T’Challa, alias Black Panther, est bien plus qu’un super-héros de bande dessinée : imaginé par Marvel à la fin des années 1960 comme premier personnage noir (et africain) du panthéon des super-héros populaires, comme le dit lemonde.fr, il porte une symbolique forte de fierté et de libération. Depuis le film Black Panther (2018) de Ryan Coogler, ce roi de Wakanda est devenu une célébration de la culture noire moderne, un avatar panafricain. Le film a été salué comme une « célébration pure de la culture et de la puissance Noires », et son héros a inspiré une génération de jeunes Afros-Américains.
T’Challa incarne l’idée qu’on peut être à la fois Africain et superpuissant, un prince capable de défendre son peuple avec dignité (il est décrit comme « un homme Noir fort, dont l’histoire a résonné chez toute une génération de garçons et d’hommes noirs » – newamerica.org). Dans ce contexte, le personnage est devenu un pilier de la représentation afrodescendante au cinéma et dans la culture pop.
Le fils caché de T’Challa est blanc, et alors ?
L’arrivée de Ketema dans l’univers Marvel. Cet été 2025, Marvel a introduit dans sa ligne Marvel Knights: The World to Come #1 un nouveau personnage, Ketema, présenté comme le fils biologique de T’Challa avec son ancienne fiancée Monica Lynne. Dans ce récit futuriste dystopique, un T’Challa vieillissant est défié pour le trône de Wakanda par Ketema. L’issue du duel semble scellée lorsque T’Challa, tiraillé, épargne son fils et perd la vie.
Au dernier instant, Ketema retire son masque : il apparaît comme « un homme blanc à la peau claire, aux cheveux blonds ». Ce choc visuel — fils de deux parents noirs, mais à l’apparence très pâle — est assumé par les auteurs. Le scénariste Christopher Priest et le dessinateur Joe Quesada voulaient visiblement provoquer une réaction, jouant avec l’idée d’un « Black Panther » blanc. Comme le note Spencer Baculi, cet enjeu était attendu (« sûr de provoquer l’explosion de discours qu’il était censé créer »), selon boundingintocomics.com. (Le nom Ketema, prononcé Kah-TOM-ah, signifie en amharique « fondation », appuyé ici sur l’alliance passée de T’Challa avec l’Afrique de l’Est.)

Dans la bande dessinée, le rôle de Ketema est celui du héritier contestataire de Wakanda : il prend les armes contre son père sous l’influence d’un radicalisme traditionnaliste, et s’impose comme nouveau roi. Au-delà de ce scénario, peu de détails sont pour l’instant donnés sur ses motivations ou son origine exacte. Notamment, le fait que sa supposée mère, Monica, soit noire rend étrange la couleur de peau de Ketema. Certains observateurs suggèrent qu’il pourrait en réalité avoir été adopté ou qu’il serait né d’une autre union de T’Challa, mais rien n’est confirmé pour l’instant.
Quand le nouveau Black Panther fait débat… sans vraiment faire débat
Réception médiatique vs réactions réelles. Comme souvent, les médias grand public ont fait leurs gros titres en cédant à la polémique raciale : la presse anglaise titre que « les fans Marvel sont en colère après qu’on a révélé que le nouveau Black Panther est blanc ». De sites comme Daily Mail, SlashFilm ou CBR assurent que les internautes « éruptent » ou que c’est « un énorme rebondissement choquant ».
Cette mise en scène médiatique laisse entendre que les lecteurs noirs seraient outrés par cette nouveauté. Pourtant, en réalité, les discussions sur les réseaux n’illustrent pas massivement ce ressentiment. De nombreux commentaires se montrent au contraire indifférents, moqueurs ou fatigués du débat. Par exemple, un internaute sarcastique ironise que l’affaire vise surtout « à traiter ceux d’entre vous de bébés qui chouinent toujours à propos des choix de casting » et conclut qu’en fin de compte, « vous avez tous plus en commun que vous ne le pensez ».
Dans le même esprit, un blogueur rappelle que l’épisode Ketema n’est même pas du circuit principal Marvel (c’est un avenir hypothétique), une manipulation intelligente du buzz en ligne : il note que la révélation fut « un coup de maître du marketing sur les réseaux sociaux » qui a sans doute servi à faire parler de l’album.
Autrement dit, la controverse est en partie instiguée. D’une part, parce que l’auteur Christopher Priest — lui-même scénariste historique et premier rédacteur en chef noir d’un titre Marvel — affirme que cette histoire n’est « pas liée à aucune autre continuité » principale. Il s’agit d’un univers futuriste autonome, un fil narratif spécial qui donne « une liberté énorme pour faire des choses impensables ailleurs ».
Pour les fans, cela signifie que ce Ketema n’est pas vraiment le remplaçant officiel de T’Challa dans la chronologie classique. D’autre part, beaucoup de véritables amateurs de Black Panther attendent surtout des histoires riches plutôt que de gesticuler sur la couleur de peau. Comme le blogueur le remarque, l’annonce Ketema a fait « du bruit dans les cercles de comic books sur les réseaux sociaux », mais ce buzz ne reflète pas une attaque organisée de la communauté noire.
Race-swap inversé ? Ce que révèle vraiment le cas Ketema chez Marvel
Débats de « race swap » et lassitude. Cette polémique s’inscrit dans un contexte plus large, celui des débats récurrents sur le « race swap » dans la fiction. On a vu récemment la controverse autour de la nouvelle Ariel noire dans La Petite Sirène ou les acteurs colorés dans Le Seigneur des anneaux. Ces réactions sont désormais bien documentées comme cycliques et prévisibles.
Vox.com souligne d’ailleurs que ces vagues de critiques racistes sont « épuisantes et extrêmement prévisibles » : chaque changement de casting considéré comme « progressiste » suscite de nouveaux « geeks » irrités par les récits qui sortent d’un cadre blanc traditionnel. Le cas de Ketema est à cet égard un bon exemple de ce schéma : le choc apparent de voir un héritier au physique inattendu a déclenché un nouveau round de réactions prévisibles, alors que beaucoup d’internautes font la moue et finissent par l’ignorer.
En réalité, cette polémique traduit plus une fatigue générale qu’autre chose. Les Afrodescendants se montrent lassés de voir chaque détail de représentation remuer ciel et terre. Comme l’écrivait Aja Romano dans Vox, la colère sur ces sujets est souvent plus guidée par le racisme latéral que par de réelles préoccupations d’identité culturelle. De fait, les réactions d’afrodescendants sur Ketema ont été à la fois plus rares et plus nuancées que ne le laissait croire la couverture médiatique. Certains saluent même l’audace de raconter des histoires originales, et comprennent que ce Ketema n’est qu’un personnage dans une uchronie, sans compromettre l’héritage de T’Challa.
Ketema : l’héritier de Wakanda ou l’enfant du buzz ?
Au final, Ketema est apparu non pas comme un concurrent effronté à T’Challa, mais comme un catalyseur de débats en ligne. Derrière le personnage de fiction, c’est surtout la question de la pertinence des polémiques sur la couleur de peau qui s’est posée.

Dans la perspective d’un média afrocentré critique et engagé, on peut voir Ketema comme un cas symptomatique : plutôt que de craquer, de nombreux fans afrodescendants ont vu dans cette annonce un petit divertissement finalement sans conséquence réelle. L’essentiel, pour eux, reste l’âme même du Black Panther : un héros africain puissant et respectable. Agiter des débats improvisés sur un « héritier blanc » finit donc par relever de l’épuisant « divertissement réchauffé » des réseaux sociaux, plus qu’autre chose.
Les réactions en ligne l’illustrent bien : loin d’une colère unanime, c’est surtout une certaine indifférence ou bonne humeur qui prédomine – signe qu’au bout du compte, les Afro-descendants en ont peut-être assez qu’on débatte sans fin de l’identité de leurs héros fictifs, et qu’ils attendent du contenu digne d’intérêt plutôt que de nouvelles polémiques racistes faciles.