Le programme de l’Organisation de l’Unité Afro-Américaine

Nofi vous propose la traduction du programme de l’Organisation de l’Unité Afro-Américaine crée le 28 juin 1964.

Le programme de l’Organisation de l’Unité Afro-Américaine

L’organisation de l’Unité Afro-Américaine, organisée et structurée par une section représentative des peuples Afro-Américains vivant aux Etats-Unis, a été constituée d’après le modèle de l’Organisation de l’Unité Africaine élaborée à Addis-Abeba, en Ethiopie, en mai 1963.

Nous, membres de l’Organisation de l’Unité Afro-Américaine réunis à Harlem, New York:

CONVAINCUS que c’est le droit inaliénable de tous les peuples à déterminer leur propre destin,

CONSCIENTS du fait que la liberté, l’égalité, la justice et la dignité sont des objectifs essentiels à la réalisation des aspirations légitimes des peuples d’origine Africaine vivant dans l’hémisphère occidental,· nous tâcherons d’édifier un point de compréhension et d’établir les fondements de l’Unité Afro-Américaine;

SACHANT que notre devoir est de mettre les ressources naturelles et humaines de nos peuples au service de leur progrès général dans tous les domaines de l’activité humaine;

GUIDES par une commune volonté de renforcer la compréhension entre nos peuples et la coopération dans toutes les matières relatives à leur survie et progrès, nous appuierons les aspirations de nos peuples vers la consolidation d’une fraternité et d’une solidarité intégrée au sein d’une unité plus vaste qui transcende les divergences organisationnelles;

CONVAINCUS qu’afin de convertir cette ferme détermination en force dynamique au service du progrès humain, il importe de créer et de maintenir des conditions de paix et de sécurité;

FERMEMENT RÉSOLUS à unir les Américains d’origine Africaine dans leur lutte pour les Droits et la Dignité de l’Homme et étant pleinement conscients que cela n’est pas possible dans le climat et les conditions présents d’oppression, nous nous consacrerons à la création d’un système politique, économique et social de justice et de paix;

CONSACRES à l’unification de tous les peuples d’origine africaine dans cet hémisphère et à l’utilisation de cette unité afin de réaliser les structures organisationnelles qui vont promouvoir la contribution des peuples noirs au monde;

PERSUADÉS que la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, la Constitution des États-Unis et le Code des Droits sont les principes auxquels nous apportons notre adhésion et que ces documents, s’ils étaient mis en pratique, représentent l’essence des espoirs et des bonnes intentions de l’humanité;

DÉSIREUX de voir tous les peuples et organisations Afro-américains réaliser désormais leur unité afin d’assurer le bien-être de nos peuples ;

RÉSOLUS à renforcer les liens de but commun entre nos peuples en éliminant, toutes les divergences et en établissant un programme constructif, non religieux, et dépourvu de sectarisme, des Droits de l’Homme;

ÉTABLISSONS par la présente cette Charte:

1. – CONSTITUTION

L’Organisation de l’Unité Afro-Américaine inclura tous les peuples d’origine africaine de l’hémisphère occidental ainsi que nos frères et sœurs du continent africain.

II. – AUTO-DÉFENSE

L’Auto-défense étant la première loi de la nature nous proclamons le droit d’Auto-défense des Afro-Américains.

La Constitution des Etats-Unis établit clairement le droit de chaque citoyen américain de porter des armes. En tant qu’Américains nous ne  renoncerons à aucun des droits garantis par la Constitution. L’histoire de la violence exercée impunément contre notre peuple indique clairement que nous devons être prêts à nous défendre, car autrement nous continuerons à être un peuple sans défense, à la merci d’une. populace raciste et cruelle. Nous déclarons que dans ces secteurs où Je gouvernement n’a pas la capacité ou la volonté de protéger les vies et les biens de notre peuple, notre peuple a le droit d’assurer sa propre protection par tous les moyens qu’il jugera nécessaires. Un homme armé d’un fusil ou d’un gourdin ne peut être neutralisé que par quelqu’un qui se défend avec un fusil ou un gourdin.

Une tactique uniquement basée sur la moralité ne saurait réussir que quand on a affaire à des gens fondamentalement moraux et à un système moral. Un homme ou un système qui oppresse un autre homme à cause de sa couleur n’est pas moral. C’est le devoir de tout Afro-Américain et de toute communauté Afro-Américaine à travers le pays de protéger son peuple contre les assassins, les lanceurs de bombes, les lyncheurs, les brutes et’ les exploiteurs opérant en masse.

III. – L’EDUCATION

L’éducation est un facteur important dans la lutte pour les Droits de l’Homme .. C’est le moyen d’aider nos enfants et notre peuple à retrouver leur identité et par cela accroître leur dignité. L’Education est notre passeport pour l’avenir car celui-ci appartient aux peuples qui le préparent dès  maintenant.

Nos enfants ont été défavorisés de façon criminelle par le système éducatif des écoles publiques d’Amérique. Les écoles Afro-Américaines sont celles qui fonctionnent le plus misérablement de toutes les écoles de New York. Les proviseurs et les instituteurs ne comprennent nullement la nature des problèmes auxquels ils ont affaire, et par conséquent ne peuvent assumer la tâche d’instruire nos enfants. Les livres d’étude n’apprennent
rien à nos enfants sur la grande contribution des Afro-Américains au développement et à la prospérité de ce pays.

Le programme d’intégration du Ministère de l’Education Nationale est onéreux et impraticable, et l’organisation des proviseurs et des inspecteurs de la ville de New York refusa d’appuyer le plan d’intégration des Ecoles du Ministère, le condamnant ainsi à échouer. Le Ministre de l’Education a: déclaré que même avec son plan, 10 % des écoles de la communauté Harlem – Bedfort – Stuyvesant ne peuvent pas être améliorées.

La première mesure du programme visant à mettre :fin au système existant d’éducation raciale est d’exiger que les 10% des écoles que le Ministère de l’Education ne va pas comprendre dans son plan soient confiées .à la communauté Afro-Américaine et administrées par elle. Nous voulons que ces écoles soient dirigées par des proviseurs Afro-Américains. Nous voulons des livres écrits par des Afro-Américains qui soient acceptables par nous pour l’enseignement dans ces écoles.

L’Organisation de l’Unité Afro-Américaine sélectionnera et recommandera des membres pour les Conseils d’Education locaux où la politique scolaire est décidée et transmise au Ministère de l’Education.

A travers ces mesures nous allons transformer les 10 % des écoles que nous prendrons en charge en modèles d’éducation qui attireront l’attention de la nation tout entière.

Si ces propositions ne sont pas acceptée, nous demanderons aux parents Afro-Américains de retirer leurs enfants des écoles de qualité inférieure qu’ils fréquentent à présent. Quand ces écoles dans notre. voisinage seront contrôlées par des Afro-Américains, nous y retournerons.

L’Organisation de l’Unité Afro-Américaine reconnaît l’énorme importance de la participation complète des parents Afro-Américains dans chaque phase de la vie scolaire. Les parents Afro-américains doivent avoir la volonté et l’aptitude d’aller dans les écoles et veiller à ce que l’œuvre de l’éducation de nos enfants soit accomplie de manière adéquate.

Nous ,faisons appel à tous les Afro-Américains à travers la nation afin qu’ils prennent conscience du fait que les conditions qui existent dans le système des écoles publiques de la ville de New York sont aussi déplorables dans leur ville qu’ici. Nous devons unir nos efforts et diffuser notre programme d’amélioration au moyen de l’éducation dans toutes les communautés Afro-Américaines d’Amérique. Nous devons établir à travers tout le pays cl es écoles à nous pour éduquer nos enfants et en faire des scientifiques et des mathématiciens. Nous devons comprendre la nécessité de l’éducation des adultes, et le programme de ré-apprentissage qui vont mettre l’accent sur une société en plein changement au sein de laquelle l’automation joue un rôle clé. Nous avons l’intention d’employer l’éducation comme instrument pour élever notre peuple à un niveau d’excellence et de dignité sans précédent, par ses propres efforts.

IV.- LA POLITIQUE – L’ECONOMIE

Il y a deux espèces de forces qui comptent en Amérique de façon fondamentale : la force économique et la force politique, avec la force sociale qui dérive des deux autres. Pour que les  Afro-Américains puissent contrôler leur destin, ils doivent pouvoir contrôler et influencer les facteurs décisifs qui contrôlent leur destin : l’économie, la politique, la force sociale. Et cela ne peut être réalisé qu’à travers l’organisation.

L’Organisation de l’Unité Afro-Américaine va organiser la Communauté Afro-Américaine bloc par bloc afin de rendre la communauté consciente de sa force et de ses potentialités ; nous allons immédiatement initier un courant d’inscription des électeurs afin de faire de tout électeur non inscrit de la Communauté Afro-Américaine un électeur indépendant ; nous proposons de soutenir et d’organiser des clubs politiques, de présenter des candidats indépendants et d’appuyer tout Afro-Américain qui répond aux exigences et est responsable envers la Communauté Afro-Américaine.

L’exploitation économique au sein de la communauté américaine est pratiquée sous une forme plus pernicieuse que contre tout autre peuple en Amérique : des loyers deux fois plus élevés pour des habitations pourries, infestées de rats et de cafards; les Afro-Américains payent davantage pour la nourriture, les vêtements, îles quotas d’assurance, et ainsi de suite. L’Organisation de l’Uni té Afro-Américaine va déclencher une lutte sans répit contre les maux frappant notre communauté. Il y aura des organisateurs qui travailleront avec les gens pour résoudre ces problèmes et lancer un programme d’amélioration des conditions de logement. Nous avons l’intention de soutenir des grèves de loyers et d’autres activités dont le but serait d’améliorer les conditions de la vie de la communauté.

V. – LE SOCIAL

Cette organisation est responsable uniquement devant le peuple Afro-Américain et la Communauté Afro-Américaine et fonctionnera avec leur seul soutien :financier et numérique. Nous croyons que nos communautés doivent être la source de leur propre force politique, économique, intellectuelle et culturelle, dans la lutte pour les Droits et la Dignité de l’Homme.

La communauté doit renforcer son sens de responsabilité morale et se débarrasser des effets de longues années d’exploitation, d’abandon et d’apathie et déclencher une lutte sans répit contre les brutalités policières.

La Communauté Afro-Américaine doit accepter la responsabilité de réhabiliter, nos gens qui ·ont perdu leur place dans la société. Nous devons déclarer dans notre communauté une lutte sans merci contre le crime, le vice qui est contrôlé par des policiers acceptant des pots de vin et des gratifications et qui doivent être dénoncés. Nous devons fonder une clinique où on pourra être aidé et guéri de l’usage des stupéfiants, créer des activités utiles et attrayantes pour ceux qui ont dévié et se sont engagés dans les voies du vice.

Le peuple de la Communauté Afro-Américaine doit être prêt à s’entraider de toutes les manières possibles ; nous devons édifier une maison où les filles-mères pourront obtenir assistance et conseil, une maison de retraite pour les gens âgés à Harlem et un orphelinat à Harlem. Nous devons mettre au point un système de protection des jeunes de façon à ce que ceux d’entre eux qui ont des difficultés soient aidés et aussi qui donne à nos enfants des activités créatrices. Nous devons donner le bon exemple à nos enfants et leur apprendre à être toujours prêts à accepter les responsabilités nécessaires à l’édification de bonnes communautés et nations. Nous devons leur enseigner que leurs responsabilités les plus grandes sont celles envers eux-mêmes, envers leur famille et envers leur communauté.

L’Organisation de l’Unité Afro-Américaine pense que la Communauté Afro-Américaine doit s’efforcer d’assumer la majeure partie du travail de charité au sein de la communauté. La Charte ne signifie pas ce à quoi nous avons également droit sous forme de services de la part du gouvernement. Les anciens combattants Afro-Américains doivent être rendus conscients de tous les avantages qui leur sont dus et de la procédure à suivre pour les
obtenir. Ces anciens combattants doivent être encouragés à aller travailler ensemble, employer les prêts aux G.I., etc. Les Afro-américains doivent s’unir et travailler ensemble. Nous devons être fiers de la Communauté Afro-Américaine car c’est notre partie et notre force.

VI. – LA CULTURE

« La race d’un peuple est comme un individu ; tant qu’il ne fait pas usage de ses talents, il n’est pas fier de son histoire, n’exprime pas sa propre culture, n’affirme pas sa propre personnalité, .il ne peut jamais atteindre sa propre plénitude. »

Notre histoire et notre culture étaient complètement détruites quand nous fûmes enchaînés et amenés par la force en Amérique. Et maintenant il est important pour nous de savoir que notre histoire n’a pas commencé avec les cicatrices de l’esclavage. Nous venons d’Afrique, vaste continent aux peuples fiers et variés, un pays qui est le nouveau monde et le berceau de la civilisation. Notre culture et notre histoire sont aussi anciennes que l’homme lui-même et cependant nous ne connaissons presque rien d’elles. Nous devons retrouver notre héritage et notre identité si nous devons jamais nous libérer de la suprématie blanche. Nous devons lancer une révolution culturelle et débarrasser du lavage de cerveau un peuple entier.

Notre révolution culturelle doit être le moyen de nous approcher de nos frères et sœurs. Elle doit commencer au sein de la communauté et être basée, sur la participation de la communauté. Les Afro-Américains seront libres de créer seulement quand ils pourront se baser sur la Communauté Afro-Américaine pour être aidés, et les artistes Afro-Américains doivent comprendre qu’ils dépendent quant à l’inspiration, des Afro-Américains. Nous devons œuvrer à l’édification d’un centre culturel à Harlem qui comprendra des gens de tout âge et comportera des ateliers de travail pour les arts : films, peinture, théâtre, musique, histoire afro-américaine, etc.

Cette révolution culturelle sera la voie à travers laquelle nous nous redécouvrirons nous-mêmes. L’histoire est la mémoire du peuple, et sans la mémoire l’homme est ravalé au rang des animaux les plus primitifs. Armés de la connaissance du passé nous pouvons avec confiance tracer le cours de notre avenir. La culture est une arme indispensable dans la lutte pour notre liberté. Nous devons nous en emparer et forger l’avenir avec le passé.

Quand la bataille sera gagnée, que l’histoire puisse dire à chacun de nous « il a été un patriote dévoué. La DIGNITÉ a été sa patrie. L’HUMANITÉ son gouvernement, et la liberté son pays » (de « Et alors roula le tonnerre » par John Oliver Killens)

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https://www.nofi.media/2019/02/malcolm-x-3/62561

Sources :

Programme de l’Organisation de l’Unité Afro-Américaine, dans Présence Africaine 1967/2 (N° 62), pages 70 à 76.

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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