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Discours : « Message to the Grass Roots » par Malcolm X

Politique

Discours : « Message to the Grass Roots » par Malcolm X

Par Mathieu N'DIAYE 21 février 2021

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« Message to the Grass Roots » fut prononcé en novembre 1963 lors d’une conférence de la Northern Negro Grass Roots Leadership Conference à Detroit. Il fut l’un des derniers discours prononcés par Malcolm X avant de quitter la Nation of Islam. Dans ce discours, considéré par de nombreux panafricanistes comme l’une des déclarations fondatrices sur le Black Power et du mouvement des droits civiques, Malcolm X définit la révolution, compare et oppose une « révolution noire » à une « révolution nègre » et plaide en faveur d’une révolution mondiale : l’union des non-Blancs contre la position puissante et privilégiée de ceux qui bénéficient de la suprématie blanche. 

Discours : « Message to the Grass Roots » par Malcolm X

Pendant les quelques instants qui nous restent, nous aimerions juste avoir une conversation libre entre vous et nous. Nous voudrions parler de manière terre à terre dans un langage que tout le monde ici peut facilement comprendre. Nous convenons tous ce soir, tous les orateurs sont d’accords pour dire que l’Amérique a un problème très grave. Non seulement l’Amérique a un problème très grave, mais notre peuple a un problème très grave. Le problème de l’Amérique, c’est nous. Nous sommes son problème. La seule raison pour laquelle l’Amérique a un problème, c’est qu’elle ne veut pas de nous ici. Et chaque fois que vous vous regardez, que vous soyez noir, brun ou jaune – un soi-disant Noir – vous représentez une personne qui pose un problème tellement grave pour l’Amérique, parce que vous n’êtes pas le bienvenu ici. Une fois que vous faites face à cela en tant que fait, alors vous pouvez commencer à tracer un parcours qui vous fera paraître intelligent, plutôt qu’inintelligent.

Ce que vous et moi avons besoin de faire, c’est apprendre à oublier nos différences. Lorsque nous nous réunissons, nous ne nous réunissons pas en tant que baptistes ou méthodistes. Vous ne soulevez pas la colère parce que vous êtes Baptiste, ni parce que vous êtes Méthodiste. Vous ne soulevez pas la colère parce vous êtes un méthodiste ou un baptiste. Vous ne soulevez pas la colère parce que vous êtes un démocrate ou un républicain. Vous ne soulevez pas la colère parce que vous êtes franc-maçon ou parce que vous êtes un Elk. Et vous ne soulevez certainement pas la colère parce que vous êtes un Américain, parce que si vous étiez un Américain, vous ne soulèveriez pas de colère. Vous soulevez la colère parce que vous êtes un homme noir. Vous soulevez la colère – chacun de nous soulève la colère – pour la même raison.

Donc, nous sommes tous des gens noirs, des soi-disant Noirs, des citoyens de seconde classe, des ex-esclaves. Vous n’êtes rien d’autres qu’un ex-esclave. Vous n’aimez pas qu’on vous le dise. Mais qu’êtes-vous d’autre? Vous êtes des ex-esclaves. Vous n’êtes pas venus ici sur le « Mayflower ». Vous êtes venus ici sur un bateau négrier – enchaînés comme un cheval ou une vache ou un poulet. Et vous avez été amenés ici par les gens qui sont venus ici sur le « Mayflower ». Vous avez été amenés ici par les soi-disant Pèlerins, ou Pères fondateurs. Ce sont eux qui vous ont amené ici.

Nous avons un ennemi commun. Nous avons ceci en commun: Nous avons un oppresseur commun, un exploiteur commun, et un discriminateur commun. Mais une fois que nous sommes tous conscients que cela – que nous avons cet ennemi commun – alors nous devons nous unir sur la base de ce que nous avons en commun. Et ce que nous avons tous en commun, c’est l’ennemi – l’homme blanc. C’est un ennemi pour nous tous.

Je sais que certains d’entre vous pensent tous que certains d’entre eux ne sont pas des ennemis. Le temps nous le dira.

A Bandung, en 1954 je crois, il y eut la première réunion, depuis des siècles, d’unité du peuple noir. Et une fois que vous étudiez ce qui s’est passé lors de la conférence de Bandung, et les résultats de cette conférence, celle-ci peut, en fait, servir de modèle pour la même procédure que vous et moi pourrions utiliser pour résoudre nos problèmes. A Bandung, toutes les nations se sont réunies. Il s’agissait de sombres nations d’Afrique et d’Asie. Certaines d’entre elles étaient bouddhistes. Certaines d’entre elles étaient musulmanes. Certaines d’entre elles étaient chrétiennes. Certaines d’entre elle étaient confucianistes; certaines étaient athées. En dépit de leurs différences religieuses, elles se sont réunies. Certaines étaient communistes, certaines étaient socialistes, certaines étaient capitalistes. Malgré leurs différences économiques et politiques, elles se sont réunies. Toutes étaient noires, brunes, rouges ou jaunes.

La chose numéro un qui ne fut pas autorisée à assister à la conférence de Bandung, fut l’homme blanc. Il ne pouvait pas y assister. Une fois que ces nations ont exclu l’homme blanc, elles ont découvert quelles pouvaient se réunir. Une fois qu’elles ont gardé l’homme blanc en dehors, tout le monde a commencé à s’accorder et à trouver sa place. C’est la chose que vous et moi devons comprendre. Et ces gens qui se sont réunis n’avaient pas d’armes nucléaires, ils n’avaient pas d’avions à réaction, ils n’avaient pas tous ces armements lourds que l’homme blanc possède. Mais ils avaient l’unité.

Ils ont réussi à dépasser leurs petites différences mesquines et s’entendre sur une chose: si un Africain venu du Kenya était colonisée par les Anglais, et un autre Africain venu du Congo était colonisé par la Belgique, et un autre Africain provenant Guinée était colonisé par les Français, et un autre venu de l’Angola par les Portugais… Quand ils ont assisté à la conférence de Bandung, ils ont observé le Portugais et le Français et l’Anglais, et l’autre – le Hollandais – et ont découvert – ou compris – que la seule chose que ceux-ci avaient en commun était le fait qu’ils venaient tous de l’Europe, ils étaient tous Européens, blond, aux yeux bleus et à la peau blanche. Et ces nations ont commencé à reconnaître qui était leur ennemi. Le même homme qui était en train de coloniser notre peuple au Kenya colonisait notre peuple au Congo. Le même homme au Congo colonisait notre peuple en Afrique du Sud et en Rhodésie du Sud, et en Birmanie et en Inde, et en Afghanistan, et au Pakistan. Ils ont réalisé que, partout dans le monde où l’homme noir était opprimé, celui-ci était opprimé par l’homme blanc, là où l’homme noir était exploité, il était exploité par l’homme blanc. Alors, ils se sont réunis sous cette base – qu’ils avaient un ennemi commun.

Et quand vous et moi ici, à Detroit et dans le Michigan et en Amérique qui venons de nous réveiller aujourd’hui, regardons autour de nous, nous réalisons également qu’ici, en Amérique, nous avons tous un ennemi commun, qu’il soit de Géorgie ou du Michigan, qu’il soit de Californie ou de New York. C’est le même homme: les yeux bleus, les cheveux blonds et la peau pâle – le même homme. Donc ce que nous devons faire, c’est ce que ces nations ont fait à Bendung. Elles ont convenu qu’il fallait d’arrêter de se quereller. Toute querelle mesquines qu’elles avaient entre elles, elles les ont réglé et ces nations ont formé une union – ne laissez pas l’ennemi savoir que vous avez un désaccord.

Au lieu de diffuser nos différences en public, nous devons prendre conscience que nous sommes tous de la même famille. Et quand vous avez une querelle de famille, vous n’allez pas sortir la régler sur le trottoir. Si vous le faites, tout le monde vous qualifiera de grossier, de barbare, de sauvage. Si vous ne vous entendez pas à la maison, réglez vos problèmes à la maison, entrez dans le placard – disputez-vous derrière les portes fermées. Et puis, quand vous sortez dans la rue, présentez un front commun, un front uni. Et c’est ce que nous devons faire dans la communauté et dans la ville, et dans l’état. Nous devons arrêter de diffuser nos différences en face de l’homme blanc. N’autorisez pas l’homme blanc lors de vos réunions,  point numéro un, et après cela, asseyez-vous et parler boutique les uns avec les autres. C’est tout que vous devez faire.

Je voudrais faire quelques commentaires sur la différence entre la révolution noire et la révolution nègre. Il y a une différence. Est-ce la même chose? Et si non, quelle est la différence ? Quelle est la différence entre une révolution noire et une révolution nègre ? Tout d’abord, qu’est-ce qu’une révolution ? Parfois, je suis enclin à croire que beaucoup de nos frères utilisent ce mot «révolution»  de manière trop facile, sans pratiquer un examen attentif de ce que ce mot signifie réellement, de quelles sont les caractéristiques historiques de ce mot. Lorsque vous étudiez la nature historique des révolutions, le motif d’une révolution, l’objectif d’une révolution, le résultat d’une révolution et les méthodes utilisées dans une révolution, vous pouvez changer les mots. Vous pouvez concevoir un autre programme. Vous pouvez changer votre objectif et vous pouvez changer d’avis.

Observez la Révolution américaine en 1776. Quelle était le but de cette révolution? La terre. Et pourquoi voulaient-ils la terre? Pour l’indépendance. Comment celle-ci a t-elle été réalisée? Par l’effusion du sang. Numéro un, la révolution fut fondée sur la terre, sur la base de l’indépendance. Et la seule façon dont ils pouvaient l’obtenir était par l’effusion de sang. La Révolution française – sur quoi reposait-elle? Le sans-terre contre le propriétaire. Dans quel but? La terre. Comment l’ont-ils obtenu? Par l’effusion du sang. Il n’y eut pas d’amour perdu, pas de compromis; pas de négociation. Je vous le dis, vous ne savez pas ce qu’est une révolution. Parce lorsque vous en découvrez la nature, alors vous retournez dans l’allée, vous sortez un chemin. La Révolution russe – sur quoi reposait-elle? La terre. Le sans-terre contre le propriétaire. Comment l’ont-ils obtenu? Par l’effusion du sang. Vous n’avez pas de révolution sans bain de sang. Et vous avez peur de saigner. Je vous le dis, vous avez peur de saigner.

Aussi longtemps que l’homme blanc vous a envoyé en Corée, vous avez saigné. Il vous a envoyé à l’Allemagne, vous avez saigné. Il vous a envoyé dans le Pacifique Sud pour combattre les Japonais, vous avez saigné. Vous saignez pour les Blancs. Mais lorsque vient le moment de considérer vos propres églises bombardées et les petites filles noires assassinées, vous n’avez pas de sang. Vous saignez quand l’homme blanc dit saigne; vous mordez quand l’homme blanc dit mord, et vous aboyez quand l’homme blanc dit aboie. Je déteste dire cela sur nous, mais c’est vrai. Comment allez-vous vous montrer violent dans le Mississippi, violent comme vous l’étiez en Corée? Comment pouvez-vous justifier le fait d’être non-violent dans le Mississippi et l’Alabama, quand vos églises sont bombardées, et vos petites filles sont assassinées, et dans même temps, vous montrer violents avec Hitler et Tojo, ou quelqu’un d’autre que vous ne connaissez même pas ?

Si la violence est mauvaise en Amérique, la violence est mauvaise à l’étranger. Si c’est mal d’être violent afin de défendre les femmes noires et les enfants noirs et bébés noirs et les hommes noirs, alors c’est mal pour l’Amérique de nous enrôler dans l’armée et nous rendre violent à l’étranger pour la défense de notre pays. Et si c’est bon pour l’Amérique de nous préparer et nous apprendre à être violents pour la la défense de notre pays, alors il est bon pour vous et moi, de faire tout ce qui est nécessaire pour défendre notre propre peuple ici dans ce pays.

La révolution chinoise… ils voulaient des terres. Ils ont rejeté les Britanniques hors du pays, ainsi que l’oncle Tom chinois. Oui, ils l’ont fait. Ils ont établi un bon exemple. Quand j’étais en prison, j’ai lu un article – ne soyez pas choqué quand je dis que j’étais en prison. Vous l’êtes toujours vous-mêmes. C’est ce que l’Amérique veut dire: la prison. Quand j’étais en prison, j’ai lu un article dans le magazine Life montrant une petite fille chinoise de neuf ans, son père se tenait sur les mains et les genoux et elle lui tirait dessus car c’était un Oncle Tom Chinois. Quand ils ont eu la révolution là-bas, ils ont attrapé toute une génération d’Oncle Tom – et s’en sont simplement débarrassés comme ça. Et dans les dix ans, cette petite fille deviendra une femme adulte. Plus jamais de Tom en Chine. Et aujourd’hui c’est un des plus  pays les durs, les plus rudes,  les plus craints au monde – par l’homme blanc. Parce qu’il n’y a pas d’Oncle Tom là-bas.

De toutes nos études, l’histoire est la mieux qualifiée pour récompenser notre recherche. Et quand vous voyez que vous avez des problèmes, tout ce que vous avez à faire, c’est examiner la méthode historique utilisée dans le monde entier par d’autres qui ont eu des problèmes similaires aux vôtres. Et une fois que vous voyez comment ils ont obtenu leurs droits, alors vous savez comment vous pouvez obtenir les vôtre. Il y a eu une révolution, une révolution noire, qui s’est déroulée en Afrique. Au Kenya, les Mau Mau étaient des révolutionnaires; ce sont eux qui ont créé le mot «Uhuru» [mot kenyan pour «liberté»]. Ce sont eux qui l’ont amené au premier plan. Les Mau Mau, c’étaient des révolutionnaires. Ils croyaient en la politique de la terre brûlée. Ils ont frappé tout ce que leur bloquait la route et leur révolution aussi reposait sur la terre, un désir de terre. En Algérie, la partie nord de l’Afrique, une révolution a eu lieu. Les Algériens étaient des révolutionnaires, ils voulaient des terres. La France a offert de les intégrer à elle. Ils ont dit à  la France: va au diable, la France. Ils voulaient une terre, pas une France. Et ils se sont engagés dans une bataille sanglante.

Et donc, je cite ces différentes révolutions, mes frères et sœurs, pour vous montrer – vous n’avez pas de révolution pacifique. Vous n’avez pas de révolution du genre « tendre l’autre joue ». Il n’existe rien qui ressemble à une révolution non-violente. Le seul genre de révolution qui soit non-violente est la révolution nègre. La seule révolution basée sur l’amour de votre ennemi est la révolution nègre. La seule révolution dont le but est un comptoir de restaurant déségrégué, un théâtre déségrégué, un parc déségrégué, et une toilette publique déségréguée, où vous pouvez vous asseoir à côté des Blancs sur les toilettes. Ce n’est pas une révolution. La révolution est basée sur la terre. La terre est la base de toute indépendance. La terre est le fondement de la liberté, de la justice et de l’égalité.

L’homme blanc sait ce qu’est une révolution. Il sait que la révolution noire est mondiale dans sa portée et dans sa nature. La révolution noire déferle sur l’Asie, balaie l’Afrique, lève la tête en Amérique latine. La Révolution cubaine – c’est une révolution. Ils ont renversé le système. La révolution est en Asie. La révolution est en Afrique. Et l’homme blanc hurle parce qu’il voit la révolution en Amérique latine. Comment pensez-vous qu’il va réagir envers vous quand vous apprendrez ce qu’est une vraie révolution? Vous ne savez pas ce qu’est une révolution. Si vous le saviez, vous n’utiliseriez pas ce mot.

Une révolution est sanglante. La révolution est hostile. La révolution ne connaît pas de compromis. La révolution renverse et détruit tout ce qui se trouve sur son chemin. Et vous, assis ici comme un nœud sur le mur, vous dites: « Je vais aimer ces gens, peu importe à quel point ils me haïssent. » Non, vous avez besoin d’une révolution. Celui qui a entendu parler d’une révolution où l’on marche bras-dessus bras-dessous, comme le révérend Cleage le faisait magnifiquement remarquer, en chantant « We Shall Overcome« ? Dites-moi juste: on ne fait pas ça dans une révolution. On ne chante pas, on est trop occupé à se battre. Une révolution est basée sur la terre. Un révolutionnaire veut la terre, afin de pouvoir mettre en place sa propre nation, une nation indépendante. Ces Noirs-ci ne demandent aucune nation. Ils essaient simplement de revenir en rampant sur la plantation.

Si vous voulez une nation, c’est ce qu’on appelle le nationalisme. Quand l’homme blanc s’est impliqué dans une révolution dans ce pays contre l’Angleterre, quelle en était la raison? Il voulait cette terre afin de pouvoir mettre en place une autre nation blanche. C’est le nationalisme blanc. La révolution américaine était du nationalisme blanc. La Révolution française fut du nationalisme blanc. La Révolution russe également – oui, ça l’était – du nationalisme blanc. Vous ne le pensez pas? Pourquoi croyez-vous Khrouchtchev et Mao ne puissent pas s’entendre? Nationalisme blanc.

Toutes les révolutions qui se passent en Asie et en Afrique aujourd’hui sont basés sur quoi? Le Nationalisme noir. Un révolutionnaire est un nationaliste noir. Il veut une nation. Je lisais quelques belles paroles du révérend Cleage, soulignant pourquoi il ne pouvait pas se réunir avec quelqu’un d’autre ici dans la ville parce que tous avaient peur d’être identifiés avec le nationalisme noir. Si vous avez peur du nationalisme noir, vous avez peur de la révolution. Et si vous aimez la révolution, vous aimez le nationalisme noir.

Pour le comprendre, il faut revenir à ce que le jeune frère ici dénomme le Nègre de maison et le Nègre des champs – du temps de l’esclavage, il existait deux sortes d’esclaves. Il y avait le Nègre de maison et le Nègre des champs. Les Nègres de maison – ils vivaient dans la maison avec le maître, ils s’habillaient assez bien, ils mangeaient bien car ils mangeaient la nourriture du maitre – ce que celui-ci laissait. Ils vivaient dans le grenier ou dans le sous-sol, mais malgré tout, ils vivaient près du maître et ils aimaient leur maître plus que le maître s’aimait lui-même. Ils auraient donné leur vie pour sauver la maison du maître avec plus d’empressement que le maître lui-même. Le Nègre de maison, si le maître lui disait: «Nous avons une bonne maison ici, » celui-ci répondait : « Oui, nous avons une bonne maison ici ». Chaque fois que le maître disait «nous», le Nègre de maison répondait «nous». Voilà comment vous pouvez reconnaître un Nègre de maison.

Si la maison de maître prenait feu, le Nègre de maison se battrait plus dur contre les flammes que le maître lui-même. Si le maître tombait malade, le Nègre de maison disait: « Quel est le problème, patron, nous sommes malades? » Nous sommes malades! Il s’identifiait avec son maître plus que son maître s’identifiait à lui-même. Et si vous veniez voir le Nègre de maison et lui disiez : « Fuyons, nous allons nous échapper, nous allons vivre à part »  celui-ci vous regardait et lançait: « Mec, tu es fou. Qu’est-ce que tu veux dire, à part? Où se trouve-t-il une meilleure maison que celle-ci ? Où pourrais-je porter des vêtements de meilleure qualité que ceux-là? Où pourrais-je manger une meilleure nourriture que celle-là ? » C’était ça un Nègre de maison. A cette époque, on l’appelait un « nègre de maison. » Et c’est comme ça que nous l’appelons aujourd’hui, parce que nous avons encore quelques Nègres de maison qui courent par ici.

Cet Nègre de maison aime son maître. Il veut vivre près de lui. Il va payer trois fois la valeur de la maison juste pour vivre près de son maître, et pouvoir se vanter: « Je suis le seul nègre ici. » « Je suis le seul nègre sur mon lieu de travail. » « Je suis le seul nègre dans cette école. » Vous n’êtes rien d’autre qu’un Nègre de maison. Et si quelqu’un vient à vous et vous dit: « Allons vivre à part« , vous lui lancez la même chose que le Nègre maison déclarait sur la plantation. « Qu’est-ce que tu veux dire, à part ? De l’Amérique ? De ce bon homme blanc ? Où obtiendras-tu un meilleur travail que celui que tu as ici ? » Je veux dire, c’est ce que vous dites. « Il ne me reste rien en Afrique« , c’est ce que vous dites. Mais, vous avez laissé votre esprit en Afrique.

Sur cette même plantation, il y avait le Nègre des champs. Le Nègre des champs? – c’était les masses. Il y avait toujours plus de Noirs dans les champs qu’il y avait de Noirs dans la maison. le Nègre des champs avait droit à l’enfer. Il mangeait les restes. Dans la maison, le Nègre mangeait le haut du porc. Le Nègre des champs, lui,  n’avait droit à rien d’autre que ce qui restait de l’intérieur du porc. On appelait ça des « chitt’lings » à l’époque. A l’époque, on appelait ces parties pour ce qu’elles étaient: des tripes. C’est ce que vous étiez – un mangeur de tripes. Et certains d’entre vous ici le sont encore. Des mangeurs de tripes.

Le Nègre des champs se faisait battre du matin au soir. Il vivait dans une cabane, portait de vieux vêtements d’occasion. Il détestait son maître. Je dis qu’il détestait son maître. Il était intelligent. Le Nègre de maison, lui, aimait son maître. Mais le Nègre des champs. – rappelez-vous, ils faisaient partie de la majorité,  eh bien ils détestaient le maître. Quand la maison prenait feu, il n’essayait même pas de la sauver ; ce Nègre des champs priait pour que le vent se lève, même une simple brise. Quand le maître tombait malade, le Nègre des champs. Priait pour qu’il meure. Si quelqu’un venait voir le Nègre des champs et lui disait: «Séparons, nous d’eux, allons fuyons», il ne disait pas : « Où allons-nous? » Il disait: « Tout lieu est mieux qu’ici. » Vous avez des Nègres des champs en Amérique aujourd’hui. Je suis un Nègre des champs. Les masses sont des Nègre des champs…

Quand ils voient la maison de cet homme en feu, vous n’entendez pas ces petits nègres parler de «notre gouvernement est en difficulté. » Ils disent: « Le gouvernement est en difficulté. » Imaginez un nègre: « Notre gouvernement »! J’ai même entendu un dire « nos astronautes. » Ils ne vous laisseront même approcher de l’usine – et « nos astronautes »! « Notre marine » – c’est un nègre qui a perdu l’esprit. c’est un nègre qui a perdu l’esprit.

Tout comme le propriétaire d’esclaves de l’ancien temps utilisait Tom, le Nègre de maison, pour tenir les nègres des champs en échec, le même maître d’esclaves d’aujourd’hui âgé possède des nègres qui ne sont rien que des Oncle Tom moderne, des Oncle Tom du 20e siècle, pour nous tenir vous et moi en échec, nous garder sous contrôle, nous maintenir passif et pacifique et non-violent. C’est Tom qui vous rend non-violent. C’est comme quand vous allez chez le dentiste, et l’homme va arracher votre dent. Vous allez vous battre avec lui quand il commencera à tirer. Alors il va injecter quelque chose dans votre mâchoire qui s’appelle de la novocaïne, pour vous faire croire qu’il ne vous fait rien. Alors vous vous asseyez là et parce que vous avez tout cette novocaïne dans votre mâchoire, vous souffrez pacifiquement. Le sang coule de votre mâchoire, et vous ne savez pas ce qui se passe. Parce que quelqu’un vous a appris à souffrir – pacifiquement.

L’homme blanc vous fait la même chose dans la rue, quand il veut vous mettre des nœuds sur votre tête et profiter de vous et ne pas avoir à craindre vos coups en retour. Pour vous empêcher de riposter, il obtient de ces vieux Oncle Tom religieux qu’ils vous enseignent, tout comme la novocaïne, à souffrir paisiblement. Vous ne  cessez pas de souffrir –  mais vous souffrez juste paisiblement. Comme le révérend Cleage l’a souligné, «Laissez vos flot de sang couler dans les rues. » C’est une honte. Et vous savez que c’est un prédicateur chrétien. Si c’est une honte pour lui, vous savez ce que c’est pour moi.

Il n’y a rien dans notre livre, le Coran – vous l’appelez « Ko-ran » – qui nous enseigne à souffrir paisiblement. Notre religion nous enseigne à être intelligents. Soyez paisible, soyez courtois, obéissez à la loi, respectez tout le monde, mais si quelqu’un lève la main sur vous, envoyez-le au cimetière. C’est une bonne religion. En fait, c’est la religion d’autrefois. C’est celle que Ma et Pa utilisaient pour parler: œil pour œil, dent pour dent, et une tête pour une tête, et une vie pour une vie: C’est une bonne religion. Et personne ne ressent d’offense à ce que ce genre de religion soit enseigné, à part un loup, qui a l’intention de faire de vous son repas.

C’est la façon dont cela se passe avec l’homme blanc en Amérique. C’est un loup et vous êtes des moutons. Chaque fois qu’un pasteur  nous enseigne, à vous et moi, à ne pas fuir devant l’homme blanc et, dans le même temps, il nous enseigne à ne pas combattre l’homme blanc, c’est un traître à vous et à moi. Ne sacrifiez votre vie pour rien. Non, préservez votre vie. C’est la meilleure chose que vous ayez. Et si vous devez y renoncer, soyez-en quitte.

Le maître d’esclaves a pris Tom et l’a bien habillé, l’a bien nourrit, et lui a même donné un peu d’éducation; il lui a donné un long manteau et un chapeau haut de forme et a fait en sorte que tous les autres esclaves se tournent vers lui. Puis, il a utilisé Tom afin de les contrôler. La même stratégie qui a été utilisée dans ces jours est utilisée aujourd’hui, par le même homme blanc. Il prend un nègre, un soi-disant Noir, et en fait une personnalité éminente, le construit, le fait connaître, en fait une célébrité. Et puis, celui-ci devient un porte-parole pour les Noirs – et un leader noir.

Je voudrais juste citer rapidement une autre chose, et c’est la méthode que l’homme blanc utilise, la façon dont l’homme blanc utilise ces éminents personnages », ou leaders noirs, contre la révolution noire. Ces leaders ne font pas partie de la révolution noire. Ils sont utilisés contre celle-ci.

Lorsque Martin Luther King n’a pas réussi à déségréguer Albany, en Géorgie, la lutte pour les droits civiques en Amérique a atteint son point le plus bas. En tant que leader, King a presque connu la banqueroute. De plus,  la SCLC (Southern Christian Leadership Conference) connaissait des difficulté financières. Pire, elle était en difficulté, tout court, avec tous ces gens quand n’arrivaient pas à déségréguer Albany, Géorgie.

D’autres leaders noirs des droits civiques de soi-disant stature nationale sont devenus des idoles déchues. Comme ils étaient des idoles déchues, comme qu’ils commençaient à perdre de leur prestige et de leur influence, ces leaders noirs locaux se mirent à remuer les masses. À Cambridge, dans le Maryland, à Gloria  à Richardson; à Danville, en Virginie, et dans d’autres parties du pays, ces dirigeants locaux ont commencé à attiser la colère de notre peuple au niveau local. Cela n’avait jamais été fait par ces nègres, que vous reconnaissez, de stature  nationale. Ils vous contrôlaient, mais ils ne vous incitaient pas ni ne vous excitaient. Ils vous contrôlaient, ils vous contenaient, ils vous maintenaient sur la plantation.

Dès que King a échoué à Birmingham, les Noirs sont descendus dans les rues. King est sorti et est allé en Californie pour un grand rassemblement et a récolté je ne sais pas combien de milliers de dollars. Il est arrivé à Detroit et a organisé une marche et a soulevé quelques autres milliers de dollars. Et rappelez-vous que, juste après ça, Roy Wilkins a attaqué King, l’accusant lui et le Core [Congrès de l’égalité raciale] de créer du trouble partout et de demander ensuite à la NAACP [Association nationale pour l’avancement des gens de couleur] de les faire sortir de prison  leur faisant dépenser ainsi beaucoup d’argent. Puis il a accusé King et le Core de récolter tout cet argent sans penser à rembourser la NAACP. Cela s’est produit, j’en ai la preuve documentée dans le journal. Roy s’est mis à attaquer King, et King s’est mis à attaquer Roy, et Farmer s’est mis à attaquer les deux. Et alors que ces Noirs d’envergure nationale se mettaient à s’attaquer les uns les autres, ils se sont mis à perdre le contrôle des masses noires.

Et les Noirs étaient là-bas dans les rues. Ils étaient là-bas à discuter de qui allait se rendre à la Marche sur Washington. Soit dit en passant, juste à ce moment Birmingham a explosé, et les Noirs de Birmingham – rappelez-vous – ont également explosé. Ils ont commencé à poignarder les petits-blancs dans le dos et leur frapper sur la tête – oui, ils l’ont fait. C’est alors que Kennedy a envoyé des troupes, dans Birmingham. Juste après que Kennedy soit intervenu à la télévision et ait déclaré « c’est une question morale. » C’est lorsqu’il a dit qu’il allait sortir un projet de loi pour les droits civiques. Et quand il a mentionné le projet de loi sur les droits civiques et que les petits-blancs du Sud ont commencé à parler de la façon dont ils allaient boycotter ou faire obstruction à ce projet de loi, alors les nègres ont commencé à parler – de quoi? Nous allons marcher sur Washington, marcher sur le Sénat, marcher sur la Maison Blanche, marcher sur le Congrès et le ficeler, lui mettre un coup d’arrêt, empêcher le gouvernement  de fonctionner. Ils ont même dit qu’ils allaient sortir de l’aéroport et s’allonger sur la piste et ne laisser aucun avion atterrir. Je vous dis ce qu’ils ont dit. C’était la révolution. C’était la révolution. C’était la révolution noire.

Il s’agissait des masses populaires noires dans la rue. Cela a effrayé l’homme blanc à mort, cela a effrayé à mort le pouvoir blanc, à Washington, DC. J’étais là. Quand ils découvert que ce rouleau compresseur noir allait descendre sur la capitale, ils ont appelé Wilkins, ils ont appelé Randolph, ils ont appelé ces dirigeants nationaux noirs que vous respectez et leur ont dit: «Annulez ça. » Kennedy a dit: « Écoutez, vous laissez cette chose aller trop loin. » Et l’Vieux Tom a dit: «Patron, je ne peux pas l’arrêter, parce que je ne l’ai pas démarré. » Je vous dis ce qu’ils ont dit. Ils ont dit, « Je n’en fait même pas partie, et j’en suis encore moins à la tête. » Ils ont répondu: « Ces Nègres font ces choses de leurs propres initiatives. Ils ont pris de l’avance sur nous. » Et ce vieux renard rusé, il a alors rétorqué : « Eh bien, si aucun de vous n’est dedans, je vais vous y mettre. Je vais vous mettre à la tête de cette marche. Je vais l’approuver. Je vais la saluer. Je vais l’aider. Je vais la rejoindre.« 

Quelques heures se sont passées. Ils ont eu une réunion à l’Hôtel Carlyle à New York. L’Hôtel Carlyle est détenue par la famille Kennedy, c’est l’hôtel dans lequel Kennedy a passé la nuit il y a deux jours, celui-ci appartient à sa famille. Une société philanthropique dirigée par un homme blanc du nom de Stephen Currier a convoqué tous les leaders des droits civiques à l’Hôtel Carlyle. Et il leur a dit : « En vous combattant les uns les autres, vous êtes en train de détruire le mouvement des droits civiques. Et puisque vous vous battez pour l’argent des libéraux blancs, laissez-nous mettre en place ce qu’on appellera le Council for United Civil Rights Leadership. Formons ce conseil, et toutes les organisations des droits civiques y appartiendront, et nous l’utiliserons à des fins de collectes de fonds« .

Permettez-moi de vous montrer comment l’homme blanc est rusé. Dès qu’ils ont formé ce conseil, ils ont élu Whitney Young comme président, et qui pensez-vous est devenu le co-président ? Stephen Currier, l’homme blanc, un millionnaire. Adam Clayon Powell en a parlé aujourd’hui au Cobo Hall. C’est ce dont il parlait. Powell sait ce qui est arrivé. Randolph sait ce qui est arrivé. Wilkins sait ce qui est arrivé. King sait ce qui est arrivé. Chacun de ce soi-disant Big Six – savent ce qui s’est passé.

Une fois qu’ils ont formé ce conseil, avec l’homme blanc à sa tête, celui-ci leur a promis de leur donner 800.000$ à se diviser entre chaque membre du Big Six, et leur a dit que, après la marche, ils allaient leur donner 700,000 $ de plus. Un million et demi de dollars – divisé entre les dirigeants que vous avez suivi, pour lesquels vous êtes allés en prison, pour lesquels vous avez pleuré des larmes de crocodile. Et ce ne sont rien d’autre que des Frank James et Jesse James ou des renégats de ce genre.

Sitôt qu’ils ont mise en place l’organisation, l’homme blanc a mis à leur disposition les meilleurs experts en relations publiques; les médias à travers le pays, et puis, ils se sont mis à projeter ces Six Grands comme les dirigeants de la marche. A l’origine, ceux-ci n’en faisaient même pas partie. Tu étais en train parler de cette discussion sur la marche sur Hastings Street – Est-ce que la rue Hastings existe encore? – Sur la Hasting Street. Tu étais en train de parler de la discussion sur la marche sur Lenox Avenue, et sur – comment est-ce que vous l’appelez ? – Fillmore Street et Central Avenue et la 32ème rue et la 63ème rue. C’est là que les discussions  sur la marche eurent lieu. Mais l’homme blanc a mis le Big Six à la tête de celle-ci; Ils sont devenus la marche. Ils ont pris la relève. Et le premier geste qu’ils ont fait après avoir pris les rênes, c’est inviter Walter Reuther, un homme blanc; ils ont invité un prêtre, un rabbin et un vieux prédicateur blanc. Oui, un vieux prédicateur blanc. Le même élément blanc qui a mis Kennedy au pouvoir – les travailleurs, les catholiques, les juifs, les protestants et les libéraux, la même clique qui a mis Kennedy au pouvoir, a rejoint la marche sur Washington.

C’est comme quand vous avez un peu de café qui est trop noir, ce qui signifie qu’il est trop fort. Qu’est-ce que vous faites? Vous y versez de la crème; vous le rendez léger. Si vous versez trop de crème, vous ne saurez même plus que vous avez du café. Il était chaud, avant, il devient tiède. Il était fort, il devient léger. Il vous permettait de vous réveiller, maintenant il va vous aider à vous endormir. C’est ce qu’ils ont fait avec la marche sur Washington. Ils l’ont rejoint. Ils ne l’ont pas l’intégré; ils l’ont infiltré. Ils l’ont rejoint, en sont devenus une partie, en ont pris le contrôle. Et en prenant le contrôle de la marche, celle-ci a perdu sa militance. Ses membres ont cessé d’être en colère. Ils ont cessé d’être chauds. Ils ont cessé d’être intransigeants. La marche a même cessé d’être une marche. Elle s’est transformée en un pique-nique, un cirque. Rien qu’un cirque, avec les clowns et tout. Vous aviez un cirque ici à Detroit – Je l’ai vu à la télévision – avec des clowns en tête, des clowns blancs et des clowns noirs. Je sais que vous n’aimez pas ce que je suis en train de dire, mais je vais vous le dis quand même. Parce que je peux prouver ce que je dis. Si vous pensez que je vous dis des mensonges, amenez-moi Martin Luther King et A. Philip Randolph et James Farmer et les trois autres, et voyez si ils vont nier la chose devant un micro.

Non, c’était une trahison. C’était une prise de contrôle. Quand James Baldwin est venu de Paris, ils n’ont pas voulu le laisser parler, parce qu’il n’était pas homme à respecter un script. Burt Lancaster a lu le discours que Baldwin était censé faire, ils ne voulaient pas laisser Baldwin monter sur le podium, parce qu’ils savent que Baldwin est capable de dire ce qu’il veut. Ils ont contrôlé si fort cette marche – ils ont dit à ces Noirs à quelle heure arriver en ville, comment venir, où s’arrêter, quels signes porter, quelle chanson chanter, quel discours qu’ils pouvaient faire, et quel discours ils ne pouvaient pas faire et puis, ils leur ont dit de sortir de la ville au coucher du soleil. Et chacun de ces Tom est sorti de la ville au coucher du soleil. Je sais bien que vous n’aimez pas que je dise cela. Mais je ne peux pas le garder pour moi. C’était un cirque, un spectacle qui a battu tout ce que Hollywood pourra jamais faire dans le genre, la performance de l’année. Reuther et les trois autres démons devraient obtenir un Oscar dans la catégorie du Meilleurs Acteurs car ils ont agi comme s’ils aimaient vraiment les Noirs et ont dupés tout un tas d’entre eux. Et les six leaders noirs devraient également recevoir une récompense dans la catégorie du Meilleur Acteur pour un Second Rôle.

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