Neïba

African Queens : Njinga – Analyse critique et danger de l’américanisation de l’histoire africaine

Streaming

African Queens : Njinga – Analyse critique et danger de l’américanisation de l’histoire africaine

Par Bruce MATES 16 avril 2023

Pour ne rien manquer de l'actualité,
téléchargez l'application depuis ce lien
Recevez du contenu exclusif, de l'actualité, des codes promos Nofi Store ainsi que notre actualité évenementielle chaque week-end !

Le 7 février 2023 est sortie une série documentaire nommée African Queens : Njinga sur la plateforme Netflix. Produite par Jada Pinkett Smith (dont elle en est la voix off), il s’agit d’une docu-fiction de 4 épisodes sur Ana Njinga Mbandi, reine du Ndongo et du Matamba situés dans l’Angola actuel.

Profitant de l’impact culturel de Black Panther sur l’industrie audiovisuelle et plus récemment du précédent créé par le film Woman King (sorti en salles le 16 septembre aux États-Unis et le 22 septembre en France), l’histoire de l’Afrique est mise sur le devant de la scène de la pop culture mondialisée. Néanmoins, il est nécessaire que les Africains soient vigilants et associés aux productions culturelles situées dans leur imaginaire. Au risque d’être dépossédés de leurs patrimoines et du récit de leurs histoires. Voici quelques points d’analyse critique sur la docufiction.

Le format

« African Queens : Njinga » se présente comme un docufiction historique, c’est-à-dire que les scènes jouées par les acteurs illustrent le contexte (environnement physique, situation sociologique), les personnages historiques, leurs relations ainsi que les événements rattachés à leurs actions. Il est agrémenté de commentaires de spécialistes (historiens, anthropologues, acteurs et actrices du monde culturel), permettant d’apporter des précisions et de créditer un minimum de scientificité.

African Queens : Njinga
Kasanje – Netflix © 2023

Ce qui différencie une docu-fiction historique d’une série historique, qui reste une œuvre fictive inspirée de la réalité. La série est constituée de 4 épisodes d’environ 45 minutes. Le contexte historique et géographique est posé de manière correcte et succincte en présentant le Ndongo et l’Angola.

La scénarisation se base sur les personnages, permettant au spectateur de s’insérer dans l’histoire et de suivre cette dernière à l’échelle humaine. Ce qui facilite l’immersion dans l’histoire.

Néanmoins, le format de 4 épisodes déséquilibre le récit de Njinga. La conséquence de l’alliance avec les Imbangala/Jaga/Yaka Kassanje ainsi que les batailles militaires ne sont pas détaillées mais juste évoquées. Or ce sont ces batailles mêmes qui nourrissent la légende de Njinga. Le manque de consistance crée une sensation de superficialité. Tout au long de la série, via les analyses et commentaires des experts, il est répété à quel point Njinga fait preuve d’habileté politique et de stratégie militaire. Si la répétition convainc, il est dommageable que cela n’ait pas été mis en scène.

African Queens : Njinga et son décor

Les décors sont réussis, l’immersion du spectateur est totale. Les cartes illustrant la région sont de très bonne facture. Pour l’œil averti, des détails montrent la vision étasunienne de l’Afrique, celle d’une Afrique dont l’imaginaire visuel est grosso modo identique. Les maisons évoquent plus une architecture de l’Afrique de l’Ouest que celle de l’Afrique centrale occidentale.

African Queens : Njinga
African Queens: Njinga. Njinga (ADESUWA ONI) Cr. Joe Alblas/Netflix © 2023

Des motifs kuba apparaissent dans le palais royal, ce qui est fortement improbable. Si l’exercice de représenter l’imaginaire visuel d’une culture africaine particulière (Mbundu en l’occurrence) peut être un défi, cela n’est ni impossible ni accessoire. Tout comme les cultures visuelles japonaises, coréennes et chinoises sont subtilement différentes, les cultures visuelles africaines sont multiples et variées malgré les échanges. Et chaque fois que l’Afrique est portée à l’écran, cela devrait être perceptible.

Les faits manquants et pourtant euphémisés

Tout au long de la série, Njinga ne cesse de répéter que son combat est d’être reconnue comme la souveraine légitime de Ndongo contre les Portugais, basés à Saint Paul de Luanda. Néanmoins, il n’est jamais explicité que cette dernière lutte contre son cousin, Ngola Hari Filipe, reconnu comme souverain de Ndongo par les Portugais. Ngola Hari Filipe n’est pas qu’un simple pantin, une marionnette ; il est un piètre stratège politique et militaire.

Malgré tout, il reste l’ennemi principal de Njinga, celui qui rend possible la mainmise portugaise (et donc de Saint Paul de Luanda) sur Ndongo. Or ni son nom ni son existence ne sont évoqués dans la série. Il est probable qu’il fut évincé afin de nourrir une vision chromatique et raciale binaire, opposant les Portugais Blancs aux Mbundu négro-africains, même si les Imbangala/Jagas perturbent cette grille de lecture. En tous cas, cette omission illustre l’un des grands manquements de cette série.

L’autre manquement majeur, dans African Queens : Njinga, est le royaume Kongo. Certes il est évoqué mais très peu, 3 fois en tout et pour tout. Or les relations entre Kongo et Ndongo sont primordiales pour comprendre l’histoire de cette région et de la création de l’Angola comme colonie. Plus grave encore, car Njinga a mené des alliances militaires importantes avec deux ntotilas (souverains kongo) : Garcia II Nkanga A Lukeni et Antonio 1er Vita Nkanga.

African Queens : Njinga
Garcia II Nkanga a Lukeni, le ntotila (roi Kongo), figure majeure et absente de la série

L’alliance avec Garcia II Nkanga A Lukeni est celle faite avec les Hollandais de la WIC, entre 1642 et 1648. Cette période, traitée dans le 4ème et dernier épisode, n’est illustrée que par deux scènes : celles où Njinga apprend la nouvelle de la prise de Luanda par les Hollandais et celle où elle les accueille. Il s’agit là d’une période riche en événements et en rebondissements où l’histoire de la région est connectée avec la guerre de 30 ans en Europe.

Le danger d’une américanisation de l’histoire africaine

Le public visé par African Queens : Njinga semble clairement être les Afro-Américains, un sentiment de déjà vu avec Black is King de Beyoncé. Il y a une volonté de décrire et d’illustrer certes Njinga de manière crédible et la convocation d’historiens de renom le démontre. Néanmoins, cette docu-fiction illustre les limites.