Mentewab (1706–1773) : Autorité féminine, légitimité dynastique et enjeux politiques dans l’Éthiopie impériale du XVIIIe siècle

Figure emblématique de l’Éthiopie impériale du XVIIIe siècle, l’impératrice Mentewab incarne l’une des expressions les plus complexes du pouvoir féminin dans une monarchie sacralisée. À la fois régente, bâtisseuse, stratège dynastique et actrice centrale de la scène politique, elle s’impose dans un monde dominé par les logiques patriarcales, sans jamais renier la dimension spirituelle de sa mission. Son parcours, jalonné de conquêtes symboliques et de revers tragiques, révèle les tensions internes d’un empire en mutation.

Une impératrice au cœur d’un empire sacré

Mentewab (1706–1773) : Autorité féminine, légitimité dynastique et enjeux politiques dans l’Éthiopie impériale du XVIIIe siècle
L’impératrice Mentewab (ca. 1706 – 1773) a construit l’église de Narga Selassié. Voici l’une des icônes du Saint des Saints, au centre de l’église. Île Dek, lac Tana, Éthiopie. Fin du 18e siècle.

Au XVIIIe siècle, l’Empire éthiopien, ancré dans les hautes terres d’Afrique orientale, traverse une période de profondes mutations politiques et sociales. Héritier d’une tradition monarchique millénaire, cet empire chrétien orthodoxe repose sur la légitimité sacrée de la dynastie salomonide, qui revendique une ascendance directe du roi biblique Salomon et de la reine de Saba. Dans ce contexte, le pouvoir impérial ne se résume pas à l’autorité politique : il incarne également une fonction spirituelle, culturelle et dynastique essentielle à l’unité du royaume.

C’est dans cette trame impériale que s’inscrit la figure exceptionnelle de Mentewab, impératrice consort du roi Bakaffa, régente influente sous le règne de son fils Iyasu II, et actrice incontournable du destin de son petit-fils Iyoas Ier. Bien au-delà de son rôle de mère et d’épouse, Mentewab s’impose comme une stratège politique, une bâtisseuse de sanctuaires, et une femme de pouvoir au charisme redoutable, capable d’influencer les équilibres du royaume tout entier.

Comment cette impératrice est-elle parvenue à incarner, à elle seule, les tensions et les aspirations d’un empire en transformation ? En quoi son parcours illustre-t-il les dynamiques croisées du pouvoir, de la religion et de la légitimité dans l’Éthiopie du XVIIIe siècle ?

Pour répondre à ces questions, nous mènerons une étude croisée de sa trajectoire biographique, de son rôle politique central, de ses réalisations architecturales, ainsi que du symbolisme profond qui entoure sa mémoire.

De Qwara au trône

Mentewab (1706–1773) : Autorité féminine, légitimité dynastique et enjeux politiques dans l’Éthiopie impériale du XVIIIe siècle
Château de Mentewab à Fasil Ghebbi, Gondar, Éthiopie

Pour comprendre la stature exceptionnelle de Mentewab dans l’histoire éthiopienne, il est essentiel de revenir sur ses origines et les circonstances qui l’ont portée au sommet de l’État impérial. Loin d’être une simple épouse royale, elle est d’abord le produit d’un enracinement noble puissant, consolidé par une intelligence politique manifeste dès son arrivée à la cour.

Née vers 1706 dans la province de Qwara, Mentewab (dont le nom baptismal était Walatta Giyorgis) est issue d’une famille de l’aristocratie régionale. Son père, Dejazmatch Manbare de Dembiya, et sa mère, Woizero Yenkoy, appartenaient à des lignées proches du pouvoir impérial. Cette filiation noble la rattache non seulement aux élites du royaume, mais également, selon certaines traditions, à une branche ancienne de la dynastie salomonide. Ainsi, bien avant de devenir impératrice, Mentewab portait en elle une légitimité dynastique qui allait renforcer sa future position politique.

Son mariage avec l’empereur Bakaffa, le 6 septembre 1722, marque un tournant décisif. L’union survient dans un contexte particulier : la première épouse de Bakaffa meurt mystérieusement le jour même de son couronnement. Cette mort soudaine (un événement qui, dans une cour imprégnée de sacré et de symbolisme, ne pouvait être interprété que comme un mauvais présage) ouvre la voie à Mentewab, appelée à occuper le trône impérial comme nouvelle consort. Ce mariage n’est pas seulement une alliance personnelle ; il scelle un pacte entre Bakaffa et une élite régionale de Qwara, renforçant la base politique de l’empereur.

Rapidement, Mentewab s’impose dans l’entourage royal. À la fois cultivée, pieuse et habile dans les jeux de cour, elle comprend les rouages du pouvoir et les enjeux dynastiques. Elle donne naissance à Iyasu, l’héritier du trône, consolidant ainsi sa position. Mais c’est surtout à partir de 1728, alors que l’empereur est frappé par une maladie invalidante, que Mentewab entre véritablement en scène en tant que dirigeante de facto du royaume. Sans couronnement officiel, elle devient régente dans les faits, tenant les rênes de l’administration et gérant les affaires du palais. Cette période pose les fondations de ce qui deviendra un règne en co-souveraineté avec son fils.

Ainsi, dès ses premières années à la cour, Mentewab se distingue par une ascension atypique, à la croisée des dynamiques familiales, politiques et religieuses. Son autorité, loin d’être accidentelle, s’ancre dans une stratégie consciente et dans un contexte où la transmission du pouvoir se conjugue aussi bien au masculin qu’au féminin.

Le pouvoir partagé 

L’accession d’Iyasu II au trône en 1730 marque une rupture dans l’histoire monarchique éthiopienne : pour la première fois, une impératrice mère est officiellement couronnée en tant que co-régente. Ce geste politique, loin d’être symbolique, traduit la réalité du pouvoir : Mentewab dirige l’Empire aux côtés de son fils, qui n’est encore qu’un jeune adolescent à l’époque. Cette décision fait d’elle non seulement la gardienne de la légitimité dynastique, mais aussi l’arbitre des équilibres politiques à la cour.

Dès ce couronnement, Mentewab obtient le titre honorifique de Berhan Mogassa (« Lumière de Grâce« ), écho direct au titre de son fils Berhan Seged (« Lumière Adorée« ). Ces titres, hautement chargés de signification spirituelle, positionnent mère et fils non seulement comme détenteurs du pouvoir temporel, mais aussi comme figures quasi-théocratiques. L’union de leurs autorités incarne une sorte de symbiose monarchique rare, où le trône se partage entre générations, mais aussi entre genres.

Dans les faits, Mentewab exerce une influence considérable sur les affaires du royaume. Les décisions majeures passent par elle. Elle maintient un conseil restreint, compose avec les rivalités entre les grandes maisons régionales, et assure la continuité administrative dans une Éthiopie où le pouvoir est aussi itinérant que fragile. Ses origines qwaranes lui permettent de s’appuyer sur un réseau de partisans dans le nord-ouest de l’Empire, tandis que sa position de mère de l’empereur la rend intouchable dans le protocole de la cour.

Mais cette domination politique ne va pas sans opposition. Si son fils lui accorde sa confiance, d’autres voix, notamment parmi les aristocraties rivales, perçoivent cette concentration du pouvoir comme une anomalie. La tradition éthiopienne, bien que perméable à l’autorité féminine (comme le montre l’existence passée de reines-mères ou d’épouses influentes), n’avait encore jamais formalisé un tel partage de la souveraineté. Mentewab, en ce sens, inaugure un précédent audacieux.

Sa régence est marquée par une relative stabilité, mais aussi par des tensions latentes, en particulier avec certaines factions oromo qui montent en puissance au sein du royaume. Elle réussit, pendant près de vingt-cinq ans, à maintenir un équilibre précaire entre régions, clans et traditions. À travers une diplomatie constante, des alliances matrimoniales habiles et une intelligence politique affûtée, Mentewab s’impose comme le pivot du pouvoir impérial dans une époque charnière.

Cependant, cette position exceptionnelle est appelée à être remise en cause après la mort de son fils Iyasu II, en 1755. L’arrivée de sa belle-fille Wubit et la montée sur le trône de son petit-fils Iyoas I déclenchent une lutte d’influence qui fera éclater les fragiles compromis que Mentewab avait patiemment tissés.

Amours, lignées et stratégies

Si l’on retient de Mentewab son rôle politique de premier plan, il serait réducteur d’ignorer l’aspect plus personnel (et parfois controversé) de sa trajectoire. Car la régente fut aussi une femme de passions, de décisions intimes aux répercussions politiques profondes. Son existence démontre à quel point, dans la monarchie éthiopienne du XVIIIe siècle, le privé et le politique étaient inextricablement liés.

Peu après la mort de l’empereur Bakaffa, Mentewab entame une liaison avec un membre de la dynastie : Fitawrari Iyasu, surnommé Melmal Iyasu ; un sobriquet moqueur qui signifie littéralement « Iyasu l’entretenu », soulignant la perception à la cour qu’il vivait à l’ombre de la régente, entretenu par elle. Cette relation, avec un homme nettement plus jeune, choque une partie de l’aristocratie, peu habituée à voir une impératrice veuve rompre les normes de retenue et de réclusion attendues dans ce type de veuvage sacré.

Mais au-delà du scandale, cette union a une portée stratégique. Melmal Iyasu est doublement noble : par son père, il descend d’empereur Fasilides, et par sa mère, il est issu d’Iyasu le Grand (Adyam Seged). Autrement dit, ses enfants avec Mentewab sont des héritiers potentiels à la légitimité dynastique incontestable. De cette union naîtront trois filles : Altash, Walatta Israel, et surtout Woizero Aster, future épouse du redoutable Ras Mikael Sehul, figure incontournable des guerres de succession.

Par ces alliances, Mentewab étend sa toile d’influence. Elle marie ses filles à des gouverneurs puissants, en particulier dans les régions du Gojjam, du Tigré et de l’Amhara. Elle transforme ainsi ses descendantes en instruments diplomatiques, consolidant la position de sa famille dans toutes les régions clés du royaume. Ces mariages ne sont pas de simples unions aristocratiques : ils sont pensés comme des leviers d’équilibre et de fidélité au pouvoir central qu’elle incarne.

Mais ces choix personnels ne sont pas sans conséquences. L’entourage impérial, déjà divisé par des lignes ethniques, culturelles et régionales, voit dans les alliances matrimoniales de Mentewab une tentative de monopoliser l’héritage impérial. Lorsque son petit-fils Iyoas monte sur le trône, la rivalité éclate entre Mentewab et sa belle-fille Wubit, originaire de la noblesse oromo. Cette opposition n’est pas seulement familiale : elle reflète le clivage croissant entre l’ancienne noblesse chrétienne des hauts plateaux et les nouvelles forces oromo, intégrées à l’appareil de l’État depuis les générations précédentes.

L’épisode de sa liaison avec Melmal Iyasu révèle donc un trait fondamental de Mentewab : sa capacité à mêler émotion, stratégie, et ambition dynastique dans une logique de pouvoir sans faille. Dans un empire où chaque naissance, chaque mariage pouvait recomposer les équilibres politiques, l’impératrice a su faire de sa vie privée une arme de gouvernance ; parfois au prix du scandale, mais toujours avec une redoutable clairvoyance.

Bâtir pour l’éternité

Au-delà de la politique et des intrigues de cour, Mentewab laisse une empreinte indélébile sur le paysage physique et spirituel de l’Éthiopie impériale. À l’instar des grands mécènes du passé, elle s’est affirmée comme bâtisseuse d’empire, en érigeant des monuments qui relèvent à la fois du prestige, de la foi et de l’autorité symbolique. Par ces œuvres, elle ancre son règne dans la pierre, dans la liturgie et dans l’imaginaire collectif.

Son œuvre la plus emblématique demeure sans doute la construction du palais et de l’église de Qusquam, dans les hauteurs boisées aux abords de Gondar. Ce site, nommé en référence au lieu d’exil de la Sainte Famille en Égypte, n’est pas anodin : il relie Mentewab à une tradition chrétienne ancienne, en positionnant son sanctuaire sous la protection directe de la Vierge Marie. Cette dévotion mariale, très ancrée dans la spiritualité éthiopienne, confère à l’impératrice une forme d’aura sacrée qui complète son autorité terrestre.

Le complexe de Qusquam comprend non seulement une église richement décorée mais aussi un palais résidentiel, qui devient sa retraite favorite. Ce double espace (religieux et domestique) reflète une vision cohérente du pouvoir féminin : une autorité à la fois contemplative et gouvernante. Loin d’être un simple lieu de prière, Qusquam est aussi un centre d’influence culturelle, intellectuelle et politique. En choisissant de s’y établir à la fin de sa vie, Mentewab en fait un lieu de mémoire et de recueillement impérial.

Mais son œuvre architecturale ne s’arrête pas là. À Gondar, la capitale impériale, elle fait édifier son propre château dans l’enceinte royale de Fasil Ghebbi, à côté de ceux de ses prédécesseurs. Par cette initiative, elle s’inscrit dans la lignée des souverains bâtisseurs, et affirme une présence féminine dans un espace historiquement masculin. Elle y fait également construire une salle de banquet monumentale, lieu de réception et de diplomatie, où les fastes du pouvoir se déploient sous sa direction.

Ces constructions traduisent une vision du pouvoir fondée sur la pérennité. Mentewab cherche non seulement à gouverner, mais à inscrire son règne dans la durée, dans la pierre, dans le rituel. Chaque édifice est un message adressé aux générations futures : celui d’une souveraine qui a su conjuguer grandeur spirituelle et autorité temporelle.

Dans une Éthiopie où le sacré structure le politique, où les sanctuaires rivalisent de magnificence pour célébrer l’union entre Dieu et le trône, Mentewab a su comprendre que bâtir, c’était aussi régner. Ses œuvres marquent l’apogée d’un art chrétien éthiopien, nourri d’icônes, de fresques et de symboles mystiques ; un art au service du pouvoir, mais aussi de la foi.

Cour divisée, empire fracturé

Le pouvoir de Mentewab, si solide pendant près de trois décennies, va progressivement vaciller à la mort de son fils Iyasu II en 1755. Avec l’accession de son petit-fils Iyoas Ier, âgé de seulement sept ans, une nouvelle dynamique s’installe au sein de la cour : celle d’un affrontement larvé, puis ouvert, entre deux figures féminines ; Mentewab, la régente expérimentée, et Wubit (ou Welete Bersabe), la mère du nouvel empereur, issue de la noblesse oromo.

Ce conflit, souvent résumé à une rivalité de belles-filles, révèle en réalité une lutte de pouvoir aux racines ethniques, politiques et idéologiques profondes. Mentewab, incarnant la tradition chrétienne des hauts plateaux, défend une vision centralisatrice et solomonide de l’État. Wubit, quant à elle, s’appuie sur les réseaux oromo, de plus en plus influents dans l’armée et l’administration, et réclame légitimement son rôle de reine-mère, à l’image de ce qu’avait été Mentewab elle-même auparavant.

Face à cette impasse, Mentewab prend une décision capitale : elle convoque ses parents et alliés de Qwara à Gondar, faisant entrer dans la capitale une force militaire destinée à l’imposer comme tutrice du jeune empereur. Wubit, de son côté, riposte en appelant ses puissants parents oromo. La ville devient une poudrière, menaçant d’imploser sous la pression de deux blocs prêts à en découdre.

Pour éviter le bain de sang, Mentewab fait appel à une figure montante du nord, le célèbre Ras Mikael Sehul, gouverneur du Tigré et homme de guerre redouté. Ce dernier accepte de jouer le rôle de médiateur, mais Mentewab sous-estime son ambition. Une fois installé à Gondar, Mikael se saisit de la situation pour s’imposer comme l’arbitre suprême du pouvoir. Il marginalise Mentewab, met Wubit de côté, et finit par faire assassiner l’empereur Iyoas Ier par strangulation, une exécution politique aussi brutale qu’inédite.

Ce meurtre plonge Mentewab dans une détresse profonde. Elle, qui avait consacré sa vie à asseoir une dynastie, voit son petit-fils trahi, exécuté par celui qu’elle avait elle-même introduit à la cour. Pire encore : Mikael Sehul consolide son autorité en épousant Woizero Aster, fille de Mentewab, liant ainsi son crime à la famille royale par le biais d’un nouveau mariage politique.

Brisée, Mentewab se retire définitivement de la vie publique. Elle se réfugie dans son sanctuaire de Qusquam, où elle fait inhumer Iyoas aux côtés de son fils Iyasu II. Là, dans la solitude d’une retraite pieuse, elle vit ses dernières années en silence, dans une forme de pénitence et de deuil. Elle ne remettra plus jamais les pieds à Gondar.

Ce retrait n’est pas seulement une fuite : c’est un acte de désaveu, une dénonciation silencieuse du pouvoir devenu violence. Mentewab, qui avait su jouer des alliances et des conflits, se heurte finalement à une réalité plus crue : l’échec de sa stratégie dynastique, prise en tenaille entre ambition masculine et fragmentation ethnique. La fin de son règne annonce le crépuscule d’un âge d’or impérial, bientôt remplacé par une période de turbulences où les grandes maisons rivales imposeront leurs lois.

Solitude d’une reine déchue

Après des décennies passées au cœur du pouvoir impérial, Mentewab choisit de s’effacer dans un silence lourd de signification. Sa retraite à Qusquam, loin des intrigues de la cour de Gondar, n’est pas qu’un simple isolement : c’est une forme d’exil volontaire, un geste de renoncement et peut-être aussi de désillusion. Dans ce sanctuaire qu’elle avait elle-même fondé, elle vit entourée de moines, de serviteurs fidèles et de souvenirs — mais privée de toute influence réelle sur l’État.

Elle passe ses dernières années à honorer la mémoire de ses défunts, notamment son fils Iyasu II et son petit-fils Iyoas Ier, enterrés près d’elle. La triple sépulture de Qusquam, rassemblant mère, fils et petit-fils, forme un panthéon silencieux, un témoignage poignant de sa lignée brisée. C’est dans cette solitude, entre prière et méditation, que Mentewab s’éteint le 27 juin 1773, à l’âge de 66 ou 67 ans.

Mais si sa vie publique s’est terminée dans le recueillement, son héritage ne s’est pas effacé. Mentewab demeure l’une des rares femmes de l’histoire éthiopienne à avoir exercé un pouvoir aussi large et aussi longtemps. À la fois régente, stratège, bâtisseuse et matriarche, elle incarne une forme rare de pouvoir féminin sacralisé, encore inégalé dans les annales impériales. Par ses constructions, ses décisions politiques, ses alliances dynastiques, elle a modelé l’Éthiopie du XVIIIe siècle bien au-delà de son règne effectif.

Son souvenir reste vivant dans la mémoire populaire et ecclésiastique. Le site de Qusquam, avec ses fresques, ses icônes et ses archives religieuses, continue de rappeler la grandeur d’une souveraine à la fois pieuse et redoutable. Les historiens la reconnaissent comme une figure ambivalente : autant vénérée pour sa vision politique que critiquée pour ses intrigues et ses échecs. Certains voient en elle une souveraine tragique, victime d’un monde masculin brutal ; d’autres, une manipulatrice géniale, rattrapée par ses propres réseaux de pouvoir.

Son nom reste associé à la grandeur de Gondar, à l’architecture sacrée, à la foi mariale, mais aussi à la violence des successions et à la fragmentation du royaume. En cela, Mentewab incarne à la fois l’apogée et le déclin d’une époque impériale où le trône se voulait l’écho terrestre de la lumière divine.

Entre lumière et tragédie, le legs d’une impératrice hors norme

L’histoire de Mentewab est celle d’une femme qui a su s’inscrire dans les interstices du pouvoir impérial, dans un monde façonné par les hommes, les lignées et les liturgies. Régente affirmée, co-souveraine sacrée, bâtisseuse mystique et stratège dynastique, elle a repoussé les limites traditionnellement assignées aux femmes dans la hiérarchie impériale éthiopienne. À travers son parcours, elle devient un miroir des tensions de son époque : entre tradition et réforme, entre pouvoir central et régionalismes, entre sacré et manœuvres politiques.

Elle représente ainsi une figure rare de pouvoir féminin en Afrique précoloniale, qu’on pourrait comparer à des souveraines comme Nzinga du Ndongo ou Amina de Zaria. Mais là où ces dernières ont mené des guerres de conquête, Mentewab a exercé une forme de pouvoir subtile, imbriquée, souvent indirecte, basée sur la diplomatie, la maternité impériale et l’architecture du sacré. Elle a gouverné sans porter d’épée, mais non sans livrer bataille ; bataille contre les hommes, contre les usages, contre l’usure du pouvoir.

Son rôle dans l’architecture sacrée, notamment à Gondar et à Qusquam, montre combien elle comprenait l’importance de l’imaginaire religieux dans la consolidation du pouvoir. Les bâtiments qu’elle laisse ne sont pas de simples monuments : ils sont des gestes théologiques et politiques, des déclarations de foi autant que des affirmations d’autorité.

Mais elle est aussi une figure de tragédie. Les ambitions qu’elle a nourries pour sa lignée (à travers ses enfants et petits-enfants) ont été brutalement anéanties. L’assassinat de son petit-fils par l’homme qu’elle avait elle-même appelé à la cour scelle le paradoxe de son héritage : ceux qu’elle élève deviennent parfois ceux qui la détruisent.

Au terme de cette analyse, il apparaît que Mentewab est bien plus qu’une simple impératrice consort. Elle est l’un des pivots du pouvoir éthiopien au XVIIIe siècle, à la croisée des sphères politique, religieuse, et architecturale. Par sa capacité à incarner le pouvoir sous des formes multiples (visibles et invisibles, formelles et symboliques), elle nous oblige à reconsidérer la place des femmes dans les monarchies africaines et les modalités complexes de l’autorité pré-coloniale.

Mentewab n’a pas seulement vécu l’histoire : elle l’a façonnée ; et parfois, au prix fort, elle en a payé le prix.

Sources

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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