Pascal Archimède est l’auteur de « Histoire de l’Amérique noire, des plantations à la culture rap », publié aux éditions Nofi Group. Un ouvrage qui traite de l’histoire de la construction de la communauté noire américaine, à travers les différents genres musicaux qu’elle a créés. Du Gospel au Rnb ; des work songs au rap ; ce livre est le premier du genre. Ce formateur en anglais, qui est aussi interviewer pour le média Nofi, a accepté de nous parler de sa vision et des motivations qui l’ont poussé à écrire ce chapitre d’histoire important.
Vous aviez déjà écrit un premier livre, votre méthode pour l’apprentissage de l’anglais. Auteur est une carrière à laquelle vous aspirez ?
Mon existence, mes intérêts et mes projets ne se limitent pas qu’à mon domaine de compétence. Du moins, celui validé par mes diplômes. J’ai un regard sur les choses et si j’éprouve le besoin d’en parler je ne vais pas m’en priver. Je ne prétends pas être le nouveau James Baldwin ou Tan-esi Coates (rires). Ce n’est pas ça du tout. Je voulais partager ce savoir en le présentant d’une façon originale et je le propose à qui s’y intéresse.
Le livre est édité par Nofi Group. Comment s’est faite la collaboration ?
Presque par hasard. Au départ, « Histoire de l’Amérique noire, des plantations à la culture rap » n’avait ni cette forme, ni ce titre, ni même exactement ce contenu. J’avais rédigé un texte sur le sujet, sous forme de recherche universitaire. Je l’avais envoyé à Nofi il y a deux ans, juste pour savoir ce que ça pouvait valoir. Je n’avais pas reçu de réponse. C’est l’année d’après que la rédactrice en chef m’a contacté pour me féliciter et me demander si je pouvais le résumer dans un article qu’elle publierait. On a discuté et elle m’a demandé mes ambitions quant à la publication. Puis elle m’a appris que l’entreprise Nofi avait un pôle éditions et que le groupe serait intéressé pour le publier. C’est comme ça qu’on s’est rencontrés et qu’on a décidé de le faire vraiment.
Finalement, cet article, vous l’avez écrit ?
Oui je l’ai écrit. Ce fut mon premier article, publié sur Nofi sous le titre « Histoire de la musique noire, des plantations à la Maison Blanche. » Puis d’autres ont suivi. Ils ont aimé mon style et mon état d’esprit. Ça a tout de suite collé, j’ai eu l’impression de travailler en famille, avec ce que ça a de bon (rires). Rapidement, ils m’ont mis sur des interviews vidéo avec des célébrités comme John Boyega, Ryan Coogler ou encore Jada Pinkett Smith. C’est un exercice intéressant, qui d’ailleurs me sert d’entraînement pour la promo du livre (rires). En parallèle de cette aventure éditoriale, nous avons entrepris une vraie collaboration qui perdurera je pense.
L’aviez-vous proposé à d’autres maisons d’édition ?
Non. Et je pense que Nofi group et moi nous sommes bien trouvés.
De quoi traite cet ouvrage ?
Ce livre traite d’histoire, de l’histoire des Noirs américains depuis leur déportation aux Etats-Unis. C’est un livre qui parle de nous.
Quelle relation y a-t-il entre la musique et l’évolution des Noirs américains en tant que communauté ?
J’ai choisi la musique comme prisme pour traiter les temps forts de la construction de la communauté noire au pays de l’oncle Sam. Même si certaines personnes aiment dire, avec mépris, que nous adorons faire la fête et que tout est prétexte à chanter ou danser, la création de la musique noire américaine est avant tout un mode de communication. Ils ont inventé ce langage pour se parler avant tout, entre eux, au-delà des interdictions du maître et pour pouvoir se dire ce qu’ils avaient besoin d’exprimer. Chaque mouvement musical est un témoignage de leur situation au moment T.
Pourquoi avoir choisi le prisme de la musique pour aborder l’histoire de cette Nation ?
Je voulais vulgariser au maximum cette histoire. Je pense que le traitement universitaire souvent lourd et compact empêche l’accès du plus grand nombre. Or, cette histoire nous concerne tous, je veux dire nous les afro descendants d’une part, et les autres. Etant donné que tout le monde écoute la musique, en particulier la musique noire qui est à l’origine même de cet art, je trouvais que c’était un moyen intéressant d’en parler. Surtout aux jeunes.
La situation des afro américains semble empirer ou régresser, pourtant, il semble qu’aucun nouveau mouvement musical n’ait vu le jour. Cette logique s’est-elle brisée ?
Justement, cette stagnation ou ce retour à des heures sombres prouve que certains combats n’ont pas été dépassés, certaines questions ne sont toujours pas réglées. A ce propos, le racisme est toujours présent aux Etats-Unis, après 4 siècles de présence sur le sol américain. Je pense donc que cela explique que cette musique, le rap en particulier, demeure intemporelle. Les problèmes sociaux, le clivage entre Blancs et Noirs et les rapports de domination n’ont pas beaucoup changé. En revanche, on ne peut pas dire que de nouveaux mouvements musicaux aient vu le jour, on parle davantage de musiques qui ont fusionné pour créer de nouveaux styles. Je pense par exemple à la fusion entre Rap et Jazz ou encore Rap et musique classique. Cependant, il ne faut pas confondre l’aspect commercial de la musique, qui est aussi un business comme tous les autres arts, et la musique qui émane directement d’une urgence, comme ce fut le cas pour les work songs par exemple.
L’industrie de la musique n’est pas exclusivement noire, pourquoi ne pas avoir parlé des artistes non-noirs qui reprennent ces genres ?
Je les évoque sans les évoquer. On ne peut pas traiter le sujet sans évoquer la question de la réapropriation culturelle. Dans le livre, il est question des médias qui se sont fait un nom et des millions en récupérant cette culture, en l’exploitant. C’est un problème complexe parce que ces maisons de disques, radios et autres spécialistes ont certes offert une exposition importante aux artistes Noirs américains en rendant leurs productions rentables. Cependant, cela ne leur pas profité comme ça aurait dû être le cas, ni à eux ni à la communauté. Ils l’ont appréhendé avec une vision strictement bankable, sans en comprendre le fond, ils l’ont quelque part dénaturée en la prenant hors contexte. Heureusement que depuis, il y a une industrie musicale tenue et dirigée par des afro américains, c’est déjà plus logique.
Pensez-vous qu’il faille la permission de la communauté noire pour « s’approprier ses codes»?
Ce n’est pas une question de permission. Mais on ne peut décemment pas inhiber l’histoire noire, son apport, ses héritiers et faire son marché pour ne prendre que ce qui nous intéresse. Pour la musique noire la question est précisément là. Être Noir ce n’est pas une « mode », si on embrasse cette culture, il faut le faire avec tout ce que cela implique de souffrances, de sacrifices, d’obstacles. Reprendre le genre par admiration c’est super, mais il est important de toujours spécifier la source et ce n’est pas toujours fait. Je pense que le problème vient de là. Avant, on disait par exemple que les chanteuses Joss Stone et Christina Aguilera avaient « des voix de noires », on sentait que c’était une manière de faire référence au talent des divas afro américaines. Eminem, pour le rap, a toujours revendiqué son profond respect à la communauté noire américaine mais en restant conscient qu’il ne pouvait pas s’en revendiquer. La nuance est importante. La limite, c’est le respect, le respect des créations, le respect pour cette mémoire particulière qui connecte tous les Noirs à travers le monde.
Il est aussi question des institutions que sont l’école, l’église et l’état. Quelle place ont-elles dans cette construction ?
Elles sont les piliers autour desquels la communauté s’est structurée. A l’époque de l’esclavage, les captifs n’avaient pas le droit à l’instruction. Plus tard, longtemps après l’abolition et durant toute la période de la ségrégation raciale, l’école restait quelque chose d’archaïque chez les Noirs. Il n’ y avait pas la possibilité pour le plus grand nombre de faire de longues études ce qui les condamnaient à la précarité. Aussi, les gens y voyaient l’opportunité de briser cette fatalité. L’église, quant à elle a toujours été présente dans la vie de ces populations, depuis leur captivité. Du moment où ils ont été enferrés à l’abolition de l’esclavage, ils voyaient en l’église, en Dieu le seul moyen de supporter le sort et de croire avec certitude en un meilleur avenir. D’ailleurs c’est resté. L’état a régi leur sort en tous temps, ennemi souvent, ils ont compris que c’est en contraignant ou en intégrant le système que l’on peut faire évoluer la loi et donc changer la situation des afro américains. C’est le symbole qu’incarnait Barack Obama.
Dans le titre, il y a le mot « plantations » qui fait référence à l’esclavage. Ne pensez-vous pas que ce thème revient un peu trop souvent dans les débats ?
D’abord, mon livre ne parle pas de l’esclavage mais de l’histoire de la construction de la communauté noire américaine. On ne peut évidemment pas en parler sans aborder cette période de captivité mais ce n’est pas l’enjeu de mon livre. Ensuite, tout dépend de qui en parle, quand et pourquoi. Si on l’instrumentalise ou qu’il sert à alimenter un discours politique sans fond, alors oui ce thème est galvaudé mais sinon, je ne crois pas qu’il y ait de date de péremption quant à notre histoire. Dire ça c’est comme dire que nous avons suffisamment parlé de nous. Ça n’a pas de sens.
Vous parlez de LA communauté noire américaine et pas DES communautés noires américaines, peut-on dire qu’il n’y en a qu’une seule ?
C’est différent des autres diasporas africaines à travers le monde. Les afro américains n’ont pas eu d’autre choix en fait. Ils ont toujours subi frontalement cette dévaluation de leur humanité parce qu’ils étaient à la fois à l’intérieur et hors de la société américaine. C’est différent des Antilles ou de l’Afrique francophone par exemple, où l’exploitation avait lieu en-dehors de la métropole. Bien sûr, comme pour tous les groupes humains, il existe des rivalités, des fractures notamment sociales mais je crois que dans le cas des américains on peut effectivement parler de communauté, au singulier.
Justement, comment la communauté noire de France a reçu votre livre ?
Pour l’instant l’engouement est palpable et je crois que ça plaît. De toute façon, si on parle musique, on peut difficilement cliver. On dit que les nôtres n’investissent pas sur la culture, c’est faux. Nous sommes aussi friands de culture que n’importe qui, surtout quand le sujet nous parle. On a dragué sur la musique, on a pleuré sur des musiques, on a été motivés par des musiques mais sait-on ce que la musique signifie et dans quelles circonstances elle a été créée ? C’est l’enjeu de ce livre, qui traite d’histoire, de politique, de culture et d’évolution. Je pense qu’on est de plus en plus fiers de voir les nôtres entreprendre enfin et c’est totalement l’esprit. La couverture a été faite par un guadeloupéen et les illustrations ont été dessinées au crayon par un jeune congolais talentueux ; il est édité par Nofi Group, donc cet ouvrage encourage aussi le développement de l’entrepreneuriat noir.
C’est le premier livre du genre, pourquoi pensiez-vous qu’il était nécessaire que cet ouvrage existe ?
Nécessaire je ne sais pas. Mais désormais, on reprend la parole et il faut qu’on fasse les choses par nous-mêmes. Qui mieux que nous pour parler de nous ? C’est important, je crois, qu’on ait aussi notre point de vue écrit noir sur blanc, que notre voix soit audible. Il est grand temps de marroner, de s’émanciper. C’est aussi pour cela que j’ai choisi ce format. La littérature est intemporelle et surtout, elle ne se limite pas à un milieu. Toute personne curieuse, qui veut en savoir plus sur notre développement est invitée à le lire. En plus, publié en anglais, le livre cartonne bien chez les anglophones, qui sont eux depuis longtemps dans cet état d’esprit du for us by us. « Histoire de la musique noire des plantations à la culture rap » est aussi utile si vous voulez vous faire une playlist de classiques (rires).
La préface est de Lino, pourquoi avoir choisi ce rappeur ?
D’abord parce que c’est l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur. Ce gars a une plume incroyable et des textes engagés bien sentis, à la fois subtiles et puissants. Le public continue de s’identifier à son art et son nom fait toujours autorité. Je pense que c’est tout ça qui m’a fait me dire qu’il était complètement dans l’esprit de ce projet. Ensuite, c’est tout de même un livre qui parle de la culture rap, donc il était pertinent de prendre une plume emblématique du milieu. Et puis, Lino est vraiment quelqu’un d’accessible. Nofi était déjà en contact avec lui, il a tout de suite accepté et nous a concocté cette brillante préface.
Où peut-on se procurer «Histoire de l’Amérique noire, des plantations à la culture rap» ?
Le livre est en ce moment disponible sur Amazon, sur le site internet www.noiretfier.com et également au N&F Store.