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Kafala, un esclavage moderne au Moyen-Orient

Société

Kafala, un esclavage moderne au Moyen-Orient

Par Sandro CAPO CHICHI 27 avril 2020

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Kafala est le nom donné à un système d’exploitation de travailleurs migrants en vigueur dans de nombreux pays du Moyen-Orient.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.media

Le système du Kafala

Kafala fait historiquement référence à une adoption sans filiation dans le monde arabe. Selon une acception plus récente et plus particulière du terme, il s’agit d’un système de tutelle qu’exercent des employeurs locaux sur des travailleurs migrants sous-qualifiés.  Ils sont principalement actifs dans le travail domestique et dans le secteur du bâtiment. Pour se rendre dans leur pays de destination, les migrants doivent disposer d’un ‘parrain’ sur place. Les deux parties peuvent être mises en relation par le biais de relations communes. Elles peuvent aussi l’être via des agences spécialisées. Des données d’un article de 2012 estiment ainsi à plus de 400 agences officielles s’engageant à ‘mettre en relation’ des domestiques immigrées avec des employeurs moyennant frais au Liban. Celles-ci collaborent avec la Sûreté Nationale libanaise. Ce marché contribue de manière significative à l’économie du pays. Une fois sur place, les travailleurs migrants vivent sous la dépendance de leur employeur.

L’employeur est responsable d’obtenir un visa pour le travailleur. L’obtention du visa est accordée au travailleur sur la base de l’existence d’un lieu de résidence. L’employeur fournit son adresse comme lieu de résidence. La remise du visa se fait typiquement en l’échange du passeport du migrant, que l’employeur conserve souvent après coup. Le travailleur dépend de son employeur pour rester dans le pays. Sans passeport, il ne peut souvent pas non plus quitter le pays. L’employeur profite souvent de ces conditions pour abuser de l’employé. Ce dernier n’est pas protégé par un quelconque code du travail.

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Les employés ne peuvent rompre leur contrat même si victime d’abus. Ces conditions peuvent les emmener à se suicider, à  fuir, souvent au péril de leur vie.  Lorsqu’ils survivent, ils se trouvent souvent dans la clandestinité et la précarité. Nombre de domestiques se retrouvent ainsi, après avoir fui, soumises à la prostitution.

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Des travailleuses domestiques vendues et revendues

Au cours de leur contrat, il est courant que les employeurs souhaitent se séparer des travailleurs. Etant de fait leurs propriétaires, il n’st pas rare qu’ils décident de les vendre, parfois via des sites ou des pages de petites annonces au milieu de voitures, de meubles ou de vêtements.

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Un système plus stigmatisant envers les Noirs

En cohérence avec le préjugé négrophobe en vigueur dans le monde arabe, les victimes noires souffrent souvent plus du Kafala que les autres. Un étalon de mesure de ce manque de considération est le prix fixé par les agences de recrutement de domestiques, au Liban, par exemple. Les Africaines et Sri-Lankaises y ‘coûtent’ moins cher que les Philippines. Le teint plus clair de ces dernières est considéré comme plus proche de celui des Libanais. Cette inégalité se reflètent aussi dans les salaires versés aux travailleuses de ces communautés.

En outre, comme le rapportent nos confrères de Slate, les Philippines sont autorisées à se rendre à l’église. Ce n’est pas le cas des Africaines, qui doivent prier dans des églises de fortune.

La lutte contre le Kafala

Le retentissement des scandales et tragédies liés au système du Kafala a poussé les gouvernements des pays d’immigration et d’émigration concernés à produire des réformes à ce sujet. Des pays comme la Côte d’Ivoire, Madagascar et l’Ethiopie ont par exemple interdit les visas de travailleurs domestiques à l’endroit du Liban. De l’autre côté, le Qatar en pleine rénovation de son image a fait passer en janvier 2020 une loi bannissant l’obligation du visa de sortie pour quitter le pays, caractéristique du Kafala.

De leur côté, des travailleurs se sont mobilisés pour faire valoir leurs droits, souvent avec le soutien d’ONG.

En mars 2020, une nouvelle tragédie dans le contexte du Kafala au Liban allait donner un nouvel écho à la cruauté de cette pratique. Faustina Tay, une Ghanéenne de 23 ans travaillant au Liban depuis mai 2019 était retrouvée morte.  A plusieurs reprises, elle s’était plainte de sa situation auprès de groupes et de son frère, leur envoyant des dizaines de messages écrits et plus de 40 minutes de messages vocaux la semaine précédant le 14 mars 2020. Violentée s à plusieurs reprises par ses propriétaires, elle avait peur de mourir. Elle souhaitait rentrer au plus vite dans son pays. Le lendemain d’un appel à l’association, le 14 mars 2020, elle était retrouvée morte.

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Photographies envoyées par Faustina Tay à sa famille pour illustrer les violences physiques dont elle était victime

Sa disparition fut officiellement rapidement considérée comme résultant d’un suicide. Cette explication n’a toutefois guère convaincu l’opinion publique.  Un reportage de nos confrères d’Al-Jazeera qui a notamment diffusé des messages de secours envoyés par la jeune femme a créé un triste mais nécessaire buzz autour des ravages du Kafala au Moyen-Orient en général et au Liban en particulier, pays où il est estimé que deux domestiques meurent par semaine.

En conséquence de ce buzz, une enquête de grande envergure a été lancée par la police libanaise début avril sur les conséquences de la mort de cette jeune fille, qui comme des milliers d’autres avant elles au Moyen Orient, n’avait pu être sauvée à temps d’un enfer qu’elle avait rêvé eldorado.

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