Le 16 juin 1976, en plein apartheid, des élèves noirs de Soweto s’organisent autour de manifestations pour contester l’introduction de l’afrikaans dans l’enseignement public.
« À bas l’afrikaans ! » pouvait-on lire sur des pancartes brandies fièrement, le 16juin 1976, dans les rues de Soweto, un township d’Afrique du Sud, situé au sud-ouest de Johannesburg. Environ 20.000 jeunes noirs manifestent pacifiquement contre l’inclusion de l’afrikaans, langue d’origine européenne, comme langue officielle d’enseignement à égalité avec l’anglais dans les écoles bantoues locales. Ayant reçu l’ordre de « rétablir l’ordre » à tout prix en usant de tous lesmoyens possibles, la police locale lâche ses chiens sur la foule provoquant undéferlement d’évènements. Malgré le pacifisme de l’action, es coups de feu sonttirés et une émeute éclate, causant la mort d’au moins 23 personnes.
Soweto, épicentre d’une révolte sanglante
L’élément déclencheur du massacre de Soweto est l’Afrikaans Medium Decree. Présenté par les autorités sud-africaines comme une mesure de cohésionsociale, le décret impose l’apprentissage de l’afrikaans dans les écoles à partir dudernier cycle du primaire. Michiel Cienraad Botha, alors ministre del’Administration et du Développement bantou signe l’arrêt tandis que son vice-ministre organise la mise en application.
Soweto est le plus grand township d’Afrique du Sud. Durant l’apartheid, ces ghettos réservés aux Noirs marquent la ségrégation raciale. En 1976, dans cequartier défavorisé, les élèves s’opposent avec ténacité à un énièmeétranglement chauviniste de leur identité linguistique et culturelle. Cette luttecontre la langue afrikaans, s’inscrivant dans un tronçon plus large du combatcontre l’apartheid et le pouvoir blanc. Le régime raciste et oppressif sud-africain, fidèle à sa violence, répond par la violence. Quatre ans plus tôt déjà, MC Bothamettait en place le Bantu Homelands Citizenship Act, une loi d’Apartheid quiretirait aux Noirs leur citoyenneté sud-africaine.
Les évènements macabres de Soweto résonnent d’abord dans d’autres partiesdu pays puis au-delà des frontières sud-africaines. Plus de 500 personnes sont tuées (en grande majorité par la police) et des centaines sont arrêtées. La scène internationale condamne et impose des sanctions au gouvernement sud-africain. Le gouvernement est alors contraint de retirer le décret sur l’enseignement de l’afrikaans tandis que la pression s’intensifie avec le début d’une longue campagne de boycott.
L’afrikaans ou la langue comme vecteur de la domination blanche
L’afrikaans est un héritage colonial. La langue, se développant dans l’Afrique duSud du XIXème siècle, est le résultat d’un brassage naturel entre les colonsnéerlandais, les esclaves (Indonésiens, Indiens et Malgaches) et les populationslocales khoisans. Sa racine, à dominante germanique, provient du néerlandais du XVIIème siècle, importé en 1652 par les colons de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC). Parmi eux se trouve Jan Van Riebeeck, commandant de la colonie néerlandaise du Cap, qui établit pour la VOC la première implantation européenne en Afrique du Sud.
Précurseur de la communauté d’origine néerlandaise en Afrique du Sud, VanRiebeek est élevé par la population afrikaner au rang de père fondateur du pays.L’afrikaans, créole partiel façonné par la colonisation, est aujourd’hui la langueidentitaire de près de 60% des Blancs sud-africains. Mais pour une immensemajorité de Sud-Africains Noirs – soit près de 82% de la population du pays –cette langue renvoie à la violence, la ségrégation et l’écrasement. Raisons pour lesquelles Soweto s’est vivement soulevée en 1976.
L’inversion de la mémoire
Il aura fallu attendre quinze années de lutte supplémentaire après Soweto pourque la dernière loi raciale tombe et que le régime d’apartheid soit officiellementaboli à la fin de l’année 1991. C’était il y a moins de 35 ans. Pourtant, l’Afrique du Sud reste chargée d’un héritage lourd et douloureux où les Noirs étaient au mieux des citoyens de seconde zone. Mais ce passé n’est pas si lointain etencore moins intégré par tous.
La mémoire reste fragile. Fin mai 2025, lors d’une rencontre avec le présidentsud-africain Cyril Ramaphosa, Donald Trump accuse ouvertement legouvernement sud-africain de persécuter les fermiers blancs. Il utilise larhétorique alarmiste du « génocide des Blancs ». Cette déclaration s’inscrit dansune mouvance conspirationniste portée depuis plusieurs années par desmilieux afrikaners ultranationalistes et racialistes. Pour eux, la fin de l’apartheid aurait inversé les rapports de domination entre Noirs et Blancs.
Ce discours (faussement humanitaire) repose sur une inversion mémorielle brutale d’indécente. Car affirmer, à peine une génération après la fin du régimeségrégationniste le plus structuré au monde que l’Afrique du Sud organiseraitaujourd’hui un génocide contre les Blancs, c’est non seulement réécrirel’histoire, mais aussi chercher à diriger la morale. C’est l’élargissement de lafenêtre d’Overton : faire accepter dans le débat public des idées considérées,hier encore, comme immorales et indéfendables.
Le 16 juin est aujourd’hui un jour férié. L’Afrique du Sud rend hommage à lajeunesse noire massacrée à Soweto en 1976 pour avoir refusé de parler lalangue coloniale. Cette journée de mémoire rappelle que l’histoire sud-africainene peut pas être réécrite.
Sources
- Wikipédia, Entrée : Émeutes de Soweto, version consultée en juin 2025.
- Bonner, Philip & Segal, Helena, Soweto: A History, Maskew Miller Longman, 1998.