Connaissez-vous le « Palenquero », ce créole à base lexicale espagnole ?

Focus sur le Palenquero, un créole peu connu parlé dans le village colombien de Palenque de San Basilio. Une langue symbolisant la résistance des Nèg’ Marrons de Colombie.

Le Palenquero est est un créole originale qui démontre la créativité des afro-descendants. En effet, ce dernier est l’unique créole à base lexicale espagnole d’Amérique latine. Ses locuteurs, sont peu nombreux, on en dénombrerait que quelques milliers. Le Palenquero se parle en Colombie, essentiellement dans le village de San Basilio de Palenque. Voici  dans quel contexte est né cette langue étonnante.

Faisons un saut de plusieurs siècles en arrière. Au 16eme siècle, dans ce qui deviendra plus tard la Colombie, les Espagnols introduisirent des africains déportés et asservis en Amérique du Sud dans la vallée de la rivière Magdalena [1]. L’embouchure de ce cours d’eau se trouve à proximité du port de Carthagène des Indes [2] où, sans cesse les navires remplis à craquer d’africains affluaient.

Plutôt que l’asservissement, de nombreux africains optèrent pour la résistance. Ils furent beaucoup à s’échapper des plantations afin de bâtir leur propre communauté, où ils pourraient vivre en accord avec leur culture africaine. C’est ainsi que naquit le Palenque de San Basilio, non loin de Carthagène. Ces Cimarrones [3] se lancèrent par la suite dans une véritable lutte de libération de leur frères et sœurs asservis et fraîchement débarqués. Ils s’acquittèrent de cette tâche avec succès.

Cimarron luttant pour sa liberté
Cimarron luttant pour sa liberté

Quarante-sept ans avant que les Marrons de Jamaïque ne contraignent la puissance coloniale britannique à signer un traité de paix, les Cimaronnes du Palenque de San Basilio, à force de courage, de dignité et de combativité obligèrent la Couronne espagnole à publier un décret royal garantissant la liberté aux résistants africains. Ces fiers combattants de la liberté furent les premiers Africains libres des Amériques.

Cette victoire ne fut possible que grâce à la vision d’un homme charismatique, Benkos Biohó. Né dans ce qui est l’actuelle République Démocratique du Congo (pour d’autres  en Angola), on prétend que Benkos était roi. Il fut capturé par Pedro Gomez Reynel, un trafiquant d’esclaves et vendu à un certain Juan Palacios, un autre négrier notoire. Il fut déporté dans ce qui est maintenant la Colombie et vendu de nouveau à un certain Alonso del Campo en 1596.

Biohó s’échappa à plusieurs reprises. La première fois, ce fut lorsque le navire sur lequel il se trouvait sombra dans les eaux de la rivière Magdalena. Il fut rapidement (re)capturé. Cependant, Benkos Biohó ne se déclara pas vaincu pour autant. En 1599 il prit de nouveau la poudre d’escampette pour rejoindre les terres marécageuses au Sud-Est de Carthagène. Avec 10 compagnons l’ancien roi fonda le fameux Palenque de San Basilio dont nous parlions quelques paragraphes plus haut.

Fin tacticien et rompu à l’art de la guerre, il organisa une armée si puissante qu’elle domina sans peine la région des Montes de Maria [4]. Comme le dira des siècle plus le Général américain Glenn Kay Otis :

« Le combattant qui l’emporte est celui qui gagne la campagne de l’information. »

C’est dans cette logique que Benkos, qui s’était fait connaître sous le nom de Roi d’Arcabuco,  mis sur pied un efficace réseau de renseignement qui lui permit d’orchestrer de nombreux  raids afin de libérer toujours plus d’esclaves et les guider en territoire Cimarron. Malheureusement et comme ce fut le cas à de nombreuses reprises dans l’histoire des résistances Noires, il fut trahi et pendu par le gouverneur de Carthagène en 1621.

Statue en l'hommage de Benkos
Statue en l’hommage de Benkos

C’est donc grâce à cet emblématique chef de guerre que les Cimarrones purent défier le système plantocratique espagnol et initier la souveraineté des siens.

Le décor étant désormais posé, revenons au Palenquero. Il est considéré comme le seul créole mêlant langue africaine et espagnole encore parlé sur Terre. Contrairement à beaucoup de créoles, sa grammaire est si africanisée que les hispanophones ne comprennent pas un traître mot de cette langue du nouveau monde.

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Il semblerait que le Kikongo soit la langue africaine qui ait le plus influencé le Palenquero. Afin de protéger ce bijou culturel, un linguiste né à San Basilio a eut l’idée de compiler un lexique et d’en faire un dictionnaire. Malgré tout, la lutte continue afin de sauvegarder cette langue originale et la maintenir vivace. Notons que depuis 2005, le Palenque de San Basilio est devenu un chef-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité par l’UNESCO.

Notes et références :

[1] La vallée de la rivière Magdalena en Colombie se situe dans les montagnes colombiennes des Andes.

[2] Carthagène des Indes est une ville portuaire située sur la côte Nord du pays, au bord de la des Antilles. Elle fut elle fut un bastion du Royaume d’Espagne dans le Nouveau Monde.

[3] cimarrón vient du Taino Simarran signifiant sauvage (entendu comme l’inverse de domestique. Calmez vous…) ce terme fut utilisé par la suite pour désigner les africains qui s’échappaient des plantations.

[4] Les Montes de María sont un groupe de petites montagnes près de la côte Nord de la Colombie.

Article du Times traitant du sujet.

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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