Et si c’était ça, le vrai jeu de société ?
Un musée européen, une vitrine blindée, un artefact africain, une alarme. Tu ne viens pas voler. Tu viens récupérer. C’est toute l’ironie de Relooted, jeu indépendant développé par le studio sud-africain Nyamakop. Ici, on n’incarne pas un voleur. On incarne un rappel. Un rappel à l’Histoire, aux dettes non soldées, aux objets déplacés, mais jamais restitués. Le tout manette en main, avec style et conscience.
Parce qu’il faut le dire franchement : Relooted, c’est un peu Assassin’s Creed, sauf que cette fois, tu joues pour les bonnes raisons.
Un casse comme alibi pour une leçon

Le gameplay est accrocheur : infiltration, parkour, stratégie… tout ce qu’on aime dans un bon jeu de « heist ». Sauf qu’au lieu de bijoux ou de lingots, on vise des objets volés. Des vrais. Le jeu intègre plus de 70 artefacts authentiques, tous pillés pendant la colonisation et aujourd’hui « conservés » — comprenez : exhibés — dans des musées occidentaux.
Mais la vraie surprise arrive après le vol : une fiche explicative, sobre, glaçante parfois. Chaque objet braqué est l’occasion d’une petite leçon d’histoire. On apprend par exemple qu’un tambour Pokomo du Kenya, exposé à Berlin, avait disparu depuis un siècle. Il est dans le jeu. Et toi, tu viens le chercher. Pas pour le vendre. Pour le ramener.
On pensait jouer, on se retrouve à réfléchir. C’est peut-être là le plus gros twist de Relooted.
Le musée comme théâtre du mensonge
Relooted n’accuse pas frontalement. Il propose. Il invite. Et c’est là que le malaise s’installe doucement, comme une lumière trop blanche sur un passé mal lavé. Parce que cette question – « est-ce du vol, si c’était déjà volé ? » – traverse tout le jeu comme un courant souterrain.
Dans un monde vidéoludique saturé de fictions violentes et de récits de domination, Relooted ne choisit pas la vengeance. Il choisit la restitution. Et dans cette démarche, le jeu met le doigt là où ça gratte : les musées occidentaux sont les plus grands receleurs d’objets volés au monde, et tout le monde fait comme si de rien n’était.
Pendant ce temps, ton personnage saute entre les lasers et les caméras de surveillance, pour récupérer une statue baoulé ou une coiffe cérémonielle igbo. Et une fois de plus, ce n’est pas une histoire inventée. Tout est réel. Trop réel.
90% du patrimoine africain est encore « ailleurs »

C’est une stat qui claque comme une gifle : près de 90% du patrimoine culturel africain se trouve encore hors du continent. Une partie en France, beaucoup au Royaume-Uni, et une bonne quantité en Allemagne, Belgique, etc. Relooted ne fait qu’imaginer un monde où quelqu’un aurait le cran de le reprendre.
Et pourtant, le jeu ne tombe jamais dans le moralisme. Il préfère l’ironie. Il t’apprend à grimper sur des colonnes en marbre pour récupérer un masque, pendant que la sono du musée t’explique que « cet objet provient d’une donation exceptionnelle ». Oui, une donation. L’absurde devient comique. Et c’est dans ce comique que naît la critique.
Une gifle douce aux collectionneurs de pillage
C’est ce qui rend Relooted unique : il n’a pas besoin de grands discours. Il te montre les choses. Il te laisse te débrouiller avec. Il t’oblige à courir, à t’accroupir, à t’introduire dans ces lieux sacrés du vol légalisé. Et à la fin, quand tu ressors avec ton butin, c’est pas la dopamine qui monte. C’est le poids de ce que tu transportes.
En réalité, Relooted fait plus que restituer des objets. Il restitue du contexte. Ce que beaucoup d’institutions refusent de faire.
La pédagogie par le jeu… et par le braquage
En 2025, il fallait peut-être un jeu vidéo pour rappeler que l’Histoire ne s’efface pas. Elle s’exhibe, elle s’achète, elle s’accroche aux murs. Mais elle peut aussi se reprogrammer. Avec du code. De la volonté. Et un peu de sarcasme.
Relooted n’est pas un simple divertissement. C’est un petit doigt levé dans une salle d’exposition trop silencieuse. Et s’il faut faire sauter les alarmes pour que ça se voie, alors soit.
🕹️ À noter

- Sortie prévue : 2025 sur Steam (et peut-être consoles)
- Développeur : Nyamakop, studio sud-africain à l’origine du poétique Semblance
- À suivre : le développement s’annonce communautaire. Wishlist ouverte. Soutien bienvenu.