L’histoire de la fête de Kwanzaa
Histoire

Par Sandro CAPO CHICHI 23 décembre 2014
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Célébrée par des millions de personnes chaque année, Kwanzaa est une fête panafricaine, célébrant chaque année, du 26 décembre au premier janvier, l’africanité et l’humanité de ses participants. Bien que créée aux Etats-Unis dans un milieu militant, la popularité de cette fête en va aujourd’hui bien au-delà, touchant des Américains non-Noirs et des Afro-descendants du reste du monde.
Par Sandro CAPO CHICHI / Nofipedia
Contexte de création
Aux Etats-Unis, dès le 19ème siècle existaient des fêtes célébrant des événements marquants dans l’histoire des Noirs aux Etats-Unis. Par exemple, la fête du Juneteenth, aussi appelée Freedom Day ou Emancipation Day marque la découverte de leur émancipation par les esclaves de l’est du Texas et par extension du sud des Etats-Unis, le 19 juin 1865 est célébrée jusqu’à ce jour dans la majorité du pays.
Dans les années 60 et 70, dans le contexte de l’émergence du mouvement Black Power vont se créer un certain nombre d’autres fêtes afro-américaines. Elles ne célèbrent plus l’intégration des Noirs à la société américaine, mais contestent les injustices de celle-ci, comme notamment des fêtes de célébrations des assassinats de Malcolm X et de Martin Luther King. Elles ne sont plus des fêtes nationales intégrées dans le calendrier américain mais en opposition à celui-ci. Ainsi, l’activiste afro-américain Ishakamusa Barashangola (1938-2004) comparaît la célébration de la fête de Thanksgiving par des Afro-Américains à une célébration du Troisième Reich par des Juifs.
De même, le célèbre abolitionniste Frederick Douglass, lors de son fameux discours ‘The Meaning of the Fourth July for the Negro’ prononcé le 5 juillet 1852, le lendemain de la fête nationale déclarait :
Le 4 juillet est à vous, pas à moi. Vous pouvez vous réjouir, mais moi je suis en deuil.
(…)
Chers citoyens, au delà de votre joie bruyante, j’entends le hurlement endeuillé de millions (de personnes) dont les chaînes, lourdes et cruelles hier, sont aujourd’hui rendues encore plus intolérables par les cris de joie qui les atteignent.
En contestation à ces fêtes se créent donc la célébration du 5 juillet ‘Black July 5’ en réponse au 4 juillet (fête nationale); en réponse à Thanksgiving célébré le quatrième jeudi de novembre, Umoja Karamu (créé en 1971) est célébré le quatrième dimanche de ce même mois; le Black Solidarity Day fut créé en 1969 en opposition à l’Election Day et est depuis célébré le lundi suivant ce dernier ; Kwanzaa, créé en 1966 en opposition à l’aspect commercial de Noël est lui célébré la semaine le suivant.
Création
Kwanzaa fut créé en 1966 par Maulana Karenga, un activiste afro-américain alors étudiant à l’Université de Californie à Los Angeles qui avait acquis un leadership avec son organisation ‘Us’ dans la communauté noire pendant les émeutes de Watts.
Alors que l’un des membres d’Us offre à sa fille une poupée noire pour Noël 1965, Karenga la rejette en lui disant que les membres de l’organisation ne devraient pas célébrer cette fête. En distinguant la fête chrétienne de Noël, qui est religieuse et selon lui légitime, et la fête culturelle de Noël, qui est selon lui une invention européenne, commerciale et inappropriée pour les Afro-Américains, il se met à rechercher une alternative à Noël pour l’année suivante.
Il se penche alors sur les cultures africaines, qui procèdent souvent à des célébrations agricoles lors de la moisson et du changement d’année et notamment sur l’Umkhosi, la célébration des premiers fruits chez les Zoulous d’Afrique du Sud, ou le Tedudu ou festival de l’Igname chez les Ewe d’Afrique de l’Ouest.*
Il adapte celles-ci au contexte américain en y incluant les hommages aux ancêtres, le rassemblement de villageois, la fête, ou l’apparence du festival. en décembre 1966 a alors lieu la première célébration de Kwanzaa qui réunit lors de son dernier jour une cinquantaine de personnes, principalement des membres d’Us et leurs proches.
La propagation
L’année suivante, Kwanzaa se propage en Californie, grâce à la médiation de Makinya Sibeko-Kouate. Puis en 1970, un atelier est consacré à Kwanzaa lors du Congrès d’Atlanta de 1970 organisé par Amiri Baraka en présence de leaders de l’activisme noir dans le monde, comme Louis Farrakhan, Jesse Jackson ou Betty Shabazz, la veuve de Malcolm X ; ou des maires noirs comme Richard Hatcher (Gary, Indiana) et Kenneth Gibson (Newark, New Jersey).
Ce congrès, suivi par plus de 3000 personnes issus d’une centaine d’organisations provenant de près de 25 villes, vit la création du CAP (Congress of African People), une sorte d’union nationale des mouvements noirs. Bien que Karenga, après un différend avec Baraka, n’ait pas pris part à la conférence, c’est à ce moment que Kwanzaa fut institutionnalisé à travers le pays : la plupart des associations présentes s’étaient affiliées au CAP et allaient, dans le cadre d’un processus de création de structures culturelles, éducatives et politiques dans leurs quartiers, y importer Kwanzaa. La fête créée par un homme et restreinte au sud de la Californie était désormais celle du peuple dans un pays tout entier.
Le piège de la commercialisation
Dans les années 80, des entrepreneurs noirs, anciens activistes du mouvement Black Power, commencèrent à commercialiser des articles relatifs à Kwanzaa, qui se trouvèrent dans tous types de boutiques. Kwanzaa se démocratisa et de par son aspect moins militant, il toucha de plus en plus de Noirs, devenant un symbole de la famille noire et non plus de l’identité africaine consciente des Afro-Américains ; puis il se répandit dans des crèches et des écoles publiques et Kwanzaa devint bientôt une sorte de fête nationale et commerciale. Des sociétés blanches créèrent des publicités pour du punch ‘100% africain’ sponsorisé par Minute Maid ; une publicité pour des costumes à porter pour cette fête fut produit pour la grande chaîne de supermarchés K-Mart. Jose Ferrer, un Noir créateur de la Kwanzaa Foundation a admis avoir travaillé afin de rendre Kwanzaa ‘marketable’ pour les grandes compagnies américaines.
Dans les années 90, une organisation destinée à protéger l’authenticité de la fête, la National Coalition To Preserve the Sanctity and Integrity of Kwanzaan, dirigée par Konrad Worrill et Hannibal Afrik fut particulièrement active pour dénoncer ce qu’il voyaient comme un dévoiement de ce qu’était cette fête dans les années 60 lors de sa création. Même Karenga, le créateur de la fête qui avait à plusieurs reprises exprimé sa peur de voir la commercialisation de Kwanzaa, fut accusé par la National Coalition d’avoir participé à la création d’un timbre de l’US Postal Service (L’équivalent de La Poste aux Etats-Unis) en 1997.
Karenga répondit qu’il souhaitait que ce timbre contribue à la reconnaissance des Afro-Américains dans le pays. Il avait déjà exprimé sa volonté de distinguer l’enrichissement solidaire des communautés noires lors de Kwanzaa de l’exploitation des grandes compagnies qu’il fallait combattre. Aujourd’hui, Kwanzaa est célébré par plusieurs millions de personnes dans tout le pays jusque dans des petites villes à 97% blanches et on voit la commercialisation de ‘Pères Kwanzaa’ ou de peluches Kwanzaa.
Son esprit est-il mort? Non, puisqu’il en reste d’authentiques pratiquants aux Etats-Unis. Et que grâce à ceux-ci, il s’est propagé récemment dans d’autres lieux de la diaspora afro-descendante comme le Canada, la France, ou même au Brésil, où seul son nom est utilisé pour désigner le nom des fêtes du Jour de la Conscience Noire. On ne peut qu’espérer que ceux-ci conserveront la flamme de l’esprit du Kwanzaa authentique, qui depuis presque 50 ans, célèbre la fierté d’être un Africain et un être humain.
Bibliographie
Black Power Movement: Rethinking the Civil Rights-Black Power Era / Peniel E. Joseph (éd.)
Kwanzaa: black power and the making of the African-American holiday tradition / Keith A. Mayes
Kwanzaa ou La célébration du génie africain / Ama Mazama
The Congress of African People (1970–1980): History and Memory of an Ideological Journey / Michael Simanga