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Quand W.E.B. DuBois s’adressait «Aux nations du monde»

Société

Quand W.E.B. DuBois s’adressait «Aux nations du monde»

Par Mathieu N'DIAYE 6 février 2019

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Nofi vous propose la retranscription du discours de clôture de W.E.B. Dubois, lors de la première Convention panafricaine à Londres en 1900.

Quand W.E.B. DuBois s’adressait «Aux nations du monde»

W.E.B. Dubois, fondateur de la NAACP, est sans conteste l’une des principale figure de défense des droits de l’homme et le plus important intellectuel de la communauté afro-américaine au XXe siècle. Cependant, ces développements sont à venir lorsque DuBois, 32 ans, a prononcé le discours de clôture de la première Convention panafricaine. Il a profité de l’occasion pour prononcer l’une de ses déclarations les plus citées : « Le problème du XXe siècle est celui de la ligne de couleur …« . Remarques de DuBois prononcées le 25 juillet 1900 sur le site de la convention, Westminster Hall à Londres :

« Au sein de la métropole du monde moderne, en cette année qui vient clore le dix-neuvième siècle, un congrès d’hommes et de femmes de sang africain s’est réuni
afin de délibérer solennellement sur la situation actuelle et à venir des races de couleur de l’humanité. Le problème du vingtième siècle est celui de la différenciation
des races, à savoir jusqu’où les différences de races — qui se manifestent surtout par la couleur de peau et la texture des cheveux — serviront d’argument pour refuser à plus de la moitié du monde, le droit de jouir, autant qu’elle le peut, des opportunités et des privilèges de la civilisation moderne.

Certes, conformément aux critères européens, les races de couleur sont aujourd’hui, culturellement, les moins avancées. Cependant, cela n’a pas toujours été le cas par le passé, l’histoire mondiale, à la fois ancienne et moderne, a indubitablement fourni plusieurs exemples de l’existence de talents et de capacités non négligeables parmi les races de couleur de l’humanité.

Quoi qu’il en soit, le monde moderne ne doit pas oublier qu’à l’époque où nous vivons, alors que notre planète se rétrécit de plus en plus, les millions d’hommes noirs en Afrique, en Amérique, et dans les Îles, sans parler des multitudes jaunes et brunes ailleurs encore, sont destinés à avoir une grande influence dans le monde à venir, de par leur nombre même ainsi qu’au travers des contacts physiques. Si le monde cultivé s’efforce de donner aux Noirs et aux autres hommes de couleur, de plus nombreuses et de plus grandes occasions permettant leur développement autonome et leur éducation, ce contact et cette influence seraient alors amenés à avoir un effet bénéfique sur le monde et à accélérer le progrès de l’homme.

Mais si, au contraire, en raison des négligences, des préjugés, de la cupidité et de l’injustice, le monde noir est exploité, violé et dégradé, les résultats en seraient déplorables, voire fatals, non seulement pour lui-même, mais au regard des idéaux élevés de justice, de liberté et de culture défendus durant des milliers d’années par la civilisation chrétienne.

C’est pourquoi, aujourd’hui, nous, les hommes et les femmes d’Afrique rassemblés dans ce congrès mondial, en appelons solennellement à ces idéaux de civilisation, à la plus haute humanité de ceux qui sont fidèles au prince de la paix :

Que le monde ne fasse pas marche arrière dans ce lent mais sûr chemin du progrès qui a tour à tour empêché l’esprit de classe, de caste, des privilèges, ou de la naissance, d’interdire à l’âme humaine en lutte, la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Que la couleur ou la race ne soient pas des critères de distinction entre les noirs et les blancs, sans tenir compte du mérite ou des capacités.

Que les indigènes d’Afrique ne soient pas sacrifiés sur l’autel de la cupidité, ne laissez pas leur liberté être bafouées, leur vie de famille débauchée, leurs justes aspirations réprimées, ne les laissez pas être privés des voies du progrès et de la culture.

Que, dans le futur, le masque de l’entreprise missionnaire chrétienne ne cache pas, comme il l’a si souvent fait par le passé, l’impitoyable exploitation économique et l’effondrement politique des nations les moins développées, dont la principale faute a été de croire en la foi sans issue de l’Eglise chrétienne.

Que la nation britannique, la première championne moderne de la Liberté du Noir, puisse hâter le couronnement de l’œuvre de Wilberforce, Clarkson, Buxton, Sharpe, de l’évêque Colenso et de Livingstone, et accorder, le plus rapidement possible, les  droits digne d’un gouvernement responsable aux colonies noires d’Afrique et des Indes Occidentales.

Que l’esprit de Garrison, Phillips et Douglas ne s’éteigne pas entièrement en Amérique ; puisse la conscience d’une grande nation s’élever et blâmer toute la malhonnêteté et l’injuste oppression envers les Noirs-Américains, et leur octroyer le droit de vote, la sécurité des personnes et la propriété, ainsi que la généreuse reconnaissance du formidable travail qu’ils ont accompli en une génération en faisant passer neuf millions d’êtres humains de la condition d’esclave à celle d’être humain.

Que l’empire allemand et la République française, fidèles à leur insigne passé, se souviennent que la véritable valeur des colonies réside dans leur prospérité et leur
progrès, et que la justice, impartiale, pour les noirs comme pour les blancs, est le premier élément de cette prospérité.
Que l’État Libre du Congo devienne un grand état noir occupant une place centrale dans le monde, et que sa prospérité ne se mesure pas seulement à sa richesse et à son commerce, mais aussi au bonheur et au véritable progrès de son peuple noir.

Que les nations du Monde respectent l’intégrité et l’indépendance des nouveaux États noirs d’Abyssinie, du Liberia, d’Haïti, et des autres, et que les habitants de ces
États, les tribus indépendantes d’Afrique, les nations, aient du courage, se battent sans cesse, et luttent vaillamment afin de prouver au monde leur droit incontestable à faire partie de la communauté des hommes. Ainsi, nous appelons, avec confiance et vigueur, les Grandes Puissances du monde civilisé, confiant en leur esprit ouvert d’humanité, et dans le sens profond de justice de notre époque, à reconnaître généreusement la vertu de notre cause.

Alexander Walters (Evêque), Président de l’Association Panafricaine

Henry B. Brown, Vice-président

H. Sylvester-Williams, Secrétaire général

W.E. Burghardt Du Bois, Président du Comité de l’Adresse

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Sources :

Alexander Walters, Ma vie et mon travail (New York: Fleming H. Revell, 1917) 257-260.