaire, le rĂ©cit s’est enrichi d’une dimension humaine profonde. Ce duo artificiel est redevenu humain, tout simplement. Leur Ă©popĂ©e nous rappelle que dans le show-business, la frontiĂšre est tĂ©nue entre le rĂȘve et le cauchemar, et que les idoles aux destins brisĂ©s ont beaucoup Ă  nous apprendre sur nos propres illusions.

En refermant le chapitre Milli Vanilli, on ne retient finalement plus seulement la moquerie, mais une leçon amĂšre sur la gloire Ă©phĂ©mĂšre et la vĂ©ritĂ© du cƓur. La prochaine fois que l’on fera du playback sous la douche sur “Girl You Know It’s True”, on repensera Ă  Rob et Fab ; et Ă  l’incroyable destin qui se cache derriĂšre ce refrain entĂȘtant.

Sources

  1. Milli Vanilli: From Fame to Shame – Documentary by Simon Verhoeven, 2023.
  2. Los Angeles Times (archive du 14 novembre 1990).
  3. Rolling Stone Magazine – « The Rise and Fall of Milli Vanilli », archives.
  4. BBC Culture – « How Milli Vanilli Changed Pop Forever », 2020.
  5. The Guardian – « Milli Vanilli: the pop scandal that changed the music industry », 2023.
  6. NPR Music – Interview de Fab Morvan, 2010.
  7. The New York Times – article du 20 novembre 1990 sur la rĂ©vocation du Grammy Award.
  8. Vulture – « The Secret Singers Behind the Hits », 2021.
  9. Documentary: Girl You Know It’s True (Ă  paraĂźtre en 2024).
  10. Archives MTV – Interviews et concerts de Milli Vanilli (1988-1990).

Camille Mortenol, l’homme qui protĂ©gea Paris

Premier Guadeloupéen à Polytechnique, héros méconnu de 14-18, Camille Mortenol incarne le paradoxe colonial : loyauté sans reconnaissance, excellence sans héritage.

Une silhouette dans l’ombre de l’Histoire

Camille Mortenol, l'homme qui protégea Paris

Il y a des noms qu’on grave en lettres d’or sur les frontons des acadĂ©mies. Et puis il y a ceux, tout aussi mĂ©ritants, qui dorment dans les marges. Camille Mortenol appartient Ă  cette deuxiĂšme catĂ©gorie : un officier de marine nĂ© libre d’un pĂšre esclave affranchi, formĂ© Ă  Polytechnique, stratĂšge de la dĂ©fense antiaĂ©rienne de Paris pendant la Grande Guerre. L’histoire française l’a longtemps relĂ©guĂ© au rang de note de bas de page. Pourtant, dans les tempĂȘtes coloniales, les dĂ©flagrations du racisme et les silences complices de la RĂ©publique, il a tenu bon.

Son nom est une balise. Une mémoire. Une revanche tranquille.

I. De l’Afrique arrachĂ©e Ă  la mer conquise

À Pointe-Ă -Pitre, un matin du 29 novembre 1859, naĂźt un enfant que l’histoire officielle a longtemps ignorĂ©, mais dont la vie dĂ©fie l’effacement. SosthĂšne HĂ©liodore Camille Mortenol, fils de deux anciens esclaves, voit le jour dans une Guadeloupe encore imprĂ©gnĂ©e des cendres de la servitude. L’abolition de l’esclavage n’a que douze ans. L’üle panse encore les blessures laissĂ©es par des siĂšcles de chaĂźnes et de cannes Ă  sucre.

Son pĂšre, né en Afrique vers 1809, fut capturĂ©, dĂ©portĂ© et rĂ©duit Ă  l’état de marchandise humaine. Mais en 1847, Ă  l’ñge de 38 ans, il obtient son affranchissement en rachetant sa propre libertĂ© pour la somme de 2 400 francs. Un acte aussi douloureux que symbolique. À l’administration coloniale, il aurait lancĂ© ces mots : 

« Vous m’avez pris sur la terre d’Afrique pour faire de moi un esclave. Rendez-moi aujourd’hui ma libertĂ©. » 

Il adopte alors un nom neuf, forgé dans la dignité retrouvée : Mortenol.

Sa mĂšre, Julienne Toussaint, nĂ©e en 1834, couturiĂšre, fut elle aussi esclave. Ensemble, ils donnent naissance Ă  trois enfants : EugĂšneMarie-AdĂšle, et Camille, le benjamin. Dans cette maison modeste oĂč la pauvretĂ© ne fait jamais taire la dignitĂ©, l’instruction devient l’arme de l’émancipation, et la mĂ©moire de l’oppression un levier d’ascension.

TrĂšs tĂŽt, le jeune Camille se distingue. ÉlĂšve brillantsilencieux, il manifeste un talent prĂ©coce pour les mathĂ©matiques et la discipline. Il Ă©tudie Ă  l’externat des frĂšres de PloĂ«rmel, puis au sĂ©minaire de Basse-Terre, avant de croiser le regard de Victor SchƓlcher. L’ancien artisan de l’abolition repĂšre son potentiel et le soutient. GrĂące Ă  une bourse, Camille traverse l’ocĂ©an, direction la mĂ©tropole, ce pays qui parle de LibertĂ©, ÉgalitĂ©, FraternitĂ©, mais peine Ă  les incarner pour ses enfants d’outre-mer.

À Bordeaux, il entre au lycĂ©e Montaigne, y prĂ©pare les concours des grandes Ă©coles. En 1880, il rĂ©ussit l’exploit : il est classĂ© 19e sur 209 candidats au concours de l’École polytechnique. Il devient alors le premier GuadeloupĂ©en, et le troisiĂšme homme noir Ă  intĂ©grer cette institution, aprĂšs Auguste-François Perrinon (X 1832) et Charles Wilkinson (X 1849). Ce jour-lĂ , dans l’histoire de France, un fils d’esclave franchit les portes d’une des Ă©coles les plus sĂ©lectives du pays.

Camille Mortenol, l'homme qui protégea Paris
Camille Mortenol, Ă©lĂšve officier guadeloupĂ©en Ă  l’École polytechnique de Paris, 1880.

Mais cette rĂ©ussite ne l’exempte pas du mĂ©pris latent. À Polytechnique, on le remarque ; par son talent, mais aussi par sa couleur. Lors de la « sĂ©ance des cotes », un rituel de bizutage, il reçoit la « cote nĂšgre ». L’humour est militaire, raciste, mais derriĂšre le vernis de condescendance, ses camarades reconnaissent son mĂ©rite. L’un d’eux lance mĂȘme : 

« Si tu es nÚgre, nous sommes blancs ; à chacun sa couleur et qui pourrait dire quelle est la meilleure ? »

Camille Mortenol ne se venge pas. Il dĂ©passe. Il apprend Ă  marcher dans les couloirs de l’élite rĂ©publicaine sans se courber, Ă  porter son passĂ© comme un Ă©tendard invisible. Il comprend que chaque succĂšs n’est pas qu’un accomplissement individuel : il est le fruit d’une mĂ©moire, d’un peuple, d’une histoire.

DiplĂŽmĂ© en 188218e de sa promotion, il choisit la Marine nationale. Un choix stratĂ©gique. L’armĂ©e de terre reste fermĂ©e aux officiers de couleur, mais la “Royale”, avec sa hiĂ©rarchie plus technique, laisse une porte entrouverte. Il y entre comme aspirant, sur la frĂ©gate L’Alceste. Un siĂšcle aprĂšs que son pĂšre fut arrachĂ© Ă  l’Afrique par la mer, le fils navigue dĂ©sormais sur les flots de l’Empire, non plus comme cargaison humaine, mais comme officier de la RĂ©publique française.

II. Franchir les lignes de couleur

À sa sortie de l’École polytechnique en 1882, Camille Mortenol fait un choix Ă  la fois stratĂ©gique et symbolique : il entre dans la Marine nationale ; que l’on appelle alors « la Royale », bastion d’aristocratie rĂ©publicaine, oĂč le port de l’uniforme se confond avec une couleur de peau, blanche par dĂ©faut. Sur les ponts des navires, la RĂ©publique flotte au vent, mais la FraternitĂ© reste ancrĂ©e Ă  quai.

Il embarque d’abord Ă  bord de L’Alceste, une frĂ©gate Ă  voile, puis rapidement, sa carriĂšre prend le large. Madagascar, Indochine, Afrique de l’Ouest, MĂ©diterranĂ©e, Levant : Mortenol navigue lĂ  oĂč l’Empire projette ses ambitions coloniales. Il n’est pas seulement officier, il est l’un des visages du pouvoir françaiscommandant des unitĂ©s, opĂ©rant dans des zones de conflit, souvent en premiĂšre ligne. Paradoxe absolu : l’enfant d’un esclave africain devient agent de l’expansion impĂ©riale sur le continent d’oĂč fut arrachĂ© son pĂšre.

Son ascension est rĂ©guliĂšre, mĂ©ritĂ©e, mais jamais simple. Il est nommĂ© successivement enseigne de vaisseau en 1884, puis lieutenant de vaisseau en 1889capitaine de frĂ©gate en 1904. Chaque promotion est le fruit d’un travail irrĂ©prochable, de campagnes Ă©prouvantes, de missions rĂ©ussies. Et pourtant, derriĂšre les dĂ©corations, les rapports internes des supĂ©rieurs hiĂ©rarchiques Ă©voquent « des ennuis possibles en raison de sa race Â». Sur les quais de Toulon, de Brest ou de SaĂŻgon, les badauds se retournent. Certains marins, parfois mĂȘme des officiers, chuchotent : Â« Un nĂšgre, capitaine ? »

Camille Mortenol, l'homme qui protégea Paris
Camille Mortenol, Ă©lĂšve officier guadeloupĂ©en Ă  l’École polytechnique de Paris.

Il encaisse. Il avance. Il commande.

En 1895, il participe Ă  la campagne de Madagascar, aux cĂŽtĂ©s du gĂ©nĂ©ral Gallieni. Il mĂšne des opĂ©rations militaires dĂ©cisives, notamment Ă  Marovoay et Maevatanana, dans un contexte de rĂ©sistance malgache Ă  la domination française. Ses faits d’armes lui valent la LĂ©gion d’honneur, remise en main propre par le prĂ©sident FĂ©lix Faure. Une photo immortalise l’instant : un officier noir dĂ©corĂ© pour avoir conquis une terre noire au nom de la France. La boucle est vertigineuse.

Mais l’honneur ne protĂšge pas du racisme. Un de ses commandants note dans un rapport :

« Mortenol est un excellent officier. La seule chose qui lui soit prĂ©judiciable est sa race, et je crains qu’elle soit incompatible avec les positions Ă©levĂ©es de la Marine. »

Dans l’encre administrative, la couleur prend le pas sur le mĂ©rite. Ses Ă©tats de service ne suffisent pas. Il doit exceller pour exister, ĂȘtre irrĂ©prochable pour simplement ĂȘtre admis.

En 1902, il Ă©pouse Marie-Louise Vitalo, une veuve originaire de Cayenne, rencontrĂ©e Ă  Paris. Ils ne peuvent avoir d’enfant, mais forment un foyer discret. Elle meurt dix ans plus tard, Ă  Brest, oĂč Mortenol est alors affectĂ©. Il ne se remariera jamais. Sa vie est celle d’un solitaire, vouĂ©e au service.

Pendant deux dĂ©cennies, Mortenol dirige des torpilleurscommande des bĂątiments de guerreparticipe Ă  la rĂ©pression de rĂ©voltes en Afrique centrale. Dans chaque port oĂč il pose pied, il incarne l’exception noire dans un monde d’uniformitĂ© blanche. Il reprĂ©sente la RĂ©publique, mais reste un corps Ă©tranger Ă  l’intĂ©rieur de son systĂšme.

Et pourtant, il tient. Par rigueur. Par honneur. Par cette intuition profonde que sa rĂ©ussite ne lui appartient pas qu’à lui : elle est une brĂšche ouverte dans le mur de l’exclusion. Une brĂšche que d’autres, plus tard, pourront Ă©largir.

III. Un colonisĂ© aux commandes d’une capitale en guerre

Lorsque la PremiĂšre Guerre mondiale Ă©clate en 1914, Camille Mortenol a 55 ans. Dans l’esprit de l’état-major, il est trop ĂągĂ© pour espĂ©rer le commandement d’un grand cuirassĂ©. Trop expĂ©rimentĂ© pour rester inactif. Mais peut-ĂȘtre surtout (sans qu’on ose l’écrire) trop noir pour l’élite navale en temps de guerre.

L’homme n’est pas du genre Ă  se rĂ©signer Ă  l’arriĂšre-plan. Il demande Ă  servir, encore. AppuyĂ© par le gĂ©nĂ©ral Gallieni, qu’il a connu Ă  Madagascar, il obtient un poste stratĂ©gique : diriger la DĂ©fense Contre AĂ©ronefs (DCA) du camp retranchĂ© de Paris. Ce rĂŽle, essentiel mais encore balbutiant, consiste à protĂ©ger la capitale des bombardements aĂ©riens, une menace nouvelle Ă  l’époque, incarnĂ©e par les Zeppelins et les premiers avions allemands.

La tĂąche est colossale. À son arrivĂ©e, le dispositif de dĂ©fense aĂ©rienne est rudimentaire, quasi inexistant. Les canons antiaĂ©riens sont rares, obsolĂštes, incapables de se redresser Ă  la verticaleLes projecteurs sont faibles, les transmissions hasardeusesLa ville lumiĂšre s’apprĂȘte Ă  affronter la nuit noire des raids ennemis, avec des bougies pour lanternes.

Camille Mortenol, l'homme qui protégea Paris
Camille MORTENOL Ă  Paris

Mais Mortenol n’est pas un homme d’effets de manche. Il est un stratĂšge. Un bĂątisseur de silence. Il inspecte, calcule, rĂ©forme.

En quelques mois, il transforme la DCA de Paris en une forteresse aĂ©rienneLes canons sont modernisĂ©sles projecteurs dĂ©multipliĂ©sles lignes de communication doublĂ©es, sĂ©curisĂ©esIl met en place un rĂ©seau de veille, organise des rotations, optimise la logistique. Tout cela sans clamer, sans plastronner. Il construit une barriĂšre invisible entre les bombes et les vivants.

Le 21 mars 1915, les Zeppelins survolent Paris. Mortenol est dĂ©jĂ  en poste. Les batteries qu’il a fait installer ouvrent le feuCe jour-lĂ , les balles traversent le ciel avec la dĂ©termination d’un homme qu’on disait illĂ©gitime.

Camille Mortenol, l'homme qui protégea Paris
Camille Mortenol, officier supérieur guadeloupéen, défenseur de Paris et capitaine de vaisseau, 1917.

En 1918, lorsque sonne l’armistice, Camille Mortenol commande 10 000 hommes, prĂšs de 200 canons adaptĂ©s au combat aĂ©rien et 65 projecteurs de grande puissanceEn quatre ans, il a transformĂ© une mission secondaire en axe central de la dĂ©fense nationaleIl a tenu Paris, littĂ©ralement, sous une voĂ»te protectrice qu’il a lui-mĂȘme pensĂ©e, dessinĂ©e, installĂ©e.

Mais il n’est pas sur les affiches. Son visage ne figure sur aucun bas-relief. Pas de statue Ă  l’entrĂ©e des Invalides, pas de rue dans les beaux quartiers. À peine une ligne dans les manuels militaires.

Il est remercié, puis effacé.

On le nomme colonel dans la rĂ©serve de l’armĂ©e de Terre, on lui remet la LĂ©gion d’honneur au grade de commandeur en 1920 ; sans discours, sans cĂ©rĂ©monie publique. Les honneurs sont discrets, presque murmurĂ©s. L’histoire officielle, elle, garde le silence.

Et pourtant, dans les journaux de l’époque, dans les mĂ©moires de soldats, dans les lettres de ses hommes, le nom de Mortenol revient. Toujours avec les mĂȘmes adjectifs : mĂ©thodique, efficace, digne, inflexible.

Camille Mortenol a tenu Paris. Mais Paris ne l’a pas retenu.

IV. Une France ingrate face à ses propres héros

En 1920Camille Mortenol est fait Commandeur de la LĂ©gion d’honneurUne reconnaissance tardive, comme si la RĂ©publique avait attendu la fin de la guerre pour saluer Ă  demi-mot celui qui, dans l’ombre, avait tenu Paris. Il n’est pas promu amiral. Pas mĂȘme gĂ©nĂ©ral. Il aura tout donnĂ© Ă  la France, mais la RĂ©publique ne lui rendra jamais sa pleine part.

Camille Mortenol, l'homme qui protégea Paris

Pas de rue Ă  son nom dans Paris de son vivant, aucune plaque dans les lieux oĂč il a veillĂ©, planifiĂ©, protĂ©gĂ©. Ni manuel scolaire ne mentionne son rĂŽle dĂ©terminant dans la dĂ©fense aĂ©rienne de la capitale, ni commĂ©moration nationale ne le hisse parmi les hĂ©ros de la Grande Guerre. Camille Mortenol est l’oubliĂ© d’un rĂ©cit qu’il a pourtant Ă©crit Ă  l’encre vive.

Et pourtant, dans l’intimitĂ© de ses lettres, dans la pudeur de ses silences, se devine une fiertĂ© meurtrie, une dignitĂ© blessĂ©e, mais jamais soumiseIl n’a pas militĂ©. Il n’a pas hurlĂ©. Il a agi. Il aurait pu dĂ©noncer, rĂ©clamer, pointer l’hypocrisie d’un systĂšme qui l’utilisait sans jamais l’assumer. Il n’en fit rien. Peut-ĂȘtre par loyautĂ©. Peut-ĂȘtre par stratĂ©gie. Peut-ĂȘtre parce que, pour lui, la vĂ©ritĂ© se trouvait dans les actes, pas dans les cris.

Camille Mortenol appartient Ă  cette gĂ©nĂ©ration sacrifiĂ©e de l’Empire, ces hommes noirs, mĂ©tis, indiens, malgaches, indochinois qui ont portĂ© l’uniforme français avec honneur, sans jamais pouvoir en revĂȘtir l’égalitĂ© pleine et entiĂšre. Ils ont dĂ©fendu un pays qui ne les a jamais vraiment reconnus comme siens. Ils sont la colonne vertĂ©brale oubliĂ©e de la France coloniale.

Camille Mortenol, l'homme qui protégea Paris
Timbre : 2018 SosthĂšne Mortenol 1859-1930

En 1930Mortenol s’éteint dans le 15e arrondissement de Paris, Ă  l’ñge de 71 ans. Il repose au cimetiĂšre de Vaugirard, loin des Invalides, loin du PanthĂ©on, dans un silence qui ressemble Ă  un effacement.

Sa femme, Marie-Louise Vitalo, nĂ©e Ă  Cayenne, l’a prĂ©cĂ©dĂ© en 1912Ils n’ont pas eu d’enfants. Aucun hĂ©ritier pour porter son nom. Mais son Ɠuvre, elle, subsiste. Elle rĂ©side dans les archives militaires, dans les courbes de dĂ©fense qu’il a dressĂ©es autour de Paris, dans la mĂ©moire trop discrĂšte des Antilles, dans les hommages tardifs, parfois gĂȘnĂ©s, d’une RĂ©publique qui ne sait toujours pas honorer tous ses fils Ă  Ă©galitĂ©.

Camille Mortenol est mort deux fois. Une fois en 1930. Une autre dans les oublis de la mémoire nationale.

Ce que Mortenol dit de la France

Mortenol, c’est une leçon d’Histoire. Une fracture. Un miroir. C’est l’histoire d’un homme noir dans un pays qui prîne l’universalisme, mais peine à reconnaütre ses propres enfants lorsqu’ils sortent du cadre attendu.

C’est aussi la preuve que l’excellence noire a toujours existĂ©, mĂȘme quand elle Ă©tait niĂ©e. Il ne s’agit pas d’essentialiser Mortenol, de le figer en “exemple”. Il s’agit de comprendre ce qu’il rĂ©vĂšle de l’ordre social français, de ses hypocrisies, de ses oublis volontaires.

Le faire entrer au PanthĂ©on ? Peut-ĂȘtre. Mais avant cela, il faut surtout faire entrer son nom dans les salles de classe, les rĂ©cits officiels, les bibliothĂšques de la RĂ©publique.

Mortenol, c’est nous !

Camille Mortenol n’est pas seulement un officier noir de la TroisiĂšme RĂ©publique. Il est une page de France que l’on a tentĂ© de corner. Une preuve que l’Histoire, celle que l’on raconte aux enfants, doit s’écrire Ă  plusieurs voix.

Dans chaque enfant antillais, chaque Ă©lĂšve africain ou afrodescendant qui doute de sa place, il y a un Ă©cho de Mortenol. Une invitation Ă  tenir bon. À ne pas se contenter d’ĂȘtre tolĂ©rĂ©. Mais Ă  imposer sa place, par le savoir, la discipline, et le courage.

Car oui, la France a Ă©tĂ© dĂ©fendue par un fils d’esclave.

Et il est temps que la France s’en souvienne.

Source

NollywoodWeek 2025, le grand rendez-vous du cinéma africain à Paris

Du 7 au 11 mai 2025, Paris accueille la NollywoodWeek : 5 jours de cinéma africain engagé, audacieux et sans filtre. Une révolution visuelle et culturelle.

Et si le cinĂ©ma noir s’écrivait enfin en lettres capitales ?

Par-delĂ  les projecteurs et les tapis rouges, une rĂ©volution douce mais implacable est en marche. Du 7 au 11 mai 2025, Paris deviendra, l’espace de cinq jours, la capitale de l’Afrique cinĂ©matographique. Pas l’Afrique fantasmĂ©e des cartographies coloniales, mais celle qui filme, raconte, dĂ©fie et s’impose. NollywoodWeek revient. Plus que jamais, elle affirme une chose simple et redoutable : les imaginaires noirs ne demandent plus Ă  ĂȘtre invitĂ©s. Ils prennent la scĂšne.

Une ambassadrice comme un manifeste : AĂŻssa MaĂŻga

Il y a dans la prĂ©sence d’AĂŻssa MaĂŻga Ă  la tĂȘte de cette 12e Ă©dition une forme d’évidence. Elle n’est pas seulement actrice, rĂ©alisatrice ou militante. Elle est mĂ©moire vivante, tĂ©moin debout de cette France qui peine encore Ă  se voir dans le miroir de sa diversitĂ©. Loin des discours creux, elle incarne une « parole-rĂ©paration » : celle qui dĂ©range les puissants, et qui console les invisibles.

Son rĂŽle d’ambassadrice n’est pas honorifique. Il est politique. Il dit ceci : que les luttes pour la reprĂ©sentation ne sont pas finies ; mais qu’elles ont dĂ©sormais un festival, une voix, une tribune.

« Nollywood est une industrie incroyablement dynamique qui inspire le monde entier », confie-t-elle. Et elle a raison : il ne s’agit plus d’un cinĂ©ma pĂ©riphĂ©rique. Il est dĂ©sormais central. Non pas par faveur, mais par force.

Nollywood : de Lagos Ă  Paris, une gĂ©opolitique de l’image

NĂ©e de l’urgence, des marges et de la dĂ©brouille, l’industrie cinĂ©matographique nigĂ©riane (deuxiĂšme au monde en volume de production) a su transformer les contraintes en puissance. Ce que les grandes capitales du cinĂ©ma global n’avaient pas anticipĂ©, c’est que l’Afrique raconterait sa propre histoire sans attendre leur feu vert.

Depuis 2013, NollywoodWeek agit comme un pont entre continents, un corridor oĂč se croisent langues, accents, rĂ©cits et ambitions. +24 000 billets vendus, 170 films sous-titrĂ©s en français, plus de 3600 articles publiĂ©s : les chiffres sont Ă©loquents, mais c’est le souffle politique qui impressionne.

En donnant Ă  voir 30 films venus de 8 pays, cette Ă©dition 2025 ne se contente pas de cĂ©lĂ©brer le cinĂ©ma africain : elle le repositionne au centre d’un dĂ©bat esthĂ©tique, culturel et identitaire.

Des fictions qui cognent, des récits qui guérissent

La sélection de cette année est un manifeste en soi.

  • « Out in the Darkness« , rĂ©alisĂ© par Sarah Kwaji, dĂ©ploie avec une sobriĂ©tĂ© poignante la descente d’une mĂšre nigĂ©riane dans les abĂźmes de la dĂ©pression post-partum. Ce n’est pas qu’un film : c’est un cri. Une main tendue dans une sociĂ©tĂ© oĂč la santĂ© mentale est encore un tabou.
  • « The Legend of the Vagabond Queen of Lagos«  projette sur l’écran la figure d’une femme noire en rĂ©sistance, entre conte urbain et Ă©popĂ©e politique. Un Bronx de Lagos, sur fond de lutte des classes et d’hĂ©ritages volĂ©s.
  • « OlĂčmĂČtĂ n« , enfin, est une Ɠuvre-monstre. 170 minutes d’un théùtre du vertige, oĂč une accusĂ©e mystĂ©rieuse nous entraĂźne dans des rĂ©cits interdits. À la maniĂšre des “indigĂšnes” du Code colonial, les personnages d’Adejuyigbe se battent pour le droit de raconter — et d’exister.

Des panels pour penser le cinéma autrement

La NollywoodWeek ne se contente pas de projeter. Elle éduque, elle provoque, elle fédÚre.

Des masterclasses sur la musique dans le film, des tables rondes sur la distribution au-delĂ  de Netflix, des ateliers sur les adaptations littĂ©raires… tout y est conçu pour que les professionnels afrodescendants puissent non seulement crĂ©er, mais aussi maĂźtriser les circuits de diffusion, les modĂšles Ă©conomiques, et les codes de narration globaux.

Paris, capitale d’une Afrique qui filme sa propre renaissance

Ce festival ne parle pas que du Nigeria. Il parle du pouvoir des diasporas, de l’universalitĂ© des douleurs post-coloniales, des amours contrariĂ©es, des mĂšres trop fiĂšres, des enfants trop sages. Il parle de vous, de nous, de ce que l’on pourrait nommer « la longue mĂ©moire du sang niĂ© et du rĂȘve rĂ©inventé« .

NollywoodWeek, c’est l’anti-clichĂ©. C’est l’Afrique comme protagoniste, comme conteuse, comme productrice.

Voir, c’est dĂ©jĂ  lutter

À l’heure oĂč les Ă©crans du monde hĂ©sitent encore Ă  reflĂ©ter la noirceur dans sa plĂ©nitude, la NollywoodWeek 2025 n’attend plus qu’on l’acclame. Elle s’impose.

Et si vous cherchez la révolution, elle aura lieu à Paris. En VO, sous-titrée en vérité.

Infos pratiques

Ève mitochondriale : aux origines africaines de l’humanitĂ©

Redessiner nos racines

Au cƓur de l’histoire humaine, bien avant que les civilisations ne s’Ă©rigent et que les continents ne portent des frontiĂšres, vĂ©cut une femme : Ève mitochondriale. Non pas la premiĂšre femme au sens biblique, mais celle dont le patrimoine gĂ©nĂ©tique matrilinĂ©aire nous relie tous, sans exception. DĂ©couverte dans les trĂ©fonds du gĂ©nome, elle rappelle que notre berceau Ă  tous est africain ; et que la lumiĂšre de l’humanitĂ© s’est d’abord levĂ©e sur cette terre mĂšre.

Qui est l’Ève mitochondriale ?

Ève mitochondriale : aux origines africaines de l’humanitĂ©

Il est des dĂ©couvertes scientifiques qui, silencieusement, bouleversent nos certitudes les plus anciennes. Dans les annĂ©es 1980, au croisement de la gĂ©nĂ©tique molĂ©culaire et de l’anthropologie, un trio de chercheurs (Allan Wilson, Rebecca Cann et Mark Stoneking1) met en lumiĂšre une rĂ©vĂ©lation troublante : en scrutant l’ADN des mitochondries2, ces minuscules organites prĂ©sents dans chacune de nos cellules, transmis exclusivement par la mĂšre, il est possible de remonter le fil du temps jusqu’à une ancĂȘtre commune Ă  toute l’humanitĂ© actuelle.

Cette femme, que la science baptisera avec une poĂ©sie involontaire Ève mitochondriale3, n’est ni une figure religieuse ni une entitĂ© mythologique. Elle est une rĂ©alitĂ© statistique, un point de convergence gĂ©nĂ©tique. Selon les derniĂšres estimations, elle aurait vĂ©cu quelque part en Afrique de l’Est, il y a environ 150 000 Ă  200 000 ans. Toutes les lignĂ©es maternelles humaines vivantes aujourd’hui (des Andes Ă  l’Himalaya, du Delta du Nil aux fjords de NorvĂšge) dĂ©rivent d’elle, et d’elle seule, Ă  travers un rĂ©seau de mĂšres, de filles, de grand-mĂšres, de gĂ©nĂ©rations tissĂ©es les unes aux autres dans la durĂ©e.

Mais il faut clarifier ce que cette maternitĂ© originelle signifie et ce qu’elle ne signifie pas. Ève mitochondriale n’était pas la premiĂšre femme. Elle n’était pas davantage l’unique femme de son Ă©poque. Elle ne vivait pas dans un monde vide d’autres humanitĂ©s, ni mĂȘme dans une solitude gĂ©nĂ©alogique. Elle fut simplement la seule dont la lignĂ©e fĂ©minine n’a jamais Ă©tĂ© interrompue. Tandis que d’autres lignĂ©es, portĂ©es par des femmes ayant Ă©galement existĂ©, se sont Ă©teintes au fil des siĂšcles (par l’absence de filles, par des Ă©vĂ©nements tragiques ou alĂ©atoires), la sienne a subsistĂ©, transmise de mĂšre en fille sans discontinuitĂ© jusqu’à nous.

C’est lĂ  l’un des paradoxes fĂ©conds de cette figure scientifique : son universalitĂ© naĂźt de la contingence. Elle n’est pas la plus forte, ni la plus sage, ni la plus belle, mais la plus persistante. Sa lignĂ©e a survĂ©cu. C’est cette survivance, cette continuitĂ© de l’invisible, qui l’élĂšve Ă  un rang symbolique. Elle est, en quelque sorte, la matrice oubliĂ©e de notre humanitĂ© partagĂ©e.

De cette femme sans nom, dont les traits, la langue, la foi ou le destin nous sont irrĂ©mĂ©diablement perdus, il ne reste aucune sĂ©pulture, aucune mĂ©moire rituelle. Et pourtant, elle est en chacun de nous. Dans le souffle d’une jeune fille crĂ©ole, dans les yeux d’un vieillard inuit, dans le sourire d’un enfant masaĂŻ, il reste quelque chose d’elle : un fragment d’hĂ©ritage molĂ©culaire, une note lointaine dans la grande partition biologique humaine.

Comprendre qui est Ève mitochondriale, c’est donc retrouver la trace de notre commune origine. C’est accepter que, malgrĂ© la dispersion gĂ©ographique, les diffĂ©rences culturelles et les fractures historiques, nous appartenons Ă  une mĂȘme histoire, enracinĂ©e dans la profondeur africaine du monde.

Un rĂ©cit africain de l’origine

Ève mitochondriale : aux origines africaines de l’humanitĂ©

La dĂ©couverte de l’Ève mitochondriale n’est pas qu’un jalon scientifique : elle est une rupture narrative. Car elle ne dit pas seulement oĂč commence l’histoire de l’humanitĂ© ; elle dĂ©place le centre du monde. Ce que rĂ©vĂšle la gĂ©nĂ©tique, c’est que tous les humains actuels, des bergers touaregs aux berges du Nil, des steppes mongoles aux bidonvilles de Lima, des temples d’Asie aux tours de Manhattan, partagent une origine commune : l’Afrique.

Cette affirmation ne relĂšve pas du mythe, ni du roman des origines. Elle est fondĂ©e sur la rigueur de la biologie molĂ©culaire, sur l’analyse minutieuse de l’ADN mitochondrial, sur les datations croisĂ©es du palĂ©oenvironnement et de la palĂ©ogĂ©nĂ©tique. Ces outils, nĂ©s dans les laboratoires des grandes universitĂ©s, n’ont fait que confirmer ce que les griots chuchotaient dĂ©jĂ  : l’humanitĂ© entiĂšre a un berceau africain.

Il ne s’agit pas d’une suggestion poĂ©tique, mais d’un fait brut, dĂ©rangeant pour les rĂ©cits dominants. Le premier visage humain Ă©tait noir, et le premier souffle que l’espĂšce humaine a donnĂ© s’est Ă©levé depuis les plaines d’Afrique de l’Est. Dans un monde encore vierge de frontiĂšres, de nations, d’exclusions, nos ancĂȘtres (Ă  la peau sombre, aux traits africains) ont levĂ© les yeux vers le ciel et entamĂ© le grand pĂ©riple du peuplement planĂ©taire.

Cette vĂ©ritĂ©, longtemps niĂ©e ou marginalisĂ©e dans les chronologies occidentales, est dĂ©sormais incontestable. Et pourtant, elle peine encore Ă  ĂȘtre pleinement intĂ©grĂ©e dans les consciences. Il est plus confortable, pour l’Europe et ses hĂ©ritiers, de penser l’histoire comme une ascension depuis la GrĂšce vers la modernitĂ©, oubliant que la sagesse grecque elle-mĂȘme fut nourrie par l’Égypte pharaonique, par le commerce transsaharien, par les savoirs de Kemet.

Or ce que nous dit Ève mitochondriale, c’est que la mĂ©moire de l’humanitĂ© est noire. Non pas symboliquement noire, mais littĂ©ralement, biologiquement africaine. Et dans une Ă©poque oĂč les crispations identitaires dressent des murs et des frontiĂšres, oĂč l’on se mĂ©fie de l’Autre parce qu’il viendrait d’ailleurs, ce rappel est salutaire : l’Ailleurs, c’est notre commencement Ă  tous.

Chaque ĂȘtre humain, quelle que soit sa couleur de peau ou son lieu de naissance, porte en lui une lueur d’Afrique. C’est une mĂ©moire silencieuse, nichĂ©e dans les mitochondries de nos cellules, qui murmure que nos diffĂ©rences sont superficielles, que nos filiations sont entremĂȘlĂ©es, et que notre humanitĂ© est indivisible.

Redonner Ă  l’Afrique sa place dans le rĂ©cit de l’origine, ce n’est pas une rĂ©paration morale. C’est une nĂ©cessitĂ© historique. C’est regarder la science en face et comprendre que le centre de gravitĂ© de l’humanitĂ© se situe bien plus au sud qu’on ne l’a longtemps enseignĂ©.

L’Afrique, matrice de l’humanitĂ©

Ève mitochondriale : aux origines africaines de l’humanitĂ©

Il faut imaginer l’Afrique, il y a quelque 150 000 Ă  200 000 ans, non comme une terre figĂ©e dans l’archaĂŻsme, mais comme un continent vibrant d’innovations biologiques, culturelles et sociales. C’est lĂ , au cƓur des savanes nourriciĂšres, dans l’ombre des forĂȘts Ă©quatoriales, et sur les flancs arides du Rift, que l’humanitĂ© a appris Ă  ĂȘtre humaine.

C’est en Afrique que nos ancĂȘtres, porteurs de l’empreinte d’Ève mitochondriale, ont maĂźtrisĂ© le feu, ont façonnĂ© les premiers outils bifaciaux, ont commencĂ© Ă  parler, Ă  transmettre, Ă  rĂȘver. Le feu domestiquĂ© n’était pas qu’un instrument de survie : il Ă©tait le premier foyer, le dĂ©but du cercle humain. Les galets taillĂ©s n’étaient pas que des armes ou des ustensiles : ils Ă©taient l’amorce d’une pensĂ©e technique, l’embryon de nos civilisations futures.

À travers les Ăąges glaciaires et les pĂ©riodes de rĂ©chauffement, l’Afrique fut le laboratoire de notre espĂšce, un immense théùtre d’apprentissage Ă©volutif. C’est lĂ  que les premiers groupes ont dĂ» s’adapter aux cycles du climat, aux migrations animales, aux changements de vĂ©gĂ©tation. Chaque dĂ©fi rencontrĂ© fut un moteur d’adaptation, chaque mutation favorable, une promesse de survie.

Puis, vers 60 000 ans avant notre Ăšre, dans un mouvement aussi discret que dĂ©cisif, un petit groupe d’Homo sapiens franchit les frontiĂšres naturelles du continent. Ils empruntent sans doute deux routes principales : le corridor du SinaĂŻ4, mince bande de terre reliant l’Afrique au Proche-Orient, et la voie cĂŽtiĂšre de la mer Rouge, longeant l’ocĂ©an Indien jusqu’au sud de l’Asie.

Ces migrants ne sont pas des conquĂ©rants, mais des chercheurs d’équilibre : ils suivent les cours d’eau, traquent le gibier, explorent les rivages, poussĂ©s par la quĂȘte de ressources, par la pression dĂ©mographique ou par l’instinct d’aller voir ailleurs. Ce sont des familles, des clans, des survivants. Ils emportent avec eux le feu, le langage, les outils ; et surtout, l’hĂ©ritage gĂ©nĂ©tique d’Ève mitochondriale.

Cette sortie d’Afrique, que les gĂ©nĂ©ticiens appellent Out of Africa II, est l’un des moments fondateurs de notre histoire globale. De cette poignĂ©e de femmes et d’hommes, Ă  peine quelques centaines selon certaines estimations, descend l’ensemble des populations non africaines contemporaines. Chinois, Scandinaves, BrĂ©siliens, AborigĂšnes, Arabes ou Inuits : tous sont, en un sens, des Africains en exil.

Cette dispersion humaine ne s’est pas faite en un jour. Elle s’est Ă©talĂ©e sur des millĂ©naires, rythmĂ©e par les pĂ©riodes glaciaires, les fluctuations maritimes et les pĂ©rils du monde inconnu. Mais partout oĂč ils sont allĂ©s, ces enfants de l’Afrique ont emportĂ© la mĂ©moire de leur terre mĂšre, imprimĂ©e dans leur ADN, dans leurs gestes, dans leur organisation sociale.

Et aujourd’hui encore, malgrĂ© les dĂ©rives racistes, malgrĂ© les hiĂ©rarchies construites sur des couleurs de peau ou des origines supposĂ©es, la science nous ramĂšne inlassablement Ă  cette vĂ©ritĂ© premiĂšre : nous sommes une famille humaine issue d’une seule matrice ; celle de l’Afrique.

Redire cela, ce n’est pas faire Ɠuvre de romantisme. C’est rĂ©tablir une vĂ©ritĂ© historique, biologique, philosophique. C’est rappeler que l’Afrique n’est pas le « continent oubliĂ© », mais le continent fondateur. Elle ne vient pas « aprĂšs », elle est le commencement.

Savoir d’oĂč l’on vient

Ève mitochondriale : aux origines africaines de l’humanitĂ©

À premiĂšre vue, Ève mitochondriale n’est qu’un point sur une carte gĂ©nĂ©tique. Une figure abstraite, enfouie dans les couches profondes du temps. Mais Ă  y regarder de plus prĂšs, elle est bien davantage qu’un artefact scientifique. Elle est un acte de rupture. Une rĂ©sistance. Une mise Ă  nu du mythe moderne de la division des races humaines.

Sa redĂ©couverte dans les annĂ©es 1980 (dans un monde encore profondĂ©ment marquĂ© par les idĂ©ologies raciales) a fait l’effet d’un sĂ©isme discret mais dĂ©cisif. Elle dit non aux frontiĂšres biologiques que les empires ont tentĂ© d’imposer. Elle dit non Ă  l’idĂ©e que certains seraient plus proches du « progrĂšs » que d’autres, parce que plus Ă©loignĂ©s de l’Afrique.

Et elle le dit avec une arme redoutable : la preuve gĂ©nĂ©tique. Pas une thĂ©orie, pas un slogan, mais des traces infalsifiables, inscrites dans les cellules de tous les humains vivants. Des marques laissĂ©es par une seule lignĂ©e fĂ©minine, qui nous relie sans exception.

Dans le vacarme contemporain des replis identitaires, alors que surgissent Ă  nouveau les vieilles rengaines sur le « sang », le « sol », les « origines », l’Ève mitochondriale impose un contre-rĂ©cit puissant. Un rĂ©cit de rĂ©conciliation. De retour au rĂ©el. Elle murmure, obstinĂ©e, que l’humanitĂ© n’a jamais Ă©tĂ© plurielle par essence, mais une – dans ses formes, dans ses failles, dans ses fusions.

Elle nous rappelle que les frontiĂšres de la couleur sont des constructions tardives, et que les diffĂ©rences visibles entre nous sont des dĂ©clinaisons adaptatives, sculptĂ©es par les climats, les altitudes, les rayons UV. Ce sont les habits de l’évolution, pas les marques d’une essence supĂ©rieure ou infĂ©rieure.

L’histoire d’Ève mitochondriale nous exhorte Ă  redĂ©finir la notion de « proche ». Car si nous portons tous son empreinte dans nos cellules, alors le migrant que l’on rejette, l’étranger que l’on craint, le voisin que l’on ignore, ne sont que des cousins Ă  quelques millĂ©naires d’intervalle. C’est cela, peut-ĂȘtre, le plus grand scandale de cette vĂ©ritĂ© : elle nous oblige Ă  considĂ©rer comme frĂšre celui que l’histoire nous a appris Ă  Ă©carter.

Notes

  1. Allan Wilson, Rebecca Cann, Mark Stoneking : chercheurs en biologie molĂ©culaire ayant conduit dans les annĂ©es 1980 les travaux pionniers qui ont permis de formuler l’hypothĂšse de l’Ève mitochondriale. ↩
  2. ADN mitochondrial (mtDNA) : petite portion d’ADN situĂ©e dans les mitochondries des cellules (et non dans le noyau), transmise exclusivement par la mĂšre Ă  ses enfants, ce qui permet de tracer la lignĂ©e maternelle sur des dizaines de milliers d’annĂ©es. ↩
  3. Ève mitochondriale : nom donnĂ© Ă  la femme qui est la plus rĂ©cente ancĂȘtre maternelle commune Ă  tous les humains vivant aujourd’hui, identifiĂ©e grĂące Ă  l’Ă©tude de l’ADN mitochondrial. Elle aurait vĂ©cu en Afrique il y a environ 150 000 Ă  200 000 ans. ↩
  4. Corridor du Sinaï : Ă©troit passage de terre reliant l’Afrique au Moyen-Orient (actuelle Égypte/IsraĂ«l), par lequel les premiers humains auraient quittĂ© l’Afrique pour coloniser l’Eurasie. ↩

Teranga Meet 2025 ouvre ses portes Ă  ceux qui rĂȘvent d’un nouveau dĂ©part au SĂ©nĂ©gal

Teranga Meet 2025 ouvre ses portes Ă  celles et ceux qui rĂȘvent d’un nouveau dĂ©part au SĂ©nĂ©gal

Le 17 mai 2025, Paris ne sera pas seulement la capitale des LumiĂšres : elle deviendra, le temps d’une journĂ©e, le carrefour des bĂątisseurs, des rĂȘveurs, et des porteurs de projets. Avec Teranga Meet, la diaspora africaine dispose enfin d’un Ă©vĂ©nement Ă  sa mesure : un pont concret entre l’ambition d’ailleurs et l’ancrage au SĂ©nĂ©gal. Un moment dĂ©cisif pour transformer un rĂȘve personnel en plan d’action collectif.

Un rendez-vous pour transformer l’envie d’installation en projet de vie

Teranga Meet 2025 ouvre ses portes Ă  ceux qui rĂȘvent d’un nouveau dĂ©part au SĂ©nĂ©gal

Teranga Meet n’est pas une simple confĂ©rence. C’est un accĂ©lĂ©rateur de trajectoires. DestinĂ© Ă  toutes celles et ceux qui envisagent de s’installer au SĂ©nĂ©gal (que ce soit pour entreprendre, investir, travailler ou retrouver leurs racines) cet Ă©vĂ©nement inĂ©dit offre des solutions concrĂštes, des outils pratiques, et surtout des rĂ©seaux solides.

Le temps d’une journĂ©e immersive Ă  Paris, le SĂ©nĂ©gal viendra Ă  la rencontre de ses futurs bĂątisseurs. Ceux pour qui « rentrer » ne sera plus seulement un rĂȘve, mais un projet concret, mĂ©thodique, mĂ»ri.

Pourquoi participer Ă  Teranga Meet ?

Teranga Meet 2025 ouvre ses portes Ă  ceux qui rĂȘvent d’un nouveau dĂ©part au SĂ©nĂ©gal

Clarifier son projet : repartir avec une mĂ©thodologie claire, adaptĂ©e et personnalisĂ©e.
AccĂ©der Ă  des solutions pratiques : immobilier, entrepreneuriat, emploi, finance, tech, accompagnement juridique.
Tisser un rĂ©seau stratĂ©gique : rencontrer experts, entrepreneurs, dĂ©cideurs Ă©conomiques et institutionnels majeurs du SĂ©nĂ©gal.
S’inspirer des pionniers : Ă©couter les tĂ©moignages sans filtre de celles et ceux qui ont franchi le pas et bĂąti leur succĂšs.

Teranga Meet est pensĂ© comme un accĂ©lĂ©rateur : moins de discours, plus d’action. Chaque participant repartira avec des contacts concretsdes pistes de dĂ©veloppementdes erreurs Ă  Ă©viter et surtout la certitude que son projet est possible.

Un programme pensĂ© pour passer de l’inspiration Ă  l’action

Teranga Meet 2025 ouvre ses portes Ă  ceux qui rĂȘvent d’un nouveau dĂ©part au SĂ©nĂ©gal

De 9h Ă  18h, la journĂ©e sera rythmĂ©e par quatre grandes tables rondesun village d’experts, et des sessions de networking intensif.

Thématiques phares :

Teranga Meet 2025 ouvre ses portes Ă  ceux qui rĂȘvent d’un nouveau dĂ©part au SĂ©nĂ©gal
  • Structurer son projet d’installation : de l’envie Ă  la prĂ©paration.
  • Entreprendre ou travailler au SĂ©nĂ©gal : opportunitĂ©s Ă©conomiques et secteurs porteurs.
  • RĂ©ussir sur le terrain : dĂ©fis, rĂ©ussites, stratĂ©gies gagnantes.
  • Construire son rĂ©seau local : la clĂ© d’une intĂ©gration durable et prospĂšre.

En parallĂšle, des consultations personnalisĂ©es seront proposĂ©es pour aborder tous les aspects pratiques liĂ©s Ă  l’immobilier, Ă  la finance, Ă  l’accompagnement entrepreneurial, Ă  l’expatriation ou au recrutement.

Un événement premium au service de votre avenir

Le positionnement de Teranga Meet est clair : excellence, ambition, Ă©lĂ©gance.
Dress code : Afro Chic. Parce qu’au-delĂ  des projets, Teranga Meet est aussi une cĂ©lĂ©bration de la fiertĂ© africaine contemporaine.

Deux formules sont disponibles :

  • Formule Standard : accĂšs complet aux confĂ©rences, au village d’experts, aux ateliers.
  • Formule VIP : accĂšs privilĂ©giĂ© aux intervenants, session privĂ©e de conseil personnalisĂ©, cocktail dĂźnatoire exclusif dans un lieu parisien haut de gamme.

Une initiative portée par Autour de Mary

Teranga Meet 2025 ouvre ses portes Ă  ceux qui rĂȘvent d’un nouveau dĂ©part au SĂ©nĂ©gal

À l’origine de Teranga Meet, il y a une femme au parcours inspirant : Marie-Yvonne D’Almeida, fondatrice d’Autour de Mary.

En 2007, Marie-Yvonne quitte Paris pour s’installer au SĂ©nĂ©gal, oĂč elle vit pendant dix ans. Tour Ă  tour salariĂ©e dans le tourisme d’affaires, puis entrepreneure avec une sociĂ©tĂ© de nettoyage industriel, elle construit sur place un solide rĂ©seau professionnel et une connaissance fine des rĂ©alitĂ©s du terrain.

Autour de Mary est aujourd’hui le premier incubateur immersif pour la diaspora africaine, avec un objectif : transformer les rĂȘves d’ailleurs en entreprises florissantes en Afrique.

Avec Teranga Meet, Marie-Yvonne propose bien plus qu’une confĂ©rence : elle offre une mĂ©thode Ă©prouvĂ©e pour rĂ©ussir son retour au pays, fondĂ©e sur sa propre expĂ©rience et sur les besoins rĂ©els du terrain.

Informations pratiques

  • Date : Samedi 17 mai 2025
  • Lieu : Paris (adresse communiquĂ©e aprĂšs inscription)
  • Tarifs :
    • Formule Standard : 149 €
    • Formule VIP : 299 €
  • RĂ©servation obligatoire – Places limitĂ©es.

Teranga Meet : Reprendre racine, bñtir l’avenir

Teranga Meet n’est pas un rĂȘve : c’est une invitation Ă  Ă©crire une nouvelle page de son histoire.
Un moment pour penser grand, agir concrĂštement, et s’inscrire dans un futur collectif. Le SĂ©nĂ©gal de demain se construit dĂšs aujourd’hui. À Paris. Avec vous.

Marie-Yvonne D’Almeida, l’afro-optimiste qui bĂątit des ponts entre la diaspora et l’Afrique

0

Portrait de Marie-Yvonne D’Almeida, fondatrice d’Autour de Mary et crĂ©atrice de Teranga Meet. InspirĂ©e par ses racines africaines, elle construit des ponts puissants entre la diaspora et l’Afrique, incarnant une nouvelle gĂ©nĂ©ration d’entrepreneurs afro-optimistes dĂ©terminĂ©s Ă  transformer le rĂȘve africain en rĂ©alitĂ©.

Marie-Yvonne D’Almeida : quand la diaspora bñtit l’Afrique de demain

Des racines africaines et une enfance entre deux cultures

NĂ©e en France d’une mĂšre sĂ©nĂ©galaise et d’un pĂšre cap-verdien, Marie-Yvonne D’Almeida a grandi au carrefour de deux cultures africaines. TrĂšs tĂŽt, elle est bercĂ©e par les rĂ©cits chaleureux du pays de la Teranga (ce SĂ©nĂ©gal hospitalier dont sa mĂšre lui transmet la langue et les valeurs) et par la riche histoire cap-verdienne de son pĂšre. « J’ai compris dĂšs l’enfance que mes racines Ă©taient ma force », confie-t-elle volontiers.

Cette double ascendance fait naĂźtre en elle une fiertĂ© africaine inĂ©branlable et un dĂ©sir ardent de contribuer au continent, mĂȘme en grandissant loin de lui. En France, la petite Marie-Yvonne dĂ©veloppe un esprit afro-optimiste, cette conviction profonde que l’Afrique a un potentiel immense qui ne demande qu’à s’épanouir. Plus tard, elle transformera cette conviction en mission de vie.

Le retour aux sources : de la France au SĂ©nĂ©gal

Marie-Yvonne D'Almeida, l’afro-optimiste qui bñtit des ponts entre la diaspora et l’Afrique

À la vingtaine rĂ©volue, le “royaume d’enfance” transmis par sa famille ne lui suffit plus : Marie-Yvonne ressent l’appel du continent. Elle dĂ©cide alors de tout quitter en France pour s’installer au SĂ©nĂ©gal, renouant ainsi avec la terre de sa mĂšre. Ce retour aux sources marque le dĂ©but d’une aventure professionnelle et personnelle hors du commun. InstallĂ©e Ă  Dakar, elle s’immerge pendant plus de dix ans dans la vie locale, apprenant les codes, nouant des amitiĂ©s et bĂątissant son rĂ©seau​.

Ces annĂ©es passĂ©es sur le terrain sĂ©nĂ©galais lui apportent une expĂ©rience solide dans le tourisme d’affaires et l’évĂ©nementiel, et mĂȘme l’occasion de lancer sa premiĂšre entreprise : elle fonde une sociĂ©tĂ© de services de nettoyage Ă  Dakar​. Il fallait oser, dans un pays qu’elle apprivoise encore, se lancer dans l’entrepreneuriat ; d’autant plus en tant que femme. Mais l’audace ne manque pas Ă  Marie-Yvonne. Cette premiĂšre expĂ©rience entrepreneuriale en Afrique, menĂ©e Ă  force de courage et d’adaptation, lui enseigne une leçon-clé : la rĂ©silience. « Chaque dĂ©fi surmontĂ© m’a rapprochĂ©e un peu plus de la vision que j’ai pour l’Afrique », dira-t-elle plus tard.

En parallĂšle, la jeune femme travaille main dans la main avec divers acteurs Ă©conomiques et incubateurs locaux​. Forte de sa double culture, elle se positionne vite comme un pont vivant entre la France et le SĂ©nĂ©gal. Sa facilitĂ© Ă  naviguer entre ces deux mondes (celui de la diaspora et celui du terrain africain) la rend prĂ©cieuse pour de nombreux projets. Elle accompagne des investisseurs Ă©trangers en visite, conseille des porteurs de projet de la diaspora souhaitant s’implanter et tisse des synergies puissantes entre talents locaux et expertise internationale​. Ces allers-retours entre les cultures nourrissent sa vision : l’avenir de l’Afrique se construira avec sa diaspora, et inversement, la rĂ©ussite de la diaspora passe par un retour aux racines.

L’ascension d’une femme d’affaires inspirante

Marie-Yvonne D'Almeida, l’afro-optimiste qui bñtit des ponts entre la diaspora et l’Afrique

Rien n’a Ă©tĂ© facile dans le parcours de Marie-Yvonne D’Almeida. À Dakar, elle doit faire ses preuves dans un environnement qu’elle adore mais qu’elle doit dompter. Elle affronte les Ă©cueils administratifs, les incomprĂ©hensions culturelles parfois, le scepticisme aussi ; « on me voyait comme la Toubab (blanche) du coin, il a fallu montrer que j’étais surtout une sƓur africaine venue bĂątir quelque chose de durable », raconte-t-elle avec le sourire.

Cette pĂ©riode forge son caractĂšre. La rĂ©silience, l’une de ses valeurs cardinales, n’est plus un concept pour elle mais une seconde nature. Chaque obstacle la renforce : problĂšmes logistiques, dĂ©marches interminables, imprĂ©vus financiers
 elle apprend Ă  « tomber sept fois et se relever huit fois » comme dit le proverbe. Sa dĂ©termination force le respect de ses collaborateurs sĂ©nĂ©galais. Elle s’impose dans le milieu du business au fĂ©minin, devenant un modĂšle d’entrepreneuriat fĂ©minin en Afrique de l’Ouest.

Son premier succĂšs entrepreneurial (son entreprise de nettoyage florissante) lui donne la crĂ©dibilitĂ© et la confiance nĂ©cessaires pour voir plus grand. Forte de cette rĂ©ussite africaine, Marie-Yvonne se prend Ă  rĂȘver d’essaimer son expĂ©rience. Elle se dit qu’elle n’est pas la seule Ă  pouvoir rĂ©ussir ce pari : d’autres talents de la diaspora peuvent, eux aussi, se lancer au pays s’ils sont bien accompagnĂ©s.

Cette idĂ©e germe alors en elle : et si elle crĂ©ait un rĂ©seau d’entraide et d’incubation pour faciliter le chemin aux autres ? Peu Ă  peu, la vision prend forme, alimentĂ©e par son propre parcours. Transmettre devient son nouveau mot d’ordre. Transmettre les connaissances accumulĂ©es, transmettre les contacts, transmettre l’élan et l’optimisme Ă  toute une gĂ©nĂ©ration de diasporas tentĂ©s par l’aventure africaine. C’est ainsi que va naĂźtre Autour de Mary.

Autour de Mary : transmettre pour crĂ©er les champions de demain

Marie-Yvonne D'Almeida, l’afro-optimiste qui bñtit des ponts entre la diaspora et l’Afrique

En 2021, Marie-Yvonne D’Almeida concrĂ©tise son grand projet en fondant Autour de Mary, un incubateur d’un genre nouveau​. Le concept est visionnaire : il s’agit du premier incubateur immersif de la diaspora africaine, conçu comme un pont entre les deux rives de l’Atlantique. À travers Autour de Mary, Marie-Yvonne crĂ©e de vĂ©ritables passerelles entre l’Afrique et ses fils et filles dispersĂ©s Ă  travers le monde.

« Je me vois comme une facilitatrice dont la mission est de connecter l’Afrique et sa diaspora », explique-t-elle. Son incubateur 360° accompagne des entrepreneurs en herbe, principalement issus de la diaspora, et les aide Ă  transformer une simple idĂ©e en un projet solide prĂȘt Ă  prendre racine sur le continent. L’originalitĂ© de la dĂ©marche rĂ©side dans l’immersion : au lieu de rester derriĂšre un Ă©cran, les candidats sĂ©lectionnĂ©s partent en business trip sur le terrain africain.

LĂ , au cƓur de villes comme Dakar, Abidjan ou Cotonou, ils confrontent leurs projets Ă  la rĂ©alitĂ© locale, rencontrent des experts, des chefs d’entreprise, des incubateurs partenaires, et dĂ©couvrent in situ les opportunitĂ©s comme les dĂ©fis du marchĂ©. Cette approche unique fait d’Autour de Mary le N°1 des business trips immersifs et du rĂ©seautage en Afrique une place de pionnier dont Marie-Yvonne tire une humble fiertĂ©.

Les programmes d’Autour de Mary misent sur l’alliance des talents de la diaspora et des talents locaux africains. Pour Marie-Yvonne, il est clair que c’est de cette synergie que naĂźtront les champions africains de demain ; ces entreprises Ă  fort impact local, fondĂ©es par des Africains et qui deviendront des leaders nationaux voire continentaux.

« Nous avons en nous, diaspora et locaux, un potentiel extraordinaire. Il suffit de rĂ©unir nos forces pour crĂ©er des Ă©tincelles », affirme-t-elle avec passion. GrĂące Ă  son carnet d’adresses riche d’experts locaux et sa collaboration Ă©troite avec les incubateurs sĂ©nĂ©galais, elle offre Ă  chaque participant un accompagnement personnalisĂ©. L’idĂ©e est de transformer chaque idĂ©e en projet concre, en fournissant mĂ©thodologie, mentorat et connexions. Les valeurs fondatrices d’Autour de Mary (rĂ©silience, fiertĂ© africaine, transmission) infusent dans chaque atelier et chaque voyage apprenant. Marie-Yvonne insiste pour que ses “incubĂ©s” repartent non seulement avec un business plan, mais aussi avec une confiance nouvelle en eux-mĂȘmes, conscients d’incarner une success story africaine en devenir.

Les valeurs au cƓur de son leadership

  • RĂ©silience : C’est le fil rouge de la vie de Marie-Yvonne. Elle enseigne Ă  ses entrepreneurs que chaque Ă©chec apparent est une leçon pour rebondir plus haut. Son propre parcours, jalonnĂ© d’obstacles, illustre que la persĂ©vĂ©rance finit toujours par payer. « En Afrique, la route du succĂšs n’est pas un long fleuve tranquille, mais Ă  force de persĂ©vĂ©rance on finit par arriver Ă  bon port », aime-t-elle rappeler.
  • FiertĂ© africaine : Marie-Yvonne porte haut les couleurs de l’Afrique. Afro-optimiste assumĂ©e, elle cĂ©lĂšbre les cultures africaines et encourage la diaspora Ă  puiser de la fiertĂ© dans ses origines. Elle est convaincue que renouer avec son identitĂ© africaine donne une force unique pour entreprendre. Cette fiertĂ© transparaĂźt dans tout ce qu’elle fait, que ce soit en drapant ses Ă©vĂ©nements d’une touche afro-chic ou en citant les proverbes de ses aĂŻeux.
  • Transmission : La rĂ©ussite n’a de sens que si elle est partagĂ©e. Cette phrase pourrait rĂ©sumer la philosophie de Marie-Yvonne. Ayant bĂ©nĂ©ficiĂ© de mentors et de soutiens tout au long de sa carriĂšre, elle estime essentiel de redonner au suivant. Par Autour de Mary, elle transmet son savoir-faire et ouvre son rĂ©seau pour propulser la nouvelle gĂ©nĂ©ration. « Chaque fois qu’un membre de la diaspora rĂ©ussit son retour au pays, c’est une victoire collective », dit-elle. Sa vision de la transmission dĂ©passe le cadre entrepreneurial : c’est aussi transmettre un Ă©tat d’esprit, des valeurs, et une foi en l’Afrique.

Une vision pour la diaspora : bĂątir des ponts vers l’avenir

Marie-Yvonne D'Almeida, l’afro-optimiste qui bñtit des ponts entre la diaspora et l’Afrique

La mission que s’est donnĂ©e Marie-Yvonne D’Almeida dĂ©passe sa propre personne. À travers son action, c’est toute une vision pour la diaspora africaine qu’elle dĂ©ploie. Elle rĂȘve de voir les fils et filles d’Afrique, oĂč qu’ils soient nĂ©s, contribuer Ă  l’essor du continent. Selon elle, la diaspora regorge de compĂ©tences, d’idĂ©es et de capital qui ne demandent qu’à ĂȘtre investis « au bled ». Encore faut-il crĂ©er les conditions pour un retour rĂ©ussi. C’est lĂ  qu’intervient sa notion de passerelle. Marie-Yvonne Ɠuvre Ă  lever les barriĂšres qui freinent tant de candidats au retour. Elle le sait, pour l’avoir vĂ©cu : le chemin de la diaspora vers l’Afrique est souvent semĂ© d’embĂ»ches ; manque d’informations fiables, peur de l’échec, lourdeurs administratives, etc.

« Beaucoup rĂȘvent de rentrer, mais ne savent pas par oĂč commencer ni Ă  qui s’adresser. J’ai voulu ĂȘtre cette main tendue qui les guide pas Ă  pas », explique-t-elle. Son approche pragmatique et empathique vise Ă  accompagner ces rĂȘveurs pour transformer leur African Dream en rĂ©alitĂ© concrĂšte.

Dans cette optique, Marie-Yvonne considĂšre chaque projet diasporique comme une graine Ă  faire germer sur la terre africaine. Et pour elle, le succĂšs individuel de ces “repats” (rapatriĂ©s) a un impact collectif : chaque talent de la diaspora qui s’épanouit en Afrique contribue Ă  construire l’Afrique de demain. Son action s’inscrit donc dans un mouvement plus large de renaissance africaine pilotĂ©e par ses propres enfants dispersĂ©s Ă  travers le monde.

Il y a chez elle autant de patriotisme sĂ©nĂ©galais (ce sentiment d’Ɠuvrer pour son pays d’origine) que de pan-africanisme ; la volontĂ© de voir toute l’Afrique gagner. Sa fiertĂ© africaine, elle la communique, elle la contagionne presque, auprĂšs de ceux qu’elle accompagne. On la sent, Ă  chaque parole, dĂ©terminĂ©e Ă  prouver que l’avenir appartient Ă  ceux qui croient en l’Afrique et qui agissent pour elle.

Teranga Meet : une passerelle vers le SĂ©nĂ©gal pour la diaspora

Marie-Yvonne D'Almeida, l’afro-optimiste qui bñtit des ponts entre la diaspora et l’Afrique

C’est donc tout naturellement que Marie-Yvonne D’Almeida a lancĂ© Teranga Meet, un Ă©vĂ©nement inĂ©dit qui incarne parfaitement sa vision. OrganisĂ© Ă  Paris le 17 mai 2025, Teranga Meet est prĂ©sentĂ© comme « le rendez-vous de la diaspora pour une installation rĂ©ussie au SĂ©nĂ©gal ».

Cet Ă©vĂ©nement ; dont le nom rend hommage Ă  la fameuse teranga sĂ©nĂ©galaise, symbolisant l’hospitalitĂ© ; se veut une passerelle concrĂšte vers le SĂ©nĂ©gal pour tous ceux qui envisagent de s’y installer. « On t’amĂšne le pays de la Teranga Ă  Paris ! », proclament les affiches, promettant d’aider chacun Ă  prĂ©parer son projet d’expatriation ou de retour aux sources. Pour Marie-Yvonne, Teranga Meet est bien plus qu’une confĂ©rence : c’est un accĂ©lĂ©rateur de projets diaspora. Durant une journĂ©e vibrante, les participants bĂ©nĂ©ficient de conseils d’experts, de retours d’expĂ©rience de repats qui ont sautĂ© le pas, et d’ateliers pratiques pour repartir avec un plan d’action structurĂ©.

Tout est conçu pour répondre aux doutes et aux questions : est-ce le bon moment pour partir ? comment lancer mon entreprise sur place ? quelles erreurs éviter ?

Marie-Yvonne a mobilisĂ© son rĂ©seau de Dakar Ă  Paris pour cette occasion. Pas moins de dix intervenants viendront spĂ©cialement du SĂ©nĂ©gal partager leur savoir-faire, sans compter les surprises qu’elle rĂ©serve aux participants​.

Le rĂ©seautage est au cƓur de l’évĂ©nement : elle sait par expĂ©rience que les bonnes rencontres font les belles rĂ©ussites. Teranga Meet offre ainsi une opportunitĂ© unique de crĂ©er des liens avec des professionnels Ă©tablis au pays et d’autres porteurs de projet animĂ©s du mĂȘme rĂȘve. Dans une ambiance chaleureuse et afro-chic (dress code oblige !), la diaspora se rĂ©unit comme en famille, pour oser ensemble le grand saut vers l’Afrique. Teranga Meet incarne en somme la philosophie de Marie-Yvonne : partage, prĂ©paration et passion au service du retour au pays. « Le SĂ©nĂ©gal m’a tant donnĂ©, c’est Ă  mon tour de vous le donner un peu, ici mĂȘme Ă  Paris, pour que vous puissiez vous envoler », dit-elle avec Ă©motion en prĂ©sentant l’évĂ©nement.

Rejoindre le mouvement et construire l’Afrique de demain

Marie-Yvonne D'Almeida, l’afro-optimiste qui bñtit des ponts entre la diaspora et l’Afrique

Le parcours de Marie-Yvonne D’Almeida inspire profondĂ©ment. C’est l’histoire d’une success story africaine nĂ©e de la diaspora et tournĂ©e vers l’avenir du continent. De son enfance en France Ă  son accomplissement au SĂ©nĂ©gal, elle a su rester fidĂšle Ă  elle-mĂȘme et Ă  ses valeurs de rĂ©silience, de fiertĂ© et de transmission. Son exemple montre qu’avec de la dĂ©termination et du cƓur, il est possible de rĂ©aliser son African Dream et d’avoir un impact concret. À l’heure oĂč de plus en plus de membres de la diaspora africaine cherchent Ă  revenir aux sources, Marie-Yvonne trace la voie.

Son appel rĂ©sonne comme une invitation : et si vous rejoigniez, vous aussi, le mouvement ? Que vous soyez un entrepreneur en herbe, un professionnel en quĂȘte de sens ou simplement un amoureux de l’Afrique, il est temps d’oser. Rejoignez Teranga Meet le 17 mai prochain et faites le premier pas vers votre avenir au SĂ©nĂ©gal. Venez puiser des conseils, de l’inspiration et de l’énergie auprĂšs de ceux qui, comme Marie-Yvonne, ont transformĂ© un rĂȘve en rĂ©alitĂ©.

Ensemble, Ă©paulĂ©s par des leaders visionnaires comme elle, bĂątissons les ponts vers une Afrique brillante et prospĂšre. L’Afrique de demain se construit aujourd’hui ; et elle a besoin de chacun de nous. La balle est dans votre camp : saisissez la Teranga, et Ă©crivez Ă  votre tour une page de cette belle histoire commune.

Le Code Noir : anatomie juridique d’une dĂ©shumanisation coloniale

RĂ©digĂ© par Colbert et promulguĂ© par Louis XIV en 1685, le Code Noir codifie l’esclavage dans les colonies françaises. DerriĂšre ses 60 articles, une hypocrisie glaçante : celle d’un empire qui prĂ©tend civiliser en marchandisant les vies noires. NOFI vous propose une plongĂ©e intĂ©grale dans ce texte fondamental pour comprendre les racines juridiques de l’oppression coloniale.

Qu’est-ce que le Code Noir ? Une lĂ©gislation au service de l’esclavage

Ils ont voulu codifier l’inhumain. Mettre en dĂ©cret la dĂ©shumanisation. Le Code Noir, c’est le moment oĂč l’État monarchique français a pris une plume trempĂ©e dans le sang de millions d’ñmes africaines pour Ă©crire l’architecture juridique de l’esclavage colonial. Ce n’est pas une loi : c’est une gifle institutionnalisĂ©e. Un acte de guerre. Un texte froid, clinique, minutieux – qui dit aux corps noirs ce qu’ils sont censĂ©s valoir : moins qu’un meuble, plus qu’une bĂȘte, juste assez pour enrichir une Ă©conomie sucrĂ©e.

Il existe en rĂ©alitĂ© deux versions de ce texte. La premiĂšre, rĂ©digĂ©e Ă  l’initiative de Jean-Baptiste Colbert (1616–1683), ministre du roi et tout-puissant contrĂŽleur gĂ©nĂ©ral, est promulguĂ©e en mars 1685 par Louis XIV, Roi de France du 14 mai 1643 au 1er septembre 1715. La seconde, une rĂ©vision partielle, est imposĂ©e par son successeur Louis XV en 1724. À cette occasion, certains articles – les 5, 7, 8, 18 et 25 – sont purement et simplement Ă©cartĂ©s. Ce que vous vous apprĂȘtez Ă  lire ici, c’est le texte fondateur : la version de Colbert, celle de 1685.

Le Code Noir, qui prĂ©tendait encadrer les excĂšs des maĂźtres, n’a fait que lĂ©gitimer l’intolĂ©rable. Il a codifiĂ© l’esclavage des Noirs et la traite, sanctifiĂ©s par l’Église et justifiĂ©s, Ă  l’époque, par des philosophes en quĂȘte d’ordre plus que de justice. À travers ses soixante articles suinte l’hypocrisie d’un lĂ©gislateur qui, feignant de reconnaĂźtre l’humanitĂ© de l’esclave, l’enferme en vĂ©ritĂ© dans un statut juridique de marchandise. Un bien meuble, soumis aux lois du marchĂ©, intĂ©grĂ© au patrimoine d’un domaine comme une charrue ou une charrette.

Le Code Noir : anatomie juridique d’une dĂ©shumanisation coloniale
Manuscrit de l’Ordonnance royale, Edit du Roy ou Code noir de mars 1685 sur les esclaves des Ăźles de l’AmĂ©rique française.

Ce document, que nous publions ici dans sa version intĂ©grale et annotĂ©e, n’est pas seulement une archive. C’est une piĂšce Ă  conviction. Une cicatrice Ă  vif. Une mĂ©moire de plomb qu’il nous faut affronter. Non pour se noyer dans la douleur, mais pour en faire jaillir, enfin, une vĂ©ritĂ© dĂ©coloniale. Parce que le passĂ© ne passe jamais tant qu’on ne l’a pas lu, compris, exposĂ©.

Voici le texte intĂ©gral du Code Noir de 1685, tel que rĂ©digĂ© sous l’autoritĂ© de Colbert et promulguĂ© par Louis XIV : un document fondamental, Ă  lire sans dĂ©tour.

Art. 1
Voulons que l’Edit du feu roi de glorieuse mĂ©moire, notre trĂšs honorĂ© seigneur et pĂšre, du 23 avril 1615, soit exĂ©cutĂ© dans nos Ăźles ; se faisant, enjoignons Ă  tous nos officiers de chasser de nos dites Ăźles tous les juifs qui y ont Ă©tabli leur rĂ©sidence, auxquels, comme aux ennemis dĂ©clarĂ©s du nom chrĂ©tien, nous commandons d’en sortir dans trois mois Ă  compter du jour de la publication des prĂ©sentes, Ă  peine de confiscation de corps et de biens.

Art. 2
Tous les esclaves qui seront dans nos Ăźles seront baptisĂ©s et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achĂštent des nĂšgres nouvellement arrivĂ©s d’en avertir dans huitaine au plus tard les gouverneurs et intendant desdites Ăźles, Ă  peine d’amende arbitraire, lesquels donneront les ordres nĂ©cessaires pour les faire instruire et baptiser dans le temps convenable.

Art. 3
Interdisons tout exercice public d’autre religion que la Catholique, Apostolique et Romaine. Voulons que les contrevenants soient punis comme rebelles et dĂ©sobĂ©issants Ă  nos commandements. DĂ©fendons toutes assemblĂ©es pour cet effet, lesquelles nous dĂ©clarons conventicules, illicites et sĂ©ditieuses, sujettes Ă  la mĂȘme peine qui aura lieu mĂȘme contre les maĂźtres qui lui permettront et souffriront Ă  l’Ă©gard de leurs esclaves.

Art. 4
Ne seront préposés aucuns commandeurs à la direction des nÚgres, qui ne fassent profession de la religion Catholique, Apostolique et Romaine, à peine de confiscation desdits nÚgres contre les maßtres qui les auront préposés et de punition arbitraire contre les commandeurs qui auront accepté ladite direction.

Art. 5
DĂ©fendons Ă  nos sujets de la religion [protestante] d’apporter aucun trouble ni empĂȘchement Ă  nos autres sujets, mĂȘme Ă  leurs esclaves, dans le libre exercice de la religion Catholique, Apostolique et Romaine, Ă  peine de punition exemplaire.

Art. 6
Enjoignons Ă  tous nos sujets, de quelque qualitĂ© et condition qu’ils soient, d’observer les jours de dimanches et de fĂȘtes, qui sont gardĂ©s par nos sujets de la religion Catholique, Apostolique et Romaine. Leur dĂ©fendons de travailler ni de faire travailler leurs esclaves auxdits jours depuis l’heure de minuit jusqu’Ă  l’autre minuit Ă  la culture de la terre, Ă  la manufacture des sucres et Ă  tous autres ouvrages, Ă  peine d’amende et de punition arbitraire contre les maĂźtres et confiscation tant des sucres que des esclaves qui seront surpris par nos officiers dans le travail.

Art. 7 
Leur dĂ©fendons pareillement de tenir le marchĂ© des nĂšgres et de toute autre marchandise auxdits jours, sur pareille peine de confiscation des marchandises qui se trouveront alors au marchĂ© et d’amende arbitraire contre les marchands.

Art. 8
DĂ©clarons nos sujets qui ne sont pas de la religion Catholique, Apostolique et Romaine incapables de contracter Ă  l’avenir aucuns mariages valables, dĂ©clarons bĂątards les enfants qui naĂźtront de telles conjonctions, que nous voulons ĂȘtre tenues et rĂ©putĂ©es, tenons et rĂ©putons pour vrais concubinages.

Art. 9
Les hommes libres qui auront eu un ou plusieurs enfants de leur concubinage avec des esclaves, ensemble les maĂźtres qui les auront soufferts, seront chacun condamnĂ©s en une amende de 2000 livres de sucre, et, s’ils sont les maĂźtres de l’esclave de laquelle ils auront eu lesdits enfants, voulons, outre l’amende, qu’ils soient privĂ©s de l’esclave et des enfants et qu’elle et eux soient adjugĂ©s Ă  l’hĂŽpital, sans jamais pouvoir ĂȘtre affranchis. N’entendons toutefois le prĂ©sent article avoir lieu lorsque l’homme libre qui n’Ă©tait point mariĂ© Ă  une autre personne durant son concubinage avec son esclave, Ă©pousera dans les formes observĂ©es par l’Eglise ladite esclave, qui sera affranchie par ce moyen et les enfants rendus libres et lĂ©gitimes.

Art. 10
Les solennitĂ©s prescrites par l’Ordonnance de Blois et par la DĂ©claration de 1639 pour les mariages seront observĂ©es tant Ă  l’Ă©gard des personnes libres que des esclaves, sans nĂ©anmoins que le consentement du pĂšre et de la mĂšre de l’esclave y soit nĂ©cessaire, mais celui du maĂźtre seulement.

Art. 11
DĂ©fendons trĂšs expressĂ©ment aux curĂ©s de procĂ©der aux mariages des esclaves, s’ils ne font apparoir du consentement de leurs maĂźtres. DĂ©fendons aussi aux maĂźtres d’user d’aucunes contraintes sur leurs esclaves pour les marier contre leur grĂ©.

Art. 12
Les enfants qui naßtront des mariages entre esclaves seront esclaves et appartiendront aux maßtres des femmes esclaves et non à ceux de leurs maris, si le mari et la femme ont des maßtres différents.

Art. 13
Voulons que, si le mari esclave a épousé une femme libre, les enfants, tant mùles que filles, suivent la condition de leur mÚre et soient libres comme elle, nonobstant la servitude de leur pÚre, et que, si le pÚre est libre et la mÚre esclave, les enfants soient esclaves pareillement.

Art. 14
Les maĂźtres seront tenus de faire enterrer en terre sainte, dans les cimetiĂšres destinĂ©s Ă  cet effet, leurs esclaves baptisĂ©s. Et, Ă  l’Ă©gard de ceux qui mourront sans avoir reçu le baptĂȘme, ils seront enterrĂ©s la nuit dans quelque champ voisin du lieu oĂč ils seront dĂ©cĂ©dĂ©s.

Art. 15
DĂ©fendons aux esclaves de porter aucunes armes offensives ni de gros bĂątons, Ă  peine de fouet et de confiscation des armes au profit de celui qui les en trouvera saisis, Ă  l’exception seulement de ceux qui sont envoyĂ©s Ă  la chasse par leurs maĂźtres et qui seront porteurs de leurs billets ou marques connus.

Art. 16
DĂ©fendons pareillement aux esclaves appartenant Ă  diffĂ©rents maĂźtres de s’attrouper le jour ou la nuit sous prĂ©texte de noces ou autrement, soit chez l’un de leurs maĂźtres ou ailleurs, et encore moins dans les grands chemins ou lieux Ă©cartĂ©s, Ă  peine de punition corporelle qui ne pourra ĂȘtre moindre que du fouet et de la fleur de lys ; et, en cas de frĂ©quentes rĂ©cidives et autres circonstances aggravantes, pourront ĂȘtre punis de mort, ce que nous laissons Ă  l’arbitrage des juges. Enjoignons Ă  tous nos sujets de courir sus aux contrevenants, et de les arrĂȘter et de les conduire en prison, bien qu’ils ne soient officiers et qu’il n’y ait contre eux encore aucun dĂ©cret.

Art. 17
Les maĂźtres qui seront convaincus d’avoir permis ou tolĂ©rĂ© telles assemblĂ©es composĂ©es d’autres esclaves que de ceux qui leur appartiennent seront condamnĂ©s en leurs propres et privĂ©s noms de rĂ©parer tout le dommage qui aura Ă©tĂ© fait Ă  leurs voisins Ă  l’occasion desdites assemblĂ©es et en 10 Ă©cus d’amende pour la premiĂšre fois et au double en cas de rĂ©cidive.

Art. 18
DĂ©fendons aux esclaves de vendre des cannes de sucre pour quelque cause et occasion que ce soit, mĂȘme avec la permission de leurs maĂźtres, Ă  peine du fouet contre les esclave, de 10 livres tournois contre le maĂźtre qui l’aura permis et de pareille amende contre l’acheteur.

Art. 19
Leur dĂ©fendons aussi d’exposer en vente au marchĂ© ni de porter dans des maisons particuliĂšres pour vendre aucune sorte de denrĂ©es, mĂȘme des fruits, lĂ©gumes, bois Ă  brĂ»ler, herbes pour la nourriture des bestiaux et leurs manufactures, sans permission expresse de leurs maĂźtres par un billet ou par des marques connues ; Ă  peine de revendication des choses ainsi vendues, sans restitution de prix, pour les maĂźtres et de 6 livres tournois d’amende Ă  leur profit contre les acheteurs.

Art. 20
Voulons à cet effet que deux personnes soient préposées par nos officiers dans chaque marché pour examiner les denrées et marchandises qui y seront apportées par les esclaves, ensemble les billets et marques de leurs maßtres dont ils seront porteurs.

Art. 21
Permettons Ă  tous nos sujets habitants des Ăźles de se saisir de toutes les choses dont ils trouveront les esclaves chargĂ©s, lorsqu’ils n’auront point de billets de leurs maĂźtres, ni de marques connues, pour ĂȘtre rendues incessamment Ă  leurs maĂźtres, si leur habitation est voisine du lieu oĂč leurs esclaves auront Ă©tĂ© surpris en dĂ©lit : sinon elles seront incessamment envoyĂ©es Ă  l’hĂŽpital pour y ĂȘtre en dĂ©pĂŽt jusqu’Ă  ce que les maĂźtres en aient Ă©tĂ© avertis.

Art. 22
Seront tenus les maĂźtres de faire fournir, par chacune semaine, Ă  leurs esclaves ĂągĂ©s de dix ans et au-dessus, pour leur nourriture, deux pots et demi, mesure de Paris, de farine de manioc, ou trois cassaves pesant chacune 2 livres et demie au moins, ou choses Ă©quivalentes, avec 2 livres de boeuf salĂ©, ou 3 livres de poisson, ou autres choses Ă  proportion : et aux enfants, depuis qu’ils sont sevrĂ©s jusqu’Ă  l’Ăąge de dix ans, la moitiĂ© des vivres ci-dessus.

Art. 23
Leur dĂ©fendons de donner aux esclaves de l’eau-de-vie de canne ou guildive, pour tenir lieu de subsistance mentionnĂ©e en l’article prĂ©cĂ©dent.

Art. 24
Leur défendons pareillement de se décharger de la nourriture et subsistance de leurs esclaves en leur permettant de travailler certain jour de la semaine pour leur compte particulier.

Art. 25 
Seront tenus les maßtres de fournir à chaque esclave, par chacun an, deux habits de toile ou quatre aunes de toile, au gré des maßtres.

Art. 26
Les esclaves qui ne seront point nourris, vĂȘtus et entretenus par leurs maĂźtres, selon que nous l’avons ordonnĂ© par ces prĂ©sentes, pourront en donner avis Ă  notre procureur gĂ©nĂ©ral et mettre leurs mĂ©moires entre ses mains, sur lesquels et mĂȘme d’office, si les avis viennent d’ailleurs, les maĂźtres seront poursuivis Ă  sa requĂȘte et sans frais ; ce que nous voulons ĂȘtre observĂ© pour les crimes et traitements barbares et inhumains des maĂźtres envers leurs esclaves.

Art. 27
Les esclaves infirmes par vieillesse, maladie ou autrement, soit que la maladie soit incurable ou non, seront nourris et entretenus par leurs maĂźtres, et, en cas qu’ils eussent abandonnĂ©s, lesdits esclaves seront adjugĂ©s Ă  l’hĂŽpital, auquel les maĂźtres seront condamnĂ©s de payer 6 sols par chacun jour, pour la nourriture et l’entretien de chacun esclave.

Art. 28
DĂ©clarons les esclaves ne pouvoir rien avoir qui ne soit Ă  leurs maĂźtres ; et tout ce qui leur vient par industrie, ou par la libĂ©ralitĂ© d’autres personnes, ou autrement, Ă  quelque titre que ce soit, ĂȘtre acquis en pleine propriĂ©tĂ© Ă  leurs maĂźtres, sans que les enfants des esclaves, leurs pĂšres et mĂšres, leurs parents et tous autres y puissent rien prĂ©tendre par successions, dispositions entre vifs ou Ă  cause de mort ; lesquelles dispositions nous dĂ©clarons nulles, ensemble toutes les promesses et obligations qu’ils auraient faites, comme Ă©tant faites par gens incapables de disposer et contracter de leur chef.

Art. 29
Voulons nĂ©anmoins que les maĂźtres soient tenus de ce que leurs esclaves auront fait par leur commandement, ensemble de ce qu’ils auront gĂ©rĂ© et nĂ©gociĂ© dans les boutiques, et pour l’espĂšce particuliĂšre de commerce Ă  laquelle leurs maĂźtres les auront prĂ©posĂ©s, et au cas que leurs maĂźtres ne leur aient donnĂ© aucun ordre et ne les aient point prĂ©posĂ©s, ils seront tenus seulement jusqu’Ă  concurrence de ce qui aura tournĂ© Ă  leur profit, et, si rien n’a tournĂ© au profit des maĂźtres, le pĂ©cule desdits esclaves que les maĂźtres leur auront permis d’avoir en sera tenu, aprĂšs que les maĂźtres en auront dĂ©duit par prĂ©fĂ©rence ce qui pourra leur ĂȘtre dĂ» ; sinon que le pĂ©cule consistĂąt en tout ou partie en marchandises, dont les esclaves auraient permission de faire trafic Ă  part, sur lesquelles leurs maĂźtres viendront seulement par contribution au sol la livre avec les autres crĂ©anciers.

Art. 30
Ne pourront les esclaves ĂȘtre pourvus d’office ni de commission ayant quelque fonction publique, ni ĂȘtre constituĂ©s agents par autres que leurs maĂźtres pour gĂ©rĂ©r et administrer aucun nĂ©goce, ni ĂȘtre arbitres, experts ou tĂ©moins, tant en matiĂšre civile que criminelle : et en cas qu’ils soient ouĂŻs en tĂ©moignage, leur dĂ©position ne servira que de mĂ©moire pour aider les juges Ă  s’Ă©clairer d’ailleurs, sans qu’on en puisse tire aucune prĂ©somption, ni conjoncture, ni adminicule de preuve.

Art. 31
Ne pourront aussi les esclaves ĂȘtre parties ni ĂȘtre en jugement en matiĂšre civile, tant en demandant qu’en dĂ©fendant, ni ĂȘtre parties civiles en matiĂšre criminelle, sauf Ă  leurs maĂźtres d’agir et dĂ©fendre en matiĂšre civile et de poursuivre en matiĂšre criminelle la rĂ©paration des outrages et excĂšs qui auront Ă©tĂ© commis contre leurs esclaves.

Art. 32
Pourront les esclaves ĂȘtre poursuivis criminellement, sans qu’il soit besoin de rendre leurs maĂźtres partie, (sinon) en cas de complicitĂ© : et seront, les esclaves accusĂ©s, jugĂ©s en premiĂšre instance par les juges ordinaires et par appel au Conseil souverain, sur la mĂȘme instruction et avec les mĂȘme formalitĂ©s que les personnes libres.

Art. 33
L’esclave qui aura frappĂ© son maĂźtre, sa maĂźtresse ou le mari de sa maĂźtresse, ou leurs enfants avec contusion ou effusion de sang, ou au visage, sera puni de mort.

Art. 34
Et quant aux excĂšs et voies de fait qui seront commis par les esclaves contre les personnes libres, voulons qu’ils soient sĂ©vĂšrement punis, mĂȘme de mort, s’il y Ă©chet.

Art. 35
Les vols qualifiĂ©s, mĂȘme ceux de chevaux, cavales, mulets, boeufs ou vaches, qui auront Ă©tĂ© faits par les esclaves ou par les affranchis, seront punis de peines afflictives, mĂȘme de mort, si le cas le requiert.

Art. 36
Les vols de moutons, chĂšvres, cochons, volailles, cannes Ă  sucre, pois, mils, manioc, ou autres lĂ©gumes, faits par les esclaves, seront punis selon la qualitĂ© du vol, par les juges qui pourront, s’il y Ă©chet, les condamner d’ĂȘtre battus de verges par l’exĂ©cuteur de la haute justice et marquĂ©s d’une fleur de lys.

Art. 37
Seront tenus les maĂźtres, en cas de vol ou d’autre dommage causĂ© par leurs esclaves, outre la peine corporelle des esclaves, de rĂ©parer le tort en leur nom, s’ils n’aiment mieux abandonner l’esclave Ă  celui auquel le tort a Ă©tĂ© fait ; ce qu’ils seront tenus d’opter dans trois jours, Ă  compter de celui de la condamnation, autrement ils en seront dĂ©chus.

Art. 38
L’esclave fugitif qui aura Ă©tĂ© en fuite pendant un mois Ă  compter du jour que son maĂźtre l’aura dĂ©noncĂ© en justice, aura les oreilles coupĂ©es et sera marquĂ© d’une fleur de lys sur une Ă©paule ; s’il rĂ©cidive un autre mois Ă  compter pareillement du jour de la dĂ©nonciation, il aura le jarret coupĂ©, et il sera marquĂ© d’un fleur de lys sur l’autre Ă©paule ; et, la troisiĂšme fois, il sera puni de mort.

Art. 39
Les affranchis qui auront donnĂ© retraite dans leurs maisons aux esclaves fugitifs, seront condamnĂ©s par corps envers les maĂźtres en l’amende de 300 livres de sucre par chacun jour de rĂ©tention, et les autres personnes libres qui leur auront donnĂ© pareille retraite, en 10 livres tournois d’amende par chacun jour de rĂ©tention.

Art. 40
L’esclave puni de mort sur la dĂ©nonciation de son maĂźtre non complice du crime dont il aura Ă©tĂ© condamnĂ© sera estimĂ© avant l’exĂ©cution par deux des principaux habitants de l’Ăźle, qui seront nommĂ©s d’office par le juge, et le prix de l’estimation en sera payĂ© au maĂźtre ; et, pour Ă  quoi satisfaire, il sera imposĂ© par l’intendant sur chacune tĂȘte des nĂšgres payants droits la somme portĂ©e par l’estimation, laquelle sera rĂ©galĂ©e sur chacun desdits nĂšgres et levĂ©e par le fermier du domaine royal pour Ă©vitĂ© Ă  frais.

Art. 41
Défendons aux juges, à nos procureurs et aux greffiers de prendre aucune taxe dans les procÚs criminels contre les esclaves, à peine de concussion.

Art. 42
Pourront seulement les maĂźtres, lorsqu’ils croiront que leurs esclaves l’auront mĂ©ritĂ©, les faire enchaĂźner et les faire battre de verges ou cordes. Leur dĂ©fendons de leur donner la torture, ni de leur faire aucune mutilation de membres, Ă  peine de confiscation des esclaves et d’ĂȘtre procĂ©dĂ© contre les maĂźtres extraordinairement.

Art. 43
Enjoignons Ă  nos officiers de poursuivre criminellement les maĂźtres ou les commandeurs qui auront tuĂ© un esclave Ă©tant sous leur puissance ou sous leur direction et de punir le meurtre selon l’atrocitĂ© des circonstances ; et, en cas qu’il y ait lieu Ă  l’absolution, permettons Ă  nos officiers de renvoyer tant les maĂźtres que les commandeurs absous, sans qu’ils aient besoin d’obtenir de nous des lettres de grĂące.

Art. 44
DĂ©clarons les esclaves ĂȘtre meubles et comme tels entrer dans la communautĂ©, n’avoir point de suite par hypothĂšque, se partager Ă©galement entre les cohĂ©ritiers, sans prĂ©ciput et droit d’aĂźnesse, n’ĂȘtre sujets au douaire coutumier, au retrait fĂ©odal et lignager, aux droits fĂ©odaux et seigneuriaux, aux formalitĂ©s des dĂ©crets, ni au retranchement des quatre quints, en cas de disposition Ă  cause de mort et testamentaire.

Art. 45
N’entendons toutefois priver nos sujets de la facultĂ© de les stipuler propres Ă  leurs personnes et aux leurs de leur cĂŽtĂ© et ligne, ainsi qu’il se pratique pour les sommes de deniers et autres choses mobiliaires.

Art. 46
Seront dans les saisies des esclaves observées les formes prescrites par nos ordonnances et les coutumes pour les saisies des choses mobiliaires. Voulons que les deniers en provenant soient distribués par ordre de saisies ; ou, en cas de déconfiture, au sol la livre, aprÚs que les dettes privilégiées auront été payées, et généralement que la condition des esclaves soit réglée en toutes affaires comme celle des autres choses mobiliaires, aux exceptions suivantes.

Art. 47
Ne pourront ĂȘtre saisis et vendus sĂ©parĂ©ment le mari, la femme et leurs enfants impubĂšres, s’ils sont tous sous la puissance d’un mĂȘme maĂźtre ; dĂ©clarons nulles les saisies et ventes sĂ©parĂ©es qui en sont faites , ce que nous voulons avoir lieu dans les aliĂ©nations volontaires, sur peine, contre ceux qui feront les aliĂ©nations, d’ĂȘtre privĂ©s de celui ou de ceux qu’ils auront gardĂ©s, qui seront adjugĂ©s aux acquĂ©reurs, sans qu’ils soient tenus de faire aucun supplĂ©ment de prix.

Art. 48
Ne pourront aussi les esclaves travaillant actuellement dans les sucreries, indigoteries et habitations, ĂągĂ©s de quatorze ans et au-dessus jusqu’Ă  soixante ans, ĂȘtre saisis pour dettes, sinon pour ce que sera dĂ» du prix de leur achat, ou que la sucrerie, indigoterie, habitation, dans laquelle ils travaillent soit saisie rĂ©ellement ; dĂ©fendons, Ă  peine de nullitĂ©, de procĂ©der par saisie rĂ©elle et adjudication par dĂ©cret sur les sucreries, indigoteries et habitations, sans y comprendre les nĂšgres de l’Ăąge susdit y travaillant actuellement.

Art. 49
Le fermier judiciaire des sucreries, indigoteries, ou habitations saisies rĂ©ellement conjointement avec les esclaves, sera tenu de payer le prix entier de son bail, sans qu’il puisse compter parmi les fruits qu’il perçoit les enfants qui seront nĂ©s des esclaves pendant son bail.

Art. 50
Voulons, nonobstant toutes conventions contraires, que nous dĂ©clarons nulles, que lesdits enfants appartiennent Ă  la partie saisie, si les crĂ©anciers, sont satisfaits d’ailleurs, ou Ă  l’adjudicataire, s’il intervient un dĂ©cret ; et, Ă  cet effet, il sera fait mention dans la derniĂšre affiche, avant l’interposition du dĂ©cret, desdits enfants nĂ©s des esclaves depuis la saisie rĂ©elle. Il sera fait mention, dans la mĂȘme affiche, des esclaves dĂ©cĂ©dĂ©s depuis la saisie rĂ©elle dans laquelle ils Ă©taient compris.

Art. 51
Voulons, pour Ă©viter aux frais et aux longueurs des procĂ©dures, que la distribution du prix entier de l’adjudication conjointe des fonds et des esclaves, et de ce qui proviendra du prix des baux judiciaires, soit faite entre les crĂ©anciers selon l’ordre de leurs privilĂšges et hypothĂšques, sans distinguer ce qui est pour le prix des fonds d’avec ce qui est pour le prix des esclaves.

Art. 52
Et nĂ©anmoins les droits fĂ©odaux et seigneuriaux ne seront payĂ©s qu’Ă  proportion du prix des fonds.

Art. 53
Ne seront reçus les lignagers et seigneurs fĂ©odaux Ă  retirer les fonds dĂ©crĂ©tĂ©s, s’ils ne retirent les esclaves vendus conjointement avec fonds ni l’adjudicataire Ă  retenir les esclaves sans les fonds.

Art. 54
Enjoignons aux gardiens nobles et bourgeois usufruitiers, amodiateurs et autres jouissants des fonds auxquels sont attachĂ©s des esclaves qui y travaillent, de gouverner lesdits esclaves comme bons pĂšres de famille, sans qu’ils soient tenus, aprĂšs leur administration finie, de rendre le prix de ceux qui seront dĂ©cĂ©dĂ©s ou diminuĂ©s par maladie, vieillesse ou autrement, sans leur faute, et sans qu’ils puissent aussi retenir comme fruits Ă  leur profit les enfants nĂ©s desdits esclaves durant leur administration, lesquels nous voulons ĂȘtre conservĂ©s et rendus Ă  ceux qui en sont maĂźtres et les propriĂ©taires.

Art. 55
Les maĂźtres agĂ©s de vingt ans pourront affranchir leurs esclaves par tous actes vifs ou Ă  cause de mort, sans qu’ils soient tenus de rendre raison de l’affranchissement, ni qu’ils aient besoin d’avis de parents, encore qu’ils soeint mineurs de vingt-cinq ans.

Art. 56
Les esclaves qui auront été fait légataires universels par leurs maßtres ou nommés exécuteurs de leurs testaments ou tuteurs de leurs enfants, seront tenus et réputés, les tenons et réputons pour affranchis.

Art. 57
DĂ©clarons leurs affranchissements faits dans nos Ăźles, leur tenir lieu de naissance dans nosdites Ăźles et les esclaves affranchis n’avoir besoin de nos lettres de naturalitĂ© pour jouir des avantages de nos sujets naturels de notre royautĂ©, terres et pays de notre obĂ©issance, encore qu’ils soient nĂ©s dans les pays Ă©trangers.

Art. 58
Commandons aux affranchis de porter un respect singulier Ă  leurs anciens maĂźtres, Ă  leurs veuves et Ă  leurs enfants, en sorte que l’injure qu’ils leur auront faite soit punie plus griĂšvement que si elle Ă©tait faite Ă  une autre personne : les dĂ©clarons toutefois francs et quittes envers eux de toutes autres charges, services et droits utiles que leurs anciens maĂźtres voudraient prĂ©tendre tant sur leurs personnes que sur leurs biens et successions en qualitĂ© de patrons.

Art. 59
Octroyons aux affranchis les mĂȘmes droits, privilĂšges et immunitĂ©s dont jouissent les personnes nĂ©es libres ; voulons que le mĂ©rite d’une libertĂ© acquise produise en eux, tant pour leurs personnes que pour leurs biens, les mĂȘmes effets que le bonheur de la libertĂ© naturelle cause Ă  nos autres sujets.

Art. 60
DĂ©clarons les confiscations et les amendes qui n’ont point de destination particuliĂšre, par ces prĂ©sentes nous appartenir, pour ĂȘtre payĂ©es Ă  ceux qui sont prĂ©posĂ©s Ă  la recette de nos droits et de nos revenus ; voulons nĂ©anmoins que distraction soit faite du tiers desdites confiscations et amendes au profit de l’hĂŽpital Ă©tabli dans l’Ăźle oĂč elles auront Ă©tĂ© adjugĂ©es.

Notes et références

  • Code noir : Ordonnance royale de mars 1685 sur la condition des esclaves dans les colonies françaises, dite « Code noir », promulguĂ©e par Louis XIV. Elle comporte 60 articles. Texte accessible via Gallica : https://gallica.bnf.fr
  • Louis Sala-MolinsLe Code noir ou le calvaire de Canaan, Paris, PUF, 1987 (4e Ă©d.). L’auteur y qualifie ce texte de « plus monstrueux document lĂ©gislatif des Temps modernes ».
  • Jean-François NiortLe Code noir : idĂ©es reçues sur un texte symbolique, Paris, Le Cavalier Bleu, 2015. L’historien y dĂ©fend une approche contextualisĂ©e, rejetant une lecture purement morale du texte.
  • Sur l’élaboration du Code noir : Vernon Valentine Palmer, « Essai sur les origines et les auteurs du Code noir », Revue internationale de droit comparĂ©, vol. 50, n°1, 1998, p. 111-140.
  • Robert ChesnaisLe Code noir, Paris, L’esprit frappeur, 1998. Introduction et notes critiques sur la version de 1685.
  • Le Code noir fut Ă©galement promulguĂ© sous Louis XV, dans une version modifiĂ©e, en 1724, pour la Louisiane.
  • Les articles 5, 7, 8, 18 et 25 du texte de 1685 ne sont pas repris dans la version de 1724.
  • Pour une analyse comparĂ©e des deux versions : Niort J.-F. et Richard J., « L’Édit royal de mars 1685 dit Code noir : versions choisies, comparĂ©es et commentĂ©es », Droits, n°50, 2010, p. 143-161.
  • La dimension religieuse du texte (baptĂȘme, instruction catholique, interdiction des cultes non chrĂ©tiens) est Ă©tudiĂ©e dans : Jean-FrĂ©dĂ©ric Schaub, « 1683 : un 1492 français ? », in Histoire mondiale de la France, dir. P. Boucheron, Seuil, 2017.
  • Pour un Ă©clairage sur la rĂ©ception du Code noir dans les LumiĂšres : Diderot, Histoire des deux Indes, Ă©d. numĂ©rique sur Wikisource.

TIMPI TAMPA : Le film coup de poing qui fait danser les vérités et vaciller les masques

0

Avec Timpi Tampa, la rĂ©alisatrice sĂ©nĂ©galaise Adama Bineta Sow signe un premier long-mĂ©trage audacieux, sensible et furieusement nĂ©cessaire. PortĂ© par une distribution 100 % locale et tournĂ© en wolof, ce conte social sur fond de concours de beautĂ© universitaire dĂ©monte les normes coloniales de la beautĂ© noire tout en cĂ©lĂ©brant la sororitĂ©, l’identitĂ© et la rĂ©silience. Un film coup de poing, doux comme un baume, qui rĂ©invente le cinĂ©ma africain au fĂ©minin pluriel.

Il y a dans Timpi Tampa quelque chose d’une rĂ©volution douce. Une bombe artisanale tressĂ©e de wax et de tendresse, une claque qui caresse avant de cogner. Sous ses airs de comĂ©die dramatique colorĂ©e, le premier long-mĂ©trage d’Adama Bineta Sow pose une question qui ronge l’épiderme de tout un continent : qu’a-t-on fait de notre beautĂ© ?

Bienvenue Ă  Dakar, oĂč Khalilou, un jeune homme de 20 ans, vit seul avec sa mĂšre. Elle est malade. Elle a voulu ressembler aux femmes des panneaux publicitaires. À force de crĂšmes Ă©claircissantes, elle s’est empoisonnĂ©e. Pour lui rendre justice, Khalilou dĂ©cide de se travestir en femme, « Leila », et de participer Ă  un concours de beautĂ© universitaire pour dĂ©noncer, de l’intĂ©rieur, l’absurditĂ© d’un systĂšme qui valorise la peau claire comme une mĂ©daille coloniale.

Mais ici, pas de pathos. Adama Bineta Sow prĂ©fĂšre la satire tendre Ă  la colĂšre froide. Elle peint une fresque de femmes, vibrantes, entiĂšres, puissantes, et met en scĂšne un SĂ©nĂ©gal jeune, libre et lucide, qui n’a pas besoin qu’on lui fasse la leçon pour comprendre que la rĂ©volution commence par le miroir.

Un film qui se tient droit dans sa langue

TIMPI TAMPA : Le film coup de poing qui fait danser les vérités et vaciller les masques

ProjetĂ© pour la premiĂšre fois au FESPACO 2025 dans la section Perspectives, Timpi Tampa a reçu une mention spĂ©ciale du jury. Et pour cause : tout y est local, ancrĂ©, assumĂ©. Le film est tournĂ© Ă  Dakar, en wolof, avec un casting 100 % sĂ©nĂ©galais. Il s’inscrit dans une dĂ©marche esthĂ©tique de rĂ©appropriation : celle de raconter l’Afrique depuis elle-mĂȘme, sans filtre ni exotisme.

Ce n’est pas seulement un choix artistique, c’est un acte politique. En refusant l’universalitĂ© au rabais d’un regard occidental, Adama Bineta Sow offre un espace de parole Ă  cette jeunesse qui parle sa langue, ses doutes, ses rĂȘves, ses contradictions.

Une comédie dramatique qui dit tout haut ce que beaucoup taisent tout bas

TIMPI TAMPA : Le film coup de poing qui fait danser les vérités et vaciller les masques

La rĂ©ussite de Timpi Tampa tient Ă  cet Ă©quilibre rare : faire rire pour mieux dĂ©ranger. Le film met en scĂšne deux clans opposĂ©s dans l’univers du concours de beautĂ© : les « Belles et Éclatantes », adeptes du teint clair et des standards occidentaux, et les « Belles, Naturelles et Rebelles », qui cĂ©lĂšbrent leur peau noire, leur afro, leurs formes, leurs cicatrices aussi.

La force du film rĂ©side dans la complexitĂ© de ses personnages. Il n’y a pas de manichĂ©isme. Fatima (Yacine Sow Dumon), l’une des « Ă©clatantes », est autant victime que complice du systĂšme. Maty (Fatoumata Aidara Sarr), quant Ă  elle, se rĂ©vĂšle mentor bienveillante et stratĂšge avisĂ©e. Aminata (Sanou Samb) lutte contre ses insĂ©curitĂ©s, son poids, son absence de confiance. Maimouna (Diaratou Mbow), rebelle solaire, devient catalyseur de prises de conscience.

Et Khalilou ? Il est bouleversant. Pape Aly Diop livre une performance d’une sincĂ©ritĂ© dĂ©sarmante. Son corps devient un lieu d’enquĂȘte : sur l’identitĂ©, le genre, la beautĂ©, l’amour filial. Il apprend Ă  ĂȘtre une femme et, ce faisant, devient un homme.

Une esthétique de la subversion par le glamour

TIMPI TAMPA : Le film coup de poing qui fait danser les vérités et vaciller les masques

DerriĂšre la camĂ©ra, tout respire la rigueur et la passion. Trois ans d’écriture, deux mois de prĂ©paration, sept semaines de tournage, 94 sĂ©quences, 40 dĂ©cors, 70 techniciens, plus de 860 figurants
 Timpi Tampa est une Ɠuvre de feu, portĂ©e par une Ă©quipe qui croit Ă  la puissance du cinĂ©ma africain.

La direction artistique flirte avec le clip, la publicitĂ©, le théùtre de rue. Les scĂšnes de dĂ©filĂ© sont chorĂ©graphiĂ©es comme des rĂ©volutions pop. La musique pulse comme un cƓur qui bat trop vite. Les couleurs hurlent : regarde-moi. Et dans les regards, on lit autre chose qu’un scĂ©nario : une urgence, une blessure, une fiertĂ© retrouvĂ©e.

Un mot sur Adama Bineta Sow : jeunesse, feu et sororité

TIMPI TAMPA : Le film coup de poing qui fait danser les vérités et vaciller les masques

Adama Bineta Sow n’a que 23 ans, mais dĂ©jĂ  la stature d’une grande. LaurĂ©ate de plusieurs prix pour ses courts-mĂ©trages (Aveugle par une aveugle, À nous la Tabaski), elle signe ici un premier long-mĂ©trage ambitieux, gĂ©nĂ©reux, maĂźtrisĂ©. Son regard est celui d’une sƓur, pas d’une juge. Elle filme les femmes avec une tendresse radicale, une Ă©coute profonde. Et elle construit une Ɠuvre qui, loin des injonctions, laisse chaque corps exister.

À l’instar de Dee Rees ou Mati Diop, elle s’inscrit dans une lignĂ©e de cinĂ©astes afro-fĂ©ministes qui posent une question fondamentale : qui a le droit de raconter nos histoires ?

Un combat universel, mais enraciné

TIMPI TAMPA : Le film coup de poing qui fait danser les vérités et vaciller les masques

Ce que dit Timpi Tampa, c’est que le blanchiment de la peau est un symptĂŽme. DerriĂšre la dĂ©pigmentation, il y a l’infĂ©riorisation. DerriĂšre les crĂšmes, les rĂ©seaux sociaux, les concours, il y a une machine Ă  produire des complexes, Ă  vendre du rĂȘve eurocentrĂ© en flacons de 50 ml.

Mais le film ne se contente pas de dénoncer. Il propose un imaginaire alternatif. Une autre façon de se regarder. Une autre façon de dire je suis belle, je suis noire, je suis moi.

Et maintenant ?

TIMPI TAMPA : Le film coup de poing qui fait danser les vérités et vaciller les masques

Le film sortira le 9 mai 2025, simultanĂ©ment dans six pays africains et en France, distribuĂ© par CANAL+ AFRIQUE, EUROPACORP et NIGHT ED FILM. C’est une premiĂšre pour un film sĂ©nĂ©galais de cette ampleur. Et un signal fort.

Car oui, le cinĂ©ma africain est prĂȘt. PrĂȘt Ă  rayonner sans se travestir. PrĂȘt Ă  parler haut, fort, vrai.

Une empreinte qui reste sur la rĂ©tine et dans le cƓur

TIMPI TAMPA : Le film coup de poing qui fait danser les vérités et vaciller les masques

Le mot Timpi Tampa signifie littĂ©ralement « ni noir, ni clair ». Il renvoie Ă  cette couleur bĂątarde que produit le mĂ©lange des produits Ă©claircissants et du soleil. Mais en wolof, on pourrait aussi entendre empreinte. Et c’est exactement ce que laisse le film : une empreinte. Pas une trace furtive, mais un sillon, un sĂ©same.

Timpi Tampa n’est pas seulement un film Ă  voir. C’est un film Ă  vivre, Ă  dĂ©battre, Ă  transmettre. Une Ɠuvre-miroir qui rappelle Ă  chacun : ta couleur n’est pas une honte Ă  corriger, c’est un drapeau Ă  lever.

Paris Noir ou quand l’art réécrit l’Histoire

Avec “Paris Noir”, le Centre Pompidou cĂ©lĂšbre un demi-siĂšcle de crĂ©ation afrodescendante. Une exposition magistrale qui retrace les circulations artistiques et les luttes anticoloniales dans le Paris du XXe siĂšcle.

Une effervescence artistique au cƓur de Paris

DĂšs que l’on franchit les portes du Centre Pompidou, un frisson d’histoire et de modernitĂ© nous saisit. L’exposition « Paris Noir : Circulations artistiques et luttes anticoloniales (1950-2000)«  est un moment rare, un hommage nĂ©cessaire Ă  des gĂ©nĂ©rations d’artistes afro-descendants dont les Ɠuvres, souvent invisibilisĂ©es, ont pourtant marquĂ© de leur empreinte indĂ©lĂ©bile l’histoire de l’art en France et bien au-delĂ .

PensĂ©e comme une cartographie vivante des dialogues artistiques transatlantiques, Paris Noir dĂ©voile plus de 150 artistes, des pionniers du modernisme panafricain aux avant-gardes noires amĂ©ricaines et caribĂ©ennes, en passant par les figures postcoloniales des annĂ©es 90. Une plongĂ©e saisissante dans un Paris oĂč l’art noir n’a jamais cessĂ© d’ĂȘtre un acte de rĂ©sistance, de mĂ©moire et de rĂ©invention.

Quand Paris Ă©tait la capitale de l’Art Noir

Dans l’imaginaire collectif, Paris est cette ville-lumiĂšre, berceau des avant-gardes et des rĂ©volutions artistiques. Mais derriĂšre la Tour Eiffel et les galeries du Marais, il existe une autre histoire, celle d’une ville qui fut aussi un refuge intellectuel et artistique pour des gĂ©nĂ©rations d’artistes noirs venus d’Afrique, des CaraĂŻbes et des États-Unis.

L’aprĂšs-guerre marque l’arrivĂ©e d’intellectuels et crĂ©ateurs comme James Baldwin, Beauford Delaney, Wifredo Lam ou encore le peintre sud-africain GĂ©rard Sekoto. Paris devient le centre nĂ©vralgique d’un art noir en quĂȘte d’émancipation, oĂč se croisent influences surrĂ©alistes, expressionnistes et avant-gardistes.

L’exposition Paris Noir met en lumiĂšre cette effervescence, en rĂ©habilitant des trajectoires mĂ©connues mais essentielles. Comment ne pas ĂȘtre saisi par les portraits vibrants de Delaney, immortalisant Baldwin avec une intensitĂ© quasi mystique ? Ou par les sculptures de Harold Cousins, qui transforment l’acier en une ode au mouvement et Ă  la musique jazz ?

L’art comme arme de lutte anticoloniale

Paris Noir ne se contente pas d’ĂȘtre une rĂ©trospective artistique : c’est un manifeste visuel, un rappel que l’art a toujours Ă©tĂ© un vecteur de luttes et de revendications.

Dans les annĂ©es 50 et 60, les artistes noirs prĂ©sents Ă  Paris sont les tĂ©moins directs des luttes anticoloniales qui secouent l’Afrique et les CaraĂŻbes. L’exposition revient sur ces liens entre art et engagement, en prĂ©sentant des Ɠuvres qui dialoguent avec les luttes politiques et sociales de leur Ă©poque.

Paris Noir ou quand l’art réécrit l’Histoire
JosĂ© Castillo, (1955, RĂ©publique dominicaine – 2018, RĂ©publique française), Los Cimarrones, 1994

JosĂ© Castillo, avec son tableau « Los Cimarrones », rend hommage aux esclaves marrons qui ont fui les plantations pour bĂątir des communautĂ©s libres. Elodie BarthĂ©lĂ©my, dans « Hommage aux ancĂȘtres marrons », matĂ©rialise la mĂ©moire rĂ©sistante par des sculptures-textiles poignantes.

Paris Noir ou quand l’art réécrit l’Histoire
Elodie BarthĂ©lĂ©my, (1965, Colombie), Hommage aux ancĂȘtres marrons, 1994

Le parcours explore également le rÎle du jazz et de la littérature comme prolongements de ces combats, avec des figures comme Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire et Frantz Fanon, dont les pensées ont irrigué ces expressions artistiques.

Paris, vecteur de rencontres et de transmissions

L’une des grandes forces de cette exposition est sa capacitĂ© Ă  cartographier les circulations culturelles et esthĂ©tiques entre l’Afrique, les AmĂ©riques et l’Europe.

Paris Noir ou quand l’art réécrit l’Histoire
Chanel Diagne, (1953, République française), Le Garçon de Venise, 1976

DĂšs les annĂ©es 70, une nouvelle gĂ©nĂ©ration d’artistes caribĂ©ens et africains arrive Ă  Paris, cherchant Ă  repenser leur identitĂ© dans un monde postcolonial. On retrouve cet hĂ©ritage dans les Ɠuvres de Diagne Chanel, qui fusionne influences europĂ©ennes et esthĂ©tiques sĂ©nĂ©galaises dans « Le Garçon de Venise », ou encore dans la dĂ©marche de Skunder Boghossian, pionnier de l’abstraction Ă©thiopienne.

L’exposition met Ă©galement en lumiĂšre les espaces qui ont permis ces Ă©changes, comme les galeries engagĂ©es, les festivals panafricains et les cercles littĂ©raires, oĂč se sont Ă©crites certaines des pages les plus audacieuses de l’histoire de l’art noir.

Pourquoi cette exposition est essentielle aujourd’hui

Dans un contexte oĂč les dĂ©bats sur la reconnaissance de l’art africain et afro-descendant sont plus vifs que jamais, Paris Noir arrive Ă  point nommĂ©. Cette exposition interroge la place des artistes noirs dans les musĂ©es, les institutions et le marchĂ© de l’art.

Elle pose aussi une question essentielle : comment intĂ©grer ces rĂ©cits dans une histoire de l’art qui a trop longtemps Ă©tĂ© Ă©crite sans eux ?

Avec cette rétrospective, le Centre Pompidou offre enfin une visibilité méritée à ces créateurs qui, à travers les époques, ont bùti des ponts entre les continents et redéfini les canons artistiques.

Un rendez-vous incontournable

Paris Noir ou quand l’art réécrit l’Histoire

Ouverte du 19 mars au 30 juin 2025, Paris Noir est plus qu’une exposition : c’est un Ă©vĂ©nement historique, une invitation Ă  redĂ©couvrir une scĂšne artistique trop souvent occultĂ©e.

Si vous ĂȘtes passionnĂ© d’histoire, d’art et de luttes, si vous voulez voir Paris sous un prisme panafricain et engagĂ©, ne manquez pas cette immersion dans un demi-siĂšcle de crĂ©ation, de rĂ©sistance et de beautĂ©.

L’art noir a toujours Ă©tĂ© lĂ . Il Ă©tait juste temps de le voir.

Retour sur le cas Dominique Malonga : deuxiĂšme choix de draft historique de la WNBA

0

Dominique Malonga. Retenez bien ce nom. Vous ne l’avez peut-ĂȘtre entendue qu’Ă  moitiĂ© pendant les Jeux de Paris, glissĂ©e entre deux coups de projecteur sur les handballeurs, ou dans les rĂ©sumĂ©s de la finale perdue face aux États-Unis. Mais dans le silence feutrĂ© de la draft WNBA 2025, alors que les camĂ©ras cherchaient des visages connus, c’est celui d’une jeune femme d’aujourd’hui 19 ans, le regard levĂ©, qui a fait l’histoire. DeuxiĂšme choix de la Draft, derriĂšre l’attendue Paige Bueckers. PremiĂšre Française Ă  atteindre ce rang. Et surtout : symbole d’une gĂ©nĂ©ration qu’on n’attendait pas si haut, si tĂŽt.

Les drafts dans le basketball amĂ©ricain sont actuellement dominĂ©e par la formation française. Si de maniĂšre globale, c’est l’Europe, c’est du territoire français que les pĂ©pites sont dĂ©livrĂ©e. Killian Hayes, Wembanyama, Coulibaly, Risacher, Sarr. Ce sont les derniers noms qui nous viennent en tĂȘte et l’on peut y ajouter Malonga.

De YaoundĂ© Ă  Seattle : l’ascension silencieuse d’un phĂ©nomĂšne

Dominique Malonga n’est pas nĂ©e dans le brouhaha des projecteurs. Elle est nĂ©e Ă  YaoundĂ©, au Cameroun et partageant des racines au Congo, avant de grandir en France, loin de l’attention des mĂ©dias, mais avec un hĂ©ritage, celui de sa mĂšre, Agathe N’Nindjem-Yolemp, ancienne internationale pour les indomptables. Elle n’a pas demandĂ©. Elle a simplement dunkĂ©. À 18 ans, sur un parquet europĂ©en, sous un maillot de l’ASVEL, elle claque le premier dunk de l’histoire du basket fĂ©minin français en compĂ©tition officielle. Un geste aussi brutal que prĂ©cis. Et dans les jours qui suivent, on commence Ă  l’appeler la “Wembanyama du basket fĂ©minin”.

Comparaison flatteuse, mais peut-ĂȘtre injuste. Car si Dominique partage avec Victor une taille dĂ©concertante (1m98), une envergure surnaturelle (2m16), et un talent gĂ©nĂ©rationnel, elle ne veut pas ĂȘtre la version fĂ©minine d’un autre. Elle veut ĂȘtre la premiĂšre Dominique Malonga.

Une jeunesse dorée ? Pas tout à fait.

Oui, elle a signĂ© Ă  l’ASVEL. Oui, Tony Parker l’a prise sous son aile. Mais avant ça, il y a eu les sacrifices familiaux, les trajets d’entraĂźnement interminables, et cette rĂ©alitĂ© crue : ĂȘtre une grande fille noire dans un sport oĂč la visibilitĂ© fĂ©minine reste minime, ça n’ouvre pas de portes.

Mais elle s’est accrochĂ©e. Elle a grandi, en tant que joueuse, dans un systĂšme qui n’Ă©tait pas habituĂ© Ă  build inĂ©dit, pour crĂ©er sa propre trajectoire.

Retour sur le cas Dominique Malonga : deuxiĂšme choix historique de la WNBA

JO 2024 : la scĂšne mondiale Ă  ses pieds

L’Ă©tĂ© 2024 aurait pu ĂȘtre celui de l’ombre. Les Jeux Olympiques Ă  Paris, c’Ă©tait l’occasion de briller pour les vĂ©tĂ©ranes. Et pourtant, c’est la benjamine de l’équipe de France qui a captĂ© l’attention des USA. Sur le parquet, Dominique a imposĂ© sa prĂ©sence comme une Ă©vidence. DĂ©fense fĂ©roce, mains sĂ»res, lecture du jeu rare pour son Ăąge. Elle n’a pas cherchĂ© Ă  dominer. Elle a imposĂ© le respect.

Et puis il y a eu la finale. Une mĂ©daille d’argent historique face Ă  l’ogre amĂ©ricain. On l’a vue lever les bras, puis baisser la tĂȘte. Elle aurait pu savourer. Elle a prĂ©fĂ©rĂ© ruminer la dĂ©faite, rĂ©confortĂ©e par sa coĂ©quipiĂšre en Équipe de France, mais aussi prochainement Ă  Seattle, Gabbie Williams. À 19 ans.

Dominique et A'ja Wilson
Dominique qui dĂ©fend sur la UNANIMOUS MVP A’ja Wilson

78 000 dollars par an : le plafond de verre WNBA

DraftĂ©e en 2e position par le Seattle Storm, Dominique a intĂ©grĂ© la grande ligue nord-amĂ©ricaine. Sur le papier, c’est un tremblement de terre. Mais dans les faits ? Son contrat rookie plafonne Ă  78 000 dollars annuels. Moins que le salaire moyen d’un joueur de deuxiĂšme division en France. Une claque pour ceux qui pensaient que la reconnaissance allait de pair avec le talent.

Car oui, la WNBA reste sous-financĂ©e, sous-mĂ©diatisĂ©e, sous-payĂ©e. Et Dominique, malgrĂ© son statut de pĂ©pite mondiale, en fait dĂ©jĂ  les frais. Elle ne s’en plaint pas. Elle sait qu’elle reprĂ©sente plus qu’elle-mĂȘme. Elle est consciente que son existence dans la ligue est un acte politique Ă  part entiĂšre.

Icîne d’un mouvement, pas d’un mirage

Ce que reprĂ©sente Dominique dĂ©passe largement les lignes de stats. C’est une gĂ©nĂ©ration qui s’impose, malgrĂ© les silences, les plafonds, les clichĂ©s. Elle incarne une jeunesse noire, fĂ©minine, ambitieuse, qu’on ne peut plus ignorer.

Elle pourrait capitaliser sur son image, vendre des produits, faire la tournée des médias. Elle a choisi Seattle, la pluie, le travail. Elle poste peu, parle peu, mais marque beaucoup. Sur le terrain comme dans les esprits.

Pas une exception. Une annonce.

Dominique Malonga n’est pas une anomalie. Elle est le dĂ©but d’une Ăšre. Celle oĂč les talents afrodescendants ne sont plus cantonnĂ©s Ă  la pĂ©riphĂ©rie du sport mondial. Celle oĂč les basketteuses ne se contentent plus de “faire leur place” — elles prennent le trĂŽne.

Dans dix ans, on citera peut-ĂȘtre Malonga comme celle qui a ouvert la voie Ă  une nouvelle Ă©conomie du basket fĂ©minin. Une WNBA plus juste, plus visible, plus ambitieuse. En attendant, elle joue. Elle apprend. Elle construit. Et elle inspire.

Et maintenant ?

Le Storm compte sur elle pour redĂ©finir sa raquette. La France attend son retour pour porter le drapeau en 2028. Les petites filles la regarderont comme une hĂ©roĂŻne, sans cape, mais avec des baskets bien lacĂ©es. Et le monde du sport, lui, rĂ©alise lentement : Dominique Malonga est lĂ . Et la ligue devrait la garder Ă  l’oeil ! Tout le monde est prĂ©venu !

Soudan, souviens-toi : l’insurrection filmĂ©e, le chant d’un peuple debout

0

Dans « Soudan, souviens-toi », la réalisatrice Hind Meddeb immortalise la révolution soudanaise de 2019 avec une caméra-poÚme. Un film puissant, nécessaire, et bouleversant, ode à la jeunesse africaine debout face aux dictatures.

Soudan, souviens-toi : une caméra face à la révolte

« Nous sommes les enfants de la rĂ©volution. Et nous rĂȘvons d’un avenir que personne ne veut nous donner. Alors, on le filme. »

Avec Soudan, souviens-toi, la rĂ©alisatrice Hind Meddeb ne signe pas un documentaire classique. Elle offre un manifeste. Une plongĂ©e frontale, sensorielle, poĂ©tique et politique dans la rĂ©volution soudanaise de 2019. Celle qu’on a trop vite oubliĂ©e, effacĂ©e des timelines, marginalisĂ©e par le chaos des autres conflits. Pourtant, pendant des mois, le peuple soudanais, et surtout sa jeunesse, est descendu dans la rue, dĂ©fiant l’appareil rĂ©pressif du rĂ©gime d’Omar el-BĂ©chir. Le tout, sans armes, mais avec des chants, des poĂšmes, des slogans et des smartphones.

Meddeb, camĂ©ras ouvertes et cƓur battant, capture cette effervescence Ă  hauteur d’homme. Ce n’est pas un film sur la rĂ©volution. C’est la rĂ©volution elle-mĂȘme, racontĂ©e de l’intĂ©rieur. Par les chants de protestation, les visages en feu, les silences Ă©touffants. Le documentaire ne commente pas les Ă©vĂ©nements : il les incarne. Il refuse le surplomb, il Ă©pouse la fragilitĂ© de la lutte.

La cinĂ©aste, connue pour son travail sur les rĂ©volutions arabes (Electro ChaabiTunisia Clash), poursuit ici son obsession : documenter les marges, les luttes populaires, les zones d’ombre mĂ©diatique oĂč surgissent pourtant les plus vives espĂ©rances. TournĂ© dans des conditions pĂ©rilleuses, Soudan, souviens-toi est autant un acte de crĂ©ation qu’un acte de rĂ©sistance. Il fallait ĂȘtre lĂ , avec eux, Ă  Khartoum, quand tout vacillait. Il fallait tendre le micro Ă  ceux qu’on ne voulait pas entendre.

Soudan, souviens-toi : l’insurrection filmĂ©e, le chant d’un peuple debout

Le film Ă©vite tous les piĂšges du sensationnalisme. Il ne montre pas la rĂ©volution comme un chaos, mais comme un espace de construction collective. La rue y devient studio de crĂ©ation, la protestation un théùtre de dignitĂ©. Ce ne sont pas des victimes que filme Hind Meddeb, mais des architectes d’un autre possible. Des poĂštes en colĂšre, des infirmiĂšres rebelles, des jeunes rappeurs armĂ©s de mots, des mĂšres debout dans la nuit.

PrĂ©sentĂ© aux Giornate degli Autori de la Mostra de Venise, au TIFF de Toronto et au FIPADOC, le film fait l’unanimitĂ©. La critique salue sa puissance formelle, sa sincĂ©ritĂ© politique, sa capacitĂ© Ă  faire sentir la pulsation d’un peuple. Mais au-delĂ  des festivals, c’est un devoir de mĂ©moire que remplit ce documentaire. Il refuse l’oubli. Il refuse que le Soudan soit rĂ©duit Ă  une ligne dans les bulletins d’information.

« Soudan, souviens-toi » est une incantation, une priÚre adressée au monde. Un rappel que les révolutions ne meurent jamais vraiment : elles changent de forme, elles habitent les chants, les images, les récits. Et grùce au regard de Hind Meddeb, elles continuent de nous parler.

Si Soudan, souviens-toi frappe si fort, c’est parce qu’il porte la signature d’une rĂ©alisatrice dont chaque film est une dĂ©claration. Hind Meddeb n’est pas une observatrice neutre : elle est une passeuse de mĂ©moire, une militante de l’intime, une conteuse de l’insoumis. Issue d’un double hĂ©ritage (celui de son pĂšre, Abdelwahab Meddeb, poĂšte et penseur de la modernitĂ© arabe, et celui de sa propre trajectoire de journaliste et documentariste) elle a fait du cinĂ©ma un espace de rĂ©sistance.

Soudan, souviens-toi : l’insurrection filmĂ©e, le chant d’un peuple debout

Depuis ses dĂ©buts, Meddeb donne la parole aux marginalisĂ©s, aux opprimĂ©s, Ă  ceux qui hurlent dans le vacarme de l’indiffĂ©rence. Avec « Electro ChaĂąbi » (2013), elle rĂ©vĂ©lait la scĂšne musicale underground du Caire, celle nĂ©e dans les quartiers populaires et ignorĂ©e des Ă©lites. Dans « Tunisia Clash » (2015), elle suivait des rappeurs tunisiens confrontĂ©s Ă  la censure post-rĂ©volution, montrant une jeunesse en lutte pour sa libertĂ© d’expression dans un pays officiellement « libre ».

Son cinĂ©ma est toujours Ă  hauteur d’homme, jamais voyeur, jamais didactique. Il Ă©pouse les corps, les voix, les rythmes, les Ă©motions. Il documente la lutte, mais surtout, il en partage la vibration. Chez Meddeb, filmer, c’est rĂ©sister. C’est crĂ©er une mĂ©moire vivante, indĂ©lĂ©bile, pour ceux que l’histoire officielle prĂ©fĂšre taire.

Avec Soudan, souviens-toi, elle pousse encore plus loin ce geste politique. Elle ne fait pas un film sur les Soudanais : elle filme avec eux. Elle vit avec eux. Elle partage les nuits de veille, les risques de rĂ©pression, les larmes contenues. Son regard est radicalement humain, solidaire, ancrĂ© dans le rĂ©el mais tendu vers l’utopie.

Ce positionnement Ă©thique et esthĂ©tique donne au film une puissance rare. Chaque plan est imprĂ©gnĂ© d’affection, de colĂšre, de dignitĂ©. Elle capte les regards perdus, les slogans rageurs, les corps debout malgrĂ© la peur. Elle donne Ă  voir ce que l’on ne montre jamais : la tendresse d’un peuple en lutte, la beautĂ© d’une rĂ©sistance sans armure, la force tranquille d’une rĂ©volution portĂ©e par des jeunes femmes, des Ă©tudiants, des artistes.

Soudan, souviens-toi : l’insurrection filmĂ©e, le chant d’un peuple debout

Le cinĂ©ma de Hind Meddeb est une arme. Mais une arme douce. Une arme qui n’explose pas, mais qui s’imprime. Qui ne crie pas plus fort que les autres, mais qui rend audible ce qui Ă©tait Ă©touffĂ©. Elle n’a pas besoin de voix off ni d’effets dramatiques : son cinĂ©ma parle depuis la rue, depuis la peau, depuis la mĂ©moire.

Et c’est lĂ  toute sa force : rappeler que l’histoire ne se fait pas seulement dans les palais et les parlements, mais aussi dans les chants de la foule, les vidĂ©os amateurs, les poings levĂ©s Ă  la nuit tombĂ©e. Et que pour que ces histoires-lĂ  ne meurent pas, il faut des artistes comme Hind Meddeb pour les recueillir, les Ă©lever, et les faire voyager.

Dans Soudan, souviens-toi, la rĂ©volution ne se filme pas comme un Ă©vĂ©nement historique figĂ©. Elle se vit, elle s’incarne, elle palpite. Et c’est lĂ  que le film de Hind Meddeb se distingue radicalement : il n’explique pas la rĂ©volution soudanaise ; il la fait ressentir.

Pas de voix off autoritaire. Pas de cartes, pas de dates balancĂ©es Ă  l’écran comme des rappels scolaires. Juste la matiĂšre brute de l’émotion. La parole des Soudanais. Leurs chants, leurs poĂšmes, leurs danses. Une grammaire sensorielle de la lutte, oĂč chaque cri, chaque souffle devient dĂ©claration politique.

Soudan, souviens-toi : l’insurrection filmĂ©e, le chant d’un peuple debout

Les manifestations, captĂ©es par la camĂ©ra, ne sont pas de simples attroupements populaires : ce sont des scĂšnes chorĂ©graphiĂ©es par la ferveur. Les slogans deviennent des refrains, les pas des manifestants dessinent des ballets collectifs, les mains levĂ©es composent des tableaux Ă©phĂ©mĂšres de dignitĂ©.

Et puis il y a la poĂ©sie. OmniprĂ©sente. ViscĂ©rale. Électrique. Elle est scandĂ©e, chantĂ©e, murmurĂ©e. Elle sert de bouclier aux balles, de baume aux blessures, de boussole Ă  ceux qui avancent dans l’obscuritĂ©. Dans les rues de Khartoum, des poĂštes anonymes deviennent gĂ©nĂ©raux de l’ñme, guidant la foule par les mots, Ă©rigeant le verbe en Ă©tendard.

Parmi eux, Ayman Mao, figure centrale du film, fait vibrer la mĂ©moire collective. Son rap, Ă  la fois rageur et profondĂ©ment enracinĂ© dans la tradition soudanaise, devient l’hymne d’une jeunesse debout. Son visage, son regard, sa voix composent un portrait bouleversant d’un artiste en lutte, d’un homme en veille constante. Il ne performe pas. Il tĂ©moigne. Il incarne.

Mais le film donne aussi la parole Ă  celles qu’on n’attend pas toujours Ă  l’écran : les jeunes femmes. Étudiantes, artistes, activistes, elles investissent la rue comme une scĂšne. Le pavĂ© devient planche de théùtre. La rĂ©volution, un acte performatif. Elles sont lĂ , au premier plan. Visages dĂ©couverts. Poings levĂ©s. Corps dignes. Elles parlent fort, elles crient, elles dansent. Parce qu’elles savent que leur voix compte, que leur image est politique, que leur prĂ©sence est dĂ©jĂ  un acte de rĂ©sistance.

Soudan, souviens-toi : l’insurrection filmĂ©e, le chant d’un peuple debout

La camĂ©ra de Hind Meddeb Ă©pouse cette poĂ©sie collective. Elle ne capte pas. Elle accompagne. Elle ne domine pas. Elle suit. Par ses choix de mise en scĂšne (cadrages serrĂ©s, montage fluide, absence de commentaire) elle laisse le rĂ©el imposer sa propre dramaturgie. Elle fait confiance Ă  l’intelligence du spectateur pour comprendre, ressentir, s’indigner.

C’est un documentaire, oui. Mais c’est surtout une Ɠuvre de cinĂ©ma. Un film habitĂ©, incandescent, qui transforme le rĂ©el en matiĂšre poĂ©tique. Une tentative de saisir ce moment suspendu oĂč un peuple se lĂšve, non pas par les armes, mais par les mots, par la danse, par la lumiĂšre.

Soudan, souviens-toi n’est pas un conte hĂ©roĂŻque. Ce n’est pas un rĂ©cit de victoire. C’est une blessure ouverte. Une rĂ©volte confisquĂ©e. Un rĂȘve piĂ©tinĂ©.

Hind Meddeb ne maquille pas la fin. Elle ne romantise rien. Le film ne se termine pas sur des applaudissements ou des rĂ©formes votĂ©es. Il se referme sur le silence des balles. AprĂšs les chants, les cris. AprĂšs les danses, les dĂ©tonations. Le massacre du 3 juin 2019, sur les manifestants pacifiques de Khartoum, hante chaque plan du dernier tiers du film. Des dizaines, peut-ĂȘtre des centaines de morts. Des corps jetĂ©s dans le Nil. Des vies rĂ©duites au silence.

Soudan, souviens-toi : l’insurrection filmĂ©e, le chant d’un peuple debout

La jeunesse soudanaise, si vibrante, si ardente, si digne, est trahie par l’histoire. Les militaires, briĂšvement mis Ă  l’écart, reprennent le contrĂŽle. La transition dĂ©mocratique est interrompue. Les leaders civils sont arrĂȘtĂ©s, contraints Ă  l’exil ou rĂ©duits au silence. Le rĂȘve d’une rĂ©volution soudanaise pacifique s’effondre dans la violence.

Et pourtant.

Ce que le film a captĂ© ne disparaĂźt pas. Il reste le souvenir incandescent de cette insurrection intĂ©rieure. Cette flamme qui brĂ»le dans les regards des manifestants, mĂȘme quand les camĂ©ras s’éteignent, mĂȘme quand les micros se taisent. Ce feu qui ne se laisse pas Ă©teindre par la rĂ©pression. La rĂ©volution n’a peut-ĂȘtre pas triomphĂ©, mais elle a existĂ©. Elle a Ă©tĂ© vĂ©cue. Elle a transformĂ© celles et ceux qui y ont cru.

C’est lĂ  que le titre du film prend une dimension presque sacrĂ©e. Soudan, souviens-toi n’est pas une injonction. C’est une priĂšre. Une supplique lancĂ©e au futur. Une promesse faite aux morts, aux disparus, aux rescapĂ©s : que rien ne sera oubliĂ©. Que les visages vus dans ce film ne disparaĂźtront pas dans l’oubli. Que leurs chants, leurs marches, leurs poĂšmes, continueront Ă  vibrer dans d’autres rues, d’autres pays, d’autres luttes.

Soudan, souviens-toi : l’insurrection filmĂ©e, le chant d’un peuple debout

Le film devient un monument funĂ©raire et une archive vivante. Il documente l’utopie trahie mais aussi l’espĂ©rance indestructible. Il parle de douleur, mais il n’est jamais cynique. Il est tragique, mais pas rĂ©signĂ©. Il regarde la violence en face, sans dĂ©tour, mais il laisse entrouverte une porte : celle d’une mĂ©moire active, insoumise, contagieuse.

Car si les corps sont brisĂ©s, les images, elles, restent. Les images deviennent des armes. Les souvenirs deviennent des graines. Et les graines, parfois, renaissent lĂ  oĂč on les croyait mortes.

Soudan, souviens-toi n’est pas seulement un film sur une rĂ©volution avortĂ©e. C’est un testament pour celles et ceux qui n’ont pas renoncĂ© Ă  espĂ©rer. Un outil pour Ă©duquer, pour Ă©veiller, pour inspirer. Une Ɠuvre rare, essentielle, qui fait le pari que le cinĂ©ma peut encore changer le monde ; ou, Ă  dĂ©faut, ne pas le laisser se refermer sur lui-mĂȘme.

Soudan, souviens-toi : l’insurrection filmĂ©e, le chant d’un peuple debout

Au fond, ce film parle du Soudan, oui. Mais aussi de toutes les jeunesses qui, du Caire Ă  Kinshasa, d’Alger Ă  Bamako, rĂȘvent d’un ailleurs possible. Il parle de dignitĂ©, de mĂ©moire, de rĂ©volte. Il nous oblige Ă  regarder ce que le monde occidental prĂ©fĂšre oublier : que l’Afrique ne se rĂ©sume pas Ă  ses tragĂ©dies, mais qu’elle est aussi le théùtre d’une modernitĂ© politique profonde.

Et si Hind Meddeb nous invitait à faire plus que regarder ? Et si elle nous obligeait à écouter, à porter, à continuer le combat, caméra ou pancarte à la main ?

Julius Soubise, le prince noir de la haute société britannique

Esclave devenu icĂŽne de la haute sociĂ©tĂ© britannique, Julius Soubise incarne la complexitĂ© des trajectoires noires dans l’Europe du XVIIIe siĂšcle. Entre Ă©lĂ©gance, satire et scandale, retour sur une figure oubliĂ©e, flamboyante et dĂ©rangeante.

Julius Soubise : des chaßnes aux salons dorés

Julius Soubise, le prince noir de la haute société britannique

Vers 1754, dans les plantations sucriĂšres de Saint-Christophe (St. Kitts), dans les CaraĂŻbes britanniques, naĂźt Othello. Fils d’une femme esclave jamaĂŻcaine, il n’a ni droits, ni avenir tracĂ©. À l’ñge de dix ans, il est « acquis » par le capitaine de la Royal Navy Stair Douglas et expĂ©diĂ© en Angleterre. Son prĂ©nom rĂ©sonne alors comme un prĂ©sage shakespearien.

Mais Ă  Londres, un tournant inespĂ©rĂ© : Othello devient Julius Soubise, protĂ©gĂ© extravagant de la trĂšs influente Duchesse de Queensberry, Catherine Douglas. Cette derniĂšre le manumit, le rebaptise d’un nom français noble, et l’introduit dans les cercles les plus fermĂ©s de l’aristocratie britannique.

Dans l’Angleterre du XVIIIe siĂšcle, un homme noir libre, fin bretteur, cavalier Ă©mĂ©rite, habillĂ© de soie et de perruques poudrĂ©es, ne passe pas inaperçu. FormĂ© par Domenico Angelo, maĂźtre d’armes des tĂȘtes couronnĂ©es d’Europe, Soubise devient professeur d’équitation et d’escrime
 Ă  une duchesse. Et, dans les cercles aristocratiques, il se fait appeler : « le Prince noir« , ou parfois, « Prince Ana-Ana-maboe« .

Julius Soubise, le prince noir de la haute société britannique
Gravure de William Austin, « La duchesse de Queensberry et Soubise ».

Admis dans les clubs de l’élite londonienne, il incarne l’image dĂ©rangeante d’un homme noir trop visible, trop libre, trop raffinĂ©. Il devient aussi acteur, musicien, orateur, formĂ© par le cĂ©lĂšbre David Garrick. Soubise fascine, dĂ©range, amuse, inspire. Les caricaturistes s’en emparent. L’image du « Mungo Macaroni« , satire mordante mĂȘlant racisme et classisme, naĂźt.

En 1772, un dessin satirique publiĂ© par Matthew et Mary Darly le reprĂ©sente sous les traits de « Mungo« , valet noir grotesque issu d’une piĂšce d’opĂ©ra comique. Ce « Mungo Macaroni« , mĂ©lange de dandy et de domestique, fait rire Londres
 mais cache la peur sociale qu’incarne Soubise.

Julius Soubise, le prince noir de la haute société britannique
Représentation de Julius Soubise

Dans une sociĂ©tĂ© rigide, oĂč la hiĂ©rarchie raciale est encore le socle invisible de l’ordre Ă©tabli, Soubise dĂ©range car il transcende sa condition d’origine. Il n’est plus l’esclave obĂ©issant. Il est celui qui parle, rit, parade, dĂ©bat, danse et enseigne.

En 1777, l’ascension de Soubise s’interrompt brutalement. Il quitte Londres pour l’Inde. Officiellement pour fuir ses excĂšs. Officieusement, une rumeur enfle : une accusation d’agression sexuelle aurait provoquĂ© son exil. Deux jours aprĂšs son dĂ©part, la duchesse meurt.

À Calcutta, il fonde une Ă©cole d’escrime et d’équitation ouverte
 aux femmes comme aux hommes. Jusqu’à sa mort, survenue en 1798 Ă  la suite d’une chute de cheval, il tente de recrĂ©er un espace de noblesse noire, loin de l’Occident.

Julius Soubise n’a pas laissĂ© de livres, de manifeste, ni d’hĂ©ritiers politiques. Mais son image survit dans les gravures, les mĂ©moires et les rĂ©cits des abolitionnistes. Ignatius Sancho, esclave affranchi devenu Ă©crivain, lui adresse une lettre dans laquelle il l’exhorte Ă  ne pas gaspiller sa chance.

Julius Soubise, le prince noir de la haute société britannique

Ce que Soubise incarne est rare et prĂ©cieux : le droit d’ĂȘtre autre chose qu’un survivant. Il fut fĂȘtard, provocateur, dandy, sportif, artiste
 autant de rĂŽles refusĂ©s Ă  ses semblables. Sa vie n’est pas un conte. C’est une faille dans l’histoire : celle d’un homme noir qui, dans un monde d’hommes blancs, osa jouer avec leurs codes ; et parfois les surpasser.

Notes et références

  1. Miller, Monica L. Slaves to Fashion: Black Dandyism and the Styling of Black Diasporic Identity, Duke University Press, 2009.
  2. Carretta, Vincent. Unchained Voices: An Anthology of Black Authors in the English-Speaking World of the 18th Century, University Press of Kentucky, 2004.
  3. Gerzina, Gretchen Holbrook. Black London: Life Before Emancipation, Rutgers University Press, 1995.
  4. Rosenthal, Laura J. Infamous Commerce: Prostitution in Eighteenth-Century British Literature and Culture, Cornell University Press, 2006.
  5. Angelo, Henry. The Reminiscences of Henry Angelo, Ayer Publishing, 1972.
  6. Sancho, Ignatius. The Letters of the Late Ignatius Sancho, an African, Penguin Classics, édition annotée par Vincent Carretta, 1998.
  7. Innes, Catherine Lynette. A History of Black and Asian Writing in Britain, 1700–2000, Cambridge University Press, 2002.
  8. Ogborn, Miles. Spaces of Modernity: London’s Geographies 1680–1780, Guilford Press, 1998.
  9. British Museum, A Mungo Macaroni, caricature par Matthew et Mary Darly (1772), consultée via BritishMuseum.org.
  10. Oxford Dictionary of National Biography, notice « Soubise, Julius », par Vincent Carretta (édition en ligne, 2004).
  11. Yale Center for British Art, The Duchess of Queensberry fencing with her protégé, 1773, William Austin, interactive.britishart.yale.edu.
  12. National Archives UK, « Black Presence: Asian and Black History in Britain », consulté le 17 janvier 2007.

Harriet Tubman, pionniĂšre des droits civiques avant les droits civiques

0

NĂ©e esclave vers 1820 dans le Maryland, Harriet Tubman devient l’un des visages les plus puissants de la lutte pour la libertĂ©. StratĂšge de l’Underground Railroad, libĂ©ratrice de plus de 300 esclaves, espionne pendant la guerre de SĂ©cession, militante infatigable pour la justice sociale, elle traverse le XIXe siĂšcle comme une flamme vivante. Sans discours, sans titres, mais avec la foi, le courage et la rage de ne jamais laisser les siens derriĂšre.

Naissance d’une fille de la terre et du feu

Harriet Tubman, pionniĂšre des droits civiques avant les droits civiques

Elle ne naĂźt pas dans la clartĂ© d’une date prĂ©cise. Elle ne naĂźt pas dans un lit, ni sous un toit. Araminta Ross, surnommĂ©e Minty, voit le jour dans l’anonymat du vent, quelque part vers 1820, dans les marĂ©cages Ă©touffĂ©s du comtĂ© de Dorchester, dans le Maryland. Pas de certificat, pas de registres. Juste une naissance sous silence. Un souffle de plus dans une plantation qui en contenait trop.

Ses parents, Benjamin Ross et Harriet Green, sont esclaves. Leurs bras nourrissent la richesse d’autres. Leurs enfants ne leur appartiennent pas. Le ventre d’Harriet ne portait pas la promesse d’un avenir, mais la menace d’un inventaire humain. Dans ce monde inversĂ©, chaque cri de nourrisson sonnait comme un futur Ă  enchaĂźner.

Minty est l’une des plus jeunes de cette fratrie broyĂ©e par la loi du coton et du fouet. DĂšs l’ñge de sept ans, on la loue comme on louerait un outil. Elle est envoyĂ©e chez des maĂźtres plus durs encore, oĂč elle nettoie, rĂ©cure, endure. Elle n’a pas encore de mots pour la douleur, mais dĂ©jĂ  elle en connaĂźt les chemins.

À douze ans, elle connaĂźt sa premiĂšre rĂ©volte. Elle tente d’intervenir quand un surveillant poursuit un autre esclave. Il lui jette un poids de fonte Ă  la tĂȘte. Le projectile n’était pas pour elle. La blessure, si. Le crĂąne fracturĂ©. Le sang. Les jours de dĂ©lire. Le corps tremblant qui ne guĂ©rit jamais vraiment. À partir de ce jour, Minty n’est plus tout Ă  fait de ce monde : elle entre et sort de la conscience. Elle tombe, se relĂšve. Elle voit des choses que les autres ne voient pas.

Harriet Tubman, pionniĂšre des droits civiques avant les droits civiques

Mais cette fracture ouvre autre chose : une voix intĂ©rieure. Des visions. Des songes. Des appels. Minty dit que Dieu commence Ă  lui parler. Pas le Dieu des maĂźtres blancs, mais un Dieu du feu et de la dĂ©livrance. Un Dieu noir. Un Dieu libre.

Les autres la croient atteinte. Elle, elle se croit Ă©lue.

Elle ne sait pas encore que cette douleur, cette lumiĂšre Ă©trange dans la tĂȘte, ce sera son Ă©toile. Sa blessure devient oracle. Et dans le silence des nuits du Sud, alors que les autres dorment d’épuisement, elle commence Ă  rĂȘver de chemins cachĂ©s, de bois humides, de mains qu’on saisit et qu’on tire vers la fuite.

Elle n’a encore rien accompli. Mais dĂ©jĂ , elle a tout compris : sa vie ne sera pas vĂ©cue pour elle seule. Elle ne naĂźt pas seulement esclave. Elle naĂźt porteuse d’une autre vie. D’un peuple en marche.

Et dans l’ombre du Maryland, une Ă©toile noire commence Ă  se lever.

L’évasion comme naissance

Harriet Tubman, pionniĂšre des droits civiques avant les droits civiques

À vingt-cinq ans, elle change de nom comme on choisit un destin. Elle devient Harriet, en hommage Ă  sa mĂšre, celle qui l’a portĂ©e dans la douleur et la soumission, et Tubman, nom de son mari, John, un homme libre qui pourtant refusera de la suivre. Ce n’est pas un mariage qui la lie Ă  lui, mais le vent de l’appel, l’évidence d’un dĂ©part.

Elle apprend qu’on veut la vendre, comme on vend un cheval ou une charrue. Le corps mis aux enchĂšres, les liens tranchĂ©s par le bruit d’un marteau. Harriet refuse ce sort. Elle ne demande pas la libertĂ©. Elle la prend. Une nuit, sans adieux, sans bagages, elle s’enfonce dans l’obscuritĂ© du Sud, guidĂ©e seulement par les Ă©toiles et les psaumes qu’elle chante en silence.

Harriet Tubman, pionniĂšre des droits civiques avant les droits civiques
Les routes empruntées par le chemin de fer clandestin.

Elle ne sait pas lire une carte, mais elle lit le ciel. Elle n’a pas d’armes, mais elle porte en elle un feu ancien, plus tranchant qu’une lame. Elle suit les chemins invisibles de l’Underground Railroad, cette toile clandestine tissĂ©e par des mains noires et blanches, par la peur, l’espoir et la solidaritĂ©. Des quakers, des abolitionnistes, des anonymes la guident d’une cache Ă  l’autre. Parfois elle est cachĂ©e dans une charrette, parfois sous une couverture, parfois Ă  genoux dans les bois glacĂ©s.

Harriet Tubman, pionniĂšre des droits civiques avant les droits civiques
The Underground Railroad, tableau de Charles T. Webber.

La Pennsylvanie, oĂč elle arrive enfin, est une respiration. Le sol n’y juge pas, le vent n’y insulte pas. Elle est libre. LĂ©galement. Spirituellement. Mais la libertĂ© solitaire n’a pas de goĂ»t. Elle regarde autour d’elle et ne voit pas ses frĂšres, ses sƓurs, sa mĂšre, son peuple.

Alors elle décide de revenir.

Et lĂ  commence sa vraie naissance : non pas comme esclave Ă©chappĂ©e, mais comme libĂ©ratrice.

Elle traverse les frontiĂšres dix-neuf fois, comme on brave la mort Ă  mains nues. Chaque retour est une gifle Ă  l’ordre Ă©tabli. Chaque dĂ©part est une promesse tenue. Elle revient chercher les autres. Pas par devoir. Par amour. Un amour qui n’a rien de doux ni de docile. Un amour rude, courageux, incandescent. L’amour d’une femme qui refuse de vivre libre dans un monde oĂč les siens restent enchaĂźnĂ©s.

Elle ramĂšne des enfants dans ses bras, des vieillards sur son dos, des familles entiĂšres qui tremblent, qui espĂšrent, qui n’osent pas encore croire. Elle devient une rumeur, une ombre insaisissable. Les chasseurs d’esclaves la cherchent. Les esclaves prient pour qu’elle vienne.

Elle ne laisse pas de traces. Elle laisse des silences brisĂ©s. Elle laisse des cris qui respirent. Elle laisse des existences arrachĂ©es Ă  la nuit.

Et chaque voyage, chaque pas dans la boue, chaque main tendue, ajoute une Ă©toile Ă  son nom. Harriet Tubman ne se contente plus d’ĂȘtre libre. Elle est devenue le passage lui-mĂȘme. Une arche. Un souffle. Un mythe vivant.

« Vous serez libres, ou morts« 

Harriet Tubman, pionniĂšre des droits civiques avant les droits civiques

On l’imagine souvent avec un chĂąle sur les Ă©paules et une Bible en main. Mais Harriet Tubman est plus proche d’une commandante de guerre que d’une sainte. Elle n’attend pas que le ciel tombe. Elle agit. Elle anticipe. Elle frappe vite. Silencieusement. Et toujours avec une prĂ©cision implacable.

Chaque expĂ©dition est une opĂ©ration militaire. Elle ne part jamais sans plan. Elle connaĂźt les sentiers, les cachettes, les saisons. Elle sait que les journaux des planteurs ne publient pas d’avis de recherche le dimanche. Alors elle commence toujours le samedi, comme une premiĂšre note dans une fugue vers le Nord. Elle prend de l’avance. Elle joue avec le temps, elle tord le calendrier Ă  son avantage.

Quand des bĂ©bĂ©s pleurent, elle sort des herbes Ă©crasĂ©es, des racines rĂ©duites en poudre, des prĂ©parations rudimentaires pour les faire dormir. Pas pour les calmer. Pour les sauver. Un cri d’enfant peut briser toute une caravane d’espoir.

Et quand un adulte doute, quand les jambes tremblent, quand la peur veut rebrousser chemin, Harriet lĂšve son revolver. Sans trembler. Elle regarde dans les yeux celui qui hĂ©site, celui qui pense pouvoir revenir en arriĂšre, dĂ©noncer les autres pour sauver sa peau.

Elle ne discute pas. Elle annonce :

« Tu avanceras. Ou tu mourras. Mais tu ne les entraßneras pas dans ta chute. »

C’est cette dĂ©termination qui la rend invincible. Cette clartĂ©. Pas de demi-libertĂ©. Pas de retour. Pas d’arrangement avec la peur. On franchit le fleuve ou on y laisse sa vie. Et avec elle, on choisit. Une fois pour toutes.

Harriet n’échoue pas. Jamais. Pas un seul de ses passagers ne sera repris. Elle sauve plus de 300 vies. Des enfants, des vieillards, des couples, des femmes enceintes. Chacun d’eux une Ă©toile qu’elle ravit Ă  la nuit.

Les maĂźtres blancs, humiliĂ©s, offrent 40 000 dollars pour sa capture. Une somme colossale. Mais Harriet est introuvable. Elle est un souffle entre les branches, un bruissement dans le maĂŻs, une lueur dans l’obscuritĂ©. Elle disparaĂźt. Elle surgit. On croit l’avoir cernĂ©e, elle est dĂ©jĂ  ailleurs.

Pour les chasseurs d’esclaves, elle devient une rumeur, une obsession, une Ă©nigme. Pour les esclaves, elle est plus qu’une femme. Elle est la preuve vivante que l’impossible peut ĂȘtre traversĂ©. Qu’une femme noire, sans Ă©ducation, sans armĂ©e, sans chevaux ni Ă©pĂ©es, peut faire plier un empire. Non pas en frappant. En libĂ©rant.

Et derriĂšre elle, les chaĂźnes tombent comme la pluie.

MoĂŻse en robe de coton

Harriet Tubman, pionniĂšre des droits civiques avant les droits civiques

Les esclaves l’appellent MoĂŻse, non parce qu’elle rĂ©clame un titre, mais parce qu’elle fait traverser la mer d’ombre et de fouet. Elle ne divise pas les eaux d’un bĂąton. Elle fend les marais, les forĂȘts, les silences. Elle n’a ni tables de la loi, ni couronne de feu : seulement une robe de coton rĂąpĂ©, des bras fatiguĂ©s, une volontĂ© que rien ne plie.

Elle n’écrit pas. Elle ne signe ni tracts, ni manifestes. Son nom ne s’imprime pas dans les journaux abolitionnistes. Elle n’a pas la parole des hommes instruits, mais elle a le pas du prophĂšte. Celui qui avance, qui conduit, qui ne se retourne jamais.

Les figures les plus Ă©minentes de l’AmĂ©rique noire la reconnaissent. Frederick Douglass, lui-mĂȘme Ă©vadĂ©, Ă©crivain, orateur redoutable, l’admire en silence :

« Toi, Harriet, tu ne parles pas dans les salons. Tu sauves les tiens. »

John Brown, le rĂ©volutionnaire blanc qui mourra pendu pour avoir armĂ© des esclaves, dira d’elle :

« Elle est l’un des ĂȘtres les plus courageux que l’AmĂ©rique ait portĂ©s. »

Et pourtant, elle ne rĂ©clame ni statue, ni salaire. Elle dort lĂ  oĂč on l’accueille. Elle mange ce qu’on lui donne. Quand elle ne marche pas, elle soigne. Elle chante. Elle prie. Et quand les plaies sont trop grandes, elle pose la main.

Dans les rĂ©unions abolitionnistes, elle ne parle pas comme une intellectuelle, mais comme celle qui a vu les chaĂźnes de prĂšs, qui les a brisĂ©es, qui en porte encore les traces sur la peau. Son autoritĂ© n’est pas thĂ©orique. Elle est charnelle. Spirituelle. IncarnĂ©e.

Elle ne dit pas « je crois », elle dit Â« je sais ».

Elle sait ce que coĂ»te la libertĂ©. Elle sait ce que vaut une vie arrachĂ©e Ă  l’enfer. Elle sait qu’on ne mĂšne pas les siens par des idĂ©es, mais par des actes. Des pieds nus dans la boue. Une main tendue dans le noir. Un souffle qui dit : suis-moi.

Et ils la suivent.

Parce qu’elle ne promet pas. Elle dĂ©livre.

Parce qu’elle n’imagine pas. Elle agit.

Parce qu’elle n’est pas nĂ©e pour ĂȘtre un symbole, mais une route. Une arche vivante.

Et si l’Histoire ne l’avait pas surnommĂ©e MoĂŻse, elle aurait fini par lui voler son nom.

Une femme de guerre, une femme d’avenir

Harriet Tubman, pionniĂšre des droits civiques avant les droits civiques

Quand la guerre civile Ă©clate, Harriet Tubman ne reste pas Ă  l’arriĂšre. Elle ne regarde pas les batailles Ă  travers les rideaux d’une maison du Nord, mains jointes dans la priĂšre, cƓur au repos. Elle enfile un uniforme de fortune, sans grade ni solde, et entre dans l’Histoire comme elle a toujours vĂ©cu : en avançant.

Elle est infirmiĂšre, lavant les plaies gangrenĂ©es des soldats noirs que d’autres refusaient de soigner. Elle est cuisiniĂšre, nourrissant les affamĂ©s, rassemblant les corps et les esprits. Elle est surtout espionne, glissant Ă  travers les lignes confĂ©dĂ©rĂ©es comme un vent qu’on ne sent que trop tard. Elle dĂ©chiffre les silences, interroge les esclaves, recense les fortifications. Elle transmet des informations prĂ©cieuses Ă  l’armĂ©e de l’Union.

Et puis, il y a le raid de Combahee River, en Caroline du Sud. 1863. Tubman le planifie avec les officiers. Elle guide les troupes le long du fleuve comme elle l’a fait tant de fois pour les siens. RĂ©sultat : trois bateaux nordistes, des plantations incendiĂ©es, et plus de 700 esclaves libĂ©rĂ©s en une nuit. Un exploit. Une premiĂšre. La premiĂšre femme noire Ă  diriger une opĂ©ration militaire dans l’histoire des États-Unis.

Mais la guerre n’est qu’un chapitre. Elle sait que la paix, elle aussi, demande des combattants.

Elle retourne Ă  Auburn, dans l’État de New York. Elle Ă©pouse Nelson Davis, un ancien soldat, bien plus jeune qu’elle. Pas un mariage de contes, mais un pacte de vie. Ensemble, ils ouvrent un refuge pour les pauvres, les anciens, les oubliĂ©s. Elle y travaille jusqu’à l’épuisement. Elle console, elle Ă©coute, elle lave les corps, elle apaise les derniers jours.

Elle milite aussi. Pour les femmes. Pour le droit de vote. Elle prend la parole dans les rĂ©unions suffragistes, se tenant droite, modeste, mais inĂ©branlable. Quand elle parle, ce ne sont pas des mots qu’on entend : ce sont des siĂšcles d’effacement qu’on voit se redresser.

Elle aurait pu Ă©crire ses mĂ©moires, collecter les rĂ©compenses, vivre dans l’hommage. Elle ne le fera jamais. Elle ne rĂ©clame pas la lumiĂšre. Elle rĂ©clame la justice. Pas pour elle, mais pour tous ceux qui viendront aprĂšs.

Elle n’a jamais demandĂ© Ă  ĂȘtre une hĂ©roĂŻne. Elle a choisi d’ĂȘtre utile. De son vivant, on l’a souvent oubliĂ©e. On a payĂ© d’autres, dĂ©corĂ© d’autres. Mais elle, elle a bĂąti l’avenir.

Non pas en or. En courage, en labeur, en amour.

Et cet avenir porte encore son empreinte ; dans chaque femme noire debout, dans chaque combat pour la dignitĂ©, dans chaque rĂȘve d’égalitĂ© qu’on ose encore croire possible.

1913 : la traversée finale

Harriet Tubman, pionniĂšre des droits civiques avant les droits civiques

Elle s’éteint en mars 1913, dans un modeste foyer qu’elle avait elle-mĂȘme bĂąti, non pour y mourir, mais pour y accueillir les Ăąmes brisĂ©es par l’histoire. À Auburn, dans l’État de New York, Harriet Tubman quitte le monde comme elle l’a traversĂ© : discrĂštement, debout dans sa foi, entourĂ©e de ceux que la sociĂ©tĂ© avait jetĂ©s aux marges.

Elle est vieille. Elle est malade. Elle est pauvre. Mais elle est riche de chaque vie qu’elle a touchĂ©e. Riche d’avoir libĂ©rĂ© sans compter, d’avoir soignĂ© sans relĂąche, d’avoir aimĂ© sans peur. Elle meurt sans titre officiel, sans cĂ©rĂ©monie d’État. L’AmĂ©rique ne sait pas encore qu’elle vient de perdre une souveraine.

Ses derniers mots sont une promesse :

« Je pars préparer une place pour vous. »

Pas une phrase d’adieu. Une phrase de passeur. Encore. Toujours. Car mĂȘme dans la mort, elle n’envisage pas le repos sans penser aux autres.

Elle ne laisse ni fortune, ni fondation. Pas de grands discours, pas de statue en bronze Ă©rigĂ©e de son vivant. Mais elle laisse une trace. Une empreinte plus profonde que le marbre.

Elle laisse un nom qui brĂ»le encore. Harriet Tubman. Un nom qui fend le silence. Un nom que les enfants apprennent Ă  l’école, que les militants brandissent dans les rues, que les artistes inscrivent dans leurs chansons, leurs toiles, leurs vers.

Son visage, jadis effacĂ© des registres, commence Ă  rĂ©apparaĂźtre partout : sur les murs des Ă©coles, dans les livres d’histoire, et bientĂŽt (comme un symbole Ă©clatant) sur les billets de vingt dollars, lĂ  oĂč trĂŽnait jadis le portrait d’un prĂ©sident esclavagiste.

Mais au-delĂ  des images, c’est son souffle qui demeure. Un souffle de marche, de feu, de dignitĂ©. Il traverse les luttes contre le racisme systĂ©mique, le patriarcat, l’exploitation, l’amnĂ©sie. Il habite les pas de celles et ceux qui refusent l’injustice. Il murmure dans les cortĂšges, dans les priĂšres, dans les rĂȘves encore inachevĂ©s.

Harriet Tubman est morte. Mais elle est lĂ , dans chaque main tendue vers l’autre rive.
Elle est lĂ , Ă  chaque fois qu’une voix se lĂšve pour dire non.
Elle est lĂ , Ă  chaque fois qu’un peuple marche sans se retourner.

Elle n’a pas Ă©tĂ© une femme du passĂ©.
Elle est une femme de la traversĂ©e.
Et nous vivons, encore aujourd’hui, dans son sillage.

Notes et références

  1. Larson, Kate Clifford. Bound for the Promised Land: Harriet Tubman, Portrait of an American Hero, Ballantine Books, 2004.
  2. Clinton, Catherine. Harriet Tubman: The Road to Freedom, Back Bay Books, 2005.
  3. Still, William. The Underground Railroad, 1872.
  4. National Park Service – U.S. Department of the Interior. Harriet Tubman Underground Railroad National Historical Park.
  5. Library of Congress. Harriet Tubman Papers.
  6. Dunbar, Erica Armstrong. She Came to Slay: The Life and Times of Harriet Tubman, 37 Ink, 2019.
  7. New York Times – Overlooked No More: Harriet Tubman.
  8. Documentaire : Harriet Tubman: Visions of Freedom, PBS / American Experience, réalisé par Stanley Nelson, 2022.
  9. BlackPast.org – Tubman, Harriet (c. 1820-1913)
  10. National Women’s History Museum. Harriet Tubman Biography.

Prince, ou l’insolence du gĂ©nie libre

0

IcĂŽne flamboyante de la musique et guerrier de l’indĂ©pendance artistique, Prince s’est Ă©teint le 21 avril 2016, mais son Ɠuvre brĂ»le encore. De Minneapolis Ă  Paisley Park, il a redĂ©fini les rĂšgles du son, du genre et du pouvoir. Retour sur la trajectoire fulgurante d’un gĂ©nie insaisissable, entre rĂ©bellion, mystique et rĂ©volution musicale.

Naissance d’un prodige

Prince, ou l’insolence du gĂ©nie libre

Le 7 juin 1958, dans un quartier modeste de Minneapolis, naĂźt un enfant qui ne sera jamais Ă  l’aise dans les marges qu’on assigne aux autres. Prince Rogers Nelson, fruit d’un croisement entre le swing rugueux du jazz et la ferveur douce du gospel, grandit dans un foyer oĂč la musique n’est pas un luxe mais une respiration.

Son pĂšre, John L. Nelson, est un pianiste de jazz exigeant, homme de rigueur et de silences lourds. Il compose sous le nom de Prince Rogers, pseudonyme qu’il transmettra Ă  son fils comme une sorte de prĂ©diction muette. Sa mĂšre, Mattie Della Shaw, est chanteuse dans un groupe de rhythm and blues, douce et magnĂ©tique, mais tĂŽt sĂ©parĂ©e du pĂšre. L’enfant grandit entre deux mondes, deux frĂ©quences, deux vibrations ; et il apprend Ă  les faire dialoguer.

La maison familiale est souvent tendue, parfois Ă©clatĂ©e. Mais Prince y trouve un sanctuaire : le piano. À l’ñge de sept ans, il compose dĂ©jĂ  ses propres morceaux. Il ne joue pas, il incante. Il ne rĂ©pĂšte pas, il traduit. Sa capacitĂ© Ă  absorber et Ă  recomposer ce qu’il entend dĂ©passe l’apprentissage ; c’est une possession.

DĂšs l’enfance, il maĂźtrise la guitare, la basse, la batterie, les claviers. Il n’apprend pas les instruments : il les habite. Et trĂšs tĂŽt, il se sait diffĂ©rent. Pas seulement douĂ©. Autre. Étrangement en avance. Son corps est frĂȘle, sa voix haut perchĂ©e, son attitude dĂ©jĂ  androgyne. On se moque. Il se renferme. Mais sa solitude devient puissance.

À l’école, il est marginal. Mais dans les studios de Minneapolis, il est un prodige silencieux, un diamant brut que quelques producteurs commencent Ă  remarquer. Il passe d’un groupe adolescent, Grand Central, Ă  des dĂ©mos plus complexes. Il veut tout faire lui-mĂȘme. Il exige. Il compose, arrange, produit. À 19 ans, il signe un contrat chez Warner Bros. ; avec une condition inĂ©dite pour un jeune inconnu : contrĂŽle total sur sa musique.

Car dĂšs les dĂ©buts, Prince refuse l’idĂ©e d’ĂȘtre « encadrĂ© ». Il ne veut pas seulement faire carriĂšre. Il veut tracer une mythologie. Être le maĂźtre absolu de son son, de son corps, de son rĂ©cit. Il n’a pas encore chantĂ© une note en public qu’il se bat dĂ©jĂ  pour son autonomie artistique.

La naissance de Prince, ce n’est pas celle d’un chanteur, ni mĂȘme d’un musicien. C’est l’apparition d’un monde intĂ©rieur, flamboyant, dense, dĂ©rangeant. Un monde oĂč les genres ne sont pas des frontiĂšres mais des matiĂšres Ă  fusionner. Un monde oĂč Minneapolis devient le centre d’un empire sonore. Un monde oĂč un garçon noir, fluet, secret, transforme sa vulnĂ©rabilitĂ© en force crĂ©atrice.

Le prodige est nĂ©. Mais ce qu’il prĂ©pare, ce n’est pas une carriĂšre : c’est une rĂ©volution esthĂ©tique.

L’ascension vers la gloire

Prince, ou l’insolence du gĂ©nie libre

En 1978, Ă  tout juste 20 ans, Prince entre dans l’histoire par effraction. Son premier album, For You, est une dĂ©claration d’indĂ©pendance autant qu’un manifeste artistique. À lui seul, il Ă©crit, compose, arrange, produit et joue chacun des 27 instruments entendus sur le disque. Une prouesse technique, mais surtout une affirmation : personne ne parlera Ă  sa place.

Le jeune homme n’est pas encore une star, mais il est dĂ©jĂ  une Ă©nigme. Sur la pochette, son regard fixe, insolent, semble dĂ©fier l’industrie. Son style dĂ©range. Sa voix, androgyne, susurre et gronde Ă  la fois. Sa musique glisse entre les genres comme une comĂšte insaisissable. Funk, soul, pop, rock : il ne choisit pas. Il les fusionne. Il les transcende.

Mais c’est en 1982, avec l’album 1999, que le monde commence Ă  vraiment l’écouter. Le disque est un feu d’artifice Ă©lectronique. Les boĂźtes Ă  rythmes, les synthĂ©tiseurs brillent comme des nĂ©ons dans la nuit de la guerre froide. Le titre 1999, hymne d’une fin du monde dansante, devient un tube planĂ©taire. Little Red Corvette s’impose comme l’un des premiers morceaux d’un artiste noir Ă  recevoir une diffusion massive sur MTV. Prince fracture les murs raciaux du show-business.

Et puis vient 1984. Purple Rain. L’album. Le film. Le mythe.

Purple Rain n’est pas qu’un succĂšs. C’est un sĂ©isme culturel. DĂšs sa sortie, l’album pulvĂ©rise les classements. Il reste 24 semaines en tĂȘte du Billboard. Le film, semi-autobiographique, met en scĂšne un artiste tourmentĂ© dans une ville pluvieuse, tiraillĂ© entre la lumiĂšre et l’ombre, entre le gĂ©nie et la chute. Prince y incarne The Kid, double fictionnel de lui-mĂȘme. Il y joue, chante, saigne. Il n’interprĂšte pas un rĂŽle. Il incarne un cri.

Le public est fascinĂ©. DĂ©concertĂ©. EnvoĂ»tĂ©. La scĂšne finale, oĂč il interprĂšte le morceau Purple Rain, est un moment de grĂące rare dans l’histoire du cinĂ©ma musical. Une sorte de communion entre l’extase spirituelle et l’urgence charnelle. Le gospel rencontre le rock. La douleur devient transfiguration.

Prince, ou l’insolence du gĂ©nie libre

Avec Purple Rain, Prince n’est plus un prodige excentrique. Il devient une icĂŽne planĂ©taire, un sex-symbol androgyne, un prophĂšte pop qui redĂ©finit les normes du masculin, du noir, du succĂšs. Il habite la scĂšne comme un terrain sacrĂ©. Il sĂ©duit sans concession, vĂȘtu de dentelle, de cuir, d’ambiguĂŻtĂ©. Il choque l’AmĂ©rique puritaine, mais la conquiert malgrĂ© elle.

Et pourtant, derriĂšre la gloire, il reste insaisissable. LĂ  oĂč d’autres auraient consolidĂ© leur image, Prince dĂ©joue toutes les attentes. AprĂšs Purple Rain, il aurait pu se reposer. Il choisit l’expĂ©rimentation. Il devient encore plus radical. Il comprend que la cĂ©lĂ©britĂ© n’est pas une fin, mais un champ de bataille.

Car pour Prince, la gloire n’est jamais une cage dorĂ©e. C’est une scĂšne de guerre intĂ©rieure. Il ne veut pas ĂȘtre adorĂ© : il veut ĂȘtre libre.

Purple Rain n’est pas le sommet de sa carriĂšre. C’est le tremplin vers une Ɠuvre encore plus dense, plus complexe, plus libre.

Mais en 1984, une chose est sĂ»re : le monde entier sait enfin ce que Minneapolis avait toujours su. Un gĂ©nie Ă©tait nĂ©. Et il n’allait jamais se contenter d’un trĂŽne ; il allait faire trembler les murs du palais.

L’artiste en quĂȘte de libertĂ©

Prince, ou l’insolence du gĂ©nie libre

La gloire, Prince l’a atteinte. Mais il ne tarde pas Ă  comprendre que la cĂ©lĂ©britĂ© sans contrĂŽle n’est qu’une autre forme d’esclavage. DĂšs les annĂ©es 1990, alors au sommet de sa carriĂšre, il entre en conflit ouvert avec sa maison de disques, Warner Bros. L’objet du litige : le droit Ă  la propriĂ©tĂ© de sa musique. Il enregistre, compose, crĂ©e Ă  un rythme effrĂ©nĂ© ; mais l’industrie veut ralentir le tempo, contrĂŽler les sorties, exploiter le filon.

Prince, lui, ne veut pas ĂȘtre un produit. Il veut ĂȘtre un monde. Il refuse que son art soit conditionnĂ© par la logique du profit. Alors il opte pour un geste radical, théùtral, hautement symbolique : il abandonne son nom. En 1993, il devient Love Symbol ; une combinaison alchimique entre le sexe masculin et fĂ©minin, entre la note et le cri, entre l’identitĂ© et le mystĂšre. Un glyphe imprononçable que les journalistes appellent, par dĂ©faut, The Artist Formerly Known As Prince.

Prince, ou l’insolence du gĂ©nie libre

Plus qu’un coup marketing, c’est une guerre sainte.

Il se peint le mot â€œslave” sur la joue. Il refuse de prononcer son propre nom tant qu’il sera liĂ© Ă  Warner. Il enchaĂźne les projets, parfois publiĂ©s de façon chaotique, mais toujours habitĂ©s par cette obsession : reconquĂ©rir sa souverainetĂ©. Ce combat, menĂ© en solitaire contre l’une des plus puissantes majors, inspirera des gĂ©nĂ©rations d’artistes Ă  revendiquer la maĂźtrise de leurs masters, Ă  refuser les chaĂźnes dorĂ©es de l’industrie.

Dans ce sillage, il fonde Paisley Park Records, son propre label. Mieux encore : il construit Paisley Park, un complexe artistique utopique aux abords de Minneapolis ; studio, salle de concert, laboratoire crĂ©atif. Un royaume pour artiste libre. Un lieu hors du temps oĂč la crĂ©ation n’a ni clĂŽture, ni compromis.

Prince ne veut pas seulement faire de la musique. Il veut redĂ©finir ce que signifie ĂȘtre un artiste noir, libre et maĂźtre de son destin. Sa lutte dĂ©passe le contrat. Elle parle d’hĂ©ritage. De mĂ©moire. D’un peuple qui a trop souvent Ă©tĂ© spoliĂ© de sa voix.

Une discographie prolifique

Prince, ou l’insolence du gĂ©nie libre

Dans un monde oĂč les artistes comptent en singles, Prince construit une Ɠuvre-monde, dense, labyrinthique, rĂ©solument inclassable. Plus de 40 albums studio, des centaines de chansons inĂ©dites, des coffres entiers de maquettes et de lives jamais publiĂ©s ; son gĂ©nie ne connaĂźt ni pause, ni fatigue.

Mais ce n’est pas la quantitĂ© qui impressionne. C’est l’ampleur. La diversitĂ©. La profondeur.

En 1987, il offre au monde Sign o’ the Times. Un double album considĂ©rĂ© par beaucoup comme son chef-d’Ɠuvre absolu. LĂ , il mĂȘle funk politique, ballades hantĂ©es, gospel incandescent, et expĂ©rimentations Ă©lectroniques. Le titre Ă©ponyme, Sign o’ the Times, est une radiographie du monde moderne : sida, guerre nuclĂ©aire, dĂ©sespoir urbain. Prince y devient chroniqueur des dĂ©sastres, prophĂšte des fractures, mais toujours habitĂ© par une foi dans la beautĂ©.

Il ne se contente pas d’amuser. Il interroge. Il bouscule. Il panse.

Dans les annĂ©es 2000, alors que l’industrie musicale chancelle, il sort The Rainbow Children (2001). Un album spirituel, presque mystique. Peu commercial, difficile d’accĂšs, mais d’une intensitĂ© rare. Il y explore sa foi, sa vision de l’amour, ses rĂ©flexions sur la race et le pouvoir. L’album sonne comme une messe funk, oĂč chaque morceau est une priĂšre codĂ©e, un appel Ă  l’éveil.

Prince, ou l’insolence du gĂ©nie libre

Prince traverse les styles comme un alchimiste. Il Ă©pouse le rock psychĂ©dĂ©lique, flirte avec le jazz fusion, rend hommage au gospel de son enfance, tout en gardant l’épine dorsale de son art : le funk, cette matiĂšre vivante, moite, organique, qu’il rĂ©invente Ă  chaque album.

MĂȘme ses projets moins connus (Come, Chaos and Disorder, Love sexy, Art Official Age) portent sa signature : un refus obstinĂ© de se rĂ©pĂ©ter, une volontĂ© d’explorer l’inconfort, d’expĂ©rimenter dans l’ombre.

Prince n’était pas lĂ  pour livrer ce qu’on attendait de lui. Il Ă©tait lĂ  pour crĂ©er ce que personne n’avait osĂ© entendre encore. Il Ă©tait l’artiste de l’excĂšs, du dĂ©bordement, du risque. Son Ɠuvre ne se consomme pas : elle se traverse, comme un labyrinthe incandescent, oĂč chaque dĂ©tour cache une rĂ©vĂ©lation.

Et Ă  chaque note, une certitude demeure : Prince ne voulait pas qu’on l’adore. Il voulait qu’on l’écoute.

Le 21 avril 2016, Prince s’Ă©teint Ă  l’Ăąge de 57 ans, laissant derriĂšre lui un hĂ©ritage musical immense. Son influence perdure Ă  travers les gĂ©nĂ©rations, inspirant des artistes comme BeyoncĂ©, The Weeknd et Janelle MonĂĄe. Son combat pour les droits des artistes et sa vision avant-gardiste de la musique continuent de rĂ©sonner dans l’industrie actuelle.​

Notes et références

  1. NĂ©crologie – The Guardian, Prince: Musician found dead at 57 at Paisley Park estate, 21 avril 2016.
  2. Interview – Rolling Stone Magazine, The High Priest of Pop: Prince Talks Power and Music, 1985.
  3. Autobiographie inachevée : The Beautiful Ones, Prince et Dan Piepenbring, éditions Random House, 2019.
  4. Documentaire ARTE : Prince: le génie du funk, réalisé par Oliver Schwabe, 2022.
  5. New York Times Archives, Prince’s Reign of Style and Sound, dossier spĂ©cial publiĂ© en avril 2016.
  6. Discographie officielle : site princeestate.com, consulté en avril 2025.
  7. Biographie critique : Let’s Go Crazy: Prince and the Making of Purple Rain, Alan Light, Atria Books, 2014.
  8. Analyse universitaire : Sign o’ the Times and the Sonic Politics of Black America, Cambridge University Press, revue Popular Music, 2012.
  9. TĂ©moignage – Sheila E., The Beat of My Own Drum, Harper Collins, 2014.
  10. DĂ©claration d’archives – Warner Bros. Records, Prince name change and contract dispute, archives 1993–1996.

Nina Simone : la voix noire qui a dĂ©fiĂ© l’AmĂ©rique blanche

0

IcĂŽne du jazz et prĂȘtresse du combat noir, Nina Simone s’est Ă©teinte un 21 avril, laissant derriĂšre elle une voix devenue glaive contre l’injustice. Entre musique sacrĂ©e et colĂšre politique, retour sur une vie brĂ»lante, indomptable, inoubliable.

Tryon, Caroline du Nord ; LĂ  oĂč naĂźt la rĂ©volte

Avant d’ĂȘtre Nina, elle Ă©tait Eunice. Eunice Kathleen Waymon, nĂ©e un 21 fĂ©vrier 1933 dans la petite ville de Tryon, au pied des Appalaches, dans un Sud Ă©tasunien qui dissimule Ă  peine sa violence sous une couche de courtoisie sĂ©grĂ©gationniste. Tryon, c’est une bourgade tranquille, de celles oĂč les Noirs nettoient les maisons des Blancs pendant que les enfants chantent le dimanche Ă  l’église. Un coin d’AmĂ©rique rurale oĂč le racisme est une habitude, pas un scandale.

Eunice est la sixiĂšme d’une fratrie de huit enfants, issue d’une famille pauvre mais digne, guidĂ©e par une mĂšre prĂ©dicatrice mĂ©thodiste et un pĂšre artiste ratĂ© devenu teinturier. Leur vie est rythmĂ©e par les sermons du dimanche, les dĂźners modestes et les espoirs suspendus Ă  la grĂące divine. C’est dans ce contexte que la petite Eunice dĂ©couvre le piano. À trois ans, elle monte seule sur le tabouret, Ă©coute, reproduit. À cinq, elle joue Bach comme on respire. À huit, elle est dĂ©jĂ  trop grande pour Tryon.

Mais le talent ne suffit pas quand la peau pĂšse. Eunice veut devenir la premiĂšre pianiste classique noire d’AmĂ©rique. Un rĂȘve pur, immense, mais dĂ©jĂ  fissurĂ© par la rĂ©alitĂ©. L’église devient son conservatoire improvisĂ©. Elle s’y entraĂźne, s’y forge, y affine un don qui Ă©chappe Ă  la comprĂ©hension des adultes. TrĂšs vite, la ville entiĂšre s’accorde sur son gĂ©nie. On collecte de l’argent, on l’encourage. Une femme blanche, patronne de sa mĂšre, devient sa mĂ©cĂšne. Une autre, Miss Mazzy, lui offre des cours gratuits chaque samedi matin. C’est chez elle que la petite entend pour la premiĂšre fois la musique de Jean-SĂ©bastien Bach. Elle en reste bouleversĂ©e : « Je croyais que j’allais m’évanouir tellement c’était beau », racontera-t-elle.

Mais c’est Ă  douze ans que le masque du rĂȘve se fissure dĂ©finitivement.

Un rĂ©cital. Un moment solennel. Elle est sur scĂšne, prĂȘte Ă  jouer. Ses parents sont lĂ , assis au premier rang. Mais des spectateurs blancs exigent qu’ils reculent. Ils obĂ©issent. Eunice voit, comprend, refuse. Elle cesse de jouer. Les organisateurs paniquent. La salle retient son souffle. Elle ne reprendra que lorsque ses parents auront retrouvĂ© leur place initiale.

C’est lĂ , dans le fracas silencieux de cette salle provinciale, qu’Eunice Kathleen Waymon devient autre chose qu’une enfant prodige. Elle devient une conscience. Une voix intĂ©rieure s’éveille, une colĂšre noble, froide, irrĂ©mĂ©diable : la musique ne servira pas Ă  sĂ©duire les salons. Elle sera un glaive. Un miroir. Une arme.

Ce jour-lĂ , elle apprend que l’humiliation peut s’infiltrer jusque dans les silences les plus sacrĂ©s. Et qu’on ne joue pas pour plaire Ă  un monde qui vous refuse le droit d’exister. On joue pour se relever. Pour qu’ils entendent. Pour qu’ils n’oublient jamais.

Et si Nina Simone est nĂ©e plus tard, c’est ici que l’étincelle a jailli. Dans une salle obscure de Caroline du Nord, une enfant noire a dĂ©fiĂ© l’ordre blanc avec pour seul bouclier, la dignitĂ©.

Une pianiste refusée, une voix libérée

Nina Simone : la voix noire qui a dĂ©fiĂ© l’AmĂ©rique blanche
UNSPECIFIED – CIRCA 1950: Photo of Nina Simone Photo by Tom Copi/Michael Ochs Archives/Getty Images

Eunice Kathleen Waymon n’a jamais voulu devenir chanteuse. Son rĂȘve Ă©tait austĂšre, solennel : ĂȘtre concertiste. Pas n’importe laquelle. La premiĂšre pianiste classique noire d’AmĂ©rique. Elle ne voulait pas chanter, elle voulait interprĂ©ter Bach, Chopin, Debussy, avec cette rigueur presque sacrĂ©e qu’exige le monde fermĂ© des conservatoires.

À dix-sept ans, soutenue par des bienfaiteurs blancs touchĂ©s par son talent, elle quitte la Caroline du Nord pour New York. Elle entre Ă  la Juilliard School, temple Ă©litiste de la musique savante, oĂč l’on façonne les futurs grands interprĂštes du monde occidental. Elle y dĂ©couvre une solitude brute, un silence tendu, le fardeau d’ĂȘtre l’unique Ă©lĂšve noire dans un univers conçu pour l’élite blanche. Mais elle tient. Elle s’accroche. Elle s’entraĂźne des heures durant, jusqu’à l’épuisement. Elle joue pour Bach, pour sa mĂšre, pour l’Histoire.

Mais le rĂȘve se brise Ă  Philadelphie.

Le Curtis Institute, prestigieux conservatoire oĂč elle espĂ©rait parfaire sa formation, rejette sa candidature. La sentence est froide, impersonnelle. Le jury ne daigne pas expliquer. Plus tard, on lui dira qu’elle n’avait peut-ĂȘtre pas le « profil ». Elle sait, elle sent, elle ne pardonne pas. Elle n’enregistre pas ce refus comme un simple Ă©chec, mais comme une trahison. Ce jour-lĂ , ce n’est pas seulement un institut qui la rejette : c’est l’institution tout entiĂšre qui la repousse. Le rĂȘve de petite fille est enterrĂ© sans cĂ©rĂ©monie. Elle ne sera pas la premiĂšre pianiste classique noire d’AmĂ©rique. Pas parce qu’elle a Ă©chouĂ©. Parce qu’on ne l’a pas laissĂ©e essayer.

Alors elle descend. LittĂ©ralement. Des hauteurs des conservatoires new-yorkais aux bars enfumĂ©s d’Atlantic City. LĂ , dans les clubs nocturnes oĂč l’on boit plus qu’on n’écoute, elle joue pour survivre. Le piano n’est plus un art sacrĂ© : c’est un gagne-pain. Mais le destin a parfois l’humour cruel des lĂ©gendes.

Un soir, le patron du Midtown Bar & Grill lui lance un ultimatum : « Si tu ne chantes pas, tu ne joues plus. » Elle proteste. Elle n’est pas chanteuse. Elle est pianiste. Mais elle a besoin de manger. Alors elle chante. À contrecƓur. Par instinct. Et sa voix jaillit. Grave. Vibrante. Ancienne. Une voix qui ne charme pas : elle dĂ©sarme.

Ce moment de contrainte devient une rĂ©vĂ©lation. Le chant, qu’elle mĂ©prisait comme une trahison de ses ambitions, devient une terre de feu. Elle n’est plus la petite fille appliquĂ©e de Tryon. Elle est Nina. Une crĂ©ature façonnĂ©e par la dĂ©ception, nourrie par l’humiliation, libĂ©rĂ©e par la nĂ©cessitĂ©.

Elle prend un nouveau nom pour cacher sa nouvelle vie Ă  sa mĂšre : Nina, petit surnom intime signifiant « petite fille » en espagnol, et Simone, en hommage Ă  l’actrice française Simone Signoret, qu’elle admire pour sa gravitĂ©, son Ă©lĂ©gance brute. Eunice Waymon disparaĂźt. Nina Simone naĂźt dans la pĂ©nombre des clubs, entre deux verres, entre deux solitudes.

Sur scĂšne, elle ne joue plus seulement. Elle rĂšgne. Son style est dĂ©jĂ  lĂ , en fusion : des arpĂšges classiques aux harmonies jazzy, des souffles de gospel aux cris du blues. Elle improvise comme on se rebelle, mĂȘle Chopin Ă  Duke Ellington, crache des vĂ©ritĂ©s en accords mineurs. Elle n’est plus seulement une musicienne. Elle devient une voix. Une prĂ©sence. Une guerre.

RefusĂ©e par l’acadĂ©mie, Nina Simone crĂ©e sa propre Ă©cole. Une Ă©cole de feu et de douleur, de rage et de beautĂ©. Elle chante parce qu’on l’a empĂȘchĂ©e de jouer. Et chaque note devient une revanche.

Little Girl Blue et le fracas du monde

1958. L’annĂ©e oĂč le monde dĂ©couvre la voix de Nina Simone. Une voix qui ne supplie pas, qui ne cajole pas. Une voix qui ne cherche pas Ă  plaire. Elle impose. Elle fend. Elle bouscule.

Son premier album, Little Girl Blue, est enregistrĂ© en une seule prise, dans un studio new-yorkais presque anonyme. Elle est encore peu connue, signĂ©e Ă  la va-vite par Bethlehem Records, un label plus soucieux de rendement que de postĂ©ritĂ©. Elle y joue, bien sĂ»r, mais elle y chante aussi. Par dĂ©faut. Par nĂ©cessitĂ©. Et l’une de ces chansons, I Loves You, Porgy, une reprise de l’opĂ©ra Porgy and Bess de George Gershwin, va tout changer.

Elle l’avait d’abord chantĂ©e pour un amant. Elle l’interprĂšte comme une priĂšre Ă©touffĂ©e, avec une fragilitĂ© qui tranche avec sa puissance. Ce n’est pas une dĂ©monstration vocale, c’est une confession Ă  voix basse, celle d’une femme noire qui s’adresse Ă  l’amour avec une terreur d’enfant battue. Sa version touche le cƓur du public amĂ©ricain, entre dans le Top 20, grimpe sans prĂ©venir, s’infiltre dans les radios. Et tout Ă  coup, Nina Simone n’est plus une pianiste inconnue des clubs de jazz : elle devient une icĂŽne en gestation.

Mais Little Girl Blue n’est pas un simple tremplin commercial. C’est un manifeste.

DĂšs les premiĂšres mesures, on comprend que quelque chose dĂ©tonne. Le piano est traitĂ© comme dans une salle de concert. La voix, grave et dense, est celle d’une femme qui refuse l’infantilisation. Nina Simone ne suit aucune rĂšgle du jeu. Elle mĂȘle des cantiques, du blues, des harmonies de Debussy, des envolĂ©es de gospel. Elle reprend My Baby Just Cares for Me avec un swing tendre, mais la tension reste lĂ , comme une mĂąchoire crispĂ©e derriĂšre le sourire. Chaque chanson semble habiter un entre-deux : ni tout Ă  fait jazz, ni totalement classique. C’est une musique en Ă©quilibre instable, comme la sociĂ©tĂ© qui l’entoure.

Et cela, l’industrie ne sait pas comment le vendre.

Trop sophistiquĂ©e pour les radios populaires, trop noire pour les cercles classiques, Nina Simone Ă©chappe aux catĂ©gories. Elle refuse de choisir entre le conservatoire et le cabaret, entre le recueillement et la rage. Alors elle crĂ©e sa propre langue. Une musique bĂątarde et souveraine. Une musique de bordure. OĂč Jean-SĂ©bastien Bach dialogue avec Billie Holiday, oĂč les lamentations deviennent oraisons, oĂč les arrangements classiques s’enroulent autour de la colĂšre noire.

Little Girl Blue, ce n’est pas l’histoire d’une fille triste. C’est celle d’une artiste qui refuse la rĂ©signation. La « petite fille » n’est pas docile. Elle serre les dents. Elle cache son feu. Elle prĂ©pare l’explosion.

Et l’ironie du sort veut que, malgrĂ© ce coup d’éclat, Nina ne tirera aucun bĂ©nĂ©fice financier de ce disque. Elle vend les droits pour 3 000 dollars, sans contrat solide, sans avocat. Bethlehem en profite, réédite, exploite. Elle, elle observe, furieuse, impuissante. Une claque, une de plus. Mais elle apprend.

Elle apprend que dans ce monde, le talent ne suffit pas. Qu’ĂȘtre noire, femme, exigeante, c’est ĂȘtre systĂ©matiquement dĂ©possĂ©dĂ©e. Alors elle va se durcir. Elle va affĂ»ter sa musique comme une arme. Ne plus jamais faire confiance Ă  ceux qui lui tendent des contrats en souriant.

Car Little Girl Blue, ce n’est pas seulement le dĂ©but d’une carriĂšre. C’est la fin d’une illusion. Celle qu’on peut ĂȘtre gĂ©niale et protĂ©gĂ©e. Non, Nina Simone sera seule. Seule, mais libre.

Mississippi Goddam : la militante est née

Printemps 1963. Birmingham, Alabama. Une Ă©glise baptiste est soufflĂ©e par une explosion. Quatre fillettes noires (Denise, Carole, Addie Mae, Cynthia) sont tuĂ©es. L’AmĂ©rique s’indigne du bout des lĂšvres. Une de plus. Une tragĂ©die de trop, dans un Sud qui ne recule devant rien pour dĂ©fendre sa suprĂ©matie blanche. Pour Nina Simone, ce n’est pas seulement un crime. C’est un point de non-retour.

Elle est dans son salon, Ă  New York. Le visage fermĂ©. Silencieuse. Quand elle apprend la nouvelle, elle ne pleure pas. Elle ne prie pas. Elle se lĂšve. Elle marche jusqu’à son piano. Et lĂ , comme un sĂ©isme contenu depuis des annĂ©es, les mots, les notes, jaillissent :

“Alabama’s got me so upset
Tennessee made me lose my rest
And everybody knows about Mississippi Goddam.”

Ce n’est plus une chanson. C’est une gifle. Une charge. Un appel aux armes.

Jusqu’ici, Nina Simone avait contenu sa rage. Sa musique disait dĂ©jĂ  l’ombre, la douleur, l’humiliation. Mais elle n’avait jamais, jusqu’à Mississippi Goddam, laissĂ© sa colĂšre exploser frontalement. LĂ , pour la premiĂšre fois, elle nomme les États. Elle nomme les crimes. Elle nomme la haine. Et elle n’en adoucit rien. Le mot « Goddam » (blasphĂšme dans l’AmĂ©rique puritaine) claque comme un jugement. C’est une condamnation sans appel. Elle n’épargne plus personne.

Ce tournant est irréversible.

La pianiste classique, la chanteuse de bar devenue étoile du jazz, devient une militante. Radicale. Incandescente. Elle abandonne toute prétention à la neutralité artistique. Désormais, chaque chanson est un manifeste.

Chaque concert, une tribune. Elle fréquente Lorraine Hansberry, dramaturge et voix brillante du Black Feminism, qui la pousse à politiser son art. Elle lit James Baldwin, débat avec Stokely Carmichael, admire Malcolm X. Elle refuse la voie de la conciliation prÎnée par Martin Luther King. Elle ne croit plus à la paix. Elle croit à la rupture.

« L’AmĂ©rique est un serpent Ă  sonnette. Je ne lui tends plus la main. »

Elle le dit, le chante, le martĂšle. Elle veut des Ă©coles noires, des banques noires, des hĂŽpitaux noirs. Elle rĂȘve d’un pays sĂ©parĂ©, rĂ©inventĂ©. La non-violence, pour elle, est un luxe rĂ©servĂ© aux dominants. Et quand elle monte sur scĂšne, ce n’est plus pour divertir. C’est pour dĂ©noncer. Pour rallier. Pour embraser.

Mississippi Goddam est interdite sur de nombreuses radios du Sud. Des stations la renvoient, brisĂ©e en deux, au label. Mais la chanson se propage malgrĂ© tout. Elle devient un hymne. Un cri de guerre en forme de cabaret maudit. Car Nina n’a pas changĂ© sa forme : elle reste pianiste, elle joue en swing. Mais le fond, lui, est devenu plomb. Une bombe dĂ©guisĂ©e en numĂ©ro de jazz.

Et ce n’est qu’un dĂ©but.

Sur Pastel Blues, elle reprend Strange Fruit, le poĂšme de Billie Holiday sur les lynchages. Dans Let It All Out, elle rĂ©cite Images de Waring Cuney, un texte sur l’oubli des femmes noires. Puis vient Four Women, tableau tragique de quatre stĂ©rĂ©otypes fĂ©minins afro-amĂ©ricains ; la mammy, la mulĂątresse, la prostituĂ©e, la rĂ©voltĂ©e. Chaque personnage, une blessure. Chaque voix, une condamnation. CensurĂ©e sur certaines radios, la chanson soulĂšve l’indignation. Et l’admiration.

Mais c’est To Be Young, Gifted and Black qui devient l’hymne ultime. Écrite en hommage Ă  Lorraine Hansberry, morte trop tĂŽt, la chanson est une ode Ă  la jeunesse noire. Elle n’est ni plainte ni priĂšre. Elle est dĂ©claration. Affirmation. RĂ©surrection.

Nina Simone devient alors ce que l’AmĂ©rique blanche ne supporte pas : une femme noire, Ă©duquĂ©e, en colĂšre, libre. Une femme qui refuse d’implorer. Qui regarde son public droit dans les yeux. Qui dit : Vous tomberez comme des mouches.

Elle ne veut pas ĂȘtre une star. Elle veut ĂȘtre utile.

Elle n’est pas la bande-son de son Ă©poque : elle en est le souffle, le frisson, la clameur. La rage noire mise en musique. La beautĂ© noire, brandie comme un poing.

Et derriĂšre chaque note de Mississippi Goddam, c’est une promesse silencieuse : Vous ne nous ferez plus taire.

L’exil comme remùde

Il y a des artistes qui quittent leur pays pour conquĂ©rir le monde. Nina Simone, elle, part pour ne pas se perdre. En 1970, elle claque la porte de l’AmĂ©rique comme on abandonne un amant toxique. Elle s’évanouit dans la nuit, seule, sans prĂ©venir, laissant derriĂšre elle mari, maison, dettes et dĂ©sillusions. Ce dĂ©part n’est pas un caprice. C’est un acte de survie.

Les États-Unis l’étouffent. La cĂ©lĂ©britĂ© l’épuise. Le militantisme la consume. Son mari et manager, Andy Stroud, ancien policier, est devenu son geĂŽlier domestique. Il la bat. Il contrĂŽle ses finances. Il manipule ses contrats. Elle, la prĂȘtresse indomptable sur scĂšne, est enchaĂźnĂ©e dans sa propre maison. Alors elle fuit. D’abord vers la Barbade, ce bout de terre oĂč la mer semble laver la douleur. Elle y vit une liaison avec le Premier ministre Errol Barrow. Une passion brĂ»lante, mais sans lendemain.

Puis le silence. Le vrai. Le profond. Celui qui effraie autant qu’il apaise.

À l’appel de Miriam Makeba, elle s’installe au Liberia avec sa fille Lisa, pour un temps suspendu, presque irrĂ©el. Elle ne donne plus de concerts. Ne compose plus. Elle respire. Elle se tait. L’Afrique devient un refuge, une matrice. Mais elle est aussi un miroir. Car lĂ -bas, elle comprend que son combat n’est pas seulement amĂ©ricain. Il est noir. Universel. ViscĂ©ral.

Suit une errance Ă  travers l’Europe. Suisse, Pays-Bas, Allemagne, puis la France, qui deviendra son dernier port d’attache. À Paris, elle joue dans des clubs exigus, devant des publics qui la redĂ©couvrent, ou ne la connaissent pas. Aux Trois Mailletz, au New Morning, sur les rives de l’Île Saint-Louis, elle chante comme on murmure Ă  des fantĂŽmes. La France, pourtant fiĂšre d’accueillir les exilĂ©s noirs, ne sait pas quoi faire d’une femme aussi farouche, aussi fĂȘlĂ©e, aussi divine.

Elle habite un modeste appartement dans le sud, Ă  Bouc-Bel-Air, puis Ă  Carry-le-Rouet, oĂč elle vivra ses derniĂšres annĂ©es. Loin des plateaux, loin des projecteurs. Elle vit sans faste, mais sans chaĂźnes. Elle Ă©crit, elle mĂ©dite, elle compose parfois. Loin du tumulte, elle retrouve sa verticalitĂ©.

Mais c’est sur scĂšne que Nina retrouve vraiment son souffle. LĂ , malgrĂ© la fatigue, la solitude, les troubles bipolaires non diagnostiquĂ©s, elle se redresse. Son corps est plus lourd, son regard plus dur. Mais son feu n’a pas faibli. Il crĂ©pite, cachĂ© dans chaque silence, dans chaque hĂ©sitation. Et parfois, il explose.

Montreux, 1976.

Elle est de retour. Ce soir-lĂ , ce n’est pas un concert, c’est une cĂ©rĂ©monie. Elle arrive vĂȘtue comme une reine dĂ©chue, droite comme une prĂȘtresse. DĂšs les premiĂšres secondes, elle interrompt la musique pour rĂ©primander une spectatrice qui parle. « Respectez la musique. » Ce n’est pas une demande. C’est un ordre. Le public, glacĂ©, obĂ©it.

Nina commence à jouer. Bach glisse dans le blues. Sa voix tremble. Ses mains vacillent. Elle rit, puis pleure. Elle apostrophe, elle supplie, elle attaque. Elle vacille entre la douleur et la dignité. Ce concert est un théùtre. Un exorcisme. Elle y chante sa peur, sa solitude, son refus de mourir à petit feu. Elle ne cherche plus à séduire. Elle cherche à rester debout.

« Je ne voulais plus jamais chanter. Mais me revoilĂ . Parce que j’ai besoin de vous. »

Ce soir-lĂ , elle ne chante pas pour le public. Elle chante devant lui. Pour se rappeler Ă  elle-mĂȘme qu’elle existe. Pour se recoudre. Chaque note est une tentative de rassembler ses morceaux Ă©pars.

Et l’Europe, lentement, commence Ă  comprendre. Montreux deviendra mythique. Les clubs parisiens se rempliront Ă  nouveau. Les festivals, les documentaires, les hommages viendront, tardivement. Mais Nina Simone n’a plus besoin d’applaudissements. Elle a transcendĂ© la gloire.

L’exil ne l’a pas brisĂ©e. Il l’a dĂ©pouillĂ©e. DĂ©barrassĂ©e du faux, du futile, du clinquant. Il l’a rendue nue, mais essentielle.

Elle a perdu l’AmĂ©rique. Elle a gagnĂ© sa libertĂ©.

Le feu sacrĂ© d’une conscience noire

Nina Simone n’est pas nĂ©e pour plaire. Elle est nĂ©e pour dire. Pour trancher dans la chair du silence. Pour gifler les mensonges doux avec des vĂ©ritĂ©s rugueuses. Dans un monde qui exigeait des femmes noires qu’elles soient dociles, sĂ©duisantes, reconnaissantes, elle a choisi d’ĂȘtre l’inverse : indomptable, inconfortable, incandescente.

Elle n’était pas une diva. Elle Ă©tait une prĂȘtresse, une prophĂ©tesse aux tempes marquĂ©es par la solitude et la lutte. Chaque apparition publique, chaque concert, chaque silence mĂȘme, devenait un rituel. Elle entrait en scĂšne comme on entre en transe : tendue, habitĂ©e, presque ailleurs. Elle s’asseyait au piano comme on entre en guerre. Une guerre sacrĂ©e, d’oĂč personne (pas mĂȘme elle) ne sortait indemne.

Ce que beaucoup ignoraient (ou feignaient d’ignorer), c’est que cette intensitĂ© extrĂȘme Ă©tait nourrie par une souffrance profonde. Trouble bipolaire, diagnostiquĂ© tardivement, refoulĂ© longtemps. Ses proches l’ont vue s’effondrer, hurler, se taire des jours entiers, puis renaĂźtre dans des moments de pure grĂące. Sa musique Ă©tait traversĂ©e par cette dualitĂ© : le sublime cĂŽtoyait l’abĂźme, la douceur cĂ©dait soudain au cri.

Mais Nina Simone ne s’est jamais excusĂ©e de ses excĂšs. Elle les assumait. Mieux, elle les brandissait. Car ce que le monde appelait « folie », elle l’appelait vĂ©ritĂ© Ă  vif. Elle savait ce que coĂ»taient la luciditĂ©, la mĂ©moire, la colĂšre. Elle refusait de les anesthĂ©sier.

Et elle dérangeait. Profondément.

Elle ne se laissait enfermer dans aucun rĂ©cit. Ni dans celui du gĂ©nie mĂ©lancolique, ni dans celui de l’icĂŽne sage. Elle rejetait l’idĂ©e mĂȘme de modĂšle. MĂȘme parmi ses alliĂ©s, elle provoquait. Elle critiquait le mouvement rap, qu’elle accusait de dĂ©truire l’image des femmes noires, de dĂ©tourner la colĂšre noire vers la misogynie plutĂŽt que vers le systĂšme. Elle ne mĂąchait pas ses mots :

« Ils font croire aux jeunes que les femmes sont des putes. Ce n’est pas ça, ĂȘtre noir et libre. »

Elle n’embrassait pas non plus les flatteries tardives. Les prix honorifiques, les hommages officiels : elle les regardait de haut. Elle se mĂ©fiait de l’AmĂ©rique blanche qui voulait sanctifier celle qu’elle avait d’abord voulu faire taire. Elle refusait d’ĂȘtre « rĂ©cupĂ©rĂ©e », mĂȘme par ceux qui prĂ©tendaient l’aimer. Elle ne voulait pas ĂȘtre une statue. Elle voulait rester une flamme.

“Je ne suis pas faite pour ĂȘtre une lĂ©gende. Je suis faite pour brĂ»ler.”

À chaque concert, elle mettait son Ăąme sur la ligne. Elle ne chantait pas pour divertir. Elle chantait pour secouer, pour rĂ©veiller, pour purifier. Elle interrompait parfois ses chansons pour haranguer le public. Elle regardait les spectateurs dans les yeux, exigeant leur silence, leur attention, leur respect. La musique Ă©tait son temple, et elle y rĂ©gnait seule, souveraine, fiĂšre, douloureuse.

Elle n’a jamais cessĂ© de rĂȘver d’un monde noir, autonome, digne, construit sur les cendres du vieux monde blanc. Elle ne voulait pas s’assimiler. Elle voulait renverser, reconstruire, rĂ©inventer. Ce rĂȘve, elle l’a portĂ© comme une torche, mĂȘme lorsque tout autour d’elle s’effondrait.

Nina Simone n’a pas vĂ©cu une carriĂšre. Elle a vĂ©cu une lutte. Une longue procession Ă  travers le feu, la honte, la beautĂ©, l’extase et la chute. Ce feu sacrĂ©, elle ne l’a jamais Ă©teint. Et s’il a parfois brĂ»lĂ© ceux qui l’approchaient, c’est parce qu’il Ă©tait rĂ©el. BrĂ»lant. Impur. Humain.

Et aujourd’hui encore, on l’entend dans ses silences, dans ses soupirs, dans la morsure de ses notes : ce feu ne demande pas Ă  ĂȘtre admirĂ©. Il demande Ă  ĂȘtre transmis.

Un héritage incandescent

Le 21 avril 2003, dans la lumiĂšre paisible de la MĂ©diterranĂ©e, Nina Simone s’éteint Ă  Carry-le-Rouet. Elle avait 70 ans. Un cancer du sein avait lentement rongĂ© ce corps qui avait tout donnĂ©. Mais sa mort n’est pas une fin. C’est une continuitĂ©. Une mue. Car Nina Simone ne disparaĂźt pas : elle se propage.

Sa voix, ce feu rauque aux accents de priĂšre, continue de rĂ©sonner dans les veines de la culture contemporaine. Elle n’est plus seulement une chanteuse. Elle est devenue une vibration. Une onde noire qui traverse les gĂ©nĂ©rations, les genres, les continents.

Kanye West la sample dans Blood on the Leaves, tordant sa reprise de Strange Fruit pour en faire une fresque hip-hop aussi rageuse que dĂ©sespĂ©rĂ©e. Lauryn Hill l’honore Ă  chaque syllabe chantĂ©e, comme une fille spirituelle qui porte l’hĂ©ritage de sa mĂšre rebelle. Beyoncé cite son nom comme un mantra, une Ă©toile noire tutĂ©laire. John Legend, Alicia Keys, D’Angelo, Andra Day, tant d’artistes contemporains la nomment sans dĂ©tour : sans Nina, nous ne serions pas lĂ .

Mais l’hĂ©ritage de Nina Simone dĂ©passe la musique. Elle hante les images. Elle surgit dans les documentaires d’ARTE, dans les films de Netflix, dans les montages poĂ©tiques de HBO, dans les vers de Sonia Sanchez, Maya Angelou, Claudia Rankine. Sa vie devient objet de fiction, de rĂ©flexion, de rĂ©citation.

Elle est entrée dans la mémoire noire mondiale comme une sainte laïque.

Et pourtant, cet hĂ©ritage n’a rien d’apaisĂ©. Il brĂ»le. Il dĂ©range encore. Car ce qu’elle a laissĂ© derriĂšre elle, ce n’est pas un catalogue de tubes, mais une conscience vivante. Une façon de rĂ©sister par l’art. Une maniĂšre de dire non, en pleine lumiĂšre. Elle a montrĂ© que la musique pouvait ĂȘtre une arme, une archive, une dĂ©claration politique. Que chanter, pour une femme noire, pouvait ĂȘtre un acte d’auto-dĂ©termination.

Elle ne chantait pas pour sĂ©duire les foules. Elle ne voulait pas de trophĂ©es ni de panthĂ©ons. Elle voulait qu’on Ă©coute. Qu’on entende. Qu’on se souvienne.

“Je veux que mes gens sachent qu’ils sont jeunes, douĂ©s et noirs.”

Ce simple vers, devenu hymne, résonne encore dans les cortÚges, les manuels scolaires, les scÚnes slam, les bouches des mÚres qui enseignent à leurs enfants la dignité.

Nina Simone a inversĂ© le regard. Elle a forcĂ© les camĂ©ras Ă  filmer autrement. Elle a exigĂ© que les rĂ©cits changent de narrateur. Elle a mis Ă  nu la violence de l’oubli, et y a opposĂ© une mĂ©moire brĂ»lante.

Car le vrai legs de Nina Simone, c’est cela : une lutte contre l’effacement. Elle a refusĂ© que l’histoire continue d’ĂȘtre Ă©crite sans les siens. Elle a refusĂ© d’ĂȘtre digĂ©rĂ©e, blanchie, neutralisĂ©e. Elle a imposĂ© l’histoire dans sa version noire, rugueuse, belle et imparfaite.

Et aujourd’hui encore, dans chaque silence que l’on brise, dans chaque femme noire qui ose se tenir droite, dans chaque enfant qui apprend Ă  jouer Bach avec la peau sombre de son passĂ©, il y a un Ă©clat de Nina Simone.

Non, elle n’est pas morte.

Elle est devenue inoubliable.

Avant le MCU, il y avait Blade !

0

Avant Black Panther, avant le MCU, un vampire noir en manteau de cuir a redĂ©fini les codes du cinĂ©ma de super-hĂ©ros. En 1998, Blade, portĂ© par un Wesley Snipes habitĂ©, sauvait Marvel de la faillite et imposait un style visuel, narratif et politique encore inĂ©galĂ©. À l’heure d’un reboot lisse et formatĂ©, retour sur une Ɠuvre culte, aussi tranchante que prophĂ©tique.

Blade : le vampire qui sauva Marvel (et que le MCU ne pourra jamais égaler)

Avant le MCU, il y avait Blade

Nous sommes en 1998. L’époque est Ă  la disette chez Marvel. La firme, jadis temple des super-hĂ©ros, est au bord de la faillite. Elle a hypothĂ©quĂ© ses joyaux : Spider-Man chez Sony, X-Men chez la Fox, Les Quatre Fantastiques Ă©parpillĂ©s comme des artefacts oubliĂ©s. Le rĂȘve d’un univers cinĂ©matographique unifiĂ© n’est mĂȘme pas une idĂ©e. C’est une impossibilitĂ©.

Le genre super-héroïque, lui, est en coma clinique. Batman & Robin (1997), clinquant et grotesque, a achevé de ridiculiser les capes et les collants. Hollywood ricane. Les producteurs détournent les yeux. On dit les héros « trop colorés », « trop puérils », « trop comics ». Personne ne veut y croire.

Et pourtant. Dans le tumulte d’un systĂšme hollywoodien aux certitudes sĂ©niles, un projet insensĂ© surgit des tĂ©nĂšbres. Il s’appelle Blade. Un outsider dans le panthĂ©on Marvel. Ni Avenger, ni mutant, ni gĂ©nie milliardaire. Juste un homme. Noir. Demi-vampire. ArmĂ© d’une Ă©pĂ©e et d’un regard qui ne cligne jamais.

Blade est un pari Ă  contre-courant, presque suicidaire. Un film d’action gothique, classĂ© R (interdit aux mineurs non accompagnĂ©s). Produit pour 45 millions de dollars, il en rapportera plus de 130 dans le monde. Un succĂšs fulgurant. Mais surtout, un tournant.

Avant le MCU, il y avait Blade

Blade est plus qu’un bon film. Il est le manifeste d’une renaissance. Il prouve qu’un hĂ©ros Marvel peut triompher sur grand Ă©cran sans Ă©dulcoration. Qu’un personnage inconnu du grand public peut fĂ©dĂ©rer. Et que le public est prĂȘt (oui, prĂȘt) Ă  suivre un antihĂ©ros sombre, violent, africain-amĂ©ricain, dans une traque viscĂ©rale.

Avant Iron Man, il y avait Blade. Avant Kevin Feige, il y avait Wesley Snipes. Le MCU naĂźtra officiellement dix ans plus tard, mais le feu, lui, s’est allumĂ© dans une boĂźte de nuit de Los Angeles, inondĂ©e de sang et de BPM.

Blade ne se contente pas de redĂ©finir les codes. Il renverse les hiĂ©rarchies. Ici, pas de sauvetage planĂ©taire en collants lycra. Pas de punchlines familiales. Blade est un loup solitaire. Il ne sourit pas. Il tranche. Il exorcise l’AmĂ©rique post-90s, traversĂ©e de peurs urbaines, de fiĂšvres nocturnes et d’éclats post-cyberpunk.

Avant le MCU, il y avait Blade

Et puis, il y a le style. Blade inaugure une esthĂ©tique (cuir noir, nĂ©ons blafards, chorĂ©graphies millimĂ©trĂ©es) qui influencera directement des films comme The Matrix (1999). Ce n’est pas anodin : les Wachowski citeront Blade comme une rĂ©fĂ©rence visuelle. Le cinĂ©ma d’action entre dans une nouvelle Ăšre, plus viscĂ©rale, plus stylisĂ©e, plus sombre.

Blade, en somme, c’est le chaĂźnon manquant entre le cinĂ©ma d’exploitation des annĂ©es 80 et le blockbuster millĂ©naire. C’est le baptĂȘme de feu d’un studio qui ne le sait pas encore, mais qui va conquĂ©rir le monde.

Et c’est un homme noir, armĂ© d’une lame, qui en aura Ă©tĂ© le pionnier.

Avant le MCU, il y avait Blade

Blade, c’est Wesley Snipes. Et Wesley Snipes, c’est Blade. Ce n’est pas une figure de style. C’est un fait historique. Une incarnation si totale qu’elle a redĂ©fini les codes du jeu d’acteur dans le cinĂ©ma de genre.

Lorsque le rĂŽle de Blade se pose sur la table, personne d’autre n’est envisagĂ©. Et pour cause : Wesley Snipes n’est pas qu’un acteur. Il est un corps, une lame, un regard. DĂ©jĂ  aurĂ©olĂ© de succĂšs dans des classiques du cinĂ©ma d’action comme Demolition Man ou Passager 57, Snipes est aussi un vĂ©ritable artiste martial. Il ne simule pas le combat : il le compose.

Mais au-delĂ  de ses capacitĂ©s physiques, c’est son engagement psychologique et symbolique dans le rĂŽle qui impressionne. Snipes ne joue pas Blade ; il devient Blade. LittĂ©ralement. Sur le plateau, il ne sort plus jamais de son personnage. Il signe ses notes « Blade », ne parle au reste de l’équipe que par post-it interposĂ©s, refuse d’ĂȘtre vu sans ses lunettes noires, sans son long manteau de cuir. Le jeu d’acteur devient une forme de transe.

Ce que certains qualifieront d’excĂšs est, en rĂ©alitĂ©, un geste radical de rĂ©appropriation culturelle et esthĂ©tique. Dans une industrie encore frileuse Ă  l’idĂ©e de confier un rĂŽle principal Ă  un acteur noir (surtout dans un genre aussi codifiĂ© que celui du super-hĂ©ros), Snipes impose un contre-pouvoir. Il ne supplie pas pour exister Ă  l’écran. Il impose Blade comme une figure tutĂ©laire, fĂ©roce, souveraine, indomptable.

Chaque mouvement, chaque rĂ©plique, chaque silence est pesĂ©. Le langage du corps devient ici un art martial en soi. Les scĂšnes de combat (sans doublure, sans CGI) sont des chorĂ©graphies de guerre oĂč la violence se fait danse, oĂč la colĂšre devient beautĂ©. Spin kicks, feintes d’Ă©pĂ©e, poignards inversĂ©s : Snipes transforme chaque baston en calligraphie hĂ©morragique.

Avant le MCU, il y avait Blade

Et puis, il y a l’attitude. Cette façon de marcher comme une ombre, de surgir sans un mot, de tuer sans pitiĂ© mais sans haine. Blade n’est pas un justicier classique. Il n’a ni slogan, ni morale Disney. Il est rage froide et solitude millĂ©naire. Il est, comme le disait Fanon de l’homme colonisĂ©, Â«Â ni tout Ă  fait mort, ni vraiment vivant ».

Wesley Snipes le comprend mieux que personne. Il transforme Blade en symbole politique implicite : un corps noir qui rĂ©siste, qui tranche, qui sauve le monde sans en recevoir la gloire. Un hĂ©ros noir qui n’attend pas l’assentiment des autres pour exister.

En cela, sa performance est inĂ©galĂ©e ; et peut-ĂȘtre inĂ©galable. Marvel le sait. Les fans le savent. MĂȘme Mahershala Ali, pourtant immense comĂ©dien, hĂ©rite d’un rĂŽle qu’il ne pourra jamais vraiment possĂ©der. Parce que Blade, dans l’imaginaire collectif, a le visage taillĂ© au couteau et la voix basse de Wesley Snipes.

Avant le MCU, il y avait Blade
 Twentieth Century Fox France / Twentieth Century Fox / Lightstorm Entertainment / Weta Digital

Le cinĂ©ma de genre a connu des mĂ©tamorphoses. Mais rarement un acteur n’a, Ă  ce point, fusionnĂ© avec un mythe. Et rarement un mythe n’a eu autant besoin d’un acteur pour exister.

Il ne suffit pas de tuer des vampires pour entrer dans la lĂ©gende du cinĂ©ma. Il faut imposer une signature. Et Blade, dĂšs ses premiĂšres minutes, grave la sienne au fer rouge. La scĂšne d’ouverture est devenue un mythe : une rave clandestine dans un abattoir, un beat techno qui pulse comme une artĂšre, puis, sans prĂ©venir ; la pluie de sang. Panique. Chaos. Et soudain, Blade apparaĂźt. En silence. Immobile. Il observe. Et frappe. D’un coup de glaive, il fait taire l’anarchie. Il est l’ordre dans la tempĂȘte.

Cette scĂšne suffit Ă  tout dire. Nous ne sommes plus dans un film d’action. Nous sommes dans un film-manifeste. Un manifeste esthĂ©tique, visuel, sonore, narratif. Une rĂ©volution.

Blade n’est ni un western, ni un film d’horreur, ni une Ɠuvre cyberpunk. Il est tout cela Ă  la fois. C’est un western urbain gothique, oĂč le cow-boy solitaire manie le sabre au lieu du colt, oĂč les saloons sont des nightclubs infestĂ©s de crĂ©atures de la nuit. C’est un film d’horreur réécrit Ă  l’acide, oĂč la mythologie vampirique n’est pas rĂ©duite Ă  une romance morbide mais restaurĂ©e dans sa violence organique, tribale, carnivore. Et c’est un film de science-fiction tĂ©nĂ©breuse, un ballet mĂ©canique oĂč les ombres dansent au rythme de beats industriels et de nĂ©ons blafards.

La photographie est ciselĂ©e. Couleurs dĂ©saturĂ©es, contrastes tranchĂ©s, jeux de lumiĂšre volontairement expressionnistes : chaque plan semble pensĂ© comme une peinture. Le rĂ©alisateur Stephen Norrington, Ă©paulĂ© par le directeur photo Theo van de Sande, convoque le clair-obscur du film noir, la stylisation du manga japonais, et l’univers visuel des jeux vidĂ©o naissants. C’est Ghost in the Shell croisĂ© avec The Crow, et une pincĂ©e de Akira. C’est du cuir, du chrome, du sang. C’est Blade.

Mais le gĂ©nie de cette esthĂ©tique, c’est qu’elle devient narrative. Elle n’est pas cosmĂ©tique. Le style est le message. Le silence de Blade, sa gestuelle martiale, ses dĂ©placements d’ombre, tout contribue Ă  construire une mythologie visuelle. Il ne parle pas. Il dĂ©coupe. Il ne vole pas. Il se projette. Il ne sĂ©duit pas. Il foudroie. Son corps devient un langage. Sa lame, une syntaxe.

Et cette syntaxe va ĂȘtre copiĂ©e. Matrix, sorti un an plus tard, s’inspire directement de Blade, comme l’ont admis les Wachowski. MĂȘmes tenues, mĂȘme stylisation du combat, mĂȘme philosophie du cool lĂ©tal. Puis viendra Underworld, et plus tard, John Wick ; mĂȘme amour du cuir, du geste pur, du meurtre chorĂ©graphiĂ©.

Blade est la matrice, au sens propre. Un film-source. Un artefact fondateur du cinĂ©ma d’action post-1998. LĂ  oĂč les super-hĂ©ros Ă©taient encore kitsch, Blade introduit la noirceur, la gravitĂ©, le minimalisme brutal. Il crĂ©e un pont entre le comic-book et le cinĂ©ma d’auteur, entre le gore et le stylisĂ©, entre le mythe et le contemporain.

Et ce qui est encore plus frappant, c’est que Blade rĂ©ussit tout cela avant mĂȘme l’ùre des CGI hĂ©gĂ©moniques. Peu d’effets spĂ©ciaux numĂ©riques. Beaucoup de cascades rĂ©elles. Une camĂ©ra proche du sol, fluide, au service du mouvement. La violence est viscĂ©rale, le rythme tendu. On saigne pour de vrai. On meurt pour de vrai.

Plus de 25 ans aprĂšs, aucun film n’a vraiment su rĂ©concilier autant de genres avec autant d’élĂ©gance. Blade, c’est le noir Ă  son sommet. Le noir vestimentaire. Le noir cinĂ©matographique. Le noir mythologique. Et, surtout, le noir politique. Un homme noir, dans un monde d’ombres, qui impose sa loi. Sans crier. Sans trembler. Juste avec le style.

Avant le MCU, il y avait Blade

Blade n’est pas qu’un hĂ©ros sombre. Il est noir. Et c’est capital.

Il est l’un des premiers hĂ©ros afro-amĂ©ricains Ă  dominer une superproduction hollywoodienne. Pas de sidekick, pas de second rĂŽle. Il est le film. Il est la force. Il est le sang.

Il ouvre la voie à Black Panther, à Luke Cage, Ă  une reprĂ©sentation dĂ©colonisĂ©e de la puissance noire Ă  l’écran.

Il incarne une Afrique postmoderne, silencieuse mais souveraine, mystique mais technologique.

Blade, c’est un griot du futur armĂ© d’une Ă©pĂ©e.

L’histoire bĂ©gaie, mais l’ombre de Blade ne se duplique pas. Depuis l’annonce du reboot par Marvel Studios, les fans oscillent entre l’attente fĂ©brile et la rĂ©signation amĂšre. Aux commandes : Mahershala Ali, comĂ©dien d’exception, doublement oscarisĂ©, figure respectĂ©e du cinĂ©ma indĂ©pendant comme du mainstream. Sur le papier, un choix impeccable. Dans les faits : un pari risquĂ©. TrĂšs risquĂ©.

Avant le MCU, il y avait Blade

Premier problĂšme : la classification. Le film sera PG-13. Autrement dit : pas de sang, pas de chair dĂ©chirĂ©e, pas de rĂ©el danger. Blade sans son hĂ©moglobine n’est pas Blade. Car ce personnage (mi-homme, mi-vampire, tout en colĂšre rentrĂ©e) n’existe que dans l’excĂšs, dans la rage, dans le choc frontal. Le Blade de 1998, classĂ© R, n’a pas simplement choquĂ© : il a imposĂ© un standard, celui d’une violence chorĂ©graphiĂ©e mais viscĂ©rale, stylisĂ©e mais organique.

Blade est un cri. Un feu. Un Ă©clat de lame. Le lisser, c’est le trahir.

Marvel Studios veut un Blade compatible avec l’univers connectĂ©, avec les clins d’Ɠil, les camĂ©os, les vannes en post-crĂ©dit. Mais Blade n’est pas un Avenger. Il ne sauve pas le monde. Il le nettoie. Seul, dans les sous-sols. En silence. C’est un personnage tragique, taiseux, et solitaire. Un chevalier noir Ă  la Hamlet, pas un joyeux justicier new-yorkais. Son histoire est sale, douloureuse, marquĂ©e par la haine de soi et la perte. C’est cette douleur qui fait son humanitĂ©.

Avant le MCU, il y avait Blade

DeuxiĂšme problĂšme : l’hĂ©ritage. Comment succĂ©der Ă  Wesley Snipes ? Ce n’est pas qu’une question de jeu. C’est une question d’incarnation. Snipes ne jouait pas Blade. Il le respirait. Il Ă©tait Ă  la fois le muscle, la forme, l’allure, l’angoisse. Il lui a donnĂ© un corps, une gestuelle, une prĂ©sence que la postĂ©ritĂ© peine Ă  Ă©galer. Le reboot, en choisissant une rupture radicale de ton et de forme, risque de paraĂźtre non pas novateur, mais dĂ©sincarnĂ©. Une tentative de Blade sans l’ñme de Blade.

Car au fond, Blade n’est pas un personnage Marvel. Il est une anomalie. Il ne se vend pas en figurines. Il ne fait pas rire. Il ne pose pas pour des affiches lumineuses. Blade vit dans la marge, dans les couloirs sombres d’un cinĂ©ma de genre qui, en 1998, s’autorisait encore Ă  ĂȘtre subversif.

Aujourd’hui, dans un Ă©cosystĂšme dominĂ© par le contenu aseptisĂ©, par le besoin de plaire Ă  tous, Blade fait tache. Et c’est justement pour cela qu’il est indispensable.

Avant le MCU, il y avait Blade

Le vrai danger du reboot, ce n’est pas l’échec commercial. C’est l’oubli du feu. C’est de produire un Blade sans feu, sans sang, sans flammes. Une coquille sans venin. Une ombre sans crocs.

Blade ne peut pas renaĂźtre sans rugir. S’il revient, ce doit ĂȘtre pour tout brĂ»ler. Pas pour clignoter sur Disney+.

Il est rare qu’un film fasse Ă  la fois l’Histoire et l’ombre. Blade l’a fait. Il a ouvert la voie tout en restant dans les marges.

Son nom est rarement citĂ© dans les cĂ©rĂ©monies, dans les anthologies du genre, dans les “origines” officielles du MCU. Pourtant, sans lui, Marvel n’aurait peut-ĂȘtre jamais survĂ©cu. Il a prouvĂ© qu’un film pouvait ĂȘtre noir, dur, interdit aux mineurs — et triompher.

Blade est le chaünon manquant. Le premier cri. Le coup de sabre dans l’omerta.

Aujourd’hui, alors que Marvel tente de le ressusciter dans une version aseptisĂ©e, PG-13, sans sang ni rugositĂ©, on ne peut que se souvenir : on ne dompte pas un mythe avec des gants blancs.

Blade n’a jamais eu besoin de validation. Seulement d’un Ă©cran et d’un silence. Il est cette voix venue du fond, qui tranche, et qui reste. Une lĂ©gende que l’industrie a tentĂ© de maquiller, mais que les fans, eux, n’ont jamais oubliĂ©e.

Parce que certains héros ne brillent pas. Ils brûlent.

Notes et Références

  1. Box Office Mojo – Blade (1998) : Le film rapporte 131,2 millions de dollars dans le monde, pour un budget estimĂ© Ă  45 millions.
  2. Kevin Feige (Producteur Marvel Studios) – lors du Blade 20th Anniversary Retrospective Panel, San Diego Comic-Con 2018 : “Sans Blade, aucun studio ne nous aurait laissĂ© produire Iron Man en 2008.”
  3. Entertainment Weekly (1998) – Dossier spĂ©cial “The New Dark Hero” consacrĂ© Ă  Blade.
  4. Snipes, Wesley. Interview dans The Guardian, 2004 – sur son immersion dans le personnage : “I was Blade. All day. Every day. No off switch.”
  5. IGN – Behind the Scenes of Blade (2003) : TĂ©moignages de l’équipe technique sur le comportement de Wesley Snipes sur le tournage de Blade: Trinity.
  6. Norrington, Stephen (RĂ©alisateur de Blade) – Commentaires audio du DVD collector : “Visuellement, on a voulu croiser les codes du western spaghetti, du cyberpunk, et des films de sabre.”
  7. Bordwell, David – The Visual Style of Post-1990s Action Films (2006) : Étude universitaire sur l’influence de Blade sur The Matrix et Underworld.
  8. Collider (2020) – Analyse du reboot de Blade avec Mahershala Ali : inquiĂ©tudes sur le format PG-13 et perte d’intensitĂ©.
  9. AFI Silver Theater Archives – 2000s Retrospective : Blade classĂ© parmi les 10 films ayant influencĂ© le cinĂ©ma d’action du XXIe siĂšcle.
  10. Vox – “The Forgotten Legacy of Blade”, 2021 : Article rĂ©habilitant le rĂŽle de Blade dans l’histoire du MCU.
  11. Essai critique dans Black Noir: Cultural Identity and the Superhero Film (2022), Éd. Rutgers University Press.
  12. Claude Ribbe (entretien indirectement rĂ©fĂ©rencĂ©) – Dans son approche de figures oubliĂ©es, et du “geste mĂ©moriel” comme acte politique dans l’écriture biographique.
  13. Rotten Tomatoes – Blade (1998) : Score critique de 88 %, Audience score de 78 %.
  14. Variety Archives – Blade Review, 1998 : “Wesley Snipes turns pulp into myth.”
  15. American Film Institute – Chronologie du cinĂ©ma afro-amĂ©ricain : Blade identifiĂ© comme “first black-led Marvel film to redefine genre tropes.”

Luther Vandross, la voix d’or du R&B

0

IcĂŽne du R&B et maestro des ballades, Luther Vandross a rĂ©volutionnĂ© la musique soul afro-amĂ©ricaine. Retour sur le parcours de cette voix d’or au destin exceptionnel.

Luther Vandross : Une légende, une révolution musicale

Luther Vandross, la voix d’or du R&B

NĂ© le 20 avril 1951 dans le quartier populaire de Manhattan, Luther Ronzoni Vandross grandit dans une famille afro-amĂ©ricaine oĂč la musique est omniprĂ©sente. DĂšs l’enfance, il est fascinĂ© par les grandes voix du gospel et les harmonies du doo-wop. AprĂšs la mort prĂ©coce de son pĂšre, la musique devient pour lui un refuge, un langage, une vocation.

C’est dans les annĂ©es 1970 qu’il perce lentement, d’abord en tant que choriste pour des lĂ©gendes telles que David Bowie, Bette Midler, Chaka Khan, ou encore Roberta Flack. Mais Vandross ne se contente pas d’ĂȘtre dans l’ombre : il Ă©crit, compose, et attend son heure.

En 1981, il sort Never Too Much, un album qui bouleverse le paysage du R&B. Le titre Ă©ponyme devient un classique instantanĂ©. Vandross y impose un style suave, raffinĂ©, sophistiquĂ©, oĂč la basse vibre comme un battement de cƓur et oĂč sa voix flotte avec une prĂ©cision surnaturelle. L’album est un succĂšs commercial et critique, et marque le dĂ©but d’une dĂ©cennie faste.

Suit une sĂ©rie d’opus devenus cultes : Forever, For Always, For Love (1982), Busy Body (1983), The Night I Fell in Love (1985), ou encore Give Me the Reason (1986). À travers ces projets, Luther devient le roi du slow jam, l’orfĂšvre de la ballade sentimentale, capable de sublimer les Ă©motions les plus intimes.

Au-delĂ  de ses propres albums, Vandross brille dans l’ombre. Il Ă©crit, compose ou arrange pour Aretha Franklin, Diana Ross, Whitney Houston, Cheryl Lynn, ou encore David Bowie. Ses talents de producteur et arrangeur vocal sont recherchĂ©s, admirĂ©s, enviĂ©s.

Chaque collaboration devient une empreinte : il sculpte les voix, harmonise les chƓurs, polit le son avec une sensibilitĂ© rare. Sa capacitĂ© Ă  magnifier les artistes fĂ©minines lui vaut d’ĂȘtre surnommĂ© « le tailleur vocal » du R&B.

Luther Vandross incarne la quintessence du crooner moderne. Il remporte 8 Grammy Awards, dont quatre en 2004 pour son chef-d’Ɠuvre Ă©motionnel Dance With My Father. Ce titre, Ă©crit avec Richard Marx, est une ode bouleversante Ă  son pĂšre disparu. Le public est conquis, la critique s’incline.

ParallĂšlement, sa compilation The Best of Luther Vandross
 The Best of Love (1989) assoit son statut de lĂ©gende, notamment grĂące au hit planĂ©taire Here and Now. Ce morceau devient un hymne des mariages afro-amĂ©ricains, un moment de grĂące vocal.

Vandross n’est pas seulement un chanteur. Il est le dĂ©positaire d’un hĂ©ritage musical afro-amĂ©ricain, un passeur de mĂ©moire. Il reprend A House Is Not a Home (Dionne Warwick), Superstar (The Carpenters), ou encore Endless Love (en duo avec Mariah Carey), transformant chaque reprise en Ɠuvre originale.

Son esthĂ©tique musicale, teintĂ©e de soul, de jazz, de gospel, Ă©pouse l’histoire d’un peuple, ses blessures et ses espĂ©rances. Sa musique devient un refuge, une dĂ©claration d’amour, un manifeste.

MalgrĂ© son immense succĂšs, Luther Vandross demeure un homme discret. Peu mĂ©diatisĂ©, peu mondain, il fuit les projecteurs. Son poids, sa santĂ© fragile, sa vie privĂ©e longtemps tenue secrĂšte ; tout cela contribue Ă  forger une image de chanteur hors du temps, concentrĂ© sur l’essentiel : la musique.

Son Ă©lĂ©gance vocale contraste avec la brutalitĂ© des charts de l’époque. Il refuse les facilitĂ©s du marketing et se concentre sur l’authenticitĂ©, la justesse, la sincĂ©ritĂ©. Il n’est pas une idole, mais un artisan du sublime.

Luther Vandross, la voix d’or du R&B

Luther Vandross meurt le 1er juillet 2005, Ă  54 ans, des suites d’un AVC. Le monde perd une voix. L’AmĂ©rique noire perd un monument. Mais son Ɠuvre, elle, continue de rĂ©sonner.

Ses chansons peuplent les playlists, les mariages, les moments de solitude ou de joie. Il est repris, remixé, redécouvert. Son timbre reste unique. Inimitable. Intemporel.

De BeyoncĂ© Ă  Usher, de John Legend Ă  Alicia Keys, tous lui rendent hommage. Il a inspirĂ© une gĂ©nĂ©ration entiĂšre d’artistes R&B, de producteurs et de vocalistes.

Aujourd’hui, Luther Vandross est une icĂŽne. Une rĂ©fĂ©rence. Une balise dans l’histoire musicale afro-amĂ©ricaine. Ses disques, ses arrangements, ses textes, tout tĂ©moigne d’une quĂȘte : celle de la perfection musicale et de la dignitĂ© noire.