Étienne Victor Mentor, l’éloquence noire face à l’oubli républicain

Il fut l’un des premiers élus noirs de la République française. Une voix puissante, lucide et combattante, qui s’éleva dans les tribunes du pouvoir pour défendre les siens. Aujourd’hui, le nom d’Étienne Victor Mentor a presque disparu. Mais son combat, lui, résonne encore.

Du Conseil des Cinq-Cents à Haïti libre

Dans les fracas de la Révolution française, certaines voix (dissonantes, minorées, mais irréductibles) ont tenté de faire vibrer la République à hauteur d’homme noir. Étienne Victor Mentor, né libre en 1771 à Saint-Pierre (Martinique), est de celles-là. Fils de l’Atlantique, il grandit entre les rigidités du système colonial et les soubresauts de l’abolition, dans une île marquée par les hiérarchies raciales.

En 1797, à seulement 26 ans, il est élu député de Saint-Domingue au Conseil des Cinq-Cents, l’une des deux chambres du Directoire. Cet événement est historique : jamais un homme noir n’avait siégé aussi haut dans une institution politique métropolitaine. À Paris, Mentor est bien plus qu’une anomalie : il devient l’incarnation politique de ceux que la République naissante prétendait libérer… sans toujours les écouter.

Mentor ne trahit pas ses origines. Il ne se fait pas discret. Dès son entrée au Conseil, il multiplie les prises de parole :

  • En juillet 1798, il réclame le paiement des sommes dues aux colons… mais seulement à ceux qui n’ont pas réclamé d’indemnisations pour des esclaves.
  • En octobre de la même année, il réclame la suppression de toutes les dettes liées à la vente d’êtres humains.
  • En avril 1799, il dénonce l’appel lancé aux Anglais par un autre député de Saint-Domingue, Perrotin, qualifiant cette manœuvre de trahison.

Ses discours sont clairs, radicaux, ancrés dans une fidélité à la Constitution de l’An III ; celle qui avait proclamé l’abolition de l’esclavage en 1794. Pour Mentor, la liberté des Noirs n’est ni négociable, ni ajournée. Elle est un droit, une dette historique, un impératif républicain.

Mais l’histoire ne se laisse pas toujours convaincre par les mots. Le 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), Napoléon Bonaparte renverse le Directoire. Mentor vote la motion d’alerte : « la patrie est en danger ». Il est expulsé du Conseil. Puis de Paris. La République n’a plus de place pour lui.

Il est exilé à 30 lieues de la capitale. En 1801, il obtient le droit d’embarquer pour Saint-Domingue. En mer, il sauve un marin tombé à l’eau ; geste qui résume toute sa trajectoire : risquer sa vie pour en protéger d’autres. Mais la France le rejette de nouveau à son retour. Il n’est autorisé à rester sur le sol métropolitain qu’à condition de ne plus jamais approcher Paris.

En 1804, Mentor rejoint Haïti. L’île est devenue la première République noire libre du monde, après une guerre d’indépendance âpre et sanglante menée contre les troupes françaises. Mentor devient aide-de-camp de Jean-Jacques Dessalines, qui vient de proclamer la souveraineté du nouvel État.

Mais l’instabilité rattrape l’utopie. En 1806, Dessalines est assassiné. Mentor se rallie alors à Alexandre Pétion, leader du Sud haïtien et promoteur d’un modèle républicain plus modéré. Après cela, les traces d’Étienne Victor Mentor se perdent. Il disparaît de l’histoire officielle. Aucun monument, aucune avenue en France ne porte son nom.

Comment expliquer ce silence ? Peut-être parce que Mentor n’était ni un soldat conquérant, ni un écrivain romantique. Il était un homme politique noir, exigeant, engagé, qui appelait la France à se montrer à la hauteur de ses promesses.

Il dénonçait la traite, le retour de l’ordre esclavagiste, les compromis avec les colons, l’hypocrisie des textes. Il dérangeait. Il pensait la liberté noire non comme une faveur, mais comme une dette de justice.

Son combat reste actuel. À l’heure où l’on débat de reconnaissance, de réparations et de justice mémorielle, la trajectoire de Mentor éclaire un pan trop méconnu de notre histoire commune : celui des élus afro sous la Révolution, qui ont tenté de penser un universel vraiment universel.

La République française a souvent revendiqué l’égalité comme pilier fondateur. Étienne Mentor en fut l’un des plus ardents défenseurs. Sa vie, marquée par les ruptures, les exils et l’effacement, illustre aussi les limites de cette égalité proclamée.

Étienne Victor Mentor, l’éloquence noire face à l’oubli républicain

Rendre hommage à Mentor, ce n’est pas faire œuvre de mémoire pour la mémoire. C’est rappeler que dès le XVIIIe siècle, des hommes noirs exigeaient d’être traités comme citoyens. C’est reconnaître que l’universel ne se décrète pas : il se construit, dans les mots, dans les luttes, dans les sacrifices.

Il est temps que le nom d’Étienne Victor Mentor réintègre nos livres d’histoire. Pas comme une note de bas de page. Mais comme un chapitre à part entière.

Sources

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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