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Histoire de la musique noire: des plantations à la maison blanche

Société

Histoire de la musique noire: des plantations à la maison blanche

Par Redaction NOFI 2 février 2017

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Par Pascal Archimède. A  chaque étape de son intégration sur le sol américain, l’Homme noir a créé un type de musique qui reflétait son évolution sociale ainsi que son état d’esprit. Tel a été le point de départ du travail de Pascal Archimède, auteur de l’ouvrage « Histoire de l’Amérique noire, des plantations à la culture rap ».

Des chants de travail (Work songs) sur les plantations au Rap d’aujourd’hui, cette recherche nous plonge dans les coulisses de l’histoire noire américaine.

L’esclave africain et les chants de travail (Work songs).

En août 1619, un navire hollandais débarque une vingtaine d’hommes noirs à Jamestown en Virginie. Ces personnes, venues d’Afrique occidentale sont employées sur les plantations en tant que serviteurs sous contrat : l’histoire de l’Amérique Noire commence.

Les Européens, satisfaits de cette main-d’œuvre bon marché, les ont très tôt asservis. En 1640, la plupart des Africains en Virginie sont esclaves.

Chanter en travaillant est une longue tradition africaine. Les chants de travail sont nés de la transformation de mélopées et litanies africaines, durant le travail sur les plantations américaines. Ils remontent à la deuxième génération d’esclaves et ont servi de lien entre la musique originelle et celle développée au contact de la société euro-américaine. Ces chants, essentiellement à capella, rythment le travail des esclaves. Souvent improvisés, ils étaient caractérisés par la structure responsoriale (appels-réponses).

Les chants de travail ont reflété la situation des Noirs  en tant qu’esclaves. Ils ont disparu après la dissolution du système de plantation, mais auraient persisté dans les prisons du sud jusqu’aux années 1960.

Lightning : Long John

Le Noir évangélisé et les « Negro Spirituals »

Les pratiques culturelles africaines et, plus précisément les rites religieux, étaient interdits sur les plantations. Très tôt, les Noirs ont donc essayé de s’intégrer à la religion de leurs maîtres. Ils ont été rejetés car non considérés comme des Êtres humains. Mais, l’évangélisation des esclaves et leur admission dans les lieux de culte les ont poussé à chanter « à la manière occidentale ».

Plus tard, l’apparition d’églises noires a vu les chants et cantiques occidentaux se transformer en Negro spirituals, en fait ceux-ci ont été récupérés par les esclaves qui les ont adaptés. Nés au XVIIIème siècle, beaucoup de ces Negro spirituals comparent la situation des esclaves dans le Nouveau Monde à celle des juifs captifs en Égypte aux temps bibliques. L’exemple le plus évident est le classique Go Down Moses. Les maîtres considéraient les Negro spirituals comme des chants de résignation alors qu’ils étaient porteurs de messages d’espoir perceptibles par les esclaves.

Golden Gate Quartet: Go Down Moses

Les Negro spirituals ont marqué l’évolution des Noirs vers l’évangélisation, mais aussi une étape vers l’ émancipation, car cette musique, au service des cultes des Noirs, a initié un rejet de la culture blanche.

Le Gospel, chant religieux chrétien reprendra la suite des Negro Spirituals dans les années 1920/1930.

Edwin Hawkins Singers : Oh Happy Day

Le métayer et les Hollers (clamés campagnards)

De 1861 à 1865, les Etats-Unis connaissent une guerre civile dont l’un des enjeux est l’abolition de l’esclavage. La fin de cette guerre voit la disparition des plantations et leur transformation en petites fermes. Ainsi, une bonne partie des affranchis deviennent métayers et sont autorisés à cultiver une parcelle de terre avec, en contrepartie, l’obligation  de reverser 80 à 90 % de la récolte au propriétaire.

Les Work songs laissent alors place aux Hollers ou Hollies, cris solitaires auxquels répondait un travailleur voisin, puis un autre et ainsi de suite. Cette musique a reflété une étape supplémentaire dans l’évolution de l’Homme noir sur le sol américain. Il n’était plus esclave et les Hollers en étaient témoins.

Cornfield Holler : Work songs and Field Hollers

https://www.youtube.com/watch?v=4yQM1TAhsoU

L’ afro-américain itinérant et le Blues

Le Blues est créé par des noirs rejetés et isolés de la société américaine.Beaucoup de chanteurs de Blues affirment qu’il existait déjà à l’époque de l’esclavage. Selon certains musicologues, cette forme musicale serait apparue dans les années 1880/1890.

Le Blues serait né de la fusion des Work songs, des hollers, des Negro spirituals ainsi que d’éléments culturels européens tels que des ballades anglo-écossaises. Il s’est professionnalisé grâce aux théâtres noirs et a également  été promu, au début du XXème siècle, par la migration des noirs du sud profond vers le nord industrialisé. Cette musique leur a permis de raconter leur vie et leurs expériences. La diffusion du Blues en Amérique et dans le monde, a marqué une étape importante dans l’ascension de l’Homme noir.

Robert Johnson : Sweet home

La reconnaissance de la culture afro-américaine grâce au Jazz

Selon les experts, le Jazz serait né au début du XXème siècle. Ils admettent toutefois, que les musiques dont il est issu sont plus anciennes et résultent de traditions orales africaines enrichies par le courant euro-américain.Une fois découvert, le Jazz, musique cosmopolite a permis de faire tomber des barrières entre  Blancs et Noirs et de fusionner plusieurs cultures en une seule : La Culture  Jazz.

Miles Davis : Freddie Freeloader

https://www.youtube.com/watch?v=wdPJmxpui0o

Soul Music, Funk et éveil de la conscience Noire

Les années 1950/1960 voient émerger aux Etats-Unis le mouvement des droits civiques, qui vise à instaurer l’égalité pour les Noirs américains. Influencée notamment par le Rhythm and Blues et le Gospel, la Soul Music (musique de l’âme), apparaît dès la fin des années 1950. Elle met en avant la culture et la fierté de la communauté afro-américaine et est utilisée comme moyen d’expression dans cette quête d’égalité.

Aretha Franklin : I say a little prayer

La fin des années 1960 est marquée par l’assassinat de deux leaders noirs : Malcolm X (1965) et Martin Luther King (1968). L’Amérique, embourbée dans une guerre au Vietnam, est en pleine ébullition avec une dégradation notable de la situation sociale et économique des citoyens noirs.

C’est dans ce contexte de tensions raciales qu’émerge le Funk, créé dans les années 1950. Cette musique festive, incarnée par des artistes tels que James Brown, apparaît alors comme un cri de contestation et de libération.

James Brown : Say it loud – I’m black and I’m proud

Le rap: Du ghetto à la Maison Blanche

A la fin des années 1970, des Block parties , à l’image des sounds systems jamaïcains, sont organisés dans les rues des ghettos noirs new yorkais avec un D.J (Disc Jockey) aux platines et un M.C (Maître de Cérémonie) au micro: le rap est né.

C’est en 1979 que le monde découvre cette forme musicale avec le tube  Rapper’s delight  des  Sugarhill Gang:

Cette musique qui au départ relatait des anecdotes avec des  punchlines festives, vantardes et matérialistes va se transformer, dans les années 1980, sous l’administration Reagan, en véritable dénonciation de la tiers-mondialisation des ghettos. Le titre  Fight the Power  du groupe Public Enemy en est une illustration :

En 1988, sous l’influence des NWA (Niggas With Attitude) de Los Angeles, le Gangsta Rap fait son apparition. Il décrit le quotidien sombre de la rue.

NWA : Straight outta Compton

Doctor Dre, un des membres fondateurs du groupe, travaillera par la suite avec des artistes comme Snoop Doggy Dog et  Tupac.

Dr. Dre feat. Snoop Dogg : Nothin’ But a G Thang

Les années 1990 ont vu l’explosion du phénomène Rap aux Etats-Unis ainsi qu’aux quatre coins de la planète.

Dr. Dre feat. Tupac Shakur: California Love 

Ce courant musical est même devenu pour certains une opportunité de sortir de la pauvreté et de vivre la vie facile décrite par de nombreux rappeurs; tandis que pour d’autres, elle symbolise l’expression culturelle des opprimés. Depuis une quarantaine d’années, le rap, musique de révolte et de contestation, s’est embourgeoisé mais demeure porteur d’espoir.

Au terme de cette recherche, en 1999, je ne pouvais imaginer que moins de 10 ans plus tard, un afro-américain, Barack Obama, deviendrait Président des Etats Unis et que des rappeurs seraient reçus avec tous les honneurs à la Maison Blanche.

Par Pascal Archimède.


Références bibliographiques

 DAVIDAS, Lionel. Chemins d’identité. LeRoi Jones/Amiri Baraka et le fait culturel africain-américain. Ibis Rouge Editions. Collection Identité et Culture, 1997.

JONES, LeRoi. Blues People: The Negro experience in White America and the music that developed from it. Payback Press, 1995.

ROSE, Tricia. Black Noise. Rap music and black culture in contemporary America. London: Edited by Wesleyan University Press. Published by University Press of New England, 1994.