Le journal de Jenifa Saison 25

L’enrôlement forcé des « tirailleurs sénégalais » et la trahison de Blaise Diagne

Société

L’enrôlement forcé des « tirailleurs sénégalais » et la trahison de Blaise Diagne

Par Makandal Speaks 1 janvier 2023

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Les Tirailleurs Sénégalais étaient des troupes de l’armée coloniale d’Afrique de l’Ouest qui combattirent pour la France pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale ainsi que dans de nombreuses opérations de contre-insurrection, de conquête, de police et de colonisation. Cependant, le recrutement de cette « force noire » ne fut pas un long fleuve tranquille.

Les Tirailleurs Sénégalais furent les premières unités de soldats négro-africains permanentes sous domination française. Entre 1857 et 1905, les Tirailleurs Sénégalais étaient surtout des mercenaires. Cette troupe coloniale était souvent composée d’esclaves et d’autres africains de faible rang social. La France fidèle à son héritage esclavagiste, n’hésita pas à racheter d’anciens esclaves afin de les enrôler de force. L’armée prétendit officiellement avoir mis fin à cette pratique déshonorante en 1882, mais des pratiques de recrutement coercitives semblables continuèrent bien longtemps après.

Un besoin impératif de soldats

La France est de plus en plus gourmande en bataillons d’africains. Il lui faut d’urgence, à la veille de la Première Guerre mondiale, toujours plus de chair à canon. Toute l’élite militaire n’est pas emballée par l’idée de mobiliser des « nègres » pour défendre la République. Néanmoins, certains pensaient, comme le colonel Mangin, que l’Afrique pouvait constituer un réservoir de soldats sacrifiables. Et puis bon, l’Afrique n’avait-elle pas une dette de sang envers la France ? Civiliser les peuples inférieurs ça coûte une blinde !!! Cela vous semble certainement être une blague de mauvais goût, mais le Ministre des colonies de l’époque [1], lui, était très sérieux :

«L’Afrique nous a coûté des monceaux d’or, des milliers de soldats et des flots de sang. Mais les hommes et le sang, elle doit nous les rendre avec usure.»

C’est dans cette atmosphère qu’un décret est né le février 1912 est adopté. Celui-ci prévoit les modalités du recrutement forcé des tirailleurs :

 «[Les] indigènes de race noire du groupe de l’Afrique-Occidentale française peuvent en toutes circonstances être désignés pour continuer leur service en dehors du territoire de la colonie.[2]»

Les razzia sur les villages se multiplient, comme à la pire époque de la traite négrière, lorsque les engagements volontaires ne suffisent pas. Mais comme toujours en Afrique, lorsqu’il y a oppression, les moyens de lutter contre celle-ci ne se font pas attendre. Plutôt que d’envoyer vers une mort certaine les forces vives du village (pour venir en aide aux ennemis d’hier), de nombreux chefs de village envoyaient des recrues qui seraient à coups sûrs réformées. De plus, de nombreuses révoltes éclatèrent un peu partout à travers l’Afrique-Occidentale française. La plus célèbre et la plus longue est sans doute celle des Bwaba [3] de Novembre 1915, aussi connue sous le nom de « Guerre du Bani-Volta ou Bona Kele ».

La Guerre du Bona Kele (1915 – 1916):

Il s’agissait à la fois d’une insurrection populaire doublée d’une guerre de libération. La population locale était excédée par la situation de quasi esclavage colonial qu’elle subissait : généralisation du portage pour le compte de l’armée, travail forcé ainsi que les réquisitions d’homme au profit de l’armée coloniale. L’insurrection débuta du village de Bona [4] le 17 novembre 1915. Les habitants d’une douzaine de villages s’y rassemblèrent et prirent les armes contre le pouvoir colonial. Malgré leur infériorité technologique, leur art guerrier n’était pas a sous-estimer. Cette coalition supra-ethnique, cette alliance panafricaine [5] repoussa plusieurs colonnes des troupes coloniales.

La France fut surprise par autant de résistance ainsi que le caractère total de cette guerre anti-coloniale. Elle dût prendre des mesures drastiques. De ce fait, une campagne de destruction systématique fut donc décidée. Finalement l’insurrection fut matée : 30 000 combattants de la liberté périrent et 110 villages furent rayés de la carte…

« Clic, bam ! Un colon saigne (bang, bang !) » ~ Booba

En pleine Première Guerre mondiale, l’Armée française avait « d’autres Bosch à fouetter« . La Guerre du Bona Kele, considéré comme l’une des plus grandes guerres anti-coloniales d’Afrique, était pour la France une perte de temps, d’argent et d’hommes (qui lui faisait terriblement défaut). Il fallait une solution plus simple et moins coûteuse. Si la force brutale ne marchait pas, sans doute que la ruse apporterait de biens meilleurs résultats. L’utilisateur d’un intermédiaire, d’un « Nègre de maison » sembla pour les autorités coloniale une brillante idée.

Blaise Diagne, le brave toutou nègre de la République:

Né à Gorée [6] en 

Le besoin de soldats noirs se faisait, encore et toujours, ressentir au front. Ainsi, Blaise Diagne le franc-maçon [7] fut nommé commissaire général chargé du recrutement indigène. Sa tâche  était simple. Ayant la confiance des populations africaines il organisa lui-même une campagne de recrutement massive de Dakar à Bamako. Diagne promit « monts et merveilles » aux forces vives du continent (des médailles, de la nourriture, de vêtements et surtout la nationalité française), afin qu’elles n’hésitent pas à se sacrifier pour la « Mère patrie« . Bien évidement ces promesses ne furent pas (ou peu). A cause Grâce à son zèle, plus de 80 000 africains rejoignent les rangs de l’armée française. Diagne a convaincu les africains de participer à l’effort de guerre et cela dira-t-il par sens du devoir.

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Vous l’aurez compris, Blaise Diagne était plus un valet docile au service de la France que le représentant véritable des africains. Il le confirma en 1919, lors du premier Congrès Panafricain de Paris, qu’il présida étrangement. En effet, face à DuBois et Garvey, références en matière d’élévation de l’homme et de la femme noirs, Blaise Diagne affirma ceci :

« Nous africains de France avons choisi de rester français puisque la France nous a donné la liberté et qu’elle nous accepte sans réserves comme citoyens égaux à ses citoyens d’origine européenne. Aucune propagande, aucune influence de la part de Noirs ou de Blancs ne peut nous empêcher d’avoir le sentiment que la France seule est capable de travailler pour l’avancement de la race noire. » [8]
Si le panafricanisme est encore vivace en ce début de XXI° siècle, il apparaît clairement que ce n’est pas grâce à Blaise Diagne.

En conclusion:

Plutôt que de se figurer les populations africaines comme d’éternelles victimes, une étude minutieuse de notre histoire aura vite fait de nous convaincre que la résistance à l’oppression fut la norme. L’intelligence avec l’ennemi semble aussi avoir été monnaie courante… le syndrome du Nègre de maison à la vie longue.

Alors, plutôt que de célébrer ceux qui ont péri pour permettre à la France de vaincre son ennemie héréditaire. De louer ceux qui ont contribué à permettre à  la France de  maintenir sa domination sur le continent noir, je tenait en ce 11 Novembre,à rendre hommage à ces hommes et ces femmes qui ont, au péril de leur vie, combattu avec dignité les puissances coloniales négrophobes. Comme le disait Frantz Fanon :

« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir » …

Références:

[1] Adolphe Messimy (1869 – 1935), militaire et homme politique français, Ministre des Colonies en 1911.
[2] Eugène-Jean Duval, L’épopée des tirailleurs sénégalais, Paris, L’Harmattan,
[3] Les Bwaba sont une population d’Afrique de l’Ouest vivant à cheval sur la frontière du Burkina Faso et du Mali.
[4] Bona est une commune située dans le département de Safané de la province du Mouhoun au Burkina Faso.
[5] Les ethnie Marka, Bwa, Samo, Minianka, Bobo, Dakkakari, Nuna, Fulbe, Toussian, Sambla, Winiamas firent front uni pour repousser l’envahisseur français.
[6] Gorée fait partie avec Saint-Louis, Rufisque et Dakar des « Quatre Communes ». Les personnes originaire de ces villes s’étaient vus attribuer, par le colon, certains droits politiques.
[7] Diagne est le premier Africain à siéger, dès 1922, au Conseil de l’Ordre du Grand Orient de France.
[8] « Bah bravo morray !!! »

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