« Ma première vidéo a fait 2 vues. » se souvient El Poueblo Bravador en riant. Avec plus 500 000 followers de sa page Facebook, il est sans conteste l’un des web humoristes africains les plus populaires de sa génération. A Abidjan, nous l’avons rencontré pour évoquer sa success story. Un portrait de Franck Harding M’bra.
El Poueblo Bravador ou la success story d’un humoriste 2.0
Elles sont devenues virales, ses vidéos de moins de 5 minutes dans lesquelles il « clash » des personnalités politiques africaines (les présidents guinéen Alpha Condé, le président sénégalais Macky Sall, des ministres) , des people comme la jet-setteuse malienne Diaba Sora, des footballeurs, etc. Et Dieu seul sait comment sur sa page, le post d’une nouvelle vidéo est surveillé par ces milliers de fans. En Guinée, au Mali, au Tchad, au Burkina Faso, au Sénégal, au Cameroun, en RDC, au Congo Brazzaville, un petit peu en Côte d’Ivoire, en Mauritanie , bref dans tout l’Afrique subsaharienne francophone jusqu’à sa diaspora occidentale et aux Antilles , le fameux réseau social à la lettre bleue a dessiné à force de partages et de likes la notoriété de ce jeune ivoirien , Albéric Abouttou à l’état civil, 32 ans, et fait de lui une icône de l’humour 2.0 depuis 2014 date à laquelle la page El Poueblo Bravador a été créé .
Débrouille, tâtonnement et prédisposition naturelle à la raillerie, sont les maîtres-mots qui président le parcours atypique de ce jeune homme, qui a échoué à faire carrière dans le football. Finalement, il atterrira dans l’humour et c’est là qu’il connaîtra la célébrité. Pour Albéric Abouttou, l’aventure débute en effet en 2003 lorsqu’il débarque en Ukraine dans l’optique de signer au Dynamo de Kiev, l’un des célèbres clubs de foot du pays. Les choses ne se passeront pas comme il l’espérait. A 16 ans et tout frêle, il est recalé aux portes de l’équipe professionnelle. Toutefois, vu ses très bonnes dispositions techniques, le club lui propose un contrat semi-pro, afin de le garder dans son giron. Rien n’y fait : l’adaptation est terrible. Entre autres difficultés d’intégration, les langues, l’ukrainien et le russe que l’ado ne maîtrise pas encore.
Contre mauvaise fortune bon cœur, il se résout à laisser tomber le foot pour retourner aux études. Il apprendra ainsi l’Ukrainien, le Russe, l’Anglais (en Turquie) et enchaînera les voyages. Il fera des séjournera en Tunisie, à Singapour. Rapatrié de cette cité-Etat en Côte d’Ivoire à la suite d’une infortune, il réussira à retourner en Ukraine à l’aide de ses contacts locaux. On est en 2011 et la Côte d’Ivoire est alors en pleine crise. A Kiev, s’il officie en tant que traducteur, le jeune homme ne sait toujours pas quelle orientation donner à sa vie. Sur un coup de tête, il décide en 2013 de faire des études de droit afin de mener carrière en politique en Côte-d’Ivoire. Choix étonnant. Pourtant, il parviendra tout de même à décrocher un Master en Sciences Politiques.
Le naturel revient au galop
Naturellement boute-en-train, le jeune diplômé est d’un bon commerce social dans l’âme. Il aime les délires rigolos. C’est comme ça qu’un jour, pour amuser la galerie, il poste une vidéo sur Youtube dans laquelle il explique sur un ton salace et humoristique comment faire l’amour à son conjoint. La vidéo sera vue 1200 fois. Vanessa, sa petite sœur, a toujours vu en lui cette prédisposition. Elle attire son attention sur ce talent :
« Tu as quelque chose en toi qui plait. Ça peut énerver mais ça peut accrocher en faisant rire. Il faut que tu pousses ça un peu plus. »
Dans la foulée, Alberic créé sa page Facebook, la toute première, baptisée « Le Parlement » qu’il dédie à ses sorties humoristiques. Les débuts ne sont pas encourageants: « Ma première vidéo a fait 2 vues », rit-il en nous racontant l’épisode. « Ma page alors, elle ne comptait que 10 likes, des parents et quelques amis qui ont Jaimé pour me faire plaisir. J’en étais découragé ! Mais ma petite sœur Vanessa m’a remonté le moral. Dans les moments de doute, chaque fois que j’ai voulu abandonner, elle a su trouver les mots pour me remettre à l’ouvrage. « Cherche encore », me disait-elle, tu vas trouver ». Instinctivement, Albéric ne lâche pas l’affaire. Il va même se trouver une incroyable spécialité : coach conjugal. Oui-oui, le succès relatif de la première vidéo de conseils sur le sexe lui a donné des idées. C’est ainsi qu’il s’équipe en matériel (casque, ordinateur,…) pour se la jouer pro. Son sujet de prédilection : le sexe et ses topos. Bien lui en a pris. En peu de temps, il gagne 15.000 fans. Uniquement des femmes qui trouvent leur compte dans les conseils de ce docteur Love. De 15 .000, sa communauté de suiveurs passera à 60.000 abonnés en 8 mois. Un succès médiatique à tout point de vue puisque la presse ukrainienne lui accordera des articles. Notoriété faisant, ses consultations deviennent payantes. L’une des clientes, satisfaite des conseils de son « coach » lorsqu’elle rependra la main sur son foyer ira même jusqu’à lui faire un petit cadeau de 1500 euros. Le jeune homme prend alors conscience d’une chose : « J’ai compris par-là que je pouvais me faire de la thune avec les réseaux sociaux. »
El Pueblo Bravador et son buzz
Si cette année 2014 semble rouler pour le mieux pour le célèbre jeune ivoirien d’Ukraine, un malheur n’est jamais loin. Il perd son frère. Son chagrin le rendra moins mercantiliste et plus humain. Il décide de considérer davantage les émotions que l’argent. Dès lors, toujours sur motivation de sa petite sœur Vanessa, il creuse encore pour savoir comment orienter au mieux son statut de personnage public. Puis, un jour, au détour d’une visite chez un ami, il tombe sur un livre en espagnol intitulé « El Pueblo » (le peuple, en français) dont le héros, un certain Bravador fait figure de Robin des Bois hispanique. La rencontre avec cet ouvrage créera un déclic dans la tête de l’influenceur: il se fera désormais appeler El Poueblo Bravador et lancera dans la foulée un nouveau concept sur les réseaux : « les astuces d’El Poueblo Bravador ». Avec son humour, il traitera des sujets de société, du quotidien, il parlera des gens.
Arrive l’année 2015 et la Coupe d’Afrique de Nations de football en Guinée Equatoriale, la CAN comme on l’appelle. Les Eléphants de Côte d’Ivoire, entrainés par Hervé Renard – qui allaient être les vainqueurs de cette 30ème édition de la Can- font une minable entrée dans la compétition. La bande à Yaya Touré fait en effet un piètre premier match (nul de zéro à zéro) face à la Guinée Conakry. Comme tous les Ivoiriens déçus qui malmenèrent leur équipe nationale sur les réseaux sociaux, Bravador s’engouffre dans la brèche et fait une vidéo dans laquelle il est virulent :
« Côte d’Ivoire, vous faites match nul avec des nulards, vous êtes des chiens ! » peste-il.
La suite, c’est le concerné qui la raconte le mieux :
« Le lendemain, à mon réveil, je fais le tour du Web : c’est fou ce que je constate ! La vidéo a fait un million de vues ! Reprise dans des articles par la presse guinéenne en parlant d’un jeune ivoirien qui clashe très mal sur Facebook. Le jour d’après, c’était encore hallucinant : la vidéo est passée à 2 millions de vues. Mon buzz était lancé. »
Comment parvient-il à maintenir ce niveau ?: « À chaque fois que les Eléphants allaient jouer contre une équipe, je clashait la sélection adverse ; du coup les supporters de ce pays venaient voir ma vidéo sur ma page. Ça lançait la rencontre puisque je postais toujours la vidéo en avant-match. Gare au perdant, je n’allais pas le louper ! Je me suis rendu compte que plus les Eléphants évoluaient dans la compétition, plus mon buzz augmentait, mes abonnés aussi. ». Comme toujours, il fait de son buzz son beurre : « Entre temps, ce que les gens ne savent pas, c’est que des personnes me contactaient, me payaient pour clasher leur équipe qui a perdu et on rigolait, quoi », avoue –t-il, hilare. L’épopée victorieuse des Eléphants à cette CAN 2015 aura donc été la rampe de lancement de la notoriété continentale de Bravador. Qui, contrairement à ce qui se raconte, a piloté ses opérations depuis l’Ukraine, derrière son téléphone portable. Quelque temps après, il rentrera définitivement en Côte d’Ivoire, pour mener à bien son activité :
« Aujourd’hui, je suis reconnaissant d’un peuple, c’est les Guinéens. Ce sont eux qui m’ont lancé. Ma notoriété panafricaine est partie de Conakry. Comme aussi, je n’oublierai jamais mon premier voyage là-bas. J’arrive à mon hôtel, je monte en chambre, j’annonce sur le réseau que je suis à Conakry. Des minutes après j’entends des cris en bas, devant l’hôtel. Je descends à la réception pour voir ce qui se passe. Et là, c’est du délire ! Il y a une foule incroyable. Ils étaient venus voir Bravador… », se rappelle –t-il avec émotion.
Paradoxe d’un désamour ivoirien
Si El Poueblo Bravador est un nom qui parle aux gens et rassemble des foules dans nombre de pays africains, triste est de constater que le jeune Ebrié (peuple lagunaire de Côte d’Ivoire issus du grand groupe ethnique Akan) , originaire d’Anono (petit village niché coincé entre tradition et modernisme dans le quartier huppé de Cocody à Abidjan) , n’est pas prophète chez lui en Côte d’Ivoire. Contrairement à certains de ses confrères web comédiens d’Abidjan, l’humoriste ivoirien est incroyablement peu connu chez lui. Ne vous offusquez pas si à Abidjan vous demandez El Poueblo Bravador à un anonyme et qu’il vous répond : « c’est qui ? ». Un paradoxe qu’il s’explique ainsi :
« Mon buzz n’est pas parti d’Abidjan, ce ne sont pas les Ivoiriens qui m’ont fait, ça c’est d’une part. De l’autre, le contexte socio-politique n’est pas favorable à la liberté d’expression, estime-t-il. En tout cas pour mon style, je ne peux pas m’amuser à railler des personnalités politiques ou personnages publics ivoiriens de peur d’avoir des ennuis. À part quelques uns qui ne le prennent pas mal. D’ailleurs, à Abidjan sur les réseaux, les gens n’aiment pas le succès des gens. Quand ça marche pour vous, on commence à vous ’attaquer. Ces éléments mis ensemble peuvent expliquer le fait que Bravador n’est pas connu dans son pays. ».
D’autre part, El Poueblo Bravador aurait peut-être pu bénéficier d’une meilleure exposition médiatique s’il n’avait pas été blacklisté par la RTI, le géant du paysage audiovisuel ivoirien. L’affaire remonte à mars 2016 et les jours qui ont suivi les attentats terroristes de Grand Bassam. Dans le déluge de tirs à boulet rouges qu’a essuyé le média national pour sa gestion inconséquente des informations lors des événements- on rappelle que la télévision rediffusait un vieux match de foot au moment où les évènements tragiques se déroulaient- les responsables de la chaîne publique ont trouvé saumâtre la vidéo toute aussi acerbe de Bravador contre eux. Allant jusqu’à lui notifier par courrier qu’il était interdit d’antenne, le qualifiant d’impoli, au passage. Une désillusion pour lui qui estime qu’on peut rire de tout. Le désamour de Bravador dans son pays est assez surréaliste, d’autant qu’il tranche avec l’affection dont jouit l’humoriste auprès de personnalités à l’extérieur. Pour les retours qu’il a et qu’il nous a confiés, Alpha Condé, le Chef d’Etat guinéen ou Macky Sall le leader sénégalais l’adorent, alors même qu’ils en ont pris pour leur grade dans ses vidéos :
« Ce n’est pas de l’impolitesse, c’est simplement de l’humour, se défend-t-il. On peut appeler ça de l’humour à la peau de banane. Je fais des vannes, j’attaque caustiquement certes, mais au fond, j’apporte des conseils sur la façon dont on devrait se comporter pour un personnage public, ou bien qu’on devrait faire attention à son langage pour un Président de la République, par exemple. »
Il faut dire que le comique a trouvé son filon : attaquer des personnalités publiques, des célébrités, pour s’attirer des vues en retour. Et ça fonctionne ! Il en a fait son créneau et y excelle avec son style. Un style qu’il aurait d’ailleurs travaillé plusieurs années durant. En effet, son body language inspiré de la gestuelle de comédiens célèbres comme Thomas N’Gijol ou Gad Elmaleh, ses montages vidéos, ses habillages sonores astucieux d’expressions ou de paroles insolites reprises çà et là et qu’il a rendu cultes comme « Chef de classe, fais l’appel ! », « A mon commandiment, partez ! », « Ferme-moi » etc…
Sa page Facebook : son business
A force de persévérance et d’intelligence, Bravador a réussi à imposer son humour sur la scène. Et en impose désormais aussi à ses confrères ivoiriens avec qui il arrive qu’ils partagent les mêmes scènes dans les capitales de la sous-région ouest-africaine : « Mes collègues savent que je n’ai certes pas leur cote en Côte d’Ivoire, mais à l’international, ils me respectent pour la notoriété que j’ai. L’humour ivoirien est de bas niveau, parce que ce sont les mêmes vannes qui sont reprises partout par les humoristes ». Toutefois, il est fier de ce que l’humour ivoirien joue les premiers rôles sur le continent. De bonne guère puisque ça lui profite. Quant aux humoristes de la diaspora africaine en France, en particulier, le chef de la Bravagang est fier :
« Ils représentent dignement nos cultures africaines sur les scènes européennes. Ça nous donne de la fierté parce que même si tout n’est pas rose chez nous en Afrique, ils montrent qu’on peut être fiers de nos origines, même s’ils nous piquent une ou deux vannes souvent », glisse-t-il pince-sans-rire, au passage.
Très sollicité à l’extérieur pour des spectacles, il prouve son succès croissant et le pari réussi de l’adaptation de son style sur scène, lui qui rêve d’une carrière à la Kevin Hart : « C’est mon idole. On a sensiblement le même parcours. Son histoire est une métaphore de la persévérance. Et je voudrais aussi mener une carrière d’acteur, pourquoi pas », nous confie-t-il, bien installé dans son fauteuil de responsable évènementiel d’une petite entreprise qui fait aussi dans l’agence de voyage et dans la gestion de carrière de footballeurs. C’est dans leurs locaux qu’il nous a accordé l’entretien. Une activité secondaire sécurisante qu’il mène quand il n’est pas en tournée et pour laquelle sa notoriété aide beaucoup. Car, El Poueblo Bravador, c’est avant tout la star de Facebook qui en a fait un vrai business. Nombreux sont les annonceurs (entreprises en tout genre comme anonymes) qui payent pour figurer sur son support afin de toucher ces milliers de clients potentiels. Récemment, l’humoriste a posté une annonce sur sa page dans laquelle il proposait des services de coaching sentimental. « Un retour à la source », pour ce jeune futé dont la marque est manifestement devenue une start-up rentable :
« Il y a quelqu’un à qui je dois beaucoup : c’est Mark Zuckerberg. Il m’a inspiré et aujourd’hui ma page Facebook, c’est mon business ! » rit-il de bon cœur.
Une déclaration d’humour bien sentie. Encore une, en attendant de nous le refiler comme un virus. Et puisqu’il a accepté que nous fassions connaissance, Bravador a accepté de nous en dévoiler un peu plus sur lui. Quizz:
Es-tu en couple ?
Je ne peux pas le dire (rires). Ma famille, mon amour ce sont des choses que je cache, histoire de les protéger des attaques que je subis souvent. Il faut savoir seulement que c’est une ivoirienne.
Ton club de foot préféré ?
Le Réal Madrid.
Ta série tv préférée ?
Je ne suis pas trop banché télévision. Si je suis devant la télé c’est qu’il y a un match de foot qui passe. Souvent aussi je zappe pour suivre les infos, c’est tout. Pour le reste, c’est sur les réseaux où je suis hyper connecté.
Ton plat préféré ?
C’est Placali avec sauce gombo Kopê (une célèbre spécialité ivoirienne). « Il peut manger ça tous les jours ! ( ajoute, amusée, sa copine, qui a assisté à l’entretien).
T’écoutes quoi comme musique ?
Que du coupé-décalé. Mon type, c’est Arafat Dj, le Daïshikan. Je ne le cache pas, je suis un chinois [NDLR : du nom de la communauté de fans de l’artiste pour dire qu’ils sont nombreux comme au pays de Mao]. En termes de musique, je consomme ivoirien. Coupé-décalé ou rien !
Quelle est ta plus grande qualité ?
Je suis fidèle.
Quel est on principal défaut ?
Je suis très nerveux.
Ton meilleur souvenir en tant qu’El Poueblo Bravador ?
C’est mon premier voyage en Guinée. Inoubliable. C’est là-bas que j’ai compris que les gens aimaient vraiment ce que je faisais. Ils ont tout mis à ma disposition: garde de corps, suite présidentielle, carré Vip…
Ton pire souvenir ?
C’est mon désamour avec les Ivoiriens. Ce sont mes proches qui ont de la peine pour moi, mais au fond, ce n’est pas trop grave.
Ton leitmotiv dans la vie, c’est…?
On est nés pour mourir, donc on doit profiter de la vie au maximum. Quand mon frère mourrait, on ne s’était pas vus depuis deux ans. La vie est tellement courte que souvent, quand on peut pardonner à quelqu’un ou exprimer son amour à un autre, il ne faut pas attendre.
Propos recueillis par Franck Harding M’bra.