Nat Turner (1800–1831) ou la pendaison d’un prophète noir dans l’Amérique des plantations 

Août 1831, Virginie : un prédicateur noir nommé Nat Turner mène la plus sanglante insurrection d’esclaves de l’histoire américaine. Deux mois plus tard, il est pendu en public, sa tête exposée comme avertissement. Mais son geste, nourri de visions mystiques et de colère biblique, marqua la fin de l’illusion d’une paix raciale dans le Sud des États-Unis. L’histoire du prophète pendu révèle la fracture morale d’une nation née dans la servitude.

Nat Turner, le prophète noir pendu en 1831 qui fit trembler l’Amérique esclavagiste

Le 11 novembre 1831, dans le petit bourg de Jérusalem, en Virginie, une foule blanche s’agglutine sur la place du tribunal. Devant eux, un esclave noir, mince, les yeux tournés vers le ciel, prie avant que la trappe du gibet ne s’ouvre. Il s’appelle Nat Turner. Deux mois plus tôt, ce prédicateur mystique avait mené la plus célèbre insurrection d’esclaves de l’histoire américaine. Pour les uns, il fut un fanatique religieux ; pour d’autres, un prophète biblique, l’incarnation du jugement de Dieu contre la nation esclavagiste. Sa pendaison, ce 11 novembre, ne fut pas seulement un châtiment : elle révéla à l’Amérique la fracture entre sa foi et ses chaînes.

Au début du XIXᵉ siècle, la Virginie est au cœur du système des plantations. Le coton et le tabac enrichissent une aristocratie blanche issue des vieilles familles anglaises. Mais sous la prospérité s’étend un ordre fondé sur la hiérarchie raciale et la peur. Les esclaves représentent parfois près de 40 % de la population. Les maîtres vivent dans la crainte permanente d’une révolte. Depuis la révolution haïtienne, la rumeur d’un soulèvement général hante le Sud. Les sermons des esclaves lettrés et les réunions nocturnes dans les cabanes de prière sont surveillés. Dans cette atmosphère d’angoisse religieuse et de tension raciale naît Nat Turner.

Né en 1800 dans la plantation de Benjamin Turner, dans le comté de Southampton, il apprend à lire et à écrire, chose rare pour un esclave. Très tôt, il dit recevoir des visions : des signes dans le ciel, des symboles bibliques de feu et de sang. Les autres esclaves voient en lui un élu. Il prêche la Bible, interprète les songes, parle de délivrance. Mais pour lui, la religion n’est pas soumission : c’est une arme.

Turner se voit comme un nouveau Moïse chargé de libérer son peuple. En 1831, une éclipse solaire lui apparaît comme la confirmation divine de sa mission : Dieu lui ordonne de frapper Babylone, c’est-à-dire l’Amérique blanche esclavagiste. Avec six compagnons (Henry, Hark, Sam, Nelson, Jack et Will) il prépare la révolte.

Dans la nuit du 21 août 1831, le groupe passe à l’action. La première maison attaquée est celle de Joseph Travis, le maître actuel de Turner. Lui, sa femme et leurs enfants sont tués. De ferme en ferme, les insurgés progressent, libérant les esclaves et massacrant les familles blanches. Cinquante-cinq personnes sont tuées en deux jours. Turner croit exécuter un jugement divin. Le sang, pense-t-il, lavera la faute. Mais la répression est immédiate : les milices locales, soutenues par l’armée de Virginie, encerclent la région. Plus de cent vingt Noirs sont tués sans procès, beaucoup n’ayant aucun lien avec la révolte. Les cadavres sont pendus aux arbres, les têtes exposées. La peur s’installe durablement.

Turner parvient à s’enfuir et reste caché six semaines dans un tronc d’arbre creux avant d’être capturé le 30 octobre. Son interrogatoire est mené par l’avocat Thomas Ruffin Gray, qui publie quelques jours plus tard The Confessions of Nat Turner. Dans ce texte, dont l’authenticité sera longtemps discutée, le rebelle revendique son acte :

« Je n’ai rien à regretter. Dieu m’a choisi pour châtier ce peuple. »

Le 5 novembre, il est jugé. Le procès dure quelques heures. Il garde le silence et refuse toute demande de grâce. Condamné à mort, il monte sur l’échafaud le 11 novembre, devant une foule venue assister à l’exécution. Il prie longuement, refuse le bandeau et meurt sans un cri. Son corps est ensuite décapité, sa peau mutilée, sa tête exposée.

Après la pendaison, la Virginie vote une série de lois destinées à verrouiller le système. L’instruction des esclaves devient illégale. Les prêches noirs sans surveillance sont interdits. Le Sud se transforme en État policier racial. Pourtant, dans le Nord, les abolitionnistes s’emparent du symbole. The Liberator, journal de William Lloyd Garrison, présente Turner comme un martyr. Pour la première fois, une partie de l’Amérique blanche comprend que l’esclavage engendre la violence.

Dans la mémoire noire, Turner devient un héros biblique. De Frederick Douglass à Malcolm X, sa révolte inspire ceux qui refusent la résignation. Mais dans le Sud, il reste longtemps le démon absolu, le “fanatique noir”. Cette ambivalence résume l’histoire américaine : d’un côté, la peur du chaos racial ; de l’autre, la quête de justice. Turner n’a pas cherché la liberté pour lui-même. Il a voulu juger un système. Son échec militaire fut une victoire morale. Trente ans plus tard, la guerre de Sécession allait reprendre le flambeau de son soulèvement.

En le pendant, la Virginie croyait effacer un homme. Elle crucifiait sa propre conscience. Nat Turner, prophète noir de l’Amérique esclavagiste, n’a pas seulement annoncé la fin d’un ordre : il a révélé la faillite spirituelle d’une nation fondée sur la liberté et le fouet.

Notes et références

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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