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Guinée : décryptage de l’origine et des multiples facettes d’un terme historique

Culture

Guinée : décryptage de l’origine et des multiples facettes d’un terme historique

Par Sandro CAPO CHICHI 30 janvier 2024

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Découvrez l’histoire fascinante du mot ‘Guinée’, un terme riche en nuances et en contextes culturels. Nofi explore l’origine du mot, son évolution à travers différentes sociétés, et son impact sur les relations entre les peuples. De l’Afrique de l’Ouest aux Amériques, en passant par la Nouvelle-Guinée, plongez dans un voyage linguistique révélant comment un simple mot peut incarner l’histoire, la culture, et l’identité de diverses populations.

Le mot ‘Guinée‘ résonne à travers les continents, porteur d’une histoire riche et de significations diverses. Ce terme, bien plus qu’une simple référence géographique, est imprégné d’une complexité culturelle et historique surprenante. De l’Afrique aux confins du monde, ‘Guinée‘ a évolué, prenant différentes formes et incarnant des réalités variées selon les contextes et les sociétés. Cet article vous invite à un voyage captivant, explorant les racines profondes de ce terme, ses multiples interprétations et son impact indélébile sur les différentes cultures et sociétés à travers les âges.

Guinée : aux racines d’un nom, entre histoire et mythes

Carte de la Guinée de Jodocus Hondius II, 1621. wikimedia.org

Le mystère enveloppe l’origine du mot ‘Guinée‘, un terme qui, au fil des siècles, a pris plusieurs visages et significations. Apparu pour la première fois de manière formelle dans les écrits de l’historien portugais Gomes Eanes de Zurara en 1453, ‘Guinée‘ a désigné initialement l’ensemble des populations noires au sud du Sénégal selon les récits des explorateurs portugais. Pourtant, des cartes plus anciennes de 1320 et 1375 mentionnent déjà des territoires nommés Gunuia et Giniya. Ces noms, prédécesseurs de ‘Guinée’, nous suggèrent une origine encore plus lointaine et mystérieuse.

Selon certaines théories, le mot pourrait être dérivé du terme berbère ‘aghinaw‘, signifiant ‘noir‘, bien que cette racine puisse elle-même trouver son origine dans des appellations autochtones africaines. L’explorateur andalou Léon L’Africain offre une piste intrigante :

« ce royaume que les marchands de notre pays appellent Gheneoa, les natifs Genni et les Portugais et d’autres appellent Ghinea. »

M.D.W. Jeffreys, « Guinea : Pointers to the Origin of this Word ».
Portrait supposé de Léon l’Africain, Sebastiano del Piombo, vers 1520. wikimedia.org

Cette dénomination aurait autrefois représenté un État côtier au sud du Sénégal, dont le souvenir s’est estompé avec le temps. De là, le terme aurait évolué pour englober l’Afrique noire occidentale aux yeux des Portugais et des autres Européens, marquant ainsi une histoire riche en interprétations et en transformations.

Certaines hypothèses s’avèrent moins probantes et méritent un examen critique. Parmi elles, la tentative de rattachement du terme à la ville de Djenné, à l’empire de Ghana, ou encore aux mots pour ‘femme’ ou ‘génie’ en langue Soussou, suscitent le scepticisme. Ces dernières interprétations, notamment celles suggérant que le mot aurait été prononcé par des femmes Soussou en réaction à la présence d’explorateurs portugais, manquent de preuves tangibles et de liens historiques solides. Il est crucial d’approcher ces théories avec prudence et de privilégier les hypothèses soutenues par des preuves et des analyses rigoureuses pour comprendre véritablement l’étymologie et l’évolution du mot.

Suite à la cession d’une partie de leurs territoires ouest-africains par les Portugais, la France et l’Espagne adoptèrent ce nom pour leurs colonies respectives, forgeant ainsi les identités de la Guinée française et la Guinée espagnole. Ces territoires deviendraient plus tard les nations indépendantes de Guinée-Conakry et Guinée équatoriale, tandis que la Guinée portugaise se métamorphoserait en Guinée-Bissau.

Plan de la Nouvelle-Guinée de 1600. wikipedia.org

Par ailleurs, un chapitre fascinant de cette histoire est la dénomination de la Nouvelle-Guinée par l’explorateur espagnol Yñigo Ortiz de Retez au 16ème siècle. Frappé par la ressemblance qu’il percevait entre les habitants de l’Océanie et les Africains, il baptisa leur territoire Nouvelle Guinée. Ce nom perdura et devint officiel pour la partie orientale de l’île lors de l’accession à l’indépendance de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, témoignant ainsi de l’ampleur et de la complexité de l’héritage du mot.

Guinée : emblème de force et d’honneur dans la mémoire collective haïtienne

Le terme ‘Guinée‘ a traversé les océans pour s’ancrer profondément dans la conscience des descendants d’esclaves africains dans les Amériques, devenant un symbole puissant de leurs racines et de leur héritage culturel. Particulièrement en Haïti, le mot ‘Guiné‘ revêt une importance particulière, évoquant non seulement une région géographique précise – le Golfe de Guinée, s’étendant du Ghana à l’ouest au Nigeria à l’est – mais aussi un ensemble de valeurs morales profondes. Comme l’évoque l’éminent ethnologue haïtien Guérin Montilus, ‘Guinée‘ transcende sa définition géographique pour incarner les principes et les traditions qui forment le socle de l’identité culturelle haïtienne et, par extension, de la diaspora africaine dans les Amériques

Ainsi, dans les moments solennels, pour renforcer une affirmation, on dira vigoureusement, en se frappant la poitrine : Mwê mêm nèg Guiné! (Moi-même, nègre de la Guinée)!Cela est dit pour signifier la force de caractère et la transcendance de la personnalité du locuteur. Car la Guinée, -et ici, il s’agit du Golfe de Guinée, connu encore scientifiquement sous le nom de la Côte des Esclaves, -est restée dans la mémoire collective la terre par excellence des braves, des hommes intrépides, des hommes de caractère, des hommes de parole, des hommes d’honneur, des hommes dotés de profondes vertus sociales et humaines, des hommes d’organisation, des hommes invulnérables, des guerriers acharnés, etc.

 Guérin Montilus (1988), Dieux en Diaspora, p.10-11.

Les métamorphoses du mot ‘Guinée’: de l’origine à l’injure

Le mot ‘Guinée’ a connu une évolution surprenante dans son usage aux États-Unis, soulignant la complexité et parfois l’ambiguïté des interactions culturelles et raciales. Initialement utilisé au 18ème siècle pour désigner l’origine africaine de certains esclaves, le terme a subi une transformation significative, devenant un marqueur d’identité raciale ambigu et souvent péjoratif.

Au 19ème siècle, ‘Guinea‘ (prononcé ‘Guini‘) a été utilisé de manière discriminatoire pour catégoriser non seulement les personnes d’ascendance africaine mais aussi toute personne présentant une pigmentation de peau plus foncée que celle du groupe dominant des Wasps (Blancs Américains et protestants d’Europe de l’Ouest). Les immigrants italiens du sud, porteurs d’un héritage culturel et d’une pigmentation plus sombre, ont été particulièrement ciblés par cette appellation injurieuse, soulignant ainsi les tensions et les préjugés raciaux profondément ancrés dans la société américaine de l’époque.

Ainsi, d’après Patricia Waak (My Bones are Red) :

« à partir de la moitié du 18ème siècle, ‘Guinea negro’ désignait une personne de Guinée; au début du 19ème siècle, Guinée était utilisé seul (sans ‘nègre’) pour simplement désigner une personne à la peau sombre et donc de n’importe qui aux origines métissées. Ce sens est toutefois devenu complètement obsolète. (En tant qu’injure raciale, ‘Guinée’ ou ‘Ginnie’ était employé contre les Italiens et leurs descendants (particulièrement à New York) et attesté pour la première fois en 1890 probablement inspiré par ‘Guinea’ avec le sens de ‘Noir’ en référence au teint relativement foncé des Italiens du sud qui constituaient la majorité des immigrants italiens à l’époque. »

Comble de l’évolution du sens des mots, on peut aujourd’hui trouver des Afro-Américains en train d’insulter leurs compatriotes d’origine italienne de ‘Guinea‘, comme dans cet épisode des Sopranos où Tony montre le vieux quartier italien à son fils et où un dealer noir lui répond que ce n’est plus un quartier italien mais le leur, le traitant de « Guinea Motherfucker » :

Cette évolution met en lumière non seulement la richesse et la diversité des échanges culturels mais aussi les tensions et les contradictions qui peuvent en émerger, témoignant de la capacité des mots à capturer et à refléter les nuances de l’expérience humaine à travers les âges.

Guinée : comprendre les racines pour éclairer le présent

La compréhension de l’origine et des différentes significations du mot « Guinée » est cruciale pour apprécier pleinement son impact sur l’histoire, la culture et les relations internationales. Ce terme, qui a voyagé à travers continents et cultures, illustre la richesse de l’héritage linguistique et souligne l’importance du contexte dans l’interprétation des mots. En retraçant les origines et les usages de « Guinée« , on découvre une toile complexe d’échanges et de perceptions qui façonnent notre monde. Reconnaître et comprendre ces nuances est essentiel pour construire un avenir où les mots unissent plutôt que divisent, reflétant un respect et une appréciation véritables pour la diversité de l’expérience humaine.

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