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Le ‘land grabbing’, nouvelle facette du colonialisme

Politique

Le ‘land grabbing’, nouvelle facette du colonialisme

Par SK 17 octobre 2014

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La razzia des pays riches sur les terres arables partout dans le monde est, de nos jours, l’un des phénomènes qui freine le plus dangereusement l’émergence du continent. Sécurité alimentaire pour les uns, pure spéculation foncière pour les autres, cette logique anti-développement de l’Afrique se base sur une législation foncière faible et la course aux investisseurs dans les pays pauvres. Et sur un processus d’acquisition forcée à des conditions de cession opaques, entraînant l’expropriation pure et simple des agriculteurs locaux. 

Par Assane Pathe Diop 

Qu’est-ce que le « land grabbing » ? En théorie, c’est la vente, la location ou la cession de terres arables à grande échelle, généralement plusieurs milliers d’hectares, entre un Etat et un investisseur local ou étranger, public ou privé… En pratique, c’est l’expropriation, l’expulsion des populations locales au profit desdits investisseurs. Le land grabbing permet aux pays accapareurs, via l’implantation d’exploitations agricoles destinées à l’alimentation ou à la production de biocarburants, d’assurer leur approvisionnement à long terme, aux dépens des paysans locaux. Cette pratique s’est aggravée suite aux crises financières et alimentaires de 2007 et l’avancée brutale de l’agro-industrie, qui ont convaincu de nombreux pays riches de produire, voire délocaliser leur agriculture dans les pays pauvres. Plus de 80 millions d’hectares auraient déjà changé de main. Evidemment, la pratique s’accompagne de préférence d’une mainmise sur les ressources en eau (par les Etats-Unis, Israël, les Emirats Arabes Unis, le Qatar, l’Inde, le Royaume-Uni, l’Egypte, Chine…). Les accapareurs de terres sont en général les gouvernements des pays riches du Golfe (Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Qatar), d’Europe (Allemagne, Suède, Royaume-Uni), d’Asie (Chine, Corée du Sud, Inde, Japon). Mais aussi des acteurs privés (multinationales, groupes de capital-risque, banques d’investissement, fonds de couverture..) et publics, qui voient en ces terres un investissement plus que rentable. L’Afrique est bien sûr la principale cible du pillage : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Cap Vert, Côte d’Ivoire, Egypte, Ethiopie, Erythrée, Gambie, Ghana, Kenya, Liberia, Madagascar, Mali, Maroc, Mozambique, Niger, Nigeria, République démocratique du Congo, Ouganda, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Tanzanie, Togo, Zambie, Zimbabwe… La liste n’est pas exhaustive en raison de l’opacité qui enveloppe ce type de transactions. Mais l’Amérique Latine et la Caraïbe (Cuba, Colombie, Argentine, Brésil…), l’Europe (Ukraine, Russie, Georgie, Turquie…), l’Asie (Indonésie, Philippines, Inde, Thaïlande, Laos, Pakistan…), ou encore l’Australie… ne sont pas en reste. La majorité des investissements est tournée vers l’exportation Depuis 2001, l’Afrique a perdu plus de 33 millions d’hectares de ses terres arables, au détriment des populations locales. Selon l’OCDE (Organisation pour la Coopération et le Développement Economiques), les cours des denrées agricoles devraient se maintenir à des niveaux élevés pendant les dix prochaines années. Tous les prix augmenteront, avec en tête l’huile végétale (+ 50%), le beurre (+ 30%), le blé (+ 20%), le riz et le sucre (+ 10%). De plus, la courbe des naissances annonce une population de plus de 9 milliards d’hommes à nourrir d’ici à 2050. Si l’on en croit les statistiques, cette tendance au pillage des terres agricoles, pour cause de biocarburants, de sécurité alimentaire ou de spéculation ne risque pas de s’atténuer. Sécurité alimentaire ou pure spéculation foncière ? La ruée vers les terres arables dans le but de nourrir leur population est la stratégie prônée par ces Etats et multinationales.

 

 

Cette dynamique se fait donc sans avoir recours aux règles du commerce international et à ses différentes contraintes. C’est la raison pour laquelle des « coopérations » politiques, économiques et financières qui tournent autour de contrats fonciers se sont mises en place. Cependant, on observe une autre catégorie d’acteurs accapareurs de terres : les fonds de couverture, les groupes de capital-risque, les banques d’investissement et autres organismes du même genre. Ces entités ont compris qu’on peut faire de l’argent en investissant dans l’agriculture, parce que la population mondiale continuant à s’accroître, les prix alimentaires demeureront élevés sur le long terme. Le risque majeur de ce genre de pratique est la disparition des populations et masses paysannes, expropriées au profit d’investisseurs fonciers dont l’unique préoccupation est la pérennisation de leurs bénéfices financiers. Ce type de production alimentaire étant contrôlé par des multinationales et donc dédié à l’exportation, il favorise un système agricole tourné vers les monocultures à large échelle (céréalières notamment), les organismes génétiquement modifiés (OGM), le remplacement des paysans par des machines et l’usage de produits chimiques. La propriété traditionnelle est remplacée par la propriété étatique Ces investissements ont pour corollaires la violation des droits de l’homme, trompé, dépossédé, expulsé de ses terres, et la destruction pure et simple de ses moyens de subsistance. Sur les quelque 1100 transactions foncières, portant à 67 millions d’hectares, vérifiées par l’ONG Oxfam, la moitié se situe en Afrique. La superficie de ces terres africaines passées aux mains d’investisseurs internationaux est presque équivalente à la taille de l’Allemagne !!! Exemple parmi tant d’autres, dans les villages de Kibga et de Mubende, en Ouganda, quelque 22 500 personnes ont perdu leur toit et leurs terres pour faire place à une compagnie forestière britannique, la New Forests Company (NFC). Nombre d’expulsés ont confié à Oxfam avoir été délogés de force et s’être retrouvés sans nourriture ni argent. « Aucune des personnes déplacées n’a à ce jour reçu de compensations financières, malgré une décision de justice qui, en 2009, avait ordonné l’arrêt des expulsions », dénonce l’ONG. Des transactions opaques, avec la complicité des gouvernements et des élus locaux Si le land grabbing avait vocation à être un partenariat win-win, en cas de pénurie locale, il faudrait surtout assurer que la priorité absolue soit donnée aux populations locales. C’est loin d’être le cas. Très souvent en effet, les contrats conclus ne prévoient aucune obligation pour les investisseurs de contribuer à la sécurité alimentaire du pays, ni de fournir les marchés nationaux, même en cas de situation d’urgence. Exemple, l’Ethiopie qui organise le transfert d’immenses portions de terres et de ressources en eau à des investisseurs étrangers, en l’occurrence les pays du Golfe, pour contribuer à leur sécurité alimentaire ou aux profits de leurs entreprises, en ignorant carrément la sécurité alimentaire de son propre peuple. Ce fléau piétine la souveraineté alimentaire, crée la famine chez des populations qui deviennent des réfugiés dans leur propre pays. Les gouvernements des pays « hôtes » se doivent d’être fermes dans leur décision et ne plus être complices de ce crime en se pliant aux simples volontés lucratives des investisseurs. La souveraineté alimentaire, c’est-à-dire le contrôle total de leur politique agricole, doit être leur préoccupation principale. Ils doivent accorder la priorité aux droits existants en matière d’utilisation des sols, sans se limiter à la détention de droits de propriété officiels. Et nous, afrodescendants, avons le devoir absolu d’informer et de conscientiser l’opinion mondiale, et de faire pression par tous les moyens sur nos leaders et nos gouvernements pour qu’ils respectent et fassent respecter les droits de leur peuple. « L’Afrique ne peut se contenter d’être une mère porteuse pour les autres continents. Le continent se doit d’être une mère nourricière d’abord pour ses enfants. » Amadou Kanouté, (Cicodev Africa).

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