Qui est responsable de l’assassinat de Malcolm X ?

Lorsque l’on évoque le tragique assassinat de Malcolm X, d’aucuns expliquent que ce dernier aurait été tué par les disciples d’Elijah Muhammad, dans un contexte de rivalités intestines au sein de la Nation de l’Islam. Il s’agirait donc, uniquement, de noirs qui s’entretuent ? En réalité, la vérité au sujet de la mort d’El Hajj Malik Shabazz semble bien plus complexe que cela. Focus sur la somme d’éléments qui ont abouti à sa disparition.

Retour sur une fin de vie souvent fantasmée

Bien que Malcolm X demeure l’un des héros afro les plus connus, trop nombreux sont ceux qui ont une vision romantique de sa vie, notamment de la dernière partie de celle-ci, après son retour de la Mecque. Le film de Spike Lee tient une lourde responsabilité à ce niveau. À en croire la légende médiatique, Malcom X, suite à son pèlerinage serait devenu plus « gentil » et plus souple vis-à-vis des blancs. Croire cela, c’est véritablement méconnaître l’œuvre de ce chantre du nationalisme noir.

En réalité, au retour de son voyage personnel et spirituel à travers le Moyen-Orient et l’Afrique de l’Ouest, Malcolm X était plus Noir&Fier que jamais. Sa réflexion avait grandement évoluée pour prendre une direction nouvelle. Désormais, il s’agirait pour lui, à travers l’Organisation de l’Unité Afro-Américaine [1] de :

  • former des alliances avec des dirigeants révolutionnaires en Afrique et ailleurs
  • internationaliser la lutte des Africains américains
  • élargir la question des droits civiques à la lutte pour les droits de l’homme

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De plus, même s’il était enclin sur la fin de sa vie à accepter l’aide de «blancs sincères», il serait erroné de penser que Malcolm X comptait sur l’Amérique blanche pour résoudre les problèmes des afro. Bien au contraire. Pour lui, si les blancs voulaient véritablement venir en aide à leur compatriotes noirs, il était préférable qu’ils affrontent leur propre racisme pathologique. N’était-ce pas lui qui déclarait :

« Laissez les blancs sincères aller et enseigner la non-violence aux Blancs! (…) En travaillant séparément, les blancs sincères et les noirs sincères travaillent réellement ensemble. » [2]

Voilà pour la mise au point. Entrons à présent dans le vif du sujet, à savoir, les éléments ayant entraîné l’assassinat de Malcolm X.

COINTELPRO, le programme de contre-espionnage du FBI

Entre 1956 et 1971, une série de missions occultes et souvent illégales menées par le FBI ont eu pour but de surveiller, d’infiltrer, de discréditer de perturber, et même détruire les organisations politiques luttant pour les droits des afro-américains ainsi que leur leaders. Il s’agissait du COINTELPRO, le programme de contre-espionnage du FBI dirigé par J. Edgar Hoover [3].

J. Edgard Hoover, le premier directeur du FBI et initiateur du projet COINTELPRO.

Durant la période d’activité du COINTELPRO, Malcolm X et la Nation de l’Islam seront aussi pris pour cible. De nombreux documents déclassifiés démontrent que le FBI œuvrait activement à « élargir la faille » entre Malik Shabazz et Elijah Muhammad en « suscitant des débats acrimonieux au sein de l’organisation« . Il s’agissait par exemple de faire naître des rumeurs favorisant les conflits internes [4]. Le FBI avait infiltré la Nation de l’Islam jusqu’aux plus hauts postes de l’organisation dans les derniers mois de sa vie. J. Edgard Hoover, alors directeur du FBI, craignait plus que tout que Malcolm ne succède à Elijah Muhammad à la tête de l’organisation politico-religieuse. Son élimination devenait de plus en plus nécessaire afin de faire taire les velléités de liberté, de justice et d’égalité de la NOI. Cela est d’ailleurs confirmé par un fichier COINTELPRO affirmant que :

« Le secret de la désactivation du mouvement [la NOI], se trouve (…), dans la neutralisation de Malcolm X. » [5]

John Ali, l’ancien Secrétaire National de la NOI.

La Trahison de john Ali

Il y a au sujet de la mort de Malcolm X un nom que l’on oublis bien trop souvent de mentionner. Il s’agit de John Ali. Ce dernier, dont on sait peu de choses était un proche de Malcolm X. Celui qui deviendra le numéro 2 dans l’organigramme de la Nation de l’Islam en 1963 fut le conseiller, l’ami, et même un temps le colocataire de Malcolm. Ne pas évoquer le secrétaire national de la NOI dans l’affaire de la Mort de Malcolm est symptomatique d’un manque de connaissances à ce sujet. D’autant que lorsque le dirigeant historique de l’organisation tomba malade, c’est John Ali qui en prit la direction. Quelle meilleure place que celle-ci, pour le jeune opportuniste, quand il s’est agi de collaborer avec le FBI et de nuire à Malcolm [6].

Le 1er décembre 1963, Elijah Muhammad fit passer à ses ministres la consigne de ne pas faire de commentaire au sujet de l’assassinat du président John F. Kennedy. Enfreignant cette injonction réglementaire, Malcolm X ne put s’empêcher de déclarer que celui qui semait le vent récoltait la tempête. Ces propos scandalisèrent l’opinion publique et celui qui les avait proféré fut rapidement sanctionné. Malcolm X écopa de la traditionnelle interdiction de 90 jours de prendre la parole publiquement [7].

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Malcolm X protégeant son foyer, une photo emblématique du magazine Ebony.

Même si Malcolm X avait conservé son poste de porte-parole national de la Nation de l’Islam, les rapports tendus entre lui et son mentor Elijah Muhammad se transformèrent en séparation pure et simple. En exacerbant les tensions entre les deux hommes, John Ali y avait soigneusement préparé le terrain. Ainsi, le 8 mars 1964, Malcolm X quitte officiellement la NOI. Il déclarera quelques jours plus tard :

« Les officiels nationaux ici, au siège de Chicago, savent que je n’ai jamais quitté la Nation of Islam de ma propre initiative. Ce sont eux qui ont conspiré avec le capitaine Joseph ici, à New-York, pour me forcer à quitter la Nation. Afin de sauver les officiels nationaux et le capitaine Joseph de la disgrâce d’avoir à s’expliquer (…) de m’avoir évincé, j’ai annoncé par voie de presse que j’étais parti de ma propre initiative. Je n’ai pas pris la faute sur moi pour protéger ces officiels nationaux, mais pour protéger la foi que vos fidèles ont en vous et en la Nation of Islam. »[8]

Poussé vers la sortie par les instances dirigeantes de la NOI, il sera ouvertement menacé par John Ali qui dira :

« Quiconque s’oppose à l’honorable Elijah Muhammad met sa vie en danger ». [9]

Gene Roberts, l’agent infiltré du NYPD qui a trahi Malcolm X.

Lorsqu’après son départ de la Nation de l’Islam Malcolm X s’envole afin d’effectuer son pèlerinage à la Mecque, l’organisation religieuse « The Muslim Mosque Inc. » qu’il avait fondée le 12 mars 1964, est infiltrée afin de fournir des informations sensibles au FBI et à la CIA. Même l’un de ses gardes du corps, Gene Roberts était en réalité un agent du NYPD, le service de police de la ville de New-York [10]. Cela ne fait aucun doute, Malcolm X était l’homme à abattre pour l’Oncle Sam.

L’Oncle Sam voulait sa peau et Malcolm X en avait pleinement conscience puisqu’il confia à l’un de ses proches :

« Nos musulmans [la Nation de l’Islam] n’ont pas les ressources nécessaires pour financer un réseau mondial d’espions« . [11]

Par ailleurs, ce que l’on oublie souvent de rappeler, c’est que Malcom X a été la cible d’une tentative d’assassinat lors de son séjour au Caire. Il avait reconnu alors qu’il dînait dans un restaurant, un serveur qu’il avait déjà vu à New York. Cette rencontre malheureuse se termina à l’hôpital pour un lavage d’estomac. Les jours de Malcolm X étaient comptés, et il le savait puisqu’à de nombreuses reprises, il a avait demandé une protection policière qui lui sera (bien évidemment) refusée [12]. 

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Le gouvernement américain est-il responsable de la mort de Malcolm X ?

Outre la tentative d’empoisonnement du Caire, dont fut victime Malcolm, celui-ci du faire face à plusieurs tentatives d’assassinat. La situation était tellement tendue que lorsque Malcolm X s’est vu refuser l’autorisation d’entrer en France, le journaliste Eric Norden a appris d’un diplomate que :

« la CIA prévoyait le meurtre de Malcom, et la France craint qu’il soit liquidé sur son sol« . [13]

Quand la maison de la famille Shabazz fut incendiée le 14 février 1965, lui et sa famille purent s’échapper en toute sécurité. Lorsqu’on découvrit qu’un pompier avait laissé une bonbonne de gaz sur les lieux afin de faire penser à un accident domestique, il n’y avait plus aucun doute: son arrêt de mort venait de plus haut la NOI [13]. Au final, l’organisation politico-religieuse africaine-américaine fondée en 1930, fut elle aussi manipulée par les autorités US afin d’orienter le zèle et l’ignorance dans les rangs de la Nation de l’Islam contre Malcolm X et ses suivants. Il s’agissait pour les Etats-Unis  de créer l’atmosphère qui permettrait l’assassinat de l’activiste. Aujourd’hui encore, la Nation de l’Islam souffre des stigmates laissés par cette douloureuse période.

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Même Gene Roberts, l’agent infiltré du NYPD, qui à force de le suivre dans ses nombreux déplacements avait fini par sympathiser avec Malcolm l’avait averti d’une potentielle tentative d’assassinat, mise au point par ses supérieurs, prévue le dimanche 21 février 1965. C’est justement la date à laquelle Malcolm X fut assassiné dans la salle de bal d’Audubon.  Lorsque Leon Ameer, un assistant de 32 ans de Malcolm, se rendra au FBI 10 jours après l’assassinat afin de livrer sa version des faits, il parlera aux forces de l’ordre d’un complot impliquant le gouvernement. Ce sera là sa dernière erreur, puisqu’il sera retrouvé mort quelques jours plus tard dans son appartement de Boston. On a tout d’abord conclu à un suicide, puis à une overdose avant de parler de « causes naturelles ». [14] Alors que la mort de Malcolm X est souvent décrite comme une affaire de rancune et de jalousie, il est indéniable que les cause de sa disparition sont nettement plus profondes que cela. Ainsi, ces nombreuses preuves attestent que le gouvernement américain a été lourdement impliqué dans sa mort.

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Notes et références :

[1] L’Organisation de l’Unité Afro-Américaine, fondée en 1964, est une structure laïc visant à internationaliser la lutte des Noirs américains et à faire cause commune avec les peuples des pays en développement pour élargir la question des droits civiques à la lutte pour les droits de l’homme.

[2] Alex Haley et Malcolm X ~ « The Autobiography of Malcolm X« ,  publié en 1964

[3] Paul Wolf ~ « COINTELPRO: The Untold American Story« , Archive.org4

[4] Taylor Branch ~ « Pillar of Fire: America in the King Years 1963–1965« , Simon & Schuster, publié en 1999

[5] Karl Evanzz ~ « The Judas Factor: The Plot to Kill Malcolm X », Thunder’s Mouth Press, publié en 1992

[6] James W. Douglass ~ « The Muder and Martyrdom of Malcolm X« , Feral House, publié en 2003

[7] « The Assassination Of Malcolm X« , abovetopsecret.com, publié le 4 septembre 2009

[8] Lettre de Malcolm X à Elijah Muhammad en date du 11 mars 1964

[9] Taylor Branch ~ « The Judas Factor: The Plot to Kill Malcolm X« , Simon & Schuster, publié en 1992

[10] « The Assassination Of Malcolm X« , abovetopsecret.com, publié le 4 septembre 2009

[11] Jan Carew ~ « Malcolm on « resources »: Ghosts in Our Blood« , Lawrence Hill Books, publié en 1994

[12] Peter Goldman ~ « bad rap sheet »: The Death and Life of Malcolm X, University of Illinois Press, publié en 1979

[13] Eric Norden, « The Murder of Malcolm X« , The Realist, publié en février 1967

[14] « neutralizing Malcolm X »: FBI HQ file on Elijah Muhammad; FBI NY file on Malcolm X, cité par Karl Evanzz

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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