Neïba

Betty Shabazz, Madame Malcolm X. Quand la vie nous exerce au combat…

Histoire

Betty Shabazz, Madame Malcolm X. Quand la vie nous exerce au combat…

Par Redaction NOFI 21 février 2018

Pour ne rien manquer de l'actualité,
téléchargez l'application depuis ce lien
Recevez du contenu exclusif, de l'actualité, des codes promos Nofi Store ainsi que notre actualité évenementielle chaque week-end !

Betty Shabazz, ou Betty X, fut la femme  de Malcolm X, porte-parole de la Nation of Islam . Après l’assassinat de son mari en 1965 , Betty a poursuivi une carrière universitaire, tout en continuant à propager le message de Malcolm. Gravement brûlée dans l’incendie de son appartement, elle meurt le 23 juin 1997.

Natou Seba Pedro Sakombi

Reines et Héroïnes d’Afrique

Nous sommes aux États-Unis, le 28 mai 1934. Ollie Mae Sanders et Shelman Sandlin donnent naissance à une petite fille qu’ils prénomment Betty. Le couple n’est pas marié, lui n’a que 21 ans, et elle, qui ne connaît pas son âge, n’est qu’une adolescente à peine sortie de la puberté. Selon elle-même, Betty serait née à Detroit, dans le Michigan. Toutefois, selon les documents d’archives du collège qu’elle a fréquenté, elle serait née à Pinehurst, en Georgie.
Suite à de mauvais traitements qu’elle aurait subis, Betty sera confiée à un couple de businessmen afro-américains, Lorenzo et Helen Malloy. Le couple, pourtant bien ancré dans l’activisme noir, n’évoquera jamais le racisme vécu par les Noirs avec Betty. Le racisme est un sujet tabou, on croit qu’éviter le sujet entraînera tôt ou tard sa disparition. Néanmoins, ce qu’elle apprendra des Malloy, c’est qu’il ne faut en aucun cas avoir honte de sa couleur et qu’il faut se battre pour se faire une place dans la société en tant qu’Afro-Américain.

Après le lycée, Betty quitte le domicile des Malloy pour l’Université de Tuskegee (Tuskegee Institute à l’époque), en Alabama, un établissement réservé aux Noirs où elle poursuit des études pour devenir enseignante. À cette époque, Betty ne sait absolument rien du racisme auquel les Noirs du Sud doivent faire face au quotidien. Ses week-ends, Betty les passe à Montgomery, la ville la plus proche, et c’est là qu’elle découvre les dégats de la ségrégation raciale.

Dans les librairies universitaires, les étudiants noirs doivent attendre que les étudiants blancs se fassent servir avant de pouvoir acheter leurs bouquins, et encore, rien ne garantit qu’il reste assez d’ouvrages pour eux. Quand Betty rentre chez les Malloy pendant les vacances et qu’elle leur expose les faits, ces derniers refusent catégoriquement d’en parler. C’est donc dans toute cette frustration que Betty décidera de changer carrément d’orientation et de viser des études d’infirmière à New York. Mais même là, elle se verra confrontée à toutes sortes d’actes racistes à la Montefiore Hospital où elle travaille comme stagiaire. En effet, les étudiantes noires ont droit aux tâches les plus humiliantes, voire pas du tout instructives, alors que les étudiants blancs se voient octroyer les tâches les plus édifiantes.

Une dame plus âgée que Betty et qui suit les mêmes études qu’elle lui propose de l’accompagner un vendredi soir au temple de la Nation of Islam à Harlem, où un dîner annuel est donné. Betty hésite, mais finit par accepter ; elle se souviendra longtemps de ce fameux dîner qu’elle trouvera succulent. Après le dîner, une dame du temple l’invite à rejoindre la Nation of Islam, mais Betty refuse poliment. La dame insiste tellement que Betty accepte en se disant qu’elle goûterait volontiers à ces mets délicieux une nouvelle fois.

C’est à cette deuxième réunion de la Nation of Islam que Betty croisera le regard de Malcolm X pour la première fois. Plus tard, elle racontera que le regard de celui qui deviendra son mari et le père de ses enfants l’avait complètement tétanisée. Elle était tellement impressionnée par son élégance et son éloquence qu’elle perdait tout contrôle en sa présence.

Après avoir assisté à plusieurs réunions de la Nation of Islam, Betty finira par rencontrer et parler à Malcolm X personnellement. Grâce à ses discours, il avait radicalement changé sa vision de la société et de la spiritualité. Betty et Malcolm échangeront souvent sur leurs expériences respectives du racisme et sur cette anxiété qui naissait en elle et qu’elle ne comprenait pas. Malcolm lui fera comprendre qu’il s’agit d’un sentiment tout à fait légitime et normal, et qu’on pouvait s’en servir pour faire changer les choses.

Betty fréquentera désormais le Temple Numéro 7 de la Nation of Islam à Harlem, où Malcolm donne régulièrement des séminaires. Après les réunions, Malcolm répondra avec plaisir à toutes ses questions, et ensemble, ils auront de longues discussions tardives sur le sort réservé au peuple noir. En 1957, Betty décide de se convertir à l’Islam. Et comme la plupart des membres de la Nation of Islam, elle changera son nom en  « X », lettre qui représente le nom de ses ancêtres qu’elle devrait normalement porter mais qu’elle ne connaît pas.

En 1958, Malcolm la demande en mariage et elle accepte. Ils se marient le 14 janvier à Lansing, dans le Michigan, elle porte désormais le même titre religieux que son mari, et devient Betty Shabazz. Ce même jour, heureuse coïncidence, Betty obtient son diplôme d’infirmière.

Le couple aura six enfants : Attallah, prénom donné d’après Attila le roi des Huns, Qubilah, d’après Kubla Khan, Ilyasah d’après Elijah Muhammad, Gamilah Lumumba, d’après Patrice Lumumba, et des jumelles, Malikah et Malaak, d’après leur père Malcolm, car nées après l’assassinat de leur père.

En 1963, suite à une déclaration qu’il fait au sujet l’assassinat du président Kennedy devant les médias, Malcolm est sanctionné par la Nation of Islam, qui lui interdit toute prise de parole pendant quatre-vingt-dix jours, et perd de ce fait son rôle de porte-parole national de la Nation of Islam. En 1964, il quitte l’organisation, et Betty et lui deviennent des musulmans sunnites.

Le 21 février 1965, Malcolm doit tenir une réunion sur le thème de l’unité afro-américaine à New York au Manhattan Audubon Ballroom.Betty s’y trouve, ses quatre filles et elles sont assises au premier rang.

Pendant la prise de parole de Malcolm, une dispute se fait soudainement entendre dans la salle. Malcolm et ses gardes du corps s’apprêtent à intervenir, mais un homme armé se précipite à l’avant de la salle, s’approche du pupitre et tire dans la poitrine de Malcolm. Deux autres hommes armés tirent également et Malcolm s’écroule, victime de 16 balles fatales !

Dès que Betty entend les coups de feu, elle couche ses quatre fillettes au sol et les pousse en dessous des chaises. Quand les coups s’arrêtent, elle a à peine le temps de relever la tête qu’elle aperçoit son époux à terre, le costume ensanglanté. Elle se précipite vers le podium et essaie de le réanimer machinalement selon ce qu’elle avait appris de ses cours de secourisme. Les officiers de police et les associés de Malcolm débarquent et entourent le corps inerte, repoussant l’épouse qui comprend qu’une simple tentative de réanimation ne sauvera en rien son époux. Il est ramené à la Columbia Presbyterian Hospital où sa mort est prononcée. Les trois coupables aperçus par des témoins auraient été arrêtés et emprisonnés. Tous trois feraient partis de la Nation of Islam.

Betty interrogée par la presse dès sa sortie de la morgue où elle vient de reconnaitre le corps de son époux assassiné, Malcolm X

 

Betty après Malcolm

Cette épreuve qu’elle croit d’abord insurmontable entraîne chez la veuve de Malcolm des troubles d’ordre pyschologiques pendant deux semaines entières. Elle souffre de paranoïa, d’insomnie et de cauchemars. De plus, Betty est enceinte des jumelles de Malcolm et l’idée qu’elles ne connaîtront jamais leur père la plonge dans un désespoir insupportable. Elle n’a aucune idée de la façon dont elle va élever ses six filles, elle est complètement désemparée.

La suite ne sera pas simple. Ses enfants lui donneront le courage de continuer à vivre et à lutter. La publication de l’autobiographie de Malcolm lui sera finalement d’une aide précieuse puisqu’elle en touchera une partie des royalties.

L’activiste Ruby Dee et Juanita Poitier (épouse de Sidney Poitier) fonderont The Committee of Concerned Mothers, une association permettant de récolter des fonds pour acheter une maison et assurer les frais scolaires de la famille Shabazz. Une maison dans le Mount Vernon leur sera offerte.

En mars 1965, Betty décide de faire un pèlerinage à la Mecque, tel que son mari l’avait fait un an plus tôt. Elle en reviendra forte et proclamera que le fait de prier pour toutes ces personnes qui lui sont venues en aide lui a fait un bien fou et lui a permis de détourner son esprit de ceux qui veulent du mal à elle et à sa famille.  

Certes, élever seule ses six filles a complètement épuisé Betty, mais lorsqu’elles sont devenues indépendantes, elle ne s’est pas arrêtée pour autant. La combattante Madame X passera par les titres de représentante des parents d’élèves à présidente de la Westchester Day Care Council, ou oratrice de plusieurs meetings et séminaires dans des collèges et universités, partageant toujours la philosophie du nationalisme noire de Malcolm X, ainsi que son expérience en tant que femme seule au foyer.

Chose étonnante, cette femme extraordinaire décide même de reprendre des études fin 1969 et s’inscrit au Jersey City State College. Son rêve de devenir enseignante ne s’étant jamais éteint, elle obtiendra un master degree en administration des soins de santé. En 1972, elle poursuit ses études et entre à la Massachussetts Amherst University. Pendant trois ans, elle apprendra, étudiera et se battra pour obtenir des diplômes. En juillet 1975, elle défend sa thèse et obtient son doctorat.

En janvier 1976, Betty devient professeur des Sciences de la Santé au Collège Medgar Evers à New York. Ses étudiants sont noirs à 90 %, leur âge moyen est de 26 ans ; 75 % sont des femmes, et les deux tiers sont des mères de famille. Et, bien évidemment, Betty était au courant de ces statistiques lorsqu’elle a décidé d’y enseigner.

En 1980, Betty est directrice d’un des départements du collège destiné à l’avancement institutionnel ; en 1984, elle devient directrice à l’Institutional Advancement and Public Affairs, et la même année, elle dirige la convention de la National Council of Negro Women.

Vers les années 90, elle se montrera très active dans la National Urban League. Et lorsque Winnie et Nelson Mandela visitent Harlem en 1990, Betty demandera à rencontrer Winnie et les deux femmes partageront des moments inoubliables.

Betty s’implique dans des associations avec Myrlie Evers-Williams, la veuve de Medgar Evers et avec Coretta Scott King, veuve de Martin Luther King. Toutes les trois ont un point commun : elles ont vécu l’expérience douloureuse de perdre leur mari activiste à un jeune âge.

Betty vivra longtemps avec un énorme ressentiment pour la Nation of Islam, et surtout pour Louis Farrakhan, son représentant, qu’elle soupçonne d’être directement impliqué dans l’assassinat de son mari. En janvier 1995, l’une de ses filles, Qubilah, tente d’assassiner Farrakhan et est donc accusée de tentative de meurtre. La famille Shabazz sera cependant surprise de la réaction de Farrakhan, qui non seulement dira tout haut qu’il espère que Qubilah ne sera pas condamnée, mais récoltera des fonds pour soutenir son procès. Cette dernière s’en sortira avec des obligations d’un suivi psychologique de deux ans, mais ne sera pas condamnée à purger une peine de prison. C’est après ce comportement inattendu que Betty renouera des liens avec la Nation of Islam et avec Farrakhan.

Son petit-fils, le fils de Qubilah, prénommé Malcolm en souvenir de son grand père, sera confiée à Betty durant toute la durée du traitement de sa mère. Mais en juin 1997, le petit Malcolm mettra involontairement le feu à la maison de sa grand-mère. Betty est sévèrement brûlée et passe trois semaines aux soins intensifs du Jacobi Medical Center. Hélaselle succombe à ses brûlures le 23 juin 1997 et sera enterrée au cimetière de Ferndiff, au côté de son époux Malcolm X.

Le moins que l’on puisse dire est que la vie aura exercé Betty Shabazz au combat. Elle devra toute sa vie se battre, et les challenges feront partie intégrante de son quotidien, c’est à croire qu’elle a carrément appris à apprécier le jeu des luttes et des victoires de son existence. Et le respect que peut nous inspirer Madame Malcolm X vient certainement du fait que cette femme au courage indéniable ne s’est jamais permis de baisser les bras. S’il y a de ceux qui sont nés pour lutter, pour servir d’exemple et pour marquer l’histoire, Betty Shabazz était sans nul doute de ceux-là.

C’était le récit de Betty Shabazz, ou Betty X, une véritable héroïne d’Afrique !