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La reine Njinga où l’art de l’opportunisme

Histoire

La reine Njinga où l’art de l’opportunisme

Par Sandro CAPO CHICHI 6 septembre 2017

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La reine Njinga de Ndongo et Matamba est l’un des plus extraordinaires personnages de l’histoire de l’Afrique. Son incroyable résistance à la colonisation portugaise est largement due à sa capacité à métamorphoser son identité au fil des circonstances pour protéger ses intérêts et ceux de son pays.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr

Dans nombre de sociétés contemporaines, le changement personnel et public de position idéologique est souvent condamné. Parallèlement, on assiste à l’élévation au rang de saints et de personnalités clés de religions, des personnages étant morts pour défendre, sans aucune concession, le droit à leur foi. De manière similaire, les personnages historiques les plus adulés sont souvent présentés, après leur mort, comme des ‘saints’ sans aucun défaut.

La raison est peut être la suivante. La duplicité et l’opportunisme sont indispensables dans la guerre et ceux qui ne l’ont pas compris finissent, bien que célébrés pour leur bravoure, morts sans avoir atteint leur but. Ceux qui l’ont atteint ont généralement le temps de réécrire leur histoire après avoir accédé au pouvoir. Ou alors, des populations modernes à la recherche d’icônes du passé se les réapproprient en en faisant des icônes blanches comme neige, mettant volontairement de côté des événements contradictoires à leur cause.

Bref, l’adaptation, l’opportunisme et la fluidité de l’identité sont des caractéristiques fondamentales dans la réussite d’objectifs malgré ce que les normes morales de nos sociétés peuvent laisser penser.

Un exemple particulièrement édifiant de cette situation est celui de la reine Njinga de Ndongo et Matamba, qui n’aurait jamais pu résister comme elle l’a fait sans son incroyable opportunisme dont on va voir quelques exemples plus bas.

1. En 1622, Njinga est envoyée par son frère-et rival pour le trône de Ndongo- Ngola Mbande négocier la paix avec les Portugais. A cette occasion, elle propose d’elle-même aux Portugais, notamment en Afrique à des fins d’évangélisation, d’être baptisée. Elle adopte auprès d’eux le nom portugais Ana de Sousa. Après son retour de l’ambassade, les Portugais exigent de Ngola Mbande qu’il se baptise. Njinga, qui s’était vraisemblablement baptisée pour impressionner les Portugais profite désormais de cette demande pour discréditer son frère auprès du peuple mbundu, mettant en avant le fait qu’elle n’aurait jamais accepté une ‘telle humiliation’ si elle avait été au pouvoir.

La reine Njinga

La reine Njinga en mission diplomatique auprès des Portugais à Luanda en 1622

2. Après la mort de son frère en 1624, Njinga devient reine et parvient à entraîner une révolte majeure des Mbundu contre la colonisation et l’esclavage portugais. En 1626, les Portugais répliquent en lançant une guerre totale contre Njinga. Lors du conflit qui tournait en sa défaveur, l’épisode qui semble avoir permis à Njinga de s’échapper grâce à ses soldats fut son utilisation des reliques de son frère. Abandonnant son ressentiment à l’endroit de son frère qu’elle avait probablement assassiné et ce qu’impliquait son baptême préalable, elle justifie sa fuite par les propos d’un prêtre traditionnel prétendant avoir communiqué avec l’esprit de Ngola Mbande. Ce dernier aurait ordonné à sa soeur de fuir, lui déclarant que le souverain de Ndongo se devait de fuir plutôt que de devenir esclave des Portugais. Par cette habile manoeuvre, Njinga transforma ce qui pourrait sembler à première vue comme un acte de couardise en une action ordonnée par les ancêtres indispensable pour préserver l’intégrité du royaume et de ses sujets.

3. En 1631, Njinga s’était réfugiée depuis plusieurs années en territoire imbangala, un groupe de guerriers féroces redoutés dans toute la région. En se faisant accepter par cette population, elle comprit qu’elle pourrait revenir à la tête d’une puissance militaire majeure et repartir à la reconquête de son royaume perdu. Elle changea à nouveau d’identité,  observa des rituels imbangala et afin de se faire reconnaître comme souverain(e) à part entière, va inventer une nouvelle idéologie. Elle va ordonner à ses sujets de lui parler qu’à un homme, s’entourer de concubins qu’elle habillera comme des femmes et dont elle ordonnera qu’on les considère comme des femmes. Grâce à sa nouvelle identité, Njinga gagnera une autorité chez ses sujets imbangala qui lui permettra de redevenir une puissance majeure dans la région. C’est dans cette dynamique qu’elle conquerra le royaume de Matamba et des territoires autrefois sous la possession des Portugais.

4. En 1647, après l’invasion du Luanda portugais par les Néerlandais, la reine Njinga s’allie avec ces derniers. Sa lutte contre les Portugais avait été initialement été motivée contre leur trafic d’esclaves qu’elle combattit sans relâche. Elle accepta à présent de collaborer de manière régulière à ce trafic pour maintenir son alliance avec les Néerlandais, le temps de chasser les Portugais de la région.

5. Après la reprise de Luanda par les Portugais au détriment des Néerlandais, la reine Njinga chercha une autre manière de conserver son royaume. Elle eut recours à la diplomatie, cherchant notamment à obtenir la reconnaissance de son état par le Vatican en se convertissant. Lorsqu’on lui proposa en 1656 de retrouver sa soeur en exil depuis plusieurs années, elle accepta de faire de son royaume un royaume chrétien. Elle tint sa parole jusqu’à sa mort en 1663, construisant des églises, se dévouant à sa nouvelle religion, détruisant les objets de culte des religions traditionnelles et punissant ses pratiquants rebelles. Cette nouvelle identité catholique, pensait-elle, garantirait grâce au soutien du Vatican, la survie de son royaume dirigé par sa soeur Barbara.

En conclusion

Le nombre de métamorphoses que la reine Njinga a subi pour maintenir sa souveraineté et l’indépendance de son état montre l’importance de ne pas s’enfermer dans des positions idéologiques prédéfinies lorsqu’il s’agit de mener des objectifs à long terme.  Que loin d’être simplement  ‘gentils’ ou ‘méchants’, ‘résistants’ ou ‘collabos’, les personnages de notre histoire méritent d’être analysés dans toute leur complexité afin de mieux appréhender les difficultés de notre monde auquel ils ont été confrontés avant nous.

Référence

Linda M. Heywood / Njinga of Angola

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