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La genèse du G5 Sahel : de Paris à Nouakchott

Politique

La genèse du G5 Sahel : de Paris à Nouakchott

Par Anne Rasatie 16 novembre 2019

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Le Sahel est une région extrêmement vulnérable du fait de ses longues périodes d’instabilité politique, ses sècheresses et une désertification croissante en plus d’être le terrain où de nombreux groupes classés « terroristes » sévissent depuis de nombreuses années. Pour remédier à cette insécurité grandissante et coordonner leur stratégie de défense de leur territoire, les cinq Etats sahéliens se sont rassemblés en une entité : le G5 Sahel.

Le terme « Sahel » d’origine arabe, désigne la région correspondant à la bande méridionale du désert du Sahara qui s’étend de la Mauritanie à l’Érythrée. Généralement, on désigne le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad comme les « Principaux États sahéliens ».

Un désert convoité

En 2012, le Mali connait de multiples attaques sur son sol commises par des groupes armés tels que AQMI, Boko Haram, le MUJAO ou encore Ansar Dine. Conséquence directe de l’ingérence occidentale menée en Libye en 2011 par l’OTAN, la Maison Blanche, l’ONU, la France ainsi que leurs agents politiques, la mort du Guide de la Jamahiriya arabe libyenne a en effet provoqué un véritable chaos laissant place à la propagation incontrôlée de groupes radicaux. À la fin de l’année 2012, des attaques perpétrées sur les villes de Ségou et Mopti (Mali) poussent les autorités maliennes à demander l’aide militaire de la France. Le 11 janvier 2013, Paris lance l’opération Serval sous mandat de l’ONU avec 1.700 soldats déployés. En août Serval est remplacée par l’opération Barkhane, la plus importante opération française extérieure qui compte 4.500 militaires sur l’ensemble de la bande sahélo-saharienne, une zone vaste comme l’Europe.

Opération Serval. Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, au milieu de soldats de l’opération Serval, avec lesquels il a passé le réveillon du Nouvel An. (Photo Joël Saget. AFP)

Parallèlement, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) s’est engagée à partir du 1er juillet 2013, prenant le relai de la Mission internationale de soutien au Mali (Misma) formée par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Avec un effectif de 15.000 personnes (12.169 militaires, 1.741 policiers 1.180 civils), la MINUSMA est l’une des missions les plus importantes de l’ONU. Présente également au Sahel, la Mission européenne de formation de l’armée malienne (EUTM Mali), lancée en février 2013, réunit 600 militaires de 27 pays européens, avec pour mission la formation de l’armée malienne, sans participation aux combats.

L’illusion d’une initiative africaine

Dans cette zone désertique convoitée et peuplée de nombreux acteurs aux intérêts divergents se joue la partition du pouvoir. L’ONU, la France, la CEDAO, l’Union Européenne et les pays du G5 d’un côté, des groupes armés aux idéologies diverses de l’autre. C’est dans ce contexte que le 16 février 2014, les chefs d’Etat du Burkina Faso, du Mali, du Tchad, de la Mauritanie et du Niger se réunissent à Nouakchott et créent le G5 Sahel (G5S). L’objectif est d’éradiquer le terrorisme qui s’étend sur toute la bande sahélienne et progresse dangereusement vers le sud.

L’initiative africaine de défense pourrait avoir des allures héroïques face à une menace grandissante et toujours plus organisée. Pourtant, bien qu’officialisée par la signature d’une Convention en décembre 2014 dans la capitale mauritanienne, la genèse de l’idée même d’un rapprochement stratégique est apparue une année auparavant, à quelque 3.800km plus au nord, dans la capitale française.

Le G5 Sahel, une idée née à Paris

En juillet 2013, une réunion regroupant les chefs d’état-major des armées burkinabè, tchadien, malien, nigérien, mauritanien et français se tient à Paris. Il s’agit pour eux de trouver une solution efficace de lutte antiterroriste. C’est à ce moment qu’est évoquée pour la première fois l’idée d’une force conjointe entre les Etats sahéliens. Le projet est ainsi lancé : la protection des frontières Mali-Mauritanie, Burkina Faso-Mali-Niger, et Niger-Tchad sera assurée par la création d’un « Comité de coordination opérationnelle » dont la France, à travers l’opération Barkhane (dont le budget est d’1 million d’euros/jour) lancée la même année, sera un membre à part entière.


Opérations françaises sur place au moment de la création du G5 Sahel

  • Opération Epervier, 1986-2014 : « Le dispositif Épervier a été mis en place au Tchad en février 1986, à la demande de l’État tchadien, afin de contribuer au rétablissement de la paix et au maintien de l’intégralité territoriale du pays. »
  • Opération Serval, 2013-2014 : « Le 11 janvier 2013, les autorités maliennes demandent à la France son appui pour arrêter l’avancée de groupes terroristes en direction de Bamako et les repousser vers le Nord. La France lance en quelques heures une opération militaire en appui des forces armées maliennes. »

Ainsi donc, lorsque le 16 février 2014, les chefs d’Etat sahéliens se réunissent à Nouakchott pour annoncer la naissance du G5S et de ses « opérations militaires conjointes transfrontalières », il ne s’agit que d’officialiser et institutionnaliser une décision déjà mûrie à Paris un an plus tôt. De même, le « Partenariat militaire de coopération transfrontalière des forces armées du G5 Sahel », le volet militaire de l’entité signé en novembre 2015 à N’Djamena, inclus le chef d ’état-major français en tant qu’observateur.

A l’heure où les manifestations populaires réclamant le départ des bases militaires étrangères se répandent au Sahel et dans toute l’Afrique, ce qui nous est présenté comme une initiative exclusivement africaine n’est une fois de plus qu’une opération politico-militaire gérée, financée et pensée par l’Occident.

Un financement extra-africain

Depuis son officialisation, le G5S est doté d’un cadre institutionnel comprenant une Convention signée le 19 décembre 2014, un siège pour son secrétariat permanent en Mauritanie ainsi qu’une présidence tournante des chefs d’Etats des cinq pays concernés.

Le budget nécessaire pour le fonctionnement du G5S est estimé à 400 millions d’euros mais seule la moitié parvient jusqu’aux caisses de l’organisation. Les Etats sahéliens membres fondateurs apportent 10 millions d’euros chacun, loin derrière les 100 millions de dollars de l’Arabie Saoudite et les 50 millions d’euros de l’Union Européenne. La France s’est quant à elle engagée à hauteur de 8 millions d’euros sous forme de matériel militaire, de formation, de transport, de ravitaillement et de renseignement.

G5 et produits dérivés

Après l’accalmie de l’année 2016, la gestion et l’organisation de l’entité sahélienne prend un tout autre tournant en 2017.

Ainsi, le 21 juin, sur l’initiative de la France, le G5 Sahel est officiellement reconnu par les Nations Unis sans pour autant capter des financements. L’institution autorise néanmoins dès décembre 2017 aux casques bleus de la MINUSMA à intervenir dans le cadre de la force militaire du G5 Sahel. Le mois suivant, lors du Sommet extraordinaire du G5 à Bamako (Mali), la création d’une force militaire est réaffirmée. Elle prend désormais le nom de « Force conjointe du G5 Sahel ». Les 5000 hommes que compte cette armée sont placés sous l’autorité du Conseil de Sécurité et de Paix de l’Union Africaine soutenue par l’ONU.

Dans le même temps à Paris, la France, l’Allemagne et l’Union Européenne créent « l’Alliance Sahel » composée de douze bailleurs (France, Allemagne, Union Européenne, Banque Mondiale, Programme des Nations Unies pour le Développement, Italie, Espagne, Royaume-Uni, Luxembourg, Pays-Bas et Danemark. Les Etats-Unis, la Norvège et la Finlande sont membres observateurs). Avec plus de 600 projets prévus et un budget de 9 milliards d’euros, cette nouvelle organisation est censée « améliorer l’aide financière apportée aux pays du Sahel » et devenir l’interlocuteur du G5 sur les questions de développement.

Quel crédit accorder aux actions d’une organisation totalement dépendante dans la gestion financière, stratégique, opérationnelle, les ressources humaines et matérielles ?

Un bilan sans appel

Il semble que le monde entier se soit donné rendez-vous au Sahel. Pourtant depuis plus de cinq ans, des milliards ont été injectés dans les mobilisations militaires, le nombre de pays et d’institutions impliqués est croissant mais les groupes terroristes sont toujours opérationnels. Pis, ils sont de mieux en mieux organisés, plus équipés et franchissent les frontières sous les yeux des milliers de soldats présents.

Le bilan qu’ont fait les chefs d’état-major des armées de la première opération militaire de la force G5 Sahel du 1er novembre 2017 est amer : manque de communication, de moyens, de coordination…alors que la situation dans le Sahel se dégrade et que les attaques se multiplient.

Depuis son apparition en 2009, Boko Haram a fait entre 30 000 et 70 000 victimes et 2 millions de déplacés. Avec une force estimée à près de 6 000 combattants, le groupe armé continue de terroriser le Sahel et s’étend vers le sud.

Sources

LE G5 SAHEL ET SA FORCE CONJOINTE SAHEL AND Club WEST AFRICA No 64, Février 2018.

Une coopération régionale pour s’émanciper de la France, Le Monde Diplomatique, juillet 2018

Genèse de la force conjointe du G5 Sahel, Afrique Décryptages

Contre-terrorisme : les limites du G5 Sahel, le Monde Afrique, septembre 2019

La force conjointe G5 Sahel et l’Alliance

L’Alliance Sahel