La guerre du Cameroun : une décolonisation dans le sang, longtemps passée sous silence

Alors que l’on commémore les indépendances africaines, un nom reste étrangement absent des récits officiels : celui de la guerre du Cameroun. Entre 1955 et 1971, une guérilla féroce a opposé les nationalistes de l’UPC aux forces françaises et à leurs alliés locaux. Arrestations massives, tortures, villages rasés, zones interdites : ce conflit, souvent qualifié de « guerre invisible », fut l’un des plus brutaux de la période post-coloniale. Voici son histoire, entre mémoire étouffée et vérité historique.

La guerre que la France a voulu effacer : comprendre la guerre du Cameroun (1955–1971)

La guerre du Cameroun : une décolonisation dans le sang, longtemps passée sous silence

« Cette nuit-là, ils ont encerclé le village en silence. Pas un chien n’a aboyé. Les fusils se sont mis à parler avant même que le coq ne chante. Moi, j’ai survécu parce que j’étais caché sous le plancher, avec mon petit frère. Mais quand je suis sorti… le village n’existait plus. »— Témoignage d’André B., ancien maquisard de l’UPC, recueilli à Bafoussam en 2009.

Il est des guerres qui ne portent pas de nom. Des conflits qui n’ont jamais été déclarés, ni reconnus, ni même enseignés. Des affrontements aussi sanglants qu’effacés. La guerre du Cameroun en fait partie. Entre 1955 et 1971, une guérilla impitoyable a opposé l’Union des Populations du Cameroun (UPC), mouvement indépendantiste panafricain, à l’administration coloniale française d’abord, puis au pouvoir camerounais soutenu par Paris. Pendant près de deux décennies, la France a mené, dans l’ombre, l’une de ses plus longues guerres coloniales… sans jamais lui donner ce nom.

On parle ici de villages rasés à coups de napalm. De zones entières classées « interdites », bouclées et bombardées. De milliers de prisonniers politiques exécutés sans procès. De leaders nationalistes empoisonnés, fusillés, ou enterrés anonymement dans les forêts d’Afrique équatoriale. Une guerre dans laquelle les archives officielles ont longtemps été verrouillées, les témoins bâillonnés, les survivants réduits au silence.

Dans les manuels scolaires français comme camerounais, cette période reste floue, reléguée à quelques lignes, quelques formules vagues. On parle de « troubles », de « rébellion », de « pacification ». Rarement de guerre. Jamais d’occupation. Presque jamais de responsabilité.

Pourtant, cette guerre a été le théâtre d’un affrontement fondamental entre deux visions du monde : d’un côté, celle d’un empire en déclin, s’accrochant à ses anciennes colonies en s’alliant à des élites locales dociles. De l’autre, celle d’hommes et de femmes qui rêvaient d’une indépendance réelle, populaire, radicale ; une indépendance qui ne se négocie pas, mais qui se conquiert.

Comprendre la guerre du Cameroun, c’est donc bien plus qu’un travail d’historien : c’est un acte de mémoire, de justice, de réparation. C’est déconstruire le mythe d’une décolonisation “paisible” en Afrique francophone. C’est remettre au centre du récit celles et ceux que l’histoire officielle a volontairement effacés.

Colonialisme, UPC et soif d’indépendance (1922–1955)

La guerre du Cameroun : une décolonisation dans le sang, longtemps passée sous silence

Pour comprendre la guerre du Cameroun, il faut remonter au cœur d’un mensonge historique : celui d’un pays qui n’aurait jamais été une colonie comme les autres. En 1919, après la défaite allemande lors de la Première Guerre mondiale, le territoire camerounais est confié à la France et au Royaume-Uni sous forme de mandats de la Société des Nations1. Une tutelle censée préparer les populations à l’autonomie, mais qui, dans les faits, reproduit et durcit les logiques de domination coloniale.

Sous mandat français, le Cameroun devient un laboratoire colonial moderne : grands travaux, cultures d’exportation, monopoles commerciaux… et exploitation systémique des ressources comme des corps. Le Code de l’indigénat y est appliqué avec brutalité. Travaux forcés, impôts écrasants, déplacements massifs de populations et ségrégation raciale marquent la vie quotidienne. À cela s’ajoute une violence symbolique : la négation de toute capacité politique ou intellectuelle des Africains.

Mais les temps changent. En 1945, la Seconde Guerre mondiale a ébranlé l’arrogance impériale. Des soldats africains ont combattu et parfois versé leur sang pour la France libre. Les indépendances indiennes (1947), les mouvements nationalistes en Afrique du Nord, la création de l’ONU… tout pousse à croire qu’un vent nouveau souffle sur les empires.

C’est dans ce contexte que naît en 1948 l’Union des Populations du Cameroun (UPC). Menée par une génération éduquée, militante et panafricaniste (Ruben Um Nyobè, Félix Moumié, Ernest Ouandié, Marthe Moumié, Ossendé Afana) l’UPC refuse les demi-mesures. Ses mots d’ordre sont clairs : indépendance immédiate, réunification des Cameroun oriental et occidental, souveraineté populaire, lutte contre la corruption coloniale.

L’UPC ne se contente pas de discours. Elle crée des écoles, des cliniques, organise des manifestations pacifiques, structure des coopératives. Surtout, elle touche les masses rurales comme urbaines. En quelques années, elle devient le principal vecteur d’espoir d’une indépendance réelle, au grand dam des autorités coloniales françaises qui y voient une menace “subversive”.

Dès 1953, l’étau se resserre. Les militants sont surveillés, les meetings interdits, les journaux censurés. En mai 1955, sous prétexte de “troubles à l’ordre public”, l’UPC est dissoute par décret du gouvernement français. Ses leaders entrent en clandestinité. Les maquis commencent à s’organiser. La guerre est en germe. Et c’est la France qui, la première, a préféré la répression à la négociation, la force à la démocratie.

1955 : la guerre éclate, mais on ne la nomme pas

La guerre du Cameroun : une décolonisation dans le sang, longtemps passée sous silence

Le 25 mai 1955, un décret tombe à Paris : l’Union des Populations du Cameroun (UPC) est dissoute. En quelques mots, l’État colonial raye de la carte le principal mouvement indépendantiste camerounais. Pour les autorités françaises, l’UPC n’est plus un parti politique : c’est désormais une “organisation subversive”, à neutraliser.

Le feu couvait. Il explose. Dans les jours qui suivent, des soulèvements éclatent à Douala, puis à Nkongsamba, Edea, Yaoundé. Les manifestants brandissent des pancartes : “Non à l’asservissement !”“Indépendance immédiate !”. Des commissariats sont pris pour cible, des bâtiments incendiés. La répression est immédiate : les forces coloniales ouvrent le feu à balles réelles2.

Mais les insurgés sont déterminés. Dans les régions Bassa et Bamiléké, les militants entrent en clandestinité. Des cellules se forment dans les forêts, les collines, les quartiers populaires. C’est le début d’une guérilla que l’État français refuse de nommer. Car appeler ce conflit une “guerre”, ce serait reconnaître que le Cameroun est un pays occupé et que ses habitants sont en droit de se libérer.

Alors, on ment. À Paris, on parle de “troubles sporadiques”. Les ministres minimisent. Les journaux français, muselés, évoquent une “poussée de banditisme”. Dans les coulisses, pourtant, l’État-major colonial met en place une logistique militaire massive : renforts de troupes, aviation, blindés, contre-insurrection. La guerre est là, mais dans le secret.

Des villages entiers sont encerclés, bombardés, brûlés. Les femmes, les enfants, les vieillards ne sont pas épargnés. À Nkondjock, à Boumnyébel, à Bafang, les soldats rasent les hameaux, violent, torturent, exécutent. Le napalm est utilisé. Des camps d’internement sont installés dans les savanes du Nord. On supprime sans témoin.

Le langage administratif devient un écran de fumée : les morts sont des “éléments hostiles neutralisés”. Les maquisards, des “hors-la-loi”. Les villages bombardés ? “Des repaires terroristes.”

À l’époque, les termes « maintien de l’ordre », « pacification », « opérations de nettoyage » camouflent des crimes de guerre.

Mais le peuple camerounais, lui, comprend ce qui se joue. Ce n’est plus seulement une lutte pour l’indépendance : c’est une guerre de libération, menée contre un empire qui veut sauver ses derniers bastions à tout prix.

Une guerre secrète : espionnage, torture, contre-insurrection

La guerre du Cameroun : une décolonisation dans le sang, longtemps passée sous silence

La guerre du Cameroun ne se mène pas seulement dans les forêts ou les villages. Elle se joue aussi dans l’ombre, dans les sous-sols des casernes, dans les cellules insonorisées, dans les plis opaques des télégrammes codés. En l’absence de reconnaissance officielle, la France organise une guerre parallèle, sans témoin ni limite : une guerre de l’ombre.

Dès 1957, les services secrets français prennent la main. Le SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage) installe un réseau d’agents à Douala, Yaoundé, Nkongsamba. On infiltre les syndicats, les églises, les villages. Les militants de l’UPC sont pistés, fichés, piégés, parfois éliminés. La dénonciation devient arme politique. La peur, un moyen de contrôle.

L’armée française applique une doctrine testée en Indochine puis perfectionnée en Algérie : la guerre contre-insurrectionnelle3. Une guerre qui ne vise pas seulement les combattants, mais l’environnement social tout entier : paysans, femmes, intellectuels, griots, enseignants, commerçants. L’UPC est à abattre jusque dans les esprits.

« Un bon maquisard est un maquisard mort, et son silence est plus utile que ses cris. »– Extrait d’un rapport militaire français classifié, 1959.

Dans les casernes de Yaoundé, Bafoussam ou Douala, les témoignages évoquent l’indicible : prisonniers électrocutés, pendus par les pieds, forcés à creuser leur propre tombe, femmes violées en public pour briser le moral des maquis. Des Français présents sur place, comme le médecin militaire Pierre Messmer ou le commandant Aussarresses, n’ont jamais été inquiétés. Au contraire, certains de ces officiers poursuivront ensuite de brillantes carrières politiques.

Pour masquer les bavures, on déplace les populations, on construit des “villages stratégiques” pour couper l’UPC de son soutien. C’est une logique de quadrillage, de contrôle psychologique, d’asphyxie sociale.

Et surtout, tout est nié. La France, pays des droits de l’homme, n’a jamais reconnu avoir torturé au Cameroun. Aucune commission officielle. Aucun procès. Aucune indemnisation.

Mais les traces sont là. Dans les rares archives déclassifiées. Dans les témoignages de survivants. Et dans les paysages : certaines zones rurales sont encore appelées “les terres rouges”, tant le sang y a coulé, mêlé à la latérite.

L’assassinat d’Um Nyobè : quand un homme devient une cible d’État

Il marchait pieds nus, portait une bible et un carnet de notes. Il parlait le bassa avec les paysans, le français avec les missionnaires, l’anglais avec les délégués de l’ONU. Ruben Um Nyobè, le “Mpodol” (« celui qui porte la parole ») fut bien plus qu’un leader politique : il fut la voix d’un Cameroun libre, panafricain et digne.

En exil intérieur depuis 1955, traqué depuis la dissolution de l’UPC, Um Nyobè n’a jamais levé une arme. Il croyait à la force de la parole, à la résistance intellectuelle, au pouvoir de la mobilisation populaire. Entre 1952 et 1955, il adresse plusieurs mémoires à l’ONU, dénonçant les exactions françaises, le déni démocratique et les violences coloniales au Cameroun. À New York, ses mots claquent :

« La colonisation est une entreprise de pillage, de haine et d’humiliation. »

Ces discours inquiètent. Irritent. Et surtout, éveillent la solidarité internationale. Pour la France, c’est un affront. Pour ses autorités coloniales, c’est une menace. Dans les rapports secrets de la gendarmerie française, Um Nyobè devient l’élément à neutraliser par tous moyens.

Le 13 septembre 1958, dans les forêts de Boumnyébel, il est localisé. L’armée française encercle son groupe, ouvre le feu. Um Nyobè meurt criblé de balles, sans procès, sans mandat, sans témoin. Son corps est laissé sans sépulture pendant plusieurs jours, interdit d’enterrement religieux ou public.

“Enterrez-le comme un chien.”— Ordre donné par un officier français, selon un témoignage local.

Mais les mots du Mpodol ne sont pas morts. Bien au contraire. Dans les villages, on continue de murmurer ses discours, de transmettre ses écrits. L’assassinat d’Um Nyobè marque un tournant dans la guerre : il révèle que la France, censée accompagner les peuples vers la liberté, préfère abattre les leaders plutôt que dialoguer.

Et surtout, ce crime d’État ne sera jamais reconnu4. Jusqu’à ce jour, l’assassinat de Ruben Um Nyobè n’a fait l’objet d’aucune enquête judiciaire. Ni en France, ni au Cameroun.

Bamiléké : la population cible d’une “guerre sale”

La guerre du Cameroun : une décolonisation dans le sang, longtemps passée sous silence

Si l’on devait cartographier l’horreur de la guerre du Cameroun, le pays bamiléké serait taché de sang. De Bafoussam à Dschang, de Bangangté à Mbouda, les collines résonnent encore du fracas des balles, des cris des suppliciés, des silences des charniers. C’est là que la guerre fut la plus féroce. Et la plus dissimulée.

À partir de 1959, la guérilla upéciste se réorganise dans l’Ouest. Mais très vite, la répression française prend une tournure ethnique. Les populations bamiléké, suspectées de soutenir les maquisards, deviennent des cibles collectives. L’armée coloniale, puis l’armée camerounaise post-indépendance, appliquent une logique d’épuration ethno-politique5.

Des villages entiers sont encerclés, puis incendiés. Les habitants (femmes, enfants, vieillards) sont rassemblés, puis fusillés. On jette les corps dans les puits, les fosses, les ravins.

  • À Bayangam, on parle de plus de 400 morts en une nuit.
  • À Bamendjou, le village est rasé après des jours de torture collective.
  • À Bandjoun, des écoliers sont raflés, puis portés disparus.

On parle de guerre. En réalité, c’est un massacre.

Un massacre couvert par le silence, entretenu par la terreur. Car les survivants savent : parler, c’est risquer sa vie.Dans les années 1960, même après l’indépendance, la chasse aux “rebelles” continue. Les autorités camerounaises, alliées à la France, poursuivent l’extermination, avec l’aide de mercenaires corses, de commandos français, de supplétifs locaux.

La population bamiléké paie un double prix : ethnique et politique. Être Bamiléké, c’est être potentiellement “upéciste”, donc “subversif”. Être upéciste, c’est être considéré comme un ennemi de l’État. Cercle mortel.

Un génocide à mots couverts ?

Le mot “génocide” n’a jamais été employé par les institutions françaises. Mais plusieurs chercheurs, dont Mongo Beti ou Thomas Deltombe, évoquent une entreprise de destruction ciblée. Les chiffres sont flous, car les archives ont été enfouies, détruites, censurées. Pourtant, des rapports confidentiels de l’armée française de l’époque parlent de “pacification par terreur”, de “zones à neutraliser”, de “concentration forcée des populations”.

Les “villages de regroupement” deviennent des camps de contrôle. On affame, on isole, on brise les liens sociaux. Des maladies se répandent. Le tissu ancestral bamiléké est méthodiquement désagrégé.

L’indépendance sous tutelle : Ahidjo, Paris et la traque des résistants (1960–1971)

Le 1er janvier 1960, le Cameroun accède à l’indépendance. Mais les fusils ne se taisent pas. Ils changent simplement de main. Car à peine la souveraineté proclamée, un nouveau pouvoir se met en place, avec l’aval de Paris : celui d’Ahmadou Ahidjo. Officiellement, le pays est libre. En vérité, il entre dans l’ère de la “françafrique sécuritaire.”

Musulman peulh du Nord, ancien fonctionnaire loyal de l’administration coloniale, Ahidjo a été modelé par les cadres français. Il rassure : il ne remet pas en cause les accords économiques, ni la présence militaire. En échange, Paris lui laisse les coudées franches pour pacifier le pays… à sa manière6.

Dès 1960, il fait adopter une Constitution autoritaire, puis interdit tous les partis politiques d’opposition. L’UPC, encore en résistance armée, est classée “terroriste”. Le pouvoir concentre tous les moyens dans la traque des maquisards.

Entre 1960 et 1971, les maquis sont pourchassés comme s’ils étaient des ennemis étrangers. Des villages entiers sont encerclés, les maquisards torturés, exécutés sommairement, exposés sur les places publiques comme avertissements.

Les figures de la résistance tombent les unes après les autres :

  • Félix-Roland Moumié, empoisonné au polonium à Genève en 1960 par un agent français.
  • Ernest Ouandié, capturé, jugé sommairement et fusillé publiquement à Bafoussam en 1971.
  • Abel Kingué, arrêté et torturé à mort à Yaoundé.
  • Ndongmo, évêque de Nkongsamba, soupçonné de sympathie upéciste, exilé au Vatican.

Le nouveau pouvoir, pourtant “africain”, poursuit la même logique coloniale : écraser, dissimuler, réécrire.

La France n’est pas spectatrice : elle continue de former les militaires camerounais, fournit armes, conseillers, budgets. Les officiers français, comme le colonel Jean Lamberton, participent directement aux opérations. On parle désormais de “l’indépendance sous surveillance.”

En 1961, la signature des “accords de coopération” entre Paris et Yaoundé scelle la vassalisation officielle : contrôle des ressources, encadrement militaire, appui diplomatique… et silence sur les crimes passés.

Dans les manuels scolaires, Um Nyobè est rayé. L’UPC est diabolisée. Aucun monument ne célèbre les résistants morts pour la vraie indépendance. Les enfants camerounais grandissent dans une mémoire amputée, où les vrais héros sont présentés comme des ennemis.

L’État camerounais devient le gardien local d’une paix coloniale travestie. Les mots « guerre d’indépendance » restent absents du vocabulaire officiel jusqu’à aujourd’hui.

Mémoire confisquée, vérité en marche

La guerre du Cameroun : une décolonisation dans le sang, longtemps passée sous silence

Il n’y a pas de monument pour les morts de la guerre du Cameroun.
Pas de date nationale de commémoration.
Pas de pardon.
Et longtemps, pas de mots.

De 1955 à 1971, une guerre coloniale a ravagé un pays, brisé des familles, et abattu ses plus brillants leaders. Mais cette guerre fut dénommée “troubles”, “opérations de maintien de l’ordre”, “luttes tribales”… Tout, sauf ce qu’elle était : une guerre d’indépendance féroce, anticoloniale, afrocentrée et méthodiquement étouffée7.

Pendant des décennies, les survivants ont été réduits au silence.
Les archives ont été classées, les historiens menacés, les témoins ignorés.

Pourtant, la vérité n’a pas disparu. Elle vit dans les récits oraux, dans les chants funéraires bamiléké, dans les silences pesants des aînés, dans les villages aux maisons noircies, dans les tombes anonymes. Et aujourd’hui, elle remonte à la surface.

Grâce au travail d’historiens, de journalistes, d’artistes, de familles de disparus, la mémoire de cette guerre sort peu à peu de l’oubli. Des documentaires émergent. Des livres sont publiés. Des militants réclament justice. Le voile se déchire.

Et ce dévoilement ne concerne pas que le Cameroun. Il interroge la France sur sa part d’ombre coloniale, sur la réalité de sa “mission civilisatrice”, sur l’héritage toxique de la Françafrique. Il interroge aussi l’Afrique elle-même : ses élites post-indépendance, ses silences, ses responsabilités dans la transmission de la mémoire.

Reconnaître cette guerre, c’est réparer l’histoire.
C’est donner un nom aux morts.
C’est nommer les bourreaux.
C’est rappeler que l’indépendance ne s’est pas donnée : elle s’est arrachée.

Et que ceux qui l’ont arrachée méritent plus que le silence.

Sources et références – Pour aller plus loin

Notes

  1. Un mandat est un territoire confié à une puissance coloniale par la Société des Nations (SDN) après 1919, avec pour mission d’accompagner son développement vers l’autonomie. Dans les faits, ces territoires sont gérés comme des colonies classiques, sans obligation réelle de rendre des comptes. Le Cameroun français reste ainsi un territoire dominé, sans statut d’égalité, jusqu’à son indépendance proclamée en 1960. ↩︎
  2. En 1957, la France dispose de plus de 15 000 hommes sur le terrain camerounais. Les documents déclassifiés révèlent l’usage de bombardiers T-6 Texan, de grenades au phosphore, de lance-flammes, et d’agents de contre-insurrection formés en Algérie. Le napalm, utilisé au Vietnam, est testé dans les forêts camerounaises pour débusquer les maquisards. ↩︎
  3. Avant l’Algérie, le Cameroun a été un terrain d’expérimentation pour l’armée française. Entre 1955 et 1960, les opérations de “maintien de l’ordre” incluent :
    – des interrogatoires sous la torture ;
    – la création de zones interdites avec couvre-feu total ;
    – l’utilisation de fausses lettres et de radio-maquis pour semer la confusion ;
    – le recrutement de mercenaires et milices camerounaises retournées contre leur propre population.
    Ce modèle sera ensuite appliqué en Algérie… puis exporté au Chili, au Vietnam, et ailleurs ↩︎
  4. – Le rapport d’autopsie d’Um Nyobè n’a jamais été publié.
    – Les témoins affirment qu’il a été atteint de plus de 15 balles.
    – Le lieu de sa mort, Boumnyébel, est aujourd’hui considéré comme un site de mémoire, mais aucun monument officiel français ne le reconnaît.
    – Les archives militaires françaises relatives à l’opération du 13 septembre 1958 sont toujours classées. ↩︎
  5. Avant 1955, la région bamiléké affichait une croissance démographique forte, avec des taux d’alphabétisation et de scolarisation élevés. Entre 1956 et 1971, plusieurs zones enregistrent des baisses soudaines et inexpliquées de population, selon les recensements coloniaux. En 2005, une mission parlementaire française évoque pour la première fois, sans suite judiciaire, des “zones d’exactions massives.” Aujourd’hui encore, aucune reconnaissance officielle de ces crimes de masse n’a été actée ni par la France, ni par l’État camerounais. ↩︎
  6. – Le général De Gaulle qualifiait Ahidjo de “modèle de stabilité pour l’Afrique”.
    – La DGSE (ex-SDECE) a conservé une cellule “Afrique centrale” chargée d’informer et de conseiller les autorités camerounaises jusqu’à la fin des années 1980.
    – Aucun des responsables français impliqués dans la répression entre 1955 et 1971 n’a été poursuivi.
    – La France a reconnu des “violences”, mais jamais une guerre, encore moins des crimes d’État. ↩︎
  7. – Plusieurs charniers non officiels ont été identifiés par des géologues et anthropologues dans l’Ouest Cameroun, mais non fouillés.
    – Les archives militaires françaises restent en grande partie inaccessibles.
    – Des études ADN pourraient permettre d’identifier certains résistants exécutés.
    – Un travail de vérité partagée franco-camerounais est toujours en attente. ↩︎
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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