Défrisage : risques, études récentes et vérité scientifique

Le défrisage restructure chimiquement la kératine des cheveux afro. Brûlures, casse, fragilisation : les risques immédiats sont établis. Les études récentes observent aussi des associations statistiques avec les fibromes et un possible risque accru de cancer de l’utérus, sans prouver de lien causal. Voici ce que la science confirme ; et ce qu’elle ne peut pas encore dire.

Entre héritage culturel, choix personnels et alertes scientifiques, enquête sur une pratique profondément ancrée dans l’intimité des femmes noires.

Un geste (trop) familier

Il existe peu de gestes aussi communs et pourtant aussi chargés d’émotion dans le vécu de nombreuses femmes noires que celui du défrisage. Pour certaines, il évoque les après-midis de week-end où la cuisine se transformait en salon de coiffure improvisé. Pour d’autres, ce sont les rendez-vous réguliers chez une coiffeuse du quartier, dont les mains expertes transformaient une texture crépue en mèches lisses en quelques dizaines de minutes.

L’odeur piquante du produit, la chaleur qui montait doucement sur le cuir chevelu, l’attente attentive devant le miroir, l’instant où la texture changeait entre les doigts : autant de sensations gravées dans la mémoire. À une époque où peu de produits respectaient la santé du cheveu afro, le défrisage représentait pour beaucoup une solution pratique, presque incontournable, pour discipliner une matière jugée “difficile”, “rebelle”, “non professionnelle”.

Pendant des décennies, ce geste a été présenté comme une évidence. Il accompagnait les étapes importantes de la vie : la rentrée scolaire, les entretiens d’embauche, les événements familiaux, les cérémonies. L’idée selon laquelle des cheveux lisses étaient synonymes de sérieux, de propreté ou même de beauté a profondément marqué plusieurs générations. Le défrisage est alors devenu un acte souvent nécessaire pour se glisser dans des environnements où les textures naturelles étaient incomprises, infantilisées ou mal perçues.

Mais derrière cette pratique normalisée, presque silencieuse, une question essentielle est longtemps restée en suspens : que fait réellement ce geste au cheveu, et potentiellement au corps ? Ce qui relevait autrefois de conversations privées entre amies ou entre mères et filles se retrouve aujourd’hui au cœur de nombreuses discussions publiques, à la lumière de nouvelles données scientifiques.

Modifier la kératine : ce que fait vraiment un défrisant

Contrairement à l’idée selon laquelle le défrisage serait une simple technique de coiffure, il s’agit en réalité d’une transformation chimique profonde. L’action du produit ne se limite pas à lisser la surface du cheveu : il modifie la structure interne de la kératine, la protéine qui compose la fibre capillaire et en détermine la forme.

Deux grandes catégories de produits existent. La première regroupe les défrisants alcalins, qui reposent sur des agents très basiques. Leur mécanisme est désormais bien décrit : la cuticule du cheveu s’ouvre, les agents pénètrent au cœur de la fibre et rompent des liaisons fondamentales appelées “cystine”. Ces liaisons sont responsables de la courbure naturelle du cheveu ; lorsqu’elles sont affaiblies ou brisées, la fibre s’allonge et perd sa forme originelle.

La seconde famille, les défrisants thiolés, agit en deux étapes : rupture des liaisons internes grâce à un agent réducteur, puis fixation d’une nouvelle forme par oxydation. Le principe est similaire aux permanentes, mais avec des produits plus denses permettant de guider précisément la fibre au moment de la restructuration.

Dans les deux cas, la transformation est irréversible pour les longueurs traitées. Une fois la kératine modifiée, le cheveu ne redevient jamais crépu. La repousse, seule, retrouve sa texture d’origine. C’est cette modification chimique profonde qui explique l’efficacité du défrisage… mais aussi les risques qui l’accompagnent.

Risques capillaires : ce que la recherche établit clairement

Les effets immédiats du défrisage sur le cheveu et le cuir chevelu sont aujourd’hui bien connus. Les brûlures constituent l’un des risques les plus fréquents. Elles surviennent lorsqu’un produit appliqué trop longtemps ou en quantité excessive entre en contact direct avec la peau. Certains produits, très basiques, peuvent provoquer des sensations de picotement, de tiraillement et, dans les cas les plus sévères, des lésions cutanées.

Les irritations du cuir chevelu sont également courantes. Elles peuvent se manifester sous forme de rougeurs, de sensibilités persistantes, de démangeaisons, ou même de petites plaies. Une peau déjà fragilisée, ou un cuir chevelu irrité par d’autres pratiques capillaires, augmente le risque de réactions indésirables.

Mais au-delà de ces effets immédiats, c’est l’impact sur la fibre capillaire qui inquiète le plus. Le défrisage affaiblit les liaisons internes du cheveu, ce qui entraîne une fragilisation progressive de la fibre. Au fil des applications, le cheveu devient plus fin, moins résistant, plus cassant. Les gestes quotidiens (brossage, coiffage, frottements) peuvent alors provoquer une casse importante, parfois visible dès les premiers centimètres des longueurs.

Dans certains cas, des chutes localisées apparaissent, notamment lorsqu’une brûlure du cuir chevelu laisse une zone dépourvue de follicules actifs. Lorsque les applications se chevauchent, lorsque des produits trop puissants sont utilisés ou lorsque le temps de pose dépasse les recommandations, ces effets peuvent s’aggraver. Une étude transversale menée auprès de plusieurs dizaines d’utilisatrices rapporte notamment des affinement de fibres, des chutes significatives, des pellicules récurrentes et une perte d’élasticité de la fibre.

Ces constats, récurrents dans les témoignages autant que dans les observations cliniques, établissent une réalité : le défrisage fragilise la fibre capillaire de manière prévisible, proportionnelle à la fréquence des applications et aux conditions d’utilisation.

Fibromes : des associations statistiques, pas des causalités

Deux grandes études épidémiologiques menées à plusieurs années d’intervalle ont observé une association statistique entre l’usage de produits de défrisage et le risque de développer des fibromes utérins. La première, publiée en 2012, a mis en évidence un risque plus élevé de fibromes chez les femmes ayant déclaré utiliser régulièrement des défrisants. La seconde, parue en 2025, a élargi cette analyse à l’adolescence, période de vulnérabilité hormonale, et a identifié un risque accru chez celles ayant été exposées tôt.

Dans les deux cas, les résultats ont retenu l’attention des chercheurs comme du grand public. Un lien statistique régulier, surtout lorsqu’il est observé dans plusieurs études, appelle à vigilance. Toutefois, ces travaux comportent plusieurs limites méthodologiques : utilisation de données autodéclarées, absence de mesure précise des produits, variabilité des formulations selon les marques, influence potentielle d’autres facteurs environnementaux.

Il en résulte une conclusion précise : les études ne démontrent pas que les défrisants provoquent des fibromes, mais elles montrent que les deux phénomènes apparaissent plus souvent ensemble que prévu. C’est un signal, pas une preuve. Un élément qui appelle à davantage de recherches, mais qui ne doit pas être surinterprété.

Cancer de l’utérus : l’étude NIH qui interpelle

En 2022, une étude menée par un important institut de santé américain, le National Institutes of Health (NIH) a révélé un résultat notable : les femmes utilisant régulièrement des produits de lissage chimique présentaient un risque plus élevé de cancer de l’utérus que celles qui n’en utilisaient pas. Ce constat a suscité un intérêt immédiat, notamment parce que l’analyse montrait une tendance proportionnelle : plus l’usage était fréquent, plus le risque observé augmentait.

Là encore, cette étude ne permet pas de tirer de conclusion causale. Les mécanismes biologiques qui pourraient expliquer ce lien ne sont pas établis, les formulations exactes des produits utilisés ne sont pas connues, et les données reposent en grande partie sur des déclarations personnelles.

Les auteurs insistent donc sur la prudence : il s’agit d’un signal d’alerte, non d’un verdict.
Cette distinction est cruciale pour éviter d’alimenter des peurs injustifiées tout en reconnaissant l’importance de poursuivre les recherches.

Entre liberté et information… Un choix personnel

Le défrisage n’est pas un geste anodin. Mais il n’est pas non plus une faute, un tabou ou une marque d’ignorance. C’est un choix, souvent façonné par l’histoire, par l’environnement social, par les normes esthétiques persistantes et par les préférences personnelles.

L’essentiel, aujourd’hui, est que ce choix puisse être fait en connaissance de cause. Les données scientifiques n’imposent rien : elles éclairent. Elles permettent de comprendre les risques capillaires immédiats, d’intégrer les signaux statistiques observés dans les recherches épidémiologiques et de prendre du recul face aux pratiques anciennes.

Pour certaines, cela passera par l’abandon du défrisage. Pour d’autres, par une utilisation plus espacée ou mieux encadrée. Pour d’autres encore, par un maintien assumé de cette pratique, parce qu’elle répond à leur réalité, leur style ou leurs besoins.

Ce qui compte, désormais, c’est que l’information soit transparente, accessible, honnête ; libérée du silence qui a longtemps entouré ce geste. Les cheveux sont une part intime et politique de l’identité. Ils racontent l’histoire, les combats, les désirs. Quelle que soit la décision de chacune, elle mérite d’être basée sur des faits, et non sur des injonctions ou des non-dits.

Notes et références

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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