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Restitutions d’oeuvres d’art à l’Afrique : un outil d’ambitions politiques?

Culture

Restitutions d’oeuvres d’art à l’Afrique : un outil d’ambitions politiques?

Par Sandro CAPO CHICHI 26 novembre 2018

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Emmanuel Macron a accepté de rendre immédiatement au Bénin 26 oeuvres du royaume de Dahomey pillées en 1892 lors de la conquête coloniale. Retour sur le background politique de cette véritable saga, dont peu auraient anticipé l’issue il y a encore quelques années.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.media

Cette décision fait immédiatement suite au rendu fin novembre 2018, du rapport commandé par le Président français à Felwine Sarr et Bénédicte Savoy au sujet de la restitution des oeuvres d’art africaines. Une demande officielle de restitution avait été lancée il y a deux ans par le président béninois Patrice Talon. Avant cela, ce projet de restitution avait été évoqué par Lionel Zinsou, son rival malheureux à l’élection présidentielle de 2016. Par le biais de la fondation Zinsou qu’il avait créée en 2005 a Cotonou, Zinsou avait déjà contribué à rendre une partie de son patrimoine en achetant notamment un trône du roi Behanzin de Dahomey.

Le parcours de Lionel Zinsou, un riche banquier combinant à la fois des ambitions politiques et un mécénat médiatique et patriotique dans un état de petite taille, rappelle évidemment celui des Médicis. Cette famille de banquiers utilisa habilement en Italie à partir du 15ème siècle, son mécénat artistique pour consolider son pouvoir politique et toucher la fibre patriotique des habitants de leur petite cité-état, Florence. C’est de là que naissait le mouvement de la Renaissance Italienne, fondé sur une réappropriation des arts historiques par les artistes italiens de l’époque.

Utiliser son mécénat comme tremplin pour sa carrière politique? Cette accusation, Zinsou l’a balayée d’un revers d’un la main, la qualifiant de « n’importe quoi » chez nos confrères du Point.

Didier Rykner est un historien de l’art et journaliste français rédacteur en chef de la Tribune de l’Art.  De sensibilité très conservatrice et farouchement opposé aux restitutions, Rykner explique le choix surprenant de Macron de restituer des oeuvres au Bénin par son amitié avec Zinsou, ajoutant que la finalité de la démarche serait d’exposer les oeuvres en question dans les locaux de la Fondation, les infrastructures des autres musées béninois ne le permettant pas.

Rykner n’envisage toutefois pas la possibilité que le président Macron ait remis en question le droit de non-aliénabilité en vigueur depuis le 16ème siècle pour autre chose que pour ‘faire plaisir à un ami’. Quid d’une volonté de redéfinition des relations françaises avec l’Afrique où celle-ci semble perdre pied?

Quelles que soient les motivations de Zinsou quant à la restitution des oeuvres africaines mal acquises et exposées en Europe, il est possible que cette question eût par ailleurs été instrumentalisée à des fins politiques.

Dans la foulée de Zinsou, Sindika Dokolo, un riche homme d’affaires congolais lui aussi élevé en France et détenteur d’une très grande collection d’oeuvres d’art africain, s’est invité au débat public des restitutions, menaçant de ne pas prêter des oeuvres de sa collection pour des expositions si des oeuvres mal acquises n’étaient pas rendues aux pays d’où elles étaient originaires. Depuis, Dokolo a fait publiquement part de ses ambitions présidentielles en République Démocratique du Congo.

La question des restitutions a aussi été publiquement portée par Louis-Georges Tin, l’ancien président du CRAN. Comme ça l’est pour Zinsou et Dokolo, il est possible que la démarche de Tin soit dénuée d’ambitions carriéristes. On déplorera toutefois que les trois parties, qui mènent le même combat ne se citent que très rarement, voire jamais. Tin, par exemple, n’a pas hésité à décrire la décision de restitution comme une victoire du CRAN, sans citer les autres parties ayant lutté à ses côtés pour la restitution, dans ce qui ressemble malheureusement à un tirage de couverture. Fidèle à la ligne patriotique qui la caractérise, Marie-Cécile Zinsou, fille du fondateur de la fondation éponyme et son actuelle présidente, a déclaré sur Twitter  qu’il s’agissait d’un « véritable succès pour le Bénin ».

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