En juillet 2025, le territoire de Rutshuru, aux portes du parc national des Virunga, a été le théâtre d’un massacre d’ampleur inédite. Plus de trois cents civils, en majorité des agriculteurs hutus, ont été exécutés par le M23 selon l’ONU et Human Rights Watch. Derrière ces tueries, imputées au mouvement rebelle soutenu par le Rwanda, se dessine une stratégie de terreur mêlant affrontement régional, nettoyage ethnique et impunité chronique.
Quand les collines du Nord-Kivu se transforment en charnier
Au cœur de l’été 2025, la terre du territoire de Rutshuru, aux abords du parc national des Virunga, s’est couverte de sang. Plus de trois cents civils y ont trouvé la mort dans une série de massacres attribués au Mouvement du 23 mars (M23), groupe armé soutenu par le Rwanda selon de nombreuses sources internationales. Les récits recueillis sur place décrivent des exécutions méthodiques, menées à la machette ou par balles, visant des familles entières d’agriculteurs hutus et, dans une moindre mesure, nande.
Ces violences, parmi les pires depuis la résurgence du M23 en 2021, révèlent une fois de plus la tragédie persistante de l’est congolais : une guerre qui se nourrit de rivalités régionales, d’héritages ethniques et de l’impunité des chefs de guerre.
Le décor est celui du groupement de Binza, une mosaïque de champs vivriers et de hameaux coincés entre les pentes du parc des Virunga et la vallée fertile de la Rutshuru, rivière qui serpente avant de rejoindre le lac Édouard. Autour de cette rivière, 14 villages (Busesa, Kakoro, Kafuru, Kasave, Katanga, Katemba, Katwiguru, Kihito, Kiseguru, Kongo, Lubumbashi (hameau local et non la grande ville katangaise), Nyamilima, Nyabanira et Rubare) sont devenus les points noirs d’une tragédie. Les habitants, souvent des cultivateurs venus s’installer en lisière du parc pour profiter de terres fertiles, ont été pris au piège.
Les premières attaques remontent au 10 juillet 2025. Des combattants du M23 encerclent des champs, ferment les sentiers et empêchent les habitants de fuir. Les exécutions se poursuivent jusqu’au 30 juillet, selon les témoignages collectés par Human Rights Watch (HRW) et corroborés par l’ONU. Les fossés agricoles se muent en fosses communes improvisées. D’autres corps, y compris ceux d’enfants, sont jetés dans la rivière Rutshuru, charriant la mort au fil de l’eau.
Les chiffres varient, mais la tendance est claire : le carnage fut massif.
- L’ONU recense au moins 319 morts entre le 9 et le 21 juillet, concentrés sur quatre villages.
- HRW confirme 141 victimes identifiées, mais estime que le bilan réel est bien supérieur.
- Des habitants évoquent des disparus par dizaines, introuvables depuis ce mois de juillet.
Les témoignages convergent. Le 11 juillet, un agriculteur découvre sa femme et ses trois enfants (âgés de 9 mois à 10 ans) abattus dans un champ. Le même jour, à Katanga, cinq membres d’une même famille sont massacrés à coups de machette. À Kafuru, une femme raconte avoir été contrainte de marcher avec une soixantaine d’autres personnes, femmes et enfants en majorité, jusqu’au confluent de la Rutshuru et de l’Ivi. Là, au bord de l’eau, ils sont forcés de s’asseoir avant d’être abattus. Elle ne doit son salut qu’à une chute dans la rivière. D’autres récits évoquent des gorges tranchées, des mains liées derrière le dos, des cadavres abandonnés dans les champs.
Ces scènes d’horreur ne sont pas nouvelles dans la région. Mais leur ampleur et leur caractère systématique posent la question d’un nettoyage ethnique, ciblant spécifiquement des communautés hutues considérées par le M23 comme proches des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda).
Le Mouvement du 23 mars, né en 2012, s’est imposé depuis 2021 comme l’un des groupes armés les plus puissants du Nord-Kivu. Officiellement, il affirme défendre les Tutsis congolais contre les attaques des milices hutus. En pratique, ses opérations s’accompagnent de massacres, de déplacements forcés et d’une taxation des populations locales.
Dans le cas de Rutshuru, HRW et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU identifient clairement le M23 comme responsable direct. Plusieurs témoins affirment avoir reconnu des soldats rwandais aux côtés des combattants, à leurs uniformes et à leurs accents. Le général Baudoin Ngaruye et le colonel Samuel Mushagara, deux cadres du mouvement, sont cités comme commandants des opérations dans le secteur de Binza. Le premier est déjà sous sanctions internationales pour crimes de guerre.
Face à ces accusations, le Rwanda nie toute implication, rejetant la faute sur d’autres groupes armés. L’AFC/M23, coalition politico-militaire qui inclut le M23, qualifie les rapports de « mensonges » et prétend que les zones incriminées se situent dans le parc des Virunga, « où il n’existe pas de champs agricoles ». Mais les images satellites contredisent cette version : elles montrent des défrichements et des cultures actives dans ces zones depuis des années.
Pour justifier ses opérations, le M23 invoque la traque des FDLR, héritiers des milices hutues impliquées dans le génocide rwandais de 1994, toujours actifs dans la chefferie de Bwisha et le long de la frontière. Depuis des décennies, ces rebelles hutus utilisent le parc des Virunga comme sanctuaire.
Or, en juillet, les victimes des massacres sont précisément… des civils hutus. Paradoxe tragique : sous prétexte de combattre les FDLR, le M23 cible des paysans sans lien militaire, parfois même des migrants venus d’autres régions pour cultiver les terres fertiles de Rutshuru. Des agriculteurs avaient d’ailleurs reçu l’autorisation, en juin, de retourner dans leurs champs moyennant le paiement d’une taxe de 10 dollars imposée par le M23. Quelques semaines plus tard, ils étaient exécutés sur ces mêmes terres.
Les récits des survivants dessinent un tableau glaçant. Les combattants du M23 contraignent les habitants à enterrer les corps à la hâte, privant les familles de funérailles dignes. D’autres fois, les cadavres sont laissés à l’abandon, pour servir d’avertissement. Des vidéos analysées par HRW montrent des victimes ligotées, criblées de balles, parfois décapitées.
Le choix des lieux d’exécution (au bord des rivières, dans les champs, sur les pistes) n’est pas anodin. Il vise à frapper la population au cœur de son quotidien : là où elle cultive, là où elle puise l’eau, là où elle circule. Une stratégie de terreur psychologique destinée à vider la zone de ses habitants, et donc à contrôler un territoire stratégique.
Le 6 août 2025, le Bureau des droits de l’homme de l’ONU publie un communiqué accablant : 319 morts en moins de deux semaines, perpétrés par le M23 avec l’appui de soldats rwandais. HRW publie ses propres conclusions le 20 août, confirmant l’ampleur du massacre.
Les réactions diplomatiques suivent : appels à de nouvelles sanctions contre les commandants du M23, à des enquêtes internationales, à l’implication de la Cour pénale internationale (CPI). Mais les précédents montrent que ces recommandations se heurtent à des années d’impunité. Les mêmes noms circulent, déjà sanctionnés depuis une décennie, toujours libres de commander et de recruter.
Le paradoxe est cruel : quelques jours avant le déclenchement des massacres, le 27 juin 2025, la RD Congo et le Rwanda signaient à Washington un accord censé « neutraliser » les FDLR et organiser le retrait progressif des troupes rwandaises du territoire congolais. Un mécanisme conjoint de sécurité (JSCM) devait coordonner cette mise en œuvre.
Or, les tueries de Rutshuru montrent l’écart entre la diplomatie et la réalité du terrain. Non seulement le M23 poursuit ses offensives, mais il est soupçonné d’être appuyé par les Forces de défense rwandaises. Ce décalage fragilise encore la confiance des populations congolaises dans les accords internationaux, perçus comme des jeux d’États qui ignorent leur sort.
Les massacres de juillet s’inscrivent dans un contexte d’extrême tension dans le Nord-Kivu. Le M23 contrôle depuis 2022 de larges portions du territoire de Rutshuru et de Nyiragongo, encerclant par moments la ville de Goma. Face à lui, une mosaïque de milices locales (les « Wazalendo ») et l’armée congolaise (FARDC), souvent mal équipée et accusée elle-même d’exactions.
La présence de la MONUSCO (mission onusienne de maintien de la paix), en cours de retrait progressif, ne suffit plus à protéger les civils. Quant à la force de la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe), son redéploiement annoncé en 2025 reste limité. Résultat : les populations sont livrées à elles-mêmes, oscillant entre les violences du M23 et celles de groupes armés rivaux.
Ces massacres aggravent une crise déjà dramatique. La RD Congo compte aujourd’hui près de 7,8 millions de déplacés internes, dont plus de la moitié concentrés dans l’est. Les attaques de juillet ont jeté des milliers de familles sur les routes, privées de terres, de récoltes et de moyens de subsistance. Les hôpitaux locaux, déjà saturés, ont accueilli des blessés par balles et à la machette, y compris des enfants en bas âge.
Les agences humanitaires alertent : accès entravé, sous-financement chronique, risque d’épidémies dans des camps surpeuplés. Dans le seul Nord-Kivu, les besoins humanitaires dépassent largement les ressources disponibles. La terreur infligée par le M23 ne se limite pas aux morts ; elle produit une société déplacée, déracinée, condamnée à la survie précaire.
Sur le plan juridique, les exactions du M23 constituent des crimes de guerre : exécutions sommaires, attaques contre des civils, déplacements forcés, traitements cruels. L’ONU évoque même la notion de « nettoyage ethnique », bien que non codifiée dans le droit international.
En théorie, la Cour pénale internationale a rouvert en octobre 2024 son enquête sur les crimes commis au Nord-Kivu depuis 2022. En pratique, l’arrestation des responsables reste improbable sans volonté politique forte des États voisins et de la communauté internationale. Les victimes, elles, n’ont pour l’instant ni justice ni réparation.
Ce qui frappe dans les massacres de Rutshuru, ce n’est pas seulement leur ampleur, mais leur caractère répétitif. Depuis trente ans, l’est congolais vit au rythme de massacres cycliques : Kiwandja, Kishishe, Kasika… Des noms qui reviennent, semblables dans leur horreur, différents seulement par la date et le nombre de victimes.
À chaque fois, les mêmes ingrédients : rivalités ethniques instrumentalisées, interventions de pays voisins, faiblesse de l’État congolais, silence des grandes puissances. Le cycle se perpétue, comme si la douleur congolaise était condamnée à l’oubli.
Virunga, miroir brisé
Les Virunga sont célèbres dans le monde entier pour leurs gorilles de montagne, symboles de biodiversité menacée. Mais derrière cette image de nature protégée, c’est un théâtre de guerre qui se joue, où les populations locales paient le prix fort. Les massacres de juillet 2025 rappellent brutalement que la conservation et le tourisme ne peuvent se penser sans sécurité humaine.
Pour les Congolais de Rutshuru, il ne reste que la mémoire de proches exécutés dans leurs champs ou jetés à la rivière. Pour la communauté internationale, une nouvelle interpellation : combien de rapports, combien de communiqués faudra-t-il encore avant que justice ne soit rendue ?
L’histoire récente de la RD Congo l’enseigne : les massacres ignorés se répètent. Et tant que les responsables resteront impunis, la vallée de la Rutshuru continuera d’être une vallée de larmes.
Bibliographie / Références
- HumAngle Media. (21 août 2025). Despite peace accords, Rwanda-backed rebels kill 140 civilians in DR Congo. HumAngle.
- Human Rights Watch. (20 août 2025). RD Congo : Le M23 a commis des massacres près du parc national des Virunga. Human Rights Watch.
- Associated Press. (20 août 2025). Rwanda-backed rebels killed over 140 civilians in eastern Congo, rights group says. AP News.
- Reuters. (20 août 2025). Rwanda-backed rebels massacred civilians in Congo, Human Rights Watch says. Reuters.
- The Washington Post. (20 août 2025). After Trump-backed peace deal, survivors recount rebel massacre in Congo. The Washington Post.
- Office of the United Nations High Commissioner for Human Rights (OHCHR). (6 août 2025). M23 rebels killed 319 civilians in east DR Congo in July, UN says. Al Jazeera.