Subsiste-t-il un espoir de réhabilitation pour les enfants-soldats ? « L’oeil du cyclone », de Sékou Traoré, porte à l’écran la problématique délicate des enfants-soldats en Afrique. Sublimé par le jeu de Maïmouna Ndiaye et Fargass Assandé, il a reçu l’étalon d’or du Fespaco 2015. En salles françaises le 22 novembre 2017.
Hemma Tou est une jeune et vaillante avocate. Fille d’un notable du pays, elle se retrouve au coeur d’une intrigue politico-judiciaire des plus délicates. En effet, Hemma se voit confier la défense d’un criminel de guerre, lieutenant du Front de Libération et responsable de la mort de milliers de personnes, de pillages de viols et autres exactions. Embourbée dans une guerre civile depuis des décennies, la population réclame vengeance et veut voir ce rebelle soumis à la peine capitale à savoir, l’exécution par pendaison. Un criminel a-t-il également droit à une défense ? La question est posée dès le début du film car, même lorsque les passions prennent le dessus sur la raison, les idéaux transcendants d’humanité et de justice doivent demeurer inaliénables. Maître Tou refuse d’abord cette affaire, par crainte, sur la demande de ses parents et par conscience. Pourtant, c’est cette même conscience qui va finalement la pousser à accomplir sa mission d’avocat, de défenseur de la loi et des humains. Une fois l’affaire acceptée, presque par inadvertance, l’intrigue démarre alors, divisant les protagonistes entre horreur, folie, empathie et réalité. Parce que dans ce contexte, tous sont en fait des captifs, pris en otage par différentes forces en puissance.
Prises en otages
Le criminel de guerre c’est le lieutenant Blackshouam Mvilla, alias Hitler Mussolini. Un homme enrôlé dans le fameux Front de libération à l’âge de huit ans, après le meurtre de ses parents. Cet assassin d’âge mûr a donc passée la plus grande partie de sa vie à tuer, manipulé par des seigneurs de guerre prétextant un idéal, une noble lutte contre le pouvoir en place. Hitler Mussolini est prisonnier d’une situation qui va au-delà de ce qu’il est capable d’imaginer, pris en otage par la cupidité et les velléités de pouvoir d’un petit groupe de compatriotes. Formé pour le combat, Mvilla n’ a aucun désir d’amnistie et fait peu cas du système car là d’où il vient, la justice est relative et chacun la rend comme bon lui semble. Hemma Tou au départ intimidée, est prise en tenaille entre son désir de voir un procès équitable et, au fur et à mesure qu’elle apprend à le connaître, un espoir de rédemption de cet être humain qui s’était abandonné jusqu’alors à ses instincts les plus vils. Par ailleurs, Hemma Tou est aussi prise en otage par la position que lui octroie sa naissance. Car être la fille de monsieur Tou fait d’elle une femme privilégiée, fortunée et dont on attend qu’elle se range du côté de l’opinion. Pourtant, dans ce jeu d’influence autour du contrôle des mines de diamants, les gentils et les méchants se confondent souvent et la guerre profite toujours aux puissants. Enfin, la prison est aussi et surtout le sort de plusieurs générations d’enfants-soldats, assassins en herbe enrôlés de force et propriétés de leurs mentors sanguinaires. Ces petits qui deviennent des hommes dans la folie, sont ensuite laissés à l’abandon. Quand le conflit prend fin ou lorsque les forces s’inversent, ils n’ont aucune option de réhabilitation et les gouvernements ne prévoient aucune prise en charge psychiatrique. Ils demeurent de véritables dangers pour la stabilité de leurs pays mais aussi de tout le continent africain. C’est là le thème principal du film qui pose la question de l’avenir des ces robots-tueurs. Une intrigue qui se joue donc sur plusieurs niveaux de captivité entre politique, corruption et humanité.
Un casting juste pour une œuvre réaliste et d’utilité publique
Le personnage d’Hema Tou est interprété avec brio par Maïmouna Ndiaye. La comédienne d’origine sénégalo-nigériane grandit en Guinée Conakry avant de revenir en France, où elle est née, pour les études. C’est à cette époque qu’elles se retrouve sur une scène de théâtre, juste pour essayer. La jeune femme tombe amoureuse de la comédie et se forme finalement pour obtenir son diplôme d’études théâtrales supérieures. Après avoir incarné sur les planches le rôle de Hema Tou dans la pièce de théâtre « L’oeil du cyclone » du dramaturge espagnol Luis Marquès en 2003, elle intègre sa compagnie ivoirienne Ymako Teatri, qui la mène au pays des éléphants. Maïmouna Ndiaye réalise des documentaires et joue dans des séries télévisées ouest africaines entre le Bénin, le Mali et la Côte d’Ivoire notamment. Dans cette adaptation cinématographique, elle crève l’écran dans son rôle de femme de convictions, forte et courageuse qui se bat finalement contre tout un système. Elle a d’ailleurs remporté le prix Fespaco 2015 de la meilleure interprétation féminine. Maïmouna Ndiaye partage l’affiche avec le comédien ivoirien Fargass Assandé, devenu également metteur en scène en 1985 lorsqu’il fonde le N’Zassa théâtre avec Wassa Casimir et Acho Weyer. Au cinéma, il a incarné des rôles dans des films tels que « M’appelle Birahima », d’après « Allah n’est pas obligé » d’Amadou Kourouma ou « Caramel » d’Henri Duparc. Dans « L’oeil du cyclone », il campe le personnage tortueux et complexe d’Hitler Mussolini, l’enfant-soldat devenu lieutenant de milice. Un rôle pour lequel il a lui aussi reçu le prix Fespaco 2015 de la meilleure interprétation masculine. Avec Maïmouna Ndiaye, il forme un duo poignant et antinomique où la justice épouse le crime. Ce film puisant, dont l’intrigue se déroule en Afrique et pourrait peindre la situation de trop nombreux pays africains, est l’oeuvre du réalisateur et scénariste burkinabé Sékou Traoré. Partisan d’un cinéma militant qui dit la réalité même la plus crue, Touré avait fondé la société de production Sahélis en 1992 avec Issa Traoré et Dani Kouyaté. En 2014, il a réalisé « L’oeil du cyclone », le premier film qui interroge sur le cas de la possible réhabilitation ou non des enfants-soldats en Afrique, Etalon d’or du Fespaco 2015. Une problématique taboue et actuelle dont peu de gens se préoccupent dans un monde où vendeurs d’armes et politiciens deviennent des marchands de drames humains. A découvrir de toute urgence dans les salles de cinéma françaises le 22 novembre 2017.
http://nofi.fr/2017/07/habiba-toure-avocate-laurent-gbagbo/41061