Sénégal : le pouvoir met fin à la présence militaire française

Le 17 juillet 2025, à Dakar, l’armée française a officiellement quitté le sol sénégalais, mettant fin à plus de soixante ans de présence militaire ininterrompue. Ce retrait, inscrit dans un cycle de désengagement français en Afrique de l’Ouest, résonne comme un tournant historique. Car derrière les symboles (une remise de clés, une cérémonie protocolaire) se joue une bascule bien plus profonde : celle d’un continent qui reprend, lentement mais fermement, le contrôle de sa souveraineté stratégique.

Longtemps tolérée, parfois contestée, la présence militaire française en Afrique aura cristallisé les tensions entre coopération sécuritaire et ingérence postcoloniale. Le Sénégal, jusqu’ici perçu comme un bastion de la “Françafrique tranquille”, se dresse désormais à l’avant-garde d’un nouveau rapport à la puissance étrangère : lucide, autonome, et résolument panafricain. Le président Bassirou Diomaye Faye incarne cette génération de leaders décidés à ne plus composer avec l’héritage de la tutelle militaire.

Cet article revient sur les implications de ce retrait, en l’inscrivant dans une dynamique continentale où les peuples, plus éveillés que jamais, exigent que les actes d’indépendance cessent d’être des commémorations pour devenir des réalités. La fin de la base française à Dakar ne clôt pas une histoire : elle ouvre celle d’une Afrique maîtresse de ses choix.

La France quitte enfin le Sénégal

Sénégal : la France met fin à sa présence militaire, une page se tourne à Dakar
Deux soldats français lors du retrait de la force Barkhane en août 2022 © EMA

Le 17 juillet 2025 restera une date symbolique dans l’histoire contemporaine du Sénégal. Au camp Geille1, dans le quartier de Ouakam à Dakar, les drapeaux tricolores ont été pliés pour la dernière fois, les clés solennellement remises, et la présence militaire française définitivement levée. Ce moment solennel ne fut pas qu’un simple transfert logistique ; il s’agissait d’un acte de souveraineté, d’une restitution d’espace autant physique que politique.

Présente depuis 1960, année de l’indépendance du Sénégal, l’armée française n’avait jamais quitté réellement les lieux. Plus de six décennies d’une présence qualifiée officiellement de “coopérative”, mais vécue par beaucoup comme un prolongement d’une domination postcoloniale subtile. La base de Dakar, autrefois pivot stratégique de l’armée française en Afrique de l’Ouest, représentait bien plus qu’un site militaire : elle incarnait un déséquilibre historique, une asymétrie dans les rapports de force entre une puissance déclinante et un continent en quête d’émancipation.

La restitution du camp Geille est donc hautement symbolique. Elle n’est pas qu’une opération militaire ; elle traduit une reconquête du territoire national, longtemps partiellement sous tutelle. Pour nombre de Sénégalais, voir les derniers soldats français quitter le sol national équivaut à clore une ère ; celle où l’indépendance était nominale, mais la réalité stratégique encore soumise à l’ancien colonisateur. Ce départ scelle ainsi un tournant profond dans la relation entre la France et le Sénégal, mais aussi dans la conscience panafricaine d’une souveraineté retrouvée.

De l’indépendance politique à la souveraineté militaire réelle

le chef d’état-major des armées du Sénégal, le général Mbaye Cissé (d), et le général Pascal Ianni (g), à la tête du commandement de l’armée française pour l’Afrique,lros de la cérémonie de restition, Dakar, le 17 juillet 2025. AFP. Patrick Meinhardt

Depuis 1960, le Sénégal jouissait officiellement de son indépendance. Les drapeaux avaient changé, les hymnes aussi, mais une partie cruciale de la souveraineté (celle qui s’exerce par la maîtrise du territoire et de la sécurité) était restée sous influence. À travers des accords de défense bilatéraux signés dans l’euphorie post-indépendance, l’État sénégalais avait en réalité intégré une architecture sécuritaire façonnée par la France, pour la France.

Sous couvert de coopération, ces accords ont instauré une forme de tutelle stratégique. L’armée française, bien qu’ayant progressivement réduit sa visibilité, conservait une présence symboliquement forte, au cœur même de la capitale sénégalaise. Les Eléments Français au Sénégal (EFS)2, héritiers des Forces Françaises du Cap-Vert, n’étaient pas des unités combattantes, mais leur rôle dépassait la simple formation : ils assuraient un maillage sécuritaire, une présence diplomatiquement militaire, parfois dissuasive.

Le Sénégal, présenté comme un élève modèle de la coopération franco-africaine, fut longtemps le pilier ouest-africain d’un dispositif que d’aucuns qualifient aujourd’hui de “Françafrique sécuritaire”. Cette loyauté apparente s’expliquait autant par la formation d’une élite militaire francophile que par la peur du vide sécuritaire, soigneusement entretenue.

Mais que vaut une indépendance si les leviers de défense nationale sont externalisés ? Pendant plus d’un demi-siècle, le pays a vécu sous une forme d’indépendance amputée : les apparences d’un État libre, mais la réalité d’un territoire partiellement administré en matière militaire par une puissance extérieure. Cette configuration n’était pas propre au Sénégal, mais elle y avait un caractère particulièrement durable.

C’est précisément cette illusion d’autonomie que la rupture actuelle vient balayer. En récupérant l’intégralité du contrôle de ses installations militaires, le Sénégal pose un acte fort : il transforme son indépendance politique en souveraineté militaire réelle. Une nuance cruciale, qui ouvre la voie à une nouvelle définition des relations internationales africaines ; fondée non sur la protection, mais sur l’égalité entre partenaires.

Le discours panafricaniste d’un nouveau leadership

L’ancien camp militaire français de Bel Air, à Dakar, en juin 2010.  SEYLLOU DIALLO / AFP

L’accession de Bassirou Diomaye Faye à la présidence du Sénégal en avril 2024 a marqué un véritable basculement idéologique. Porté par une jeunesse assoiffée de justice sociale et de souveraineté réelle, son discours s’inscrit dans une tradition panafricaniste trop longtemps marginalisée dans les cercles de pouvoir. En rompant avec les dogmes hérités de l’après-indépendance, le nouveau chef de l’État sénégalais incarne un leadership décomplexé, affirmé, qui place la dignité nationale au cœur de son action.

Dès novembre 2024, bien avant la cérémonie de restitution du camp Geille, Bassirou Diomaye Faye annonçait clairement la fin prochaine de toute présence militaire étrangère sur le sol national. Ses mots furent sans ambiguïté :

« Le Sénégal est un pays indépendant, c’est un pays souverain, et la souveraineté ne s’accommode pas de la présence de bases militaires dans un pays souverain. »

Cette déclaration résonne comme un coup de tonnerre dans un paysage ouest-africain encore marqué par les ambiguïtés postcoloniales.

Mais ce discours n’était pas un simple acte de bravoure symbolique. Il traduit une vision stratégique assumée : celle d’un État africain qui choisit de traiter l’ancienne puissance coloniale (et toutes les puissances extérieures) non plus comme des tuteurs historiques, mais comme de simples partenaires, soumis aux mêmes conditions de respect mutuel. Le Sénégal, sous cette nouvelle gouvernance, affirme son droit à l’égalité diplomatique et stratégique.

Ce positionnement s’inscrit dans un élan plus large, nourri par les luttes historiques du continent pour l’émancipation totale. Il renoue avec l’esprit des figures panafricanistes comme Cheikh Anta Diop ou Kwame Nkrumah, qui voyaient dans le contrôle des affaires militaires un pilier de toute véritable souveraineté. Dans cette perspective, la fermeture de la base française ne constitue pas un isolement, mais une affirmation de maturité politique.

Une dynamique continentale (les peuples rejettent l’ingérence)

Cérémonie à Dakar en présence du chef d’état-major des armées du Sénégal, le général Mbaye Cissé, et du général Pascal Ianni, à la tête du commandement de l’armée française pour l’Afrique, le 17 juillet 2025  AFP  Patrick Meinhardt

Le retrait de l’armée française du Sénégal ne saurait être lu comme un événement isolé. Il s’inscrit dans une séquence historique plus vaste, marquée par une remise en cause généralisée de la présence militaire française en Afrique. Du Mali au Burkina Faso, en passant par le Niger et le Gabon, un même vent de refus souffle : celui de l’ingérence sécuritaire camouflée en coopération. Ce mouvement, initié souvent par des transitions militaires ou des bouleversements politiques, trouve sa source profonde dans une volonté populaire largement partagée.

Au Mali, le ton avait été donné dès 2022 avec le départ précipité de l’opération Barkhane, chassée par une junte décidée à rompre avec la tutelle sécuritaire française. Au Burkina Faso, la rupture fut plus brutale encore : les autorités ont exigé en 2023 le retrait pur et simple des troupes françaises, au nom d’une souveraineté recouvrée. Le Niger, peu après, a suivi la même logique, actant un divorce géopolitique inédit avec Paris. Même le Gabon, historiquement aligné, a réorienté sa base française en “camp partagé” à usage exclusivement formatif.

Ce désengagement progressif (parfois contraint, parfois négocié) n’est pas simplement le symptôme d’un rejet de la France. Il révèle une recomposition profonde du rapport des États africains à leur propre sécurité. L’idée selon laquelle l’ordre sur le continent devait être garanti par des forces extérieures est en déclin. À sa place émerge une volonté d’autonomie, de mutualisation des capacités de défense, et surtout de responsabilisation continentale.

L’Afrique de l’Ouest, et plus largement le continent africain, entre dans une phase où ses choix diplomatiques et stratégiques s’affirment avec davantage de clarté. L’influence des anciennes puissances coloniales se dilue au profit d’un multilatéralisme pragmatique, où les partenariats se diversifient et les lignes rouges se redessinent. La souveraineté militaire devient non seulement un droit, mais un impératif politique.

La rupture sénégalaise, opérée dans un cadre civil et démocratique, tranche avec les dynamiques de transition militaire observées ailleurs. Elle offre une voie alternative : celle d’une affirmation panafricaine sans recours à la force, portée par une légitimité populaire incontestable.

Quelle suite pour l’Afrique post-Françafrique ?

La fermeture de la base militaire française de Dakar ne marque pas seulement la fin d’une présence ; elle ouvre une question fondamentale : comment garantir, dans la durée, une souveraineté militaire véritablement autonome ? Car si le départ des troupes étrangères est une victoire symbolique, l’histoire nous enseigne que l’indépendance n’est qu’un début. La suite, plus complexe, exige vigilance populaire et structuration stratégique.

L’Afrique ne peut se permettre de substituer une dépendance par une autre. La tentation d’appeler de nouveaux “partenaires” (qu’ils soient russes, turcs ou chinois) pourrait reproduire les schémas anciens sous d’autres formes. La souveraineté ne se délègue pas : elle se construit, patiemment, par des politiques de défense endogènes, des formations locales, et une confiance renouvelée dans les capacités des armées nationales. Cela implique aussi d’investir dans une coopération militaire régionale panafricaine, hors des logiques néocoloniales.

La mutualisation des forces, à l’échelle de la CEDEAO3 ou de l’Union africaine, devient une nécessité. Face aux menaces transfrontalières, du terrorisme aux trafics illicites, aucun État ne peut faire cavalier seul. L’ambition d’une défense collective africaine (longtemps repoussée au nom du pragmatisme diplomatique) s’impose aujourd’hui comme un impératif stratégique. Le moment est venu pour le continent de parler d’une seule voix sécuritaire, et d’agir en conséquence.

La fin de la base de Dakar peut ainsi devenir un symbole : celui d’un continent qui refuse d’être un échiquier stratégique pour les puissances extérieures. C’est le signal que l’Afrique peut (et doit) assurer sa propre défense, selon ses valeurs, ses priorités et ses réalités. Pour que la souveraineté cesse d’être un slogan et devienne une pratique quotidienne.

Ce n’est pas une fin. C’est un commencement.

Sources

  • AP News : couverture complète du retrait avec cérémonie à Dakar, détails sur les 350 militaires, contexte Ouest‑Africain, base de Djibouti
  • France 24 (AFP) : fin de la présence militaire permanente, restitution des emprises dont le camp Geille
  • Le Monde (AFP) : historique, accords depuis 1960, politique de Bassirou Diomaye Faye, réajustement des bases
  • TV5Monde (AFP via LSi‑Africa) : précisions sur le retrait des 350 militaires, calendrier

Notes

  1. Camp Geille : Principal site militaire français à Dakar, situé dans le quartier de Ouakam, il abritait le poste de commandement des Eléments Français au Sénégal (EFS) jusqu’à leur retrait définitif en juillet 2025. ↩︎
  2. Eléments Français au Sénégal (EFS) : Détachement militaire non-combattant mis en place en 2011 pour succéder aux Forces Françaises du Cap-Vert. Leur mission était centrée sur la coopération et la formation avec les forces armées sénégalaises. ↩︎
  3. CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) : Organisation régionale ouest-africaine fondée en 1975, regroupant 15 États membres, visant à promouvoir l’intégration économique, politique et sécuritaire de la région. ↩︎

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