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« L’ACCORD » FILME DES VIOLENCES SEXUELLES AU CAMEROUN

Cinéma

« L’ACCORD » FILME DES VIOLENCES SEXUELLES AU CAMEROUN

Par Dozilet Kpolo 17 mai 2022

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Sorti récémment en salles, « L’accord » portraie de jeunes camerounais pris dans un sordide affaire d’agression sexuelle.

« Alors donne-moi l’accord, du corps à corps. Pas besoin d’être timide, c’est que du sport. » démarre Dadju avant que Burna Boy n’entre, plus tard, en scène. Donner son accord, son consentement, Flora (superbement interprétée par Vanessa Ambassa), elle, ne l’a pas donné : elle a été droguée puis violée. L’attaque qu’elle a subie marque le début d’une enquête filmée du point d’arrivée vers le point de départ dans L’accord. Long-métrage poignant et efficace réalisé par le Camerounais Frank Thierry Léa Malle.

UNE FILLE QUI A SOUVENT L’ACCORD DE SES PARENTS

« L’ACCORD » FILME DES VIOLENCES SEXUELLES AU CAMEROUN
Flora sur les lieux du drame. ©️YouTube

Lorsque l’élève travailleuse quitte son bidonville pour aller à l’école où elle brille, Flora a la bénédiction de ses parents surtout son père (joué par Moussa Sindjah) qui est convaincue que : « La mère, c’est toi qui va nous sortir de là. [de cette misère, NDLR] »

Lorsque la seule fille d’une famille de trois enfants suit à la trace sa vendeuse de mère (campée par Thérèse Ngono), au milieu des étals de fruits et légumes et de négociations âpres, en regardant de temps en temps les messages de son crush, sa maman le lui reproche vertement. Sans doute parce qu’un malheur est si vite arrivé. Et c’est malheureusement le cas.

L’histoire d’amour avec Cédric (Jakin Touwole), qui avait mal commencé, prend une tournure dramatique lorsque Flora se fait abuser sexuellement sous l’effet de la drogue du violeur : le GHB. Des séquelles physiques et surtout émotionnelles l’empêchent de trouver dans un premier temps la mémoire avant que celle-ci ne lui revienne. Et pendant ce temps-là, une procureure tente de convaincre la maisonnée de porter plainte dans un système judiciaire corrompu et qui ne sourit qu’aux riches ! Finalement, le coupable n’est pas celui que tout accuse, celui qu’une mère arriviste (jouée par Reine Mpouadina) excuse malgré les graves accusations qui pèsent sur ses petites épaules frêles. Mais ça, c’est une autre histoire.

DES ACTEURS PLUS VRAIS QUE NATURES

« L’ACCORD » FILME DES VIOLENCES SEXUELLES AU CAMEROUN
Cris de détresse d’une mère. ©️YouTube

Le succès de ce drame social repose sur le qualité du jeu des acteurs.

Que ce soient les deux jeunes personnages principaux, Flora et Cédric, qui portent sur leur visage glabre les premières traces de succès à venir. Mais aussi sur les solides épaules des parents criblés de dettes et qui par conséquent sont tentés d’accepter un accord à l’amiable plutôt que de demander et surtout d’obtenir justice.

Si Moussa Sindjah déjoue les pronostics finaux dans une dernière scène qui laisse presqu’aussi perplexe que le chef d’œuvre Inception, « presque » étant le mot important, Thérèse Ngono, elle, domine de la tête et des épaules tous les autres. Le franc-parler et surtout l’humour noir de cette débrouillarde à jamais apporte à cette tragédie contemporaine de vrais moments sincères :

« Tu fais alors comment quand tu ne peux offrir à ton enfant ce dont elle a besoin ? »

UN RÉALISATEUR CAMEROUNAIS QUI MET À MALLE DES IDÉES REÇUES

« L’ACCORD » FILME DES VIOLENCES SEXUELLES AU CAMEROUN
C’est le cinéma que tu veux voir, molah ? ©️Tous droits réservés

« Mes amies disent que sortir avec un enfant de riche c’est une mauvaise idée. » avancera Flora en plein date avec son bien aimé.

Le problème mis en évidence dans ce film, Lauréat du prix mention Spéciale du jury au Festival du Film Africain de Louxor 2022, se situe ailleurs. Ni dans la pauvreté qui écrase/étouffe/étrangle Flora et les siens, ni dans le luxe ostentatoire de Cédric ; fils préféré d’une mère qui lui sert remontrances et billets neufs au petit déjeuner.

Non, le problème se situe dans une impunité économico-judiciaire qui gangrène plusieurs pays africains.

Interrogé par Jeune Afrique, le réalisateur de 35 ans explique :

« La jeune fille violée est l’allégorie d’une société violée, que l’on voudrait faire taire contre de l’argent. C’est de cela dont il est question avant tout, de dénoncer ces accords entre les riches et les pauvres, entre l’État et la population. Flora représente cette société pauvre dont les droits sont bafoués. »

Accord à l’amiable de 10 millions de francs CFA, soit 15 000 euros, omerta, mais aussi justice à deux vitesses, etc. Ce ne sont que quelques-uns des maux passés en revue. Ce viol se transforme en Me Too, mouvement de libéralisation de la parole des victimes d’agressions sexuelles né en octobre 2017 après les révélations de l’affaire Weinstein, à partir du moment où l’adolescente retrouve ses esprits.

Dans une ère où au moment de scandale sexuels, beaucoup d’internautes, pointent du doigt « la tenue » au lieu de se taire et continuer à scroller sur leur téléphone au calme, le second film de Frank Thierry Léa « met à malle » l’idée saugrenue selon laquelle « la femme serait responsable de ce qui lui arrive ». Non, Flora n’est coupable de rien ! Ce sont les amis de Cédric qui sont responsables. Tu vois dans leur groupe : on couche avec la copine d’un des siens et c’était autour de celle de Cédric.

Cette pratique, sorte de tontine sexuelle, existe ailleurs, en Côte d’Ivoire.

Au pays du buzz éclair, qui rendrait jaloux un célèbre personnage fictif, plusieurs affaires avaient fait grand bruit permettant notamment de comprendre cette pratique. Ainsi, des mêmes membres d’une groupe ont des relations sexuelles à tour de rôle.

Sorti le 29 avril dernier, ce film camerounais rappelle à quel point il est important d’entendre ailleurs que dans la bouche de Dadju : « Alors, donne-moi l’accord du corps à corps ».