Quelques jours après son arrivée à Accra en 1964, Malcolm X écrit une lettre saisissante appelant à l’unité politique et culturelle entre l’Afrique et sa diaspora. Ce texte, peu connu, révèle la dimension panafricaine de son combat, bien au-delà des frontières américaines.
Malcolm X, messager entre deux mondes

Le 19 mai 2025 marque le centenaire de la naissance de Malcolm X, figure emblématique du combat afro-américain et du panafricanisme moderne. À cette occasion, NOFI vous fait (re)découvrir une lettre historique écrite par Malcolm X depuis Accra, capitale du Ghana, dans laquelle il lance un appel puissant à l’unité entre l’Afrique et sa diaspora.
En 1964, juste après son pèlerinage à La Mecque, Malcolm X entreprend un second voyage en Afrique. Cette tournée diplomatique et idéologique l’amène en Égypte, Éthiopie, Tanganyika (actuelle Tanzanie), Nigeria, Ghana, Guinée, Soudan, Sénégal, Liberia, Algérie et Maroc.
Il y représente sa nouvelle organisation : l’OUAA (Organisation de l’Unité Afro-Américaine), avec pour ambition de connecter les luttes des Noirs américains aux luttes des peuples africains pour l’émancipation post-coloniale.
Quelques jours après son arrivée à Accra, Malcolm X rédige une lettre poignante dans laquelle il dénonce le double discours des puissances occidentales et insiste sur l’importance de l’unité stratégique entre Africains du continent et Afrodescendants du monde entier.
Voici, traduite par Nofi la lettre que Malcolm X :
« Je suis arrivé à Accra hier depuis Lagos, au Nigeria. La beauté naturelle et la richesse du Nigeria et de son peuple sont indescriptibles. Il y a plein d’Américains et d’autres Blancs qui sont bien conscients de ses ressources naturelles inexploitées. Les mêmes blancs, qui crachent aux visages des Noirs en Amérique et jettent leurs chiens policiers sur nous afin de nous empêcher de nous « intégrer » à eux, sont vus à travers l’Afrique, s’inclinant, souriant et grimaçant avec effort pour « s’intégrer » aux Africains – ils veulent « s’intégrer » à la richesse et à la beauté de l’Afrique. C’est ironique.
Ce continent a une fertilité si grande et le sol est si abondamment végétal qu’avec les méthodes agricoles modernes, il pourrait facilement devenir le «grenier» du monde.
J’ai parlé à l’université d’Ibadan au Nigeria, vendredi soir, et j’ai donné la vraie image de notre situation en Amérique, et de la nécessité des nations africaines indépendantes de nous aider à porter notre cas aux Nations Unies. La réception des étudiants fut formidable. Ils m’ont fait membre honoraire de la «Société des étudiants musulmans du Nigéria» et m’ont rebaptisée «Omowale», ce qui signifie «l’enfant est rentré à la maison» en langue Yorouba.
Le peuple nigérian est fortement préoccupé par les problèmes de ses frères africains en Amérique, mais les agences d’information américaines en Afrique donnent l’impression que des progrès sont faits et que le problème est résolu. Lors d’une étude approfondie, on peut facilement voir un dessein gigantesque pour éviter que les Africains ici et les Afro-Américains ne se réunissent. Un officiel africain m’a dit:
« Quand on combine le nombre de peuples d’ascendance africaine en Amérique du Sud, en Amérique centrale et en Amérique du Nord, on en compte bien plus de 80 millions. On comprend facilement les tentatives pour empêcher les Africains de s’unir avec les Afro- Américains« .
L’unité entre les Africains d’Occident et les Africains de la terre-mère changera le cours de l’histoire.
Étant désormais au Ghana, la source du panafricanisme, les derniers jours de ma tournée devraient être intensément intéressants et instructifs.
Tout comme le Juif Américain est en harmonie (politique, économique et culturel) avec les juifs du monde, il est temps pour tous les Afro-Américains de devenir une partie intégrante du Panafricanisme mondial, et alors même que nous pourrions physiquement rester en Amérique tout en combattant pour les avantages que la Constitution nous garantit, nous devons «retourner» en Afrique philosophiquement et culturellement et développer une unité de travail dans le cadre du panafricanisme. »
L’Afrique, pilier d’un projet d’unité globale
Lors de ce voyage, Malcolm X ne se contente pas d’observer. Il discute avec des chefs d’État comme Kwame Nkrumah (Ghana), Gamal Abdel Nasser (Égypte) ou Ahmed Ben Bella (Algérie). Tous voient en lui un acteur clé de la diplomatie panafricaine, et certains lui proposent même des fonctions officielles.
Au Nigéria, il reçoit le surnom yoruba “Omowale”, qui signifie “l’enfant est rentré à la maison” ; un moment fort qu’il décrira comme l’un des plus émouvants de sa vie.
En juillet 1964, Malcolm X assiste au 2e sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), au Caire. Il y prend la parole pour dénoncer les violences raciales aux États-Unis et pour demander aux pays africains d’intervenir diplomatiquement auprès de l’ONU.
Ce positionnement courageux fait de lui le premier leader afro-américain à proposer une stratégie internationale contre le racisme structurel américain.
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Sources
- The Diary of Malcolm X: El-Hajj Malik El-Shabazz 1964, édité par Herb Boyd & Ilyasah Shabazz, Third World Press, 2013
- Malcolm X Speaks, George Breitman (ed.), Grove Press, 1965
- The Autobiography of Malcolm X, as told to Alex Haley, 1965
- Malcolm X: A Life of Reinvention, Manning Marable, Penguin Books, 2011