L’origine et les usages du mot ‘Guinée’
Culture

Par Sandro CAPO CHICHI 6 février 2015
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Nom de trois pays d’Afrique, le mot Guinée est aussi utilisé dans d’autres cultures, avec une signification parfois… inattendue.
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
L’origine du mot ‘guinée’ est incertaine.
Le mot Guinée apparaît pour la première fois de manière certaine dans les textes écrits en 1453 dans une synthèse des récits de voyage d’exploration portugais par un historien de ce pays Gomes Eanes de Zurara. Le mot Guiné y désigne l’ensemble des Noirs au dessous du fleuve Sénégal. On trouve toutefois des atlas européens de 1320 et 1375 faisant référence à des pays respectivement appelés Gunuia et Giniya. Ces noms sont-ils les mêmes que celui utilisé plus tard pour désigner la Guinée? Selon une hypothèse, le mot Guinée serait dérivé d’un mot berbère d’Afrique du Nord aghinaw signifiant ‘un Noir’. Mais le mot berbère pourrait lui-même être dérivé d’un nom noir africain, comme le postule M.D.W. Jeffreys (Guinea : Pointers to the Origin of this Word), citant un passage de l’explorateur andalou Léon L’Africain : « ce royaume que les marchands de notre pays appellent Gheneoa, les natifs Genni et les Portugais et d’autres appellent Ghinea. » Le nom de Guinée aurait donc autrefois désigné un état côtier au sud du fleuve Sénégal dont le souvenir nous aurait été perdu. Par extension, il aurait désigné l’Afrique noire occidentale pour les Portugais et les Européens.
Des hypothèses moins convaincantes comme celles qui dérivent Guinée de la ville de Djenné, de l’empire de Ghana, du mot femme ou génie en langue soussou (ces deux derniers auraient été prononcés par des femmes soussous après avoir vu des explorateurs portugais) doivent être rejetées.

Ca aurait été marrant qu’on s’appelle tous Guinéens…On aurait même pu avoir Dadis Camara comme empereur
Après que les Portugais aient cédé une partie de leurs colonies ouest-africaines à la France et à l’Espagne, ces deux nations allaient garder ce nom pour nommer leurs colonies : la Guinée française et la Guinée espagnole qui allaient devenir la Guinée-Conakry et la Guinée équatoriale lors de leurs indépendance. La Guinée portugaise allait elle devenir la Guinée-Bissau.
Entre temps, au 16ème siècle, un explorateur espagnol du nom de Yñigo Ortiz de Retez avait jugé que les Papous d’Océanie ressemblaient aux Noirs Africains et décida de nommer leur territoire Nouvelle Guinée, nom qui sera conservé par la partie orientale de l’île lors de son indépendance en tant que Papouasie Nouvelle Guinée.
Par le biais de l’esclavage, l’emploi de Guinée par les Européens allait être utilisé aux Amériques par les esclaves pour désigner l’une de leurs régions d’origine. En Haïti, par exemple, Guiné est utilisé pour signifier la région du Golfe de Guinée allant du Ghana à l’ouest au Nigéria à l’est. Plus que cette acceptation géographique, ce nom est aussi associé à de grandes valeurs morales. Comme le dit l’ethnologue haïtien Guérin Montilus:
Ainsi, dans les moments solennels, pour renforcer une affirmation, on dira vigoureusement, en se frappant la poitrine : Mwê mêm nèg Guiné! (Moi-même, nègre de la Guinée)!Cela est dit pour signifier la force de caractère et la transcendance de la personnalité du locuteur. Car la Guinée, -et ici, il s’agit du Golfe de Guinée, connu encore scientifiquement sous le nom de la Côte des Esclaves, -est restée dans la mémoire collective la terre par excellence des braves, des hommes intrépides, des hommes de caractère, des hommes de parole, des hommes d’honneur, des hommes dotés de profondes vertus sociales et humaines, des hommes d’organisation, des hommes invulnérables, des guerriers acharnés, etc.
(Guérin MONTILUS (1988), Dieux en Diaspora, p.10-11)
Un des usages les plus bizarres du mot Guinée quant à sa signification d’origine est à rechercher aux Etats-Unis. D’abord utilisé pour signifier la région d’origine de certains esclaves noirs au 18ème siècle, Guinea (prononcer Guini) aurait été appliqué le siècle suivant aux personnes ayant des ancêtres noirs et plus généralement la peau plus sombre que celle des Wasps, ces Blancs Américains et protestants d’Europe de l’Ouest. Lorsque les premiers immigrants italiens, originaires pour la plupart du sud de ce pays, ils furent considérés comme des non-Blancs. Ils avaient en effet un teint sombre hérité de siècles de métissage avec des populations maures nord-africaines et se furent appliquer l’injure de Guinea pour leur rappeler ce qui était considéré comme une impureté raciale par les Wasps dominants.
Ainsi, d’après Patricia Waak (My Bones are Red) : « à partir de la moitié du 18ème siècle, ‘Guinea negro’ désignait une personne de Guinée; au début du 19ème siècle, Guinée était utilisé seul (sans ‘nègre’) pour simplement désigner une personne à la peau sombre et donc de n’importe qui aux origines métissées. Ce sens est toutefois devenu complètement obsolète. (En tant qu’injure raciale, ‘Guinée’ ou ‘Ginnie’ était employé contre les Italiens et leurs descendants (particulièrement à New York) et attesté pour la première fois en 1890 probablement inspiré par ‘Guinea’ avec le sens de ‘Noir’ en référence au teint relativement foncé des Italiens du sud qui constituaient la majorité des immigrants italiens à l’époque. »
Comble de l’évolution du sens des mots, on peut aujourd’hui trouver des Afro-Américains en train d’insulter leurs compatriotes d’origine italienne de ‘Guinea’, comme dans cet épisode des Sopranos où Tony montre le vieux quartier italien à son fils et où un dealer noir lui répond que ce n’est plus un quartier italien mais le leur, le traitant de « Guinea Motherfucker »:
Que de chemin aura donc parcouru ce nom, peut-être celui d’un peuple d’Afrique de l’Ouest, pour désigner des populations différentes de trois continents avec des connotations aussi variées que l’injure ou la fierté.