Depuis Fruitvale Station, Ryan Coogler n’a jamais cessé de raconter le réel à travers des figures noires en mouvement. Que ce soit avec Creed, Black Panther ou Sinner, il filme la douleur, la mémoire et l’héritage avec une sensibilité qui transcende le genre. Avec Ironheart, sa première incursion série au sein du Marvel Cinematic Universe (MCU) et BP, Coogler étend son empreinte narrative en jonglant avec deux univers noirs à la fois singuliers et contrastés : le Wakanda idéalisé et un Chicago bien réel, marqué par ses blessures.
Riri Williams, celle qui n’était pas Stark

Dans cette nouvelle série centrée sur notre Riri Williams, jeune génie afro-américaine du South Side de Chicago, on retrouve la patte Coogler : une maîtrise du rythme, une esthétique ancrée dans l’intime, et surtout une volonté de faire dialoguer les luttes contemporaines avec les figures mythologiques modernes. Riri, dans ses doutes comme dans ses fulgurances, incarne à la fois l’hommage à Tony Stark et la rupture totale avec son modèle. Inspirée par le milliardaire repenti, elle construit elle-même son armure – mais ne vient ni d’un laboratoire Stark, ni d’un monde protégé par des milliards. Elle vient de la rue. D’un quartier. D’un vécu.
Ryan Coogler ne cherche pas à édulcorer Chicago : la ville est montrée dans toute sa complexité. La violence des gangs, la pression des proches, l’absence de perspectives… Rien n’est caché. Pourtant, jamais cette violence ne devient spectaculaire ou gratuite. Elle est traitée comme dans les comics originaux de Riri Williams, où chaque pas en avant semble pouvoir être englouti par un drame. Elle est une Peter Parker plus exposée aux mauvaises tentations. Chez elle, la chute est possible. L’échec est un horizon réaliste.
La magie noire dans un univers scientifique
À ce Chicago sombre, la série juxtapose une autre tonalité : celle de la magie. Car Ironheart n’est pas qu’une série urbaine. C’est aussi une passerelle entre science et surnaturel. En cela, elle s’insère subtilement dans la nouvelle phase du MCU, marquant des liens inattendus avec les Eternals, Agatha All Along ou WandaVision.
Coogler réussit l’exploit de faire cohabiter une réalité sociale dure avec l’irruption du fantastique. Et comme dans Sinner, où la magie était explorée sous l’angle des traditions afro-américaines, il injecte ici une touche culturelle forte. Les symboles, les croyances, les pratiques ancestrales sont là. Pas comme folklore, mais comme mémoire vivante. C’est toute la richesse des cultures noires qui se fraye un chemin entre les explosions et les portails interdimensionnels.
Le fait que la série soit développée sous le label Marvel Television n’enlève rien à sa connexion au MCU. Bien au contraire. Riri apparaît après Black Panther: Wakanda Forever, et ses liens avec l’héritage technologique du Wakanda sont évidents. Mais là où Shuri représente une science royale, Riri est l’archétype du self-made genius. Là où l’une est protégée par une nation invisible, l’autre doit survivre dans un environnement hostile. Et c’est cette dualité, entre Wakanda et Chicago, que Ryan Coogler orchestre avec finesse.
La fille à « L’Ironheart »
La série se veut origin story. C’est une réflexion sur ce que signifie « hériter » dans un monde qui ne vous laisse pas de place. Hériter d’une idée (Iron Man), d’un territoire (Chicago), d’une histoire (celle des Noirs d’Amérique) et d’un avenir incertain. Coogler y signe une série vibrante, qui tente le pari d’honorer l’univers Marvel tout en le confrontant à des réalités bien trop souvent laissées à la marge.
On s’attarde aussi sur les racines, les liens, les blessures qui façonnent sa personnalité. On découvre davantage sa mère, Ronnie Williams, figure maternelle forte mais vulnérable, qui tente de maintenir un semblant de normalité dans un environnement chaotique. On retrouve aussi Xavier Washington, ami d’enfance et témoin de ses premières inventions, dont le destin est intimement lié à celui de Riri.
Et de nouveaux personnages comme Parker Robbins, aka The Hood, viennent complexifier son monde. Robbins, entre magie noire et morale trouble, représente une autre facette de la survie à Chicago : celle qui flirte avec les ténèbres pour s’en sortir. Tous ces visages participent à ancrer Riri dans un tissu humain dense
Avec Ironheart, l’univers Marvel gagne une héroïne brillante, contradictoire, dangereusement jeune et humaine. Et surtout, il gagne à nouveau la voix de Ryan Coogler, ce cinéaste pour qui être noir n’est pas un sujet : c’est un prisme, un langage, une respiration.