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Le Nsibidi, un système d’écriture ouest-africain aux racines millénaires

Culture

Le Nsibidi, un système d’écriture ouest-africain aux racines millénaires

Par Sandro CAPO CHICHI 4 novembre 2016

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Le Nsibidi est un système d’écriture répandu au sud-est du Nigéria.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr

Le débat opposant les partisans de la présence de grandes civilisations en Afrique Noire à ses négateurs prend souvent la forme suivante. Tout d’abord, le négateur occidental présente  ‘sa’ civilisation comme un modèle auquel tout autre culture doit se conformer pour pouvoir prétendre à ce statut. Dans ce dialogue biaisé où le négateur donne la cadence (et qui se retrouve aussi dans d’autres domaines comme, celui des critères de beauté), le défenseur des civilisations noires se démène ensuite pour trouver des exemples contredisant le propos du négateur.

Les Noirs sont des abrutis, ils n'ont jamais eu de grandes civilisations...

Les Noirs sont des abrutis. En effet, ils n’ont jamais eu de grande civilisation.

Et l'Egypte et l'Ethiopie, ce sont pas des grandes civilisations ducon?

Et l’Ethiopie, c’est pas une grande civilisation alors ducon?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Noirs sont des abrutis, ils n'ont jamais eu de grandes civilisations...

Certes, mais ce ne sont pas des vrais Noirs, ce sont des ‘Caucasoïdes’

Et l'Egypte et l'Ethiopie, ce sont pas des grandes civilisations ducon?

Et Napata et Méroé et , ce sont pas des grandes civilisations alors dugland?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Noirs sont des abrutis, ils n'ont jamais eu de grandes civilisations...

Laissez moi rire. En effet, il va de soi que ce ne sont que de pâles copies de la civilisation égyptienne blanche. Et que celle-ci a été introduite chez eux par les Pharaons caucasoïdes. Il va bien évidemment de soi que ces négrilles ne seraient rien s’ils n’avaient pas reçu leur architecture monumentale de la part de la race blanche égyptienne.

Et l'Egypte et l'Ethiopie, ce sont pas des grandes civilisations ducon?

Et Mali et Songhaï alors dugenou?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Noirs sont des abrutis, ils n'ont jamais eu de grandes civilisations...

Laissez moi rire, car ils n’ont même pas de système d’écriture propre! Ils l’ont emprunté aux Arabes.

Les Noirs sont des abrutis, ils n'ont jamais eu de grandes civilisations...

Oh oh oh! Ces ‘systèmes d’écriture’ ne sont que des décorations primitives… Ils n’ont jamais été utilisés pour transcrire des textes dans des langues particulières! Les seuls systèmes d’écriture qu’ils ont jamais connus  ont été adoptés sous l’impulsion civilisatrice de la race blanche. Vous êtes inférieurs, admettez-le! Vous économiserez de votre sueur particulièrement nauséabonde de sale nègre!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Malheureusement, le défenseur des civilisations noires sort souvent frustré de ce genre de conversations. En effet, le négateur, parce qu’il fixe les règles du jeu, finit systématiquement par y avoir le dernier mot.

Grrrrr!!!!

Grrr!!!! Je retourne à la bibliothèque!!!! J’aurai ta peau!!!!

Cela étant dit, dans cet interminable débat, la science semble avoir ces dernières années apporté de nouveaux éléments contredisant une nouvelle fois le négateur.  On se base là sur les recherches de l’archéologue nigérian Ekpo Eyo et son élève américain Christopher Slogar. Ainsi, pour eux le Nsibidi, une écriture répandue au sud-est du Nigéria, aurait des origines remontant à plus d’un millénaire. Mais qu’est-ce donc que le Nsibidi?

Le Nsibidi

Le Nsibidi est un système d’écriture partagé par des populations du Sud-Est du Nigéria comme les Ekoi, les Igbo ou les Efik. Parce qu’au sein des Ekoi, il disposerait d’une diversité plus grande, des chercheurs ont suggéré qu’il se serait développé à partir de ce groupe ethnique vers les autres.

Plan de l'état de Cross River, Nigéria, où est particulièrement diffusé le Nsibidi

Plan de l’état de Cross River, Nigéria, où est le plus répandu le Nsibidi

Usage dans la société

Dans certaines régions, le Nsibidi est associé  aux membres de la société secrète des hommes-léopards appelés Ekpe, Mgbe ou Ngbe selon les langues. Ceux-ci disposaient traditionnellement d’un pouvoir judiciaire et exécutif important sur le reste de la société. Mais dans d’autres, il est beaucoup plus répandu.

Coiffure Ekoi de la société des hommes léopards

Coiffure Ekoi de la société des hommes léopards

Les supports d’écriture

Le Nsibidi était alors déjà utilisé sur plusieurs médias. Il l’était par terre, peints sur des murs, sur de la poterie, des feuilles, du tissu, du bois, du métal ou encore comme décorations corporelles.

La fonction 

Le Nsibidi est traditionnellement utilisé pour exprimer des messages tabous comme d’amour. Il l’est aussi pour rendre des déclarations publiques comme des jugements, pour avertir de dangers imminents ou encore comme des marqueurs d’identités. Ainsi, dans son article de 1909, le Révérend J.K. MacGregor rappelle que :

« L’utilisation du Nsibidi est celle de l’écriture ordinaire. J’ai en ma possession une copie de la transcription d’un procès de la région d’Enyon et chaque détail, sauf les preuves, y est écrit. »

 

Traduction d'un jugement en nsibidi par l'ethnographe MacGregor. "a) Le jugement s'est tenu sous un arbre comme le veut la coutume. b) les deux parties dans l'affaire. c) le chef qui l'a jugé d) son personnel e) un homme murmurant à l'oreille d'un autre au delà du cercle des gens concernés f) tous les membres de la partie ayant gagné le procès g) Deux d'entre eux s'embrassent h) Un homme tient un tissu entre ses doigts en signe de mépris. Il se fiche de ce qui a été dit. C'était un cas difficile à juger pour les gens de la ville donc ils ont appelés les sages des villes environnantes pour qu'ils le jugent pour eux i) et en donnent le verdict j) c'est un cas d'adultère (...)

Traduction d’un jugement en nsibidi par l’ethnographe MacGregor (1909). « a) Le jugement s’est tenu sous un arbre comme le veut la coutume. b) les deux parties dans l’affaire. c) le chef qui l’a jugé d) son personnel e) un homme murmurant à l’oreille d’un autre au delà du cercle des gens concernés f) tous les membres de la partie ayant gagné le procès g) Deux d’entre eux s’embrassent h) Un homme tient un tissu entre ses doigts en signe de mépris. Il se fiche de ce qui a été dit. C’était un cas difficile à juger pour les gens de la ville donc ils ont appelés les sages des villes environnantes pour qu’ils le jugent pour eux i) et en donnent le verdict j) c’est un cas d’adultère (…)

La structure

Loin d’être figé, le Nsibidi est un système d’écriture qui varie à certains degrés selon la région, le sexe ou l’âge. Ainsi, un peu comme une langue parlée, qui change d’une région à une autre et qui varie selon le sexe et l’âge de ses locuteurs, il s’enrichit continuellement de nouveaux éléments. Ceux-ci peuvent être dus à un contact ou à des innovations internes. Toutefois, son noyau dur reste compréhensible ici et là.

« Dans l’intérieur, les enfants et les jeunes filles ont toujours leurs corps peints avec des motifs représentés par des teintures de feuilles noires(…)Elles aiment aussi particulièrement orner leurs visages, surtout leurs fronts, avec des motifs de différentes couleurs. La maîtrise absolue de ceux-ci est largement supérieure à celle que l’on pourrait attendre de la part d’Européens. La variété de ces motifs est extraordinaire.  Plusieurs centaines de croquis furent réalisés par ma femme et sa soeur-leur nombre semblait en effet infini. Ses contours sont souvent remplis de Nsibidi et parfois, la vie entière d’une fille est racontée de cette manière. Et ces motifs sont toujours tracés par une parente . »

Grrrrr!!!!

Alors pas mal pour une société primitive et sexiste de ‘nègre’ hein!?

Quel type d’écriture?

Car comme l’écriture chinoise par exemple, le Nsibidi est composé de logogrammes (de signes représentant des mots). Comme un Cantonais, un Mandarin ou un Japonais comprendront dans un texte qu’un caractère représente un enfant par exemple, nombre de personnes du Sud-Est du Nigéria comprendront que le signe suivant renvoie à une personne et que le suivant renvoie à l’amour. Ainsi, le sens des caractères importe peu, le texte reste compréhensible.

nsibidi-b

Les anciennes racines du Nsibidi

Des chercheurs ont autrefois suggéré une connexion entre hiéroglyphes égyptiens et Nsibidi. Toutefois, ces comparaisons ne reposent pas sur grand chose. Plus récemment, l’excavation de poteries datées entre le 5ème et le 15ème siècles de notre ère par le regretté archéologue nigérian Ekpo Eyo et leur analyse par son élève historien de l’art Christopher Slogar a montré l’utilisation très ancienne de nombreux signes du Nsibidi.

Poteries du -6ème-8ème siècle (Photographie Ekpo Eyo)

Poterie datant d’une période entre les 6ème et 8ème siècles.  (Photographie Ekpo Eyo)

Toutefois, la profondeur historique de ce dernier était déjà évidente.

En effet, dès le début du vingtième siècle, existaient des comme S, qui en Nsibidi veut dire dans des régions lointaines un trouble-fête. La signification de ce signe était alors répandue chez des peuples distants et sa signification n’était pas devinable à son apparence. Son existence devait donc être bien antérieure à cette période. Le contexte d’utilisation des signes présents sur les poteries reste pour l’instant à préciser. Toutefois, l’ancienneté de ces poteries suggère fortement que l’écriture chez les populations du sud-ouest du Nigéria serait apparue avant l’arrivée des Européens. Elle y serait donc probablement le résultat du génie de populations noires africaines.

Ha!

Ha!

Références

Christopher Slogar / Early Ceramics from Calabar, Nigeria: Towards a History of Nsibidi

J.K. Mac Gregor / Some notes on Nsibidi