Les « ombres de la Françafrique », ou quand l’Afrique finançait la République

Plongée dans les arcanes de la Françafrique avec les révélations de Robert Bourgi. Nofi explore les financements occultes de la politique française par des régimes africains, un système complexe qui continue de façonner les relations franco-africaines, même à l’heure des réformes et des tensions géopolitiques actuelles.

En 2024, la Françafrique continue de prospérer dans l’ombre des gouvernements français successifs, malgré les promesses répétées de rupture. Un système tentaculaire de financements occultes, de relations néocoloniales et de corruption imprègne encore les rouages de la politique franco-africaine. Ce réseau obscur, à peine dissimulé derrière les façades diplomatiques, façonne l’avenir de millions de citoyens africains, tout en maintenant une poignée d’élites au pouvoir. Loin d’être un simple vestige historique, la Françafrique est un cancer silencieux, nourri par l’appétit insatiable des ressources africaines et les ambitions des dirigeants français.

L’héritage de la Françafrique, construit sur des décennies de complicité entre les dirigeants français et les présidents africains, a été méticuleusement documenté par des journalistes et chercheurs. François-Xavier Verschave, auteur de Françafrique : Le plus long scandale de la République, a été l’un des premiers à dénoncer cette relation incestueuse :

« La Françafrique est un néologisme né pour dénoncer l’attitude néo-coloniale que la France maintient vis-à-vis de ses anciennes colonies, un réseau d’intérêts économiques, politiques et militaires qui trahissent les idéaux démocratiques. »

Cette doctrine, qui a guidé les relations franco-africaines depuis l’indépendance des colonies françaises, repose sur une réalité brutale : la France, bien que retraitée de ses terres coloniales, continue de tirer les ficelles du pouvoir à travers des alliances corrompues et des financements secrets.

Valises de billets et financements occultes

Robert Bourgi en septembre 2011 (AFP PHOTO / JOHANNA LEGUERRE)

Robert Bourgi, avocat et conseiller influent, l’un des acteurs majeurs de la Françafrique, a récemment révélé dans son ouvrage Ma vie en France-Afrique les dessous d’un système où des valises pleines de billets transitaient régulièrement entre l’Afrique et la France.

« Je transportais de l’argent liquide dans des valises, des sommes astronomiques qui finançaient des campagnes électorales. C’était la réalité de la Françafrique. »

Ces fonds, souvent prélevés sur les richesses des pays africains, notamment le pétrole et l’uranium, servaient à acheter l’influence des hommes politiques français, mais aussi à maintenir des régimes dictatoriaux en Afrique.

Un des exemples les plus emblématiques reste l’affaire Elf, révélée dans les années 1990, qui montra l’ampleur de la corruption franco-africaine. Le procès Elf dévoila que les dirigeants d’Elf Aquitaine, géant pétrolier, versaient des commissions occultes à des chefs d’État africains, comme Omar Bongo du Gabon, en échange de contrats pétroliers lucratifs.
Patrick Pesnot, dans Les Dessous de la Françafrique, explique :

« Le procès Elf a révélé l’ampleur de la corruption organisée à l’échelle internationale, où des dictateurs africains recevaient des commissions en échange de l’accès aux ressources naturelles. »

Le silence coupable de la République

Le président Jacques Chirac, entouré de ses homologues burkinabè Blaise Compaoré, gabonais Omar Bongo Ondimba, camerounais Paul Biya et congolais Denis Sassou Nguesso, lors d’un sommet franco-africain, à Cannes le 16 février 2007.  PATRICK KOVARIK / AFP

L’ancien président français Jacques Chirac, emblème de cette tradition de financement occulte, s’est vu accuser d’avoir maintenu des relations financières étroites avec des régimes africains pour financer ses campagnes électorales. Bourgi affirme avoir régulièrement remis des valises d’argent à Chirac, provenant des présidents africains tels qu’Omar Bongo (Gabon), Blaise Compaoré (Burkina Faso), et Denis Sassou Nguesso (Congo).

« Le président me demandait de lui ramener ces fonds. Jamais une somme en dessous d’un million de dollars ne m’a été confiée. »

Ces pratiques ont permis de maintenir des liens d’influence très forts, faisant de ces chefs d’État africains des obligés du pouvoir français.

L’historien Jean-Pierre Bat souligne que :

« Ces flux financiers ne concernaient pas seulement le financement des campagnes électorales françaises. Ils servaient aussi à préserver un réseau de dépendance économique où la France s’assurait l’accès aux ressources stratégiques africaines. »

L’échec des révolutions démocratiques

French President Nicolas Sarkozy (L) confers with Ivory Coast President Laurent Gbagbo (R) prior the start of the United Nations Security Council meeting on Africa during the United Nations General Assembly in New York, 25 September 2007. AFP PHOTO/POOL/ERIC FEFERBERG / AFP / ERIC FEFERBERG

À travers l’histoire récente, les tentatives de démocratisation en Afrique francophone ont souvent été étouffées par cette emprise invisible. En 2010, Laurent Gbagbo, président ivoirien, a été renversé après avoir contesté les résultats des élections face à Alassane Ouattara, soutenu par la communauté internationale, et notamment par la France. Robert Bourgi affirme que Nicolas Sarkozy, alors président de la France, aurait donné l’ordre de renverser Gbagbo.

« Sarkozy m’a dit : ‘Je vais le vitrifier’. C’était une démonstration brutale de la façon dont la France gère ses anciens alliés africains. »

Cette déclaration met en lumière l’ingérence constante de la France dans les affaires intérieures des pays africains.

Le pétrole et l’uranium, le nerf de la guerre

le conseiller de l’Elysée pour les affaires africaines, Jacques Foccart (G), accueille le président gabonais Omar Bongo, le 15 novembre 1973 à Paris, dans le cadre de sa visite officielle en France.

Si la Françafrique persiste, c’est en grande partie en raison des intérêts économiques stratégiques de la France en Afrique. Le pétrole, notamment au Gabon et en Angola, ainsi que l’uranium au Niger, sont des ressources vitales pour l’industrie française. Jacques Foccart, le père de la Françafrique, avait déjà souligné l’importance de ces ressources pour la survie de la puissance française :

« Le pétrole, l’uranium, les matières premières, voilà les clés qui permettent à la France de maintenir son influence en Afrique. »

Des entreprises comme Areva (aujourd’hui Orano) ont longtemps maintenu des liens étroits avec les régimes autoritaires africains, en particulier au Niger, où l’exploitation de l’uranium est essentielle pour le programme nucléaire français. Le maintien de régimes favorables à ces intérêts stratégiques reste une priorité pour Paris.

Un système en mutation ?

Depuis plusieurs décennies, chaque président français, de François Hollande à Emmanuel Macron, a promis la fin de la Françafrique. Pourtant, les réseaux d’influence persistent. En 2019, Macron a annoncé vouloir « refonder » les relations franco-africaines, reconnaissant les crimes commis durant la colonisation, mais les faits sur le terrain révèlent une autre réalité.

L’historien Antoine Glaser, auteur de Arrogant comme un Français en Afrique, explique :

« La France n’a jamais vraiment accepté de renoncer à son influence en Afrique. Au-delà des discours officiels, des accords militaires et des liens économiques étroits se sont maintenus, notamment dans des secteurs stratégiques comme le pétrole et les télécommunications. »

Alors que les relations économiques et politiques se transforment avec l’arrivée de nouveaux acteurs, comme la Chine et la Russie, la France semble être en perte de vitesse sur le continent africain. Mais la Françafrique, sous des formes nouvelles, continue de survivre. Les valises de billets ne sont peut-être plus aussi fréquentes, mais les intérêts économiques demeurent, tout comme les alliances douteuses.

L’éternelle ombre de la Françafrique

TOPSHOT – French President Emmanuel Macron (L) meets with Gabon’s President Ali Bongo Ondimba (R) for a bilateral meeting at Presidential Palace in Libreville, on March 1, 2023. French President Emmanuel Macron arrived in Libreville on March 1, 2023, for a four-day tour of Central Africa, designed to usher in a new era in the relationship between France and the continent where anti-French resentment is growing. (Photo by LUDOVIC MARIN / AFP) (Photo by LUDOVIC MARIN/AFP via Getty Images)

Loin de disparaître, la Françafrique s’est réinventée. Elle persiste, nourrie par un système économique mondial qui privilégie l’exploitation des ressources africaines au détriment du développement local. Les présidents passent, les dictateurs aussi, mais le système reste. Dans les couloirs des palais africains comme à l’Élysée, l’ombre de la Françafrique continue de hanter les décisions politiques.

Le défi reste pour la France de réconcilier son passé colonial avec un futur fondé sur des partenariats égaux et transparents. Mais tant que les ressources africaines continueront d’alimenter l’économie française, cette page ne sera jamais vraiment tournée.

Notes et références

  1. Verschave, François-XavierFrançafrique : Le plus long scandale de la République, Stock, 1998.
  2. Bourgi, RobertMa vie en France-Afrique, Max Milo, 2017.
  3. Pesnot, PatrickLes Dessous de la Françafrique, Flammarion, 2014.
  4. Bat, Jean-PierreLe Syndrome Foccart : La politique française en Afrique, de 1959 à nos jours, Gallimard, 2012.
  5. Glaser, AntoineArrogant comme un Français en Afrique, Fayard, 2016.
  6. Gould, Stephen JayThe Mismeasure of Man, W.W. Norton & Company, 1981.
  7. Procès ElfLe Monde, 7 novembre 2003.
  8. UNESCOLa Route de l’Esclave, Rapport du Comité scientifique international, 2022.
  9. Glaser, AntoineAfricafrance : Quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu, Fayard, 2014.
  10. Tshiyembe, MwayilaL’État postcolonial en Afrique : Repenser la démocratie et la souveraineté à l’aune de la Françafrique, Karthala, 2010.
Charlotte Dikamona
Charlotte Dikamona
Amoureuse de la culture noire

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