Depuis janvier 2025, les rebelles du M23 ont repris Goma et Bukavu avec l’appui direct de l’armée rwandaise. Un rapport confidentiel de l’ONU révèle l’ampleur de cette ingérence, ses motivations économiques, et l’impact dévastateur sur les civils. Plongée au cœur d’un conflit régional masqué par les diplomaties.
L’ONU dénonce un rôle clé du Rwanda dans l’offensive du M23

Dans un rapport confidentiel consulté début juillet, les experts des Nations unies affirment que l’armée rwandaise a joué un rôle déterminant dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), aux côtés des rebelles du M23. Ce soutien militaire aurait été décisif lors des offensives menées en janvier et février derniers, qui ont conduit à la prise stratégique des villes de Goma et Bukavu.
Selon les enquêteurs onusiens, les Forces de défense rwandaises (FDR) ont fourni un appui structurant au M23 : commandement direct, matériel de pointe (notamment des drones turcs Bayraktar TB2, des systèmes anti-aériens et des outils de guerre électronique), entraînement tactique et accès à des renseignements sensibles. Ce soutien, estiment-ils, a permis aux rebelles de lancer une offensive éclair contre une armée congolaise en grande difficulté.
L’ONU chiffre à environ 6 000 le nombre de soldats rwandais présents en RDC au plus fort de l’offensive. Leur déploiement, selon le rapport, visait à encercler et sécuriser la conquête de Goma et Bukavu, capitales économiques et administratives de l’est congolais.
Ces révélations interviennent quelques jours seulement après la signature d’un accord de paix à Washington entre Kinshasa et Kigali ; un accord dont la portée réelle reste sujette à caution, au vu de l’ampleur de l’implication militaire documentée.
Une supériorité militaire fulgurante sur le terrain

D’après les experts de l’ONU, l’appui rwandais a transformé le M23 en une force de frappe redoutablement efficace. En quelques semaines, les rebelles ont pris le contrôle de Goma, puis de Bukavu, avec une rapidité et une coordination qui dépassaient de loin leurs capacités traditionnelles. L’utilisation stratégique de drones d’observation et de combat, combinée à un appui logistique rwandais en première ligne, a paralysé la riposte de l’armée congolaise (FARDC).
Selon les sources du rapport, la tactique employée par le M23 reposait sur des frappes ciblées, une guerre électronique visant les communications des FARDC, et des opérations coordonnées impliquant du matériel militaire sophistiqué non disponible localement. Ce basculement technologique, attribué à l’appui de Kigali, a permis aux rebelles d’anticiper, de désorganiser et de submerger les positions congolaises, sans véritable résistance.
À cela s’ajoute la neutralisation tactique de la MONUSCO, la mission de maintien de la paix de l’ONU sur place, dont les bases ont été survolées et parfois contournées lors de l’offensive. Plusieurs drones, identifiés comme d’origine turque, ont été filmés lors des assauts, confirmant l’escalade technologique du conflit.
Ressources minières, ambition régionale : les vraies raisons de Kigali

Derrière l’engagement militaire du Rwanda en territoire congolais, les experts de l’ONU identifient des motifs politiques et économiques clairs. Selon leur rapport, l’objectif de Kigali ne se limiterait pas à des préoccupations sécuritaires liées aux groupes armés hutus. Il viserait également à consolider un contrôle indirect sur les vastes ressources minières de l’Est congolais, notamment dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.
Les documents collectés par les enquêteurs révèlent que le M23, sous protection rwandaise, a mis en place une administration parallèle dans les zones conquises. Cette structure gérerait la collecte de taxes, le contrôle des routes commerciales et l’extraction de minerais stratégiques comme le coltan, la cassitérite et l’or ; tous essentiels à l’industrie technologique mondiale.
Le rapport fait aussi état de circuits d’exportation opaques permettant le blanchiment de minerais congolais via le Rwanda. Kigali est ainsi accusé d’utiliser les zones tenues par le M23 comme zones tampons économiques, captant les richesses de la région tout en niant toute implication officielle.
Cette stratégie d’“influence invisible” s’inscrirait dans une volonté plus large du gouvernement rwandais de peser sur l’échiquier régional, en projetant puissance, stabilité apparente et maîtrise territoriale dans la région des Grands Lacs.
Une crise humanitaire à grande échelle

Les conséquences de l’offensive M23–Rwanda sont catastrophiques pour les civils. D’après les dernières estimations des Nations unies, plus de 500 000 personnes ont été déplacées depuis janvier 2025, fuyant les combats autour de Goma, Bukavu et les zones rurales voisines. Camps de fortune, pénuries alimentaires, épidémies : la région fait face à une crise humanitaire majeure, dans un silence international assourdissant.
Le rapport évoque également de nombreux cas de violations des droits humains : pillages systématiques, exécutions sommaires, violences sexuelles massives, notamment dans les territoires passés sous contrôle du M23. Plusieurs hôpitaux et centres de soins ont été attaqués ou abandonnés, notamment dans les zones de Masisi et Rutshuru, aggravant la vulnérabilité des populations.
Les ONG présentes sur le terrain dénoncent une situation de non-assistance chronique, due à l’instabilité sécuritaire mais aussi à un certain laxisme diplomatique, les principales puissances semblant éviter une confrontation directe avec Kigali.
En parallèle, les tentatives de retour de certaines familles déplacées sont entravées par la militarisation croissante des zones conquises. L’installation d’administrations pro-M23 et les contrôles à l’entrée des villages visent à dissuader tout mouvement de population contraire aux intérêts du nouveau pouvoir de fait.
Réactions diplomatiques : entre déni, prudence et diplomatie parallèle

Face aux révélations de l’ONU, Kigali maintient une ligne officielle de dénégation. Le gouvernement rwandais parle de “mesures défensives nécessaires” pour contrer la menace que représentent, selon lui, les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), un groupe armé hutu historiquement lié au génocide de 1994. Aucune reconnaissance directe de l’implication militaire du Rwanda dans l’est de la RDC n’a été faite, malgré les preuves matérielles accumulées par l’ONU ; photos, vidéos de drones, intercepts radio et témoignages corroborés.
Du côté de Kinshasa, le ton est monté. Le président Félix Tshisekedi a dénoncé une “occupation déguisée”, accusant Paul Kagame de vouloir balkaniser la RDC sous couvert de lutte contre les FDLR. Plusieurs responsables congolais ont appelé à des sanctions internationales, tandis que la société civile et la diaspora congolaise organisent des mobilisations croissantes dans les capitales occidentales.
Sur le plan international, la situation crée un malaise. Si l’Union africaine et les États-Unis ont salué la signature, fin juin à Washington, d’un accord de paix entre Kinshasa et Kigali, l’efficacité réelle de cet accord reste sujette à caution. Le rapport de l’ONU révèle en effet que des troupes rwandaises étaient encore actives sur le sol congolais après la signature, en contradiction directe avec les engagements pris.
Dans les coulisses, plusieurs médiations sont en cours. Le Qatar mène des discussions indirectes avec le M23. L’Angola et le Kenya tentent de relancer les processus de Luanda et Nairobi. Mais sur le terrain, la réalité est claire : la paix diplomatique n’a pas encore atteint les collines de l’Est.
Une poudrière régionale en expansion

L’instabilité dans l’est de la RDC dépasse désormais les frontières congolaises. L’offensive éclair du M23, appuyée par le Rwanda, marque une nouvelle phase de la guerre des Grands Lacs, avec un risque réel de déstabilisation régionale. Les tensions entre Kinshasa et Kigali s’inscrivent dans une histoire de conflits transfrontaliers non résolus, aggravés par les enjeux miniers, les migrations forcées et les alliances fluctuantes.
Plusieurs pays voisins, dont l’Ouganda et le Burundi, observent avec inquiétude l’ascension militaire du M23. Des mouvements de troupes ont été signalés aux frontières, et des accrochages sporadiques font craindre un embrasement plus large. Dans ce contexte, les accords bilatéraux se multiplient en coulisses, redessinant un échiquier régional fragile.
La mission de l’ONU (MONUSCO), en voie de retrait, se trouve dans une impasse. Incapable d’empêcher l’avancée des rebelles, elle est de plus en plus perçue comme spectatrice d’un conflit asymétrique, voire complice par son inaction. Son départ annoncé risque d’ouvrir un vide sécuritaire dans lequel s’engouffreront milices, États et intérêts privés.
Face à cette dynamique, les analystes redoutent l’émergence d’un proto-État rebelle soutenu par une puissance étrangère ; une configuration qui rappelle d’autres zones de conflit où des gouvernements parallèles exploitent les ressources d’un territoire sous contrôle militaire.
La RDC, vaste, riche, mais politiquement fracturée, pourrait devenir le cœur d’une nouvelle guerre froide africaine, où se mêlent ambitions régionales, intérêts géoéconomiques et abandon diplomatique.
Sources
- Organisation des Nations Unies (ONU), Rapport semestriel des experts mandatés sur la RDC (juin–juillet 2025).
- Associated Press (AP News), « UN experts say Rwanda supported rebels in Congo and smuggled minerals at ‘unprecedented levels’ », 2 juillet 2025.
- Reuters, « Rwanda exercises command and control over M23 rebels, say UN experts », 2 juillet 2025.
- Le Monde, « L’ONU pointe le “rôle déterminant” du Rwanda dans la chute de Goma et Bukavu », 3 juillet 2025.
- AP News, « Rwanda-backed M23 rebels claim major Congolese city, which Congo calls a ‘declaration of war’ », 30 janvier 2025.