Surma, le groupe ethnique des femmes à plateau d’Ethiopie

Les Surma sont un groupe d’ethnies du sud de l’Ethiopie comprenant les Suri, les Mursi et les Me’en. Particulièrement par le biais de la photographie de voyage, ils sont connus en raison du port de plateaux labiaux par les femmes de ce groupe.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr

Le port du plateau labial en Afrique ailleurs que chez les Surma
Historiquement, le port de plateaux labiaux est attesté dans de nombreuses populations d’Afrique, dans des contextes sociaux différents et à des endroits différents de la bouche selon les groupes ethniques. Dans l’actuel Tchad, chez les populations sara, cette pratique concernait les femmes qui voyaient leurs deux lèvres percées pour y introduire des disques de bois.

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Femme sara et son enfant (actuel Tchad)

Chez les Makonde de Tanzanie, le port de plateau labial se faisait sur la lèvre supérieure des femmes.

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Femme makonde, Tanzanie

Alors que chez les Sara comme chez les Makonde, cette pratique a été largement  abandonnée, elle subsiste, avec quelques différences, chez les Surma d’Ethiopie.

Les Surma d’Ethiopie

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Homme mursi, Ethiopie
Photographe : Dietmar Temps

Les Surma sont un groupe d’ethnies du sud de l’Ethiopie. L’appellation Surma comprend des ethnies apparentées de près que sont les Suri, les Me’en et les Mursi.

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Jeune garçon d’ethnie suri, Ethiopie
Photographe : Dietmar Temps

Bien que ces trois ethnies soit culturellement très proches, les Me’en (également appelés Bodi) se distinguent des deux autres en ce qu’ils ne portent pas de plateaux labiaux. Certes, comme les Suri et les Mursi, les femmes me’en percent leurs lèvres d’un bâtonnet de bois. Toutefois, contrairement aux femmes d’autres ethnies surma, les femmes me’en n’élargissent pas leur lèvre inférieure à l’aide d’un disque. Elles ornent simplement le bâton de bois d’un cône en argile.

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Femme me’en
Par Eric Lafforgue pour Getty Images

Chez les femmes suri et mursi en revanche, le piercing effectué avec un bâtonnet de bois dans la lèvre inférieure est par la suite élargi par un disque en bois ou en argile. Il en résulte l’apparence  des femmes à plateau d’Ethiopie de plus en plus popularisée sur le net des femmes à plateau d’Ethiopie.

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Une femme suri
Photographe : Dietmar Temps

Les contextes du port du plateau labial chez les Mursi

Bien qu’ils soit très souvent représenté dans la photographie de voyage, le port du plateau labial chez les femmes mursi ne se produit que pendant une durée limitée de la vie des femmes de cette ethnie. Il débute à la période de la maturité sexuelle et prend fin après la naissance des premiers enfants. Après ces quelques années, le port du plateau labial est abandonné et le trou qu’il a créé forme progressivement une cicatrice.

Dans la période où il est porté, le plateau n’est porté par les femmes qu’en présence d’hommes. Lorsque les femmes sont entre elles, il est enlevé, laissant place à un trou béant dans la lèvre inférieure.

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Femme mursi sans son plateau labial par Patricia Ondina

La fonction

Suite à certaines interprétations faites par des populations extérieures à celles des Surma eux-mêmes, on avance souvent que le port du plateau labial tirerait son origine d’une pratique consistant à enlaidir leurs femmes, pour les empêcher d’être les victimes de razzias de la part d’esclavagistes musulmans. Si ce scénario a aussi été proposé pour expliquer la situation de populations faisant usage de modifications corporelles similaires comme les Sara du Tchad, il n’existe pas de preuves d’une telle origine de la pratique. De plus, de nos jours, chez les Mursi, le port du plateau labial est au contraire un signe d’appartenance au groupe ethnique mursi, à la catégorie d’âge associée à la fertilité, et à la catégorie des femmes. Comme on l’a dit, le port du plateau labial est obligatoire en présence d’hommes. Il ne s’agit donc pas pour les Mursi eux-mêmes, d’une pratique associée à la laideur, au contraire. Toutefois, le port est reconnu comme étant douloureux par plusieurs femmes mursi.

L’avenir?

Les populations du sud de la Vallée de l’Omo sont souvent citées parmi les dernières populations à préserver leur style de vie et leurs coutumes de la mondialisation. Paradoxalement, le tourisme occidental très intéressé à ce qu’il considère souvent comme une sorte d’exotisme y contribue d’une certaine manière. Par ce biais comme par l’attachement des Surma à leurs coutumes, la pratique du port du plateau labial pourrait perdurer là où des coutumes similaires chez d’autres Africains comme les Sara ou les Makonde l’ont abandonné. Longtemps ridiculisé en Occident et ailleurs pour son caractère jugé inesthétique, le plateau labial des Surma pourrait nous réserver des surprises dans le domaine des tendances, toujours plus inattendues, des modifications corporelles. Peu d’entre nous pensaient assister à la généralisation du port de piercings d’oreille sous la forme de disques larges.

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Il s’agit de manière intéressante d’une pratique connue depuis fort longtemps chez les Surma.

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Jeune fille suri, Ethiopie
Photographe : Dietmar Temps

Qu’est-ce qui empêcherait donc les Surma d’influencer une nouvelle fois le monde des modifications corporelles? Le monde occidental accorde une grande importance aux lèvres, notamment comme outil de socialisation et comme objet érotique, véhicule du baiser. De même, l’incapacité des porteurs du plateau labial à prononcer des sons fondamentaux comme [b] ou |p] devrait constituer un frein à la généralisation de son port.

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Une scène de Black Panther (2018) de Ryan Coogler

 

Le film phénomène Black Panther, que le port du plateau labial Surma ont déjà clairement inspiré, montre toutefois qu’une nouvelle influence d’une culture africaine de ce type sur les cultures underground du monde n’est pas à exclure.

Pour en savoir plus
Jean-Baptiste Eczet / Les belles idées de la défigurée : à propos du plateau labial des Mursi (Ethiopie)

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