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« HEAL BY HAIR » : NE PLUS TIRER LA SANTÉ MENTALE PAR LES CHEVEUX

Société

« HEAL BY HAIR » : NE PLUS TIRER LA SANTÉ MENTALE PAR LES CHEVEUX

Par Dozilet Kpolo 5 février 2023

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Du 30 janvier au 1er février, s’est tenu la seconde formation Heal By Hair, programme où des coiffeuses deviennent ambassadrices en santé mentale.

Au sommet des sommes des sujets tabous, en Afrique en général et en Côte d’Ivoire en particulier, figure la santé mentale. Oui, s’il y a un sujet rarement abordé dans des familles pourtant prêtes à porter des coups à l’adulte encore célibataire, « qui ne voit pas ses amis qui se marient là », c’est bien la santé mentale ; plus précisément la dépression. Gros plan sur Heal By Hair, la formation initiée par Bluemind Foundation afin de former des coiffeuses aux premiers gestes de la santé mentale et aux premiers secours psychologiques.

LA SANTÉ MENTALE ? CIRCULEZ, Y A RIEN À VOIR !

Au pays du coupé-déchaîné popularisé par feu Arafat DJ, avant que « Rap Ivoire » et « Mouvement des enfants là », deux genres musicaux aux thèmes bon enfant/enjaillants/festifs, ne prennent tour à tour le pouvoir, tous les mots sont bons pour éviter de mettre des mots sur les maux.

Pour des hommes en souffrance mentale, « Il est interdit de pleurer ! », mais aussi « de mettre les organes », pour la simple et bonne raison que : « Garçon pleure pas ! » Principe ô combien sacro-saint de la masculinité toxique. Chapitre 1, verset 1.

Pour des femmes en détresse émotionnelle, percluses de douleurs et de doutes, forcées de porter sur leurs épaules la charge mentale, il est extrêmement fréquent d’entendre : « Faut supporter ! » Pis encore, parfois, quand une femme perd son premier enfant, il n’est pas rare qu’elle entende : « On ne pleure pas le premier enfant. Sinon, il bloque les autres ! »

C’est dans ce contexte, où des âmes en peine isolées trouvent difficilement une oreille pour se confier, que Bluemind Foundation – fondée en juillet 2021 – a bâti un programme afin d’offrir la possibilité à des hôtes de beauté de prêter l’oreille, de soulager leurs clientes. Histoire que leur santé mentale ne soit plus tirée par les cheveux.

HEAL BY HAIR : UNE POUR TOUTES, TOUTES POUR UNE !

« HEAL BY HAIR » : NE PLUS TIRER LA SANTÉ MENTALE PAR LES CHEVEUX
Orange Is The New Black.©Bluemind Foundation

« La volonté de s’engager pour déstigmatiser la santé mentale et de rendre accessible les soins pour toutes et pour tous en Afrique est née dans mon cœur, raconte la présidente fondatrice de Bluemind Foundation, Marie-Alix de Putter, au micro de VOA Afrique, il y a neuf ans au moment de l’assassinat de mon époux Eric de Putter au Cameroun alors que j’étais enceinte de quatre mois. Cet évènement a fait entrer la psychiatrie par effraction dans ma vie et je voulais une connaissance intime. Donc je suis moi-même passée par des épisodes de dépression, assez sévères. L’anxiété, je connais. Les troubles post-traumatiques, je connais aussi. En Afrique, on a 66 millions de femmes qui souffrent de troubles qui sont d’ailleurs de moins de 25 pour la plupart pour les chiffres de l’OMS [Organisation mondiale de la santé] et qui souffrent d’anxiété et de dépression. » Avant d’ajouter : « Et, 85 % d’entre elles n’ont pas accès à un traitement. »

C’est donc pour ces « 85 % », pour ces femmes dépressives mais surtout abandonnées/esseulées/isolées que le programme Heal By Hair existe. Car s’il y a bien un endroit où des cheffes d’entreprise qui d’habitude taillent des costumes quand de fervents adeptes du mansplaining déploient leurs petits arguments sexistes, mais aussi des étudiantes qui s’entraînent malheureusement à faire autant de photocopies qu’un(e) futur(e) stagiaire surexploité(e) par une des nombreuses entreprises de la place, ou encore de jeunes cadres dynamiques, incapables de concilier vie privée et vie professionnelle, ou même des nounous en partance pour un week-end pascal, c’est bien le salon de coiffure. Où 63 % des femmes, selon une étude menée par Bluemind Foundation, se confieraient à leurs coiffeuses. D’ailleurs, toujours selon la même étude, 91 % d’entre elles seraient « prêtes à se former aux premiers secours en santé mentale. »

« Et, chez la coiffeuse, on parle, on se confie. », confirme Marie-Alix de Putter. Puis d’ajouter qu’elle a commencé « à écrire et définir ce qui est devenu aujourd’hui la Bluemind Foundation […] un peu avant le COVID. »

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Une ambassadrice dans les bras de Marie-Alix de Putter. ©Bluemind Foundation

Un temps, où il n’y a pas si longtemps, le port du masque était obligatoire, y compris dans les salons de coiffure. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, la vie a repris son cours et le train-train quotidien est de retour, avec son lot de petites contrariétés et de grandes anxiétés.

QUEL GENRE DE DIPLOME VONT-ELLES AVOIR ?

C’est donc à Abidjan et plus précisément au Pullman situé au Plateau, quartier d’affaires avec ces tours administratives, où au bout de l’effort, c’est l’inconfort fourni le plus souvent par des agents prodigieusement agacés, mais aussi labyrinthe qui éreinte corps, âme et esprits, tous les trois coincés dans des embouteillages monstres pour cause de mille et un travaux, que la seconde session de formation Heal by Hair s’est donc déroulée du 30 janvier au 1er février 2023.

Pour rappel, lors de la première session, qui s’était déjà tenue à Abidjan, du 4 au 6 avril 2022, 22 coiffeuses avaient été formées et certifiées ambassadrices en santé. Pour ce second rendez-vous, l’objectif est de : 150 coiffeuses formées et certifiées par des expert·e·s en santé mentale et leadership. Au final, 73 d’entre elles ont été certifiées ambassadrices.

Au programme, des modules tels que des activités physiques, de bien-être, mais aussi autour des signes de détresse psychologique ou encore des violences conjugales. Autre sujet tabou, ici et ailleurs.

Parmi ceux et celles qui dispensent ces cours, il y a ce sentiment de partage qui prédomine. Interrogée par Télé Sud 24 Tv, la psychiatre et formatrice Sonia Kanekatoua abonde dans ce sens-là : « Nous sommes là pour partager, apprendre aussi des uns des autres et parler de la santé mentale car sans la santé mentale, il n’y pas de santé. » Afin de réussir l’exercice, avoir une bonne santé mentale, elle conseille notamment de réduire les substances hypo-actives telles que l’alcool, le tabac, le cannabis, etc.

« HEAL BY HAIR » : NE PLUS TIRER LA SANTÉ MENTALE PAR LES CHEVEUX
La répétition est pédagogique.©Bluemind Foundation

Tous ces conseils prodigués, ces modules proposés s’articulent autour d’un mot : EROCO; qui renvoie à écouter, rassurer, observer, calmer et orienter. L’objectif à la fois simple et complexe : faire des dames non pas des expertes en santé mentale au point de se substituer à des professionnel·le·s. Non. Il s’agit plutôt de faire d’elles des premières intervenantes d’une chaîne de santé qui, au final, doit permettre à la personne en souffrance de se sentir mieux, un tant soit peu.

« La formation Heal By Hair a énormément et positivement impacté ma vie et ma façon de travailler. Les secrets de mes clientes sont mieux gardés. J’aide mieux les autres : quand une cliente m’explique sa situation, j’arrive à l’écouter plus attentivement, à l’observer, à l’orienter utilement et c’est généralement le soulagement. J’ai aussi plus de clientes maintenant. », a raconté Mme Minata Silué épouse Sorho, par ailleurs déléguée de la promotion inaugurale de coiffeuses ambassadrices en santé mentale Heal By Hair.

Certes, ce n’est pas demain la veille que la santé mentale en général et la dépression en particulier ne seront plus un sujet tabou, qu’on étouffe main sur la bouche, qu’on met sous le tapis tel un tas de poussière, après l’avoir péniblement amassé à la pelle et ce petit trait qui trace inévitablement sa route, mais c’est une initiative – qui, bientôt, va s’exporter entre autres au Togo et au Cameroun – importante et nécessaire. Le genre qui donne envie d’aller se faire traiter les cheveux. Heal By Hair.