Avec WISH, première série 100 % produite en Guadeloupe, le cinéma antillais entre dans une nouvelle ère. Histoire d’un tournant culturel décisif.
Longtemps, le cinéma antillais a été une voix étouffée. Des récits épars, souvent portés à bout de souffle, avec des budgets fragiles, des circuits de diffusion incertains, et une reconnaissance tardive. Pourtant, malgré les silences institutionnels, les histoires ont toujours été là. Bouillonnantes. Vivantes. Prêtes à jaillir.
Aujourd’hui, un cap est franchi. Avec la série WISH, première fiction guadeloupéenne de grande envergure produite localement, c’est toute une industrie en devenir qui frappe à la porte.
Tournée intégralement en Guadeloupe, avec des équipes, des talents et des moyens du pays, WISH n’est pas une exception. Elle est un signal, un point de bascule. Le début d’un récit collectif où les Antilles ne sont plus juste les décors exotiques de fictions hexagonales, mais bien les épicentres de leurs propres narrations.
WISH, c’est le fruit d’années de combat. C’est la réponse artistique d’un territoire qui en avait assez d’attendre. Et peut-être (enfin) le tournant tant espéré pour le cinéma antillo-guyanais.
Une histoire marquée par l’oubli… et par l’audace


Le cinéma antillais est ancien, mais trop souvent invisible. Il a existé, existe encore, mais dans les marges, les interstices, les silences imposés. Les Antilles ont été filmées bien plus qu’elles ne se sont filmées elles-mêmes.
Les débuts ?
Ils portent les noms de pionniers oubliés. Dans les années 1970-1980, Christian Lara en Guadeloupe tourne Coco La Fleur ou Sucre amer, premières fictions locales assumées, en créole, avec des comédiens du cru.
Puis vient Euzhan Palcy, martiniquaise, qui bouleverse tout en 1983 avec Rue Cases-Nègres. Un chef-d’œuvre. Premier film antillais internationalement reconnu. Et pourtant… l’exception ne devient pas la règle.
Les décennies suivantes voient fleurir des documentaires, des courts-métrages, des projets courageux mais isolés. Les festivals comme le FEMI en Guadeloupe ou le Festival de Cinéma de la Martinique deviennent des refuges.
Mais les obstacles sont toujours là : financements quasi inexistants, manque d’équipements, absence de formation locale, peu de lieux de diffusion. L’Hexagone filme les Antilles, souvent à sa manière, pendant que les créateurs locaux doivent mendier une caméra.
Et pourtant, les récits ne meurent jamais. Ils résistent, se transmettent, s’adaptent. L’arrivée du numérique, les chaînes locales, les téléfilms de France Télévisions ont offert de nouveaux espaces. Mais ce n’était pas encore une industrie.
WISH arrive comme la synthèse de toutes ces luttes, de toutes ces ambitions restées trop longtemps dans les tiroirs.
WISH : une série, une déclaration d’indépendance

Avec WISH, quelque chose bascule.
Pour la première fois, une série de fiction ambitieuse, portée par des talents locaux, produite et tournée intégralement en Guadeloupe, par une société basée sur place (Eye & Eye Productions), atteint les écrans nationaux via France Télévisions.
Ce n’est pas un simple programme : c’est un acte de souveraineté narrative.
C’est la première fois qu’une série se fait ici, avec nous, pour nous.
Les équipes techniques sont antillaises, les décors sont réels, les acteurs ne jouent pas l’exotisme ; ils racontent leur quotidien, avec leurs mots, leur langue, leur style, leur colère aussi.
On y parle créole sans le traduire à chaque ligne.
On y entend du zouk, du dancehall, du hip-hop, sans exotisation ni folklore.
On y montre la beauté d’un territoire, sans carte postale ni cliché tropical.
En cela, WISH incarne ce que pourrait être un “cinéma postcolonial” antillais :
- ancré dans son territoire,
- financé localement,
- diffusé massivement,
- et libéré des récits imposés.
C’est la première fois qu’un programme télévisé semble dire :
“On ne veut plus simplement exister dans vos histoires. On veut raconter les nôtres. Et les diffuser à nos conditions.”
À travers WISH, les Antilles prennent la caméra, pas seulement pour se filmer, mais pour se projeter dans l’avenir. C’est un modèle, une preuve, une base.
Ce qui bloque… et ce qui pousse

Si WISH ouvre une brèche, c’est aussi parce que le terrain reste miné.
Car faire du cinéma dans les Antilles, ce n’est pas juste une question d’inspiration. C’est une question d’infrastructure. Et jusqu’ici, tout manquait.
Les freins structurels :
- Matériel : Pas de studios, peu d’équipements, une logistique coûteuse à importer.
- Formation : Les talents sont là, mais peu de filières locales en audiovisuel pour structurer les carrières.
- Financement : Les aides nationales sont rares et mal calibrées pour les réalités ultramarines. Les chaînes locales ont des moyens limités.
- Distribution : Peu d’accès aux salles de cinéma, quasi absence sur les plateformes mondiales sans partenariats extérieurs.
Mais les lignes bougent.
Les leviers émergents :
- La création de sociétés de production implantées sur le territoire, comme Eye & Eye, avec une volonté d’ancrage et de durabilité.
- Le soutien accru de certaines institutions (France TV, Canal+, collectivités territoriales) à condition d’une mobilisation locale cohérente.
- Des collectifs de professionnels (scénaristes, réalisateurs, comédiens, techniciens) commencent à s’organiser pour former une véritable filière antillo-guyanaise.
- Les réseaux sociaux et plateformes numériques, qui permettent aujourd’hui une diffusion directe, internationale, sans forcément passer par Paris.
Et surtout : le succès de projets comme WISH, qui prouvent que c’est possible.
Ce succès est un levier en soi : il peut créer un effet domino, convaincre d’autres diffuseurs, faire bouger les lignes politiques, et inspirer une nouvelle génération de créateurs.
WISH, ou l’art d’ouvrir la voie

WISH ne se contente pas d’exister. Elle crée des possibles.
Elle ouvre une route qu’il faudra emprunter, baliser, élargir. Elle montre que l’on peut produire une série de qualité, en créole, avec des artistes du pays, sur un territoire souvent relégué aux marges de la production audiovisuelle.
Mais ce n’est pas un miracle. C’est le fruit d’un choix stratégique, d’une volonté politique, d’un engagement collectif. Et demain, cette dynamique peut s’amplifier ; à deux conditions majeures :
1. Une structuration durable de la filière
Il ne s’agit pas de célébrer un “coup d’éclat”, mais de construire une industrie. Cela passe par :
- la formation continue des métiers du cinéma localement ;
- l’incitation à la coproduction Sud-Sud (Antilles-Afrique-Caraïbes) ;
- la création de studios permanents ;
- et l’adaptation des aides du CNC aux réalités des Outre-mer.
2. Une mobilisation du public afro-antillais
Car l’audience, c’est la clef. Si WISH rencontre un succès massif sur France.tv, cela envoie un message clair :
“Nous sommes prêts. Nous avons faim de nos histoires. Donnez-nous la suite.”
À travers cette série, c’est toute une jeunesse qui peut se reconnaître. Une génération qui n’a pas grandi avec des héros qui leur ressemblent, mais qui aujourd’hui, peut voir à l’écran ses luttes, ses sons, ses mots, ses visages.
WISH n’est pas une fin.
C’est un début.
Un manifeste.
Et peut-être, dans quelques années, un point de repère historique.
Voir WISH, c’est soutenir une révolution silencieuse

ce mois de juin 2025, WISH sera disponible gratuitement sur France.tv.
Ce n’est pas juste une date de diffusion : c’est un rendez-vous avec l’Histoire.
- Un rendez-vous pour tous ceux qui veulent voir autre chose à l’écran.
- Un rendez-vous pour ceux qui estiment que les Outre-mer ont des récits à porter.
- Un rendez-vous pour la diaspora afro, qui ne veut plus être spectatrice, mais actrice du changement.
Regarder WISH, c’est faire plus que consommer une série. C’est envoyer un signal aux diffuseurs, aux décideurs, aux institutions :
“Oui, le cinéma antillais a un avenir. Et nous serons là pour l’écrire.”
Alors regardez. Partagez. Soutenez. Commentez. Et surtout : n’oubliez pas. Ce n’est pas qu’une série. C’est le début d’un mouvement.