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LE POUVOIR DU LANGAGE , OU COMMENT DEFINIR LA REALITE PAR LA LANGUE ?

Culture

LE POUVOIR DU LANGAGE , OU COMMENT DEFINIR LA REALITE PAR LA LANGUE ?

Par SK 15 octobre 2014

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Le langage désigne l’ensemble de codes utilisés par une communauté pour communiquer.

Par SEK,

Qu’il soit verbal, écrit, ou signalétique, il englobe, une histoire, un héritage et un but commun à ceux qui le parlent. Ainsi, il est structuré par un vécu et l’aspiration à un destin commun ; en cela il découpe la réalité du monde par le prisme de ceux qui la maîtrisent. En cela, le langage a cet aspect paradoxal qu’il est à la fois subjectif, car divergent d’un lieu à l’autre ; et objectif car entendu par la communauté.
Par ailleurs, il est à la fois riche en symboles et en idées, mais pauvre car limité dans l’expression des sentiments.
Néanmoins, le langage est avant tout et surtout une arme politique pour l’instrumentalisation des consciences, et donc un outil  diplomatique de taille. Sémantiquement et politiquement, il sera question ici d’aborder les sens du langage et ce qu’il représente pour le sort des peuples

                         LA SIGNIFICATION DE LA PAROLE

Tout d’abord, il convient de savoir quelle valeur est accordée à la parole, et comment le langage oral est perçu au sein des sociétés.

Dans la langue française, les phrases performatives sont l’affirmation d’un acte par la parole. Elles ont la même valeur qu’un acte et les prononcer scelle un engagement, l’exemple le plus éloquent est celui du mariage où les deux parties doivent prononcer le « oui » qui les unit aux yeux de la communauté. La modernité exigeant de conserver des contrats écrits finalise l’union par une signature formelle, mais une fois le mot prononcé l’accord est passé. Ces phrases sont le seul modèle où la parole s’allie directement à l’acte et est donc posée comme tel.

A l’image des phrases performatives, la parole, en Afrique a une valeur effective. Parler équivaut à faire et c’est pourquoi on doit en user avec précaution et que tout le monde ne peut pas parler à tort et à travers. Aussi, l’idée de liberté comme on la conçoit actuellement en Europe, ne saurait s’adapter au vieux continent car émettre l’idée d’un projet équivaut à en poser la première pierre, le socle.

 

     

                                        USAGE SEMANTIQUE

Les mots découpent la réalité des choses pour qui les comprend de la même façon. Tout objet ou émotion est couverte dans sa réalité sociale, spirituelle et imaginaire. Aussi, selon ce qu’un arbre peut représenter et la place qu’il occupe dans la société (son importance) il aura un nom précis et tous s’accorderont pour l’associer à l’image de l’arbre ; chaque usager envisage sa propre réalité.

Néanmoins, bien que riche symboliquement, le langage, au sens de  l’expression, demeure quelque chose de pauvre et c’est pourquoi la vérité d’une chose se trouve dans le fait de ne pas pouvoir l’évoquer. Car un seul et même signe peut servir à exprimer une multitude de choses et c’est là que la culture prend bien sûr toute son importance : il n’y a qu’au sein d’un milieu où tous les humains se comprennent et voient les choses de la même façon, que la nuance peut être perçue. En lingala par exemple, le mot « lobi » signifie à la fois « hier » et « demain».

Il n’y a ici aucune différenciation de sens palpable et la différence dépend du contexte, ce qui rend difficile le placement dans le temps, sauf pour ceux qui s’expriment dans cette langue.

On peut trouver la même difficulté dans la langue française. Avec le verbe « aimer » par exemple :

-J’aime la fraise/J’aime ma mère

L’intensité est presque inexistante et ne correspond qu’à l’idée qu’on a de la mère. Car,  ostensiblement, on n’aime pas sa mère comme on aime les fraises !

Aussi,  est-il réellement possible d’exprimer un sentiment, de le découper et de le matérialiser pour en rendre compte. Assurément, cette déclaration ne peut en rien être fidèle au véritable sentiment, et ne peut non plus traduire le désir ou la satisfaction :

-J’aime les fraises, correspondrait plutôt au désir de savourer une glace et à la satisfaction apportée par cette pensée et procurée par la réalisation du fantasme.

Pourtant, les usagers d’une langue en saisissent suffisamment les nuances pour communiquer entre eux et se comprendre plus ou moins. Souvent, la nuance s’exprime par l’intonation ou le geste, artifices linguistiques permettant d’accentuer la représentation d’une idée.

Ces symboles sont complexes et répondent à la réalité de l’histoire unissant les peuples qui la partagent, il est donc difficile de comprendre une langue, d’en saisir l’essence, si l’on ignore tout de l’histoire de laquelle elle découle.

Cependant, toute construction linguistique centralise d’emblée les mêmes codes : la destruction (la mort), la conservation et la reproduction. Et toute grammaire découle de ces trois éléments auxquels sont confrontées toutes les nations du monde.

 

USAGE POLITIQUE

Le langage est donc en constante mutation car il doit au fur et à mesure, inclure des éléments qui s’ajoutent par la présence d’étrangers sur le territoire (la colonisation), l’industrialisation ou les nouveaux comportements sociaux.

 

En effet, s’exprimer dans une langue c’est réfléchir dans cette langue, rêver dans cette langue et donc voir le monde à travers une association d’idée pré-dictée. Ainsi, les peuples africains ont été amenés à définir des choses qui, initialement, ne faisaient pas partie de leur univers. Il est donc intéressant de constater que les mots utilisés dans ces langues aujourd’hui viennent de la perception des autochtones au moment de la confrontation :

Par exemple, lorsque les explorateurs (colons) arrivèrent en Afrique, les noirs eurent l’occasion de se retrouver face à un étranger, d’une autre couleur, avec d’autres codes. Initialement, la première rencontre ne leur fit visiblement pas bonne impression, ou du moins pas très claire :

*Dans le langage liturgique des cultes kongo de Cuba, le terme « Mundele», signifie originellement « ennemi ». En Afrique il est employé pour désigner l‘ « homme blanc ».

*Le mot  « Aklamenu »  signifie en Fon « ce qui est à l’intérieur du beignet ». L’intérieur du beignet étant blanc, il a servi à désigner l’homme blanc.

France et Angleterre se livrent une guerre aussi historique qu’insidieuse : celle du monopole linguistique et  ce n’est pas par hasard que les deux puissances luttent pour conquérir, du moins conserver, la plus large sphère linguistique. La colonisation avait clairement pour but d’amener les populations autochtones à adhérer, plutôt de force que de gré, à la vision européenne du monde, des relations des hommes entre eux et de l’idéal pour lequel ils avaient tous à se battre.  Ainsi, toutes les perceptions originales ont été faussées, détournées ou supprimées, pour qu’une autre version soit peu à peu assimilée par les indigènes.

Dans la religion, par exemple, les français sont arrivés en Afrique avec un christianisme nécessairement en opposition avec les pratiques traditionnelles africaines. Comme il fallait que les populations adhèrent obligatoirement à ce modèle, leurs croyances ont été tournées en dérision et associées à ce qui est mauvais :

*Le mot « Bokonon » désigne traditionnellement le devin pratiquant le système de divination Ifa au Bénin. Aujourd’hui, il est systématiquement traduit par « charlatan »,  en raison de l’opinion négative des colons français vis-à-vis de la pratique de cette activité.

*Le mot « Legba » désignait à l’origine un personnage messager des autres divinités, intermédiaire  entre  leur  monde et celui des humains. Souvent représenté avec des cornes et en érection, son nom et son personnage furent réinterprétés et ré-enseignés aux Fons comme étant la figure du diable. Le nom  Legba sert aujourd’hui couramment à exprimer, au sens propre et figuré, le nom du diable.

*Le mot « Okue », en mbochi (Congo-Brazzaville), désigne traditionnellement « un mort puissant », « un revenant ». Les missionnaires l’ont traduit et ré-enseigné comme désignant un démon. Il est intéressant de noter que l’équivalent sémantique du mot mbochi en égyptien ancien « khw », fut aussi traduit lors de la christianisation de l’Egypte pharaonique avec la même signification.

 

Le choix des mots, à cause de l’idée dont ils sont empreints est donc purement politique dans cette configuration, ce qui peut mener à plusieurs réflexions. Car on remarque que dans les langues africaines, il n’existe pas de mot propre pour définir l’idéal de « démocratie » les puissances occidentales forcent l’Afrique à adhérer. Cela signifie que cette idée n’existe pas dans l’imaginaire commun africain, en tout cas pas telle qu’elle est proposée, et pourrait notamment explique pourquoi ce modèle est un échec sur le continent. Prenant en considération  l’idée de société que tentaient de mettre en pratique ces peuples ; la « démocratie » n’a aucun sens, ce qui rend nul les tentatives de matérialisation de cette pensée.

Par ailleurs, tout ce qui structurait l’organisation sociale et spirituelle des noirs a été détruit, et depuis, ces derniers tâtonnent pour s’y conformer, mais est-ce vraiment le mode qui convient à l’Afrique et aux africains ?  Etant donné que ces efforts contraints, n’avaient pour seul but que la domination de quelques pays sur tous les autres, et que force est de constater que cet avilissement fut plus affaiblissant qu’enrichissant ;  peut-être que la poursuite dans cette voie n’est qu’illusoire et empêche l’émancipation des peuples noirs par un retour à leur identité première.

Ladite identité (nécessairement basée sur la langue originelle de ces populations) pose l’évidence du lien entre culture et langage et montre comment la langue est instrumentalisée pour détruire et dominer.

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