La « Vénus Hottentote » : une vie sacrifiée « au nom de la science »
Histoire

Par Anne Rasatie 6 mars 2019
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Dans sa trop courte vie et même après sa mort, celle qui fut surnommée la « Vénus Hottentote » aura éprouvé le pire. Partit en 181o de son Cap-Oriental natal, sa dépouille ne sera restituée que 192 ans après, le 6 mars 2002. Grâce au combat acharné de son peuple, celle qui fut sacrifiée « au nom de la science et du progrès » repose désormais en paix.
Swatche ou la « Vénus Hottentote »

« Sawtche (dite Sarah Saartjie Baartman), étudiée comme Femme de race Bôchismann, Histoire Naturelle des Mammifères, tome II, Cuvier, Werner, de Lasteyrie. »
Saartjie Baartman, de son vrai nom Swatche, naît vers 1789. Elle grandit au sein du plus ancien peuple du Cap-Oriental (actuel Afrique du Sud), chez les Khoïkhoï et les Bochiman. Pour Swatche, l’esclavage est une réalité. Devenue orpheline très tôt, elle est asservie avec ses frères et sœurs par des fermiers Boers. Conformément aux pratiques coloniales néerlandaises, son baas (« patron »), l’Afrikaaner Peter Caesar, la dote d’un prénom biblique. Il l’appellera Saartjie, diminutif de Sarah.
La vie de Saartjie bascule en 1810. Dunlop, un chirurgien militaire britannique, la découvre lors d’une visite à la famille Caesar. C’est le corps de la jeune femme qui le fascine. En effet, Saartjie a une hypertrophie des hanches et des fesses (stéatopygie) et des organes génitaux protubérants (macronymphie). Cette spécificité anatomique est désignée sous le nom de « tablier Hottentote », du nom donné aux Khoïkhoï. Ce corps hors norme est la raison de son départ pour l’Europe.
A cette époque, le vieux continent s’adonne à une pratique jugée divertissante et éducative pour la population européenne. Il s’agit des zoos humains. 35 000 hommes, femmes et enfants, issus des colonies, sont exhibés tels des animaux entre le début du 19e siècle et la seconde Guerre Mondiale. Or, avec cette idée d’affaire lucrative en tête, le chirurgien britannique persuade les propriétaires de Saartjie de l’emmener en l’Angleterre.
Le départ pour l’Europe
Arrivée à Londres, Saartjie ne tarde pas à déchanter. Elle est exhibée de force dans une cage aux côtés de géants, nains, obèses, siamois et autres « phénomènes de foire ». Sur son estrade, elle doit jouer « la sauvage », parée de bijoux traditionnels et à peine vêtue d’un justaucorps moulant qui laisse apparaître son anatomie. On lui demande de danser de façon suggestive, de grogner même. C’est à cette occasion qu’est inventé le sobriquet moqueur de « Vénus Hottentote », qui deviendra son nom de scène.
Après quatre ans de tournées dégradantes, Saartjie Baartman perd l’espoir de rentrer chez elle. Un nouveau « patron » l’emmène à Paris où il fait payer pour la voir et plus pour la toucher. Elle devient l’objet sexuel des soirées mondaines et est contrainte à la prostitution. Anéantie et seule, Saartjie Baartman tombe dans la dépression et l’alcoolisme.
« La race curieuse »
En mars 1815, le professeur de zoologie Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, découvre sa présence. Il veut à tout prix examiner « les caractères de cette race curieuse ». Le 1er avril 1815, il publie un rapport dans lequel il compare le visage de Saartjie à « un commencement de museau encore plus considérable que celui de l’orang-outang ». Par ailleurs, « la prodigieuse taille de ses fesses » est comparée à celle des femelles des singes. Utilisée comme la preuve irréfutable d’une supposée « infériorité nègre », son existence disculpe la pratique de l’esclavage effective de l’époque. Pourtant, à 26 ans à peine, la jeune femme parle, en plus de sa langue maternelle, le hollandais, l’anglais et le français.
Saartjie est mesurée sous toutes les coutures devant une assemblée d’hommes qui l’assimile au chaînon manquant. Mais au grand désespoir d’un autre scientifique dénommé Georges Cuvier, elle ne consent pas à dévoiler son sexe, le fameux « tablier Hottentote ».
Dans la nuit du 29 décembre 1815, Saartjie Baartman meurt d’une pneumonie.
Une dépouille souillée au nom de la science
Georges Cuvier ne laissera pas de repos à au corps de Saartjie. Il parvient à obtenir l’autorisation de procéder à son autopsie. Après avoir moulé son corps pour en faire une statue de plâtre, arguant agir « au nom du progrès des connaissances humaines », il dissèque sa dépouille. En 1817, il expose le résultat de son travail dont voici la conclusion :
« Aujourd’hui que l’on distingue les races par le squelette de la tête, et que l’on possède tant de corps d’anciens Égyptiens momifiés, il est aisé de s’assurer que quel qu’ait pu être leur teint, ils appartenaient à la même race d’hommes que nous [càd Blancs ndlr] ; qu’ils avaient le crâne et le cerveau aussi volumineux ; qu’en un mot ils ne faisaient pas exception à cette loi cruelle qui semble avoir condamné à une éternelle infériorité les races à crâne déprimé et comprimé ».
Le combat de son peuple
Dès les années 1940, des demandes de restitutions émanent de l’Afrique du Sud. Mais c’est à la fin de l’apartheid que les Khoïkhoï font appel à Nelson Mandela pour offrir une digne sépulture.
Malgré la forte mobilisation sud-africaine, Nelson Mandela se heurte à un refus du monde scientifique français. « Au nom du patrimoine inaliénable de l’Etat et de la science », la Vénus Hottentote doit demeurer en France…Ce n’est que le 6 mars 2002, après que le président Jacques Chirac a fait voter une loi spéciale de restitution, que la France rend finalement la dépouille de Swatche à l’Afrique du Sud.
Le 3 mai 2002, l’ambassadrice Thuthukile Edy Skweyiya escorte la dépouille jusqu’au Cap où des centaines de sud-africains viennent lui rendre un dernier hommage. Le 9 août, Journée de la femme en Afrique du Sud, le peuple Khökhoï procède à une cérémonie rituelle dans son village natal. Swatche y sera inhumée en présence du président Thabo Mbeki, de plusieurs ministres et des siens. Ainsi, 192 ans après son départ pour l’Europe, Swatche peut enfin reposer en paix dans son pays natal.