Alexandre de Médicis, Noir et premier duc de Florence

On connaît les Médicis comme une puissante famille de dirigeants ayant régné sur Florence entre les 15ème et 17ème siècles. Ils y ont notamment permis l’émergence d’artistes comme Michel Ange ou Léonard de Vinci dans le cadre de ce qui est appelé Renaissance Italienne. Le grand public sait toutefois moins souvent qu’un important membre de cette dynastie, Alexandre, à la tête de Florence entre 1530 et 1537, fut un métis issu d’une femme noire. Alexandre et sa mère Simonetta montrent à bien des égards qu’à leur époque, les Noirs jouissaient d’une bien meilleure réputation que l’on pourrait aujourd’hui imaginer.

Alexandre de Médicis, Noir et premier duc de Florence

Par Sandro CAPO CHICHI / Nofipédia

Vie

En 1510 ou 1511, une femme appelée Simonetta, servante au domicile du souverain de Florence Lorenzo de Medici, donne naissance à un fils, Alexandre dans la ville d’Urbino. L’ensemble des spécialistes s’accorde sur le fait que Simonetta est une femme noire à l’exception d’un seul. Le déni de ce dernier, Ugo Romagnoli, sans preuves vérifiables peut-être compris par le contexte dans lequel il a écrit : celui de l’Italie fasciste. Simonetta est sans doute issue d’une traite des esclaves d’Afrique vers l’Italie qui avait commencé dans les années 1340. Les spécialistes hésitent sur l’identité de son père. Il s’agirait soit de Lorenzo II de Médicis, souverain de Florence, soit de  Giulio de Medicis, futur pape sous le nom de Clément VII, bien que la première possibilité soit plus probable. En cela, Alexandre est soit l’arrière petit-fils de Laurent le Magnifique, soit le petit-fils de son frère Julien et appartient à la branche principale de la famille. Alexandre naît de relations entre ‘maître’ et ‘servante’ qui étaient loin d’être rares dans l’Italie d’alors. Il est surnommé ‘le Maure’, un surnom commun en Italie en référence à son teint sombre et le mulet, peut-être en référence à son statut d’enfant illégitime. Lorenzo élève toutefois Alexandre comme son fils et libère Simonetta qui rentre vivre chez elle dans la campagne romaine avec son mari appelé Lostensor, dont le nom peu courant chez les Italiens d’alors, pourrait être typique des Noirs d’Italie d’alors.  Bien qu’ils ne se soient probablement pas fréquentés, Simonetta et Alexandre entretiennent une correspondance jusqu’en 1529.  La mère y demande notamment à son fils de subvenir à ses besoins. Après Urbino, Alexandre grandit comme page à cour de l’Empereur Charles Quint avant que son oncle (ou père) , le pape Clément VII ne décide d’en faire le chef du gouvernement florentin en 1529, à l’âge de 18 ans.

Portrait d’Alessandro de’ Medici, par Giorgio Vasari (1534).

Cette décision se fait en accord avec Charles Quint devant qui les troupes de Florence viennent de se rendre. Il est aussi fiancé à Margherita, la fille de ce dernier. Cette union est prévue dans une perspective d’alliance. Quatre ans plus tard, il devient le premier duc de Florence. Sous la guidance du Pape Clément VII et de ses conseillers, le jeune Alexandre réorganise politiquement Florence. En faisant ainsi, il  s’attire les foudres de beaucoup de locaux, qui, de plus en plus, vont rejoindre les rangs d’une communauté d’exilés. A la mort de Clément en 1534, Alexandre se retrouve considérablement affaibli  : il a perdu le soutien pontifical face à ses ennemis de plus en plus nombreux. Face à eux, il se montre de plus en plus répressif. Il semble avoir désamorcé une première tentative de soulèvement des exilés menée par son cousin et cardinal Ippolito de Médicis en l’empoisonnant, bien que son implication dans l’affaire ne soit pas certaine. Il se marie la même année avec Margherita en 1536.

Portrait par Jacopo Pontormo

Outre son mariage, Alessandro aurait eu de nombreuses conquêtes parmi les femmes de bonnes familles de la ville. L’année suivante, il est toutefois assassiné par un autre de ses cousins, Lorenzino ‘Lorenzaccio’ de Médicis. Il contribuera à créer la légende noire d’Alexandre, le dépeignant comme un despote incompétent. Il s’agirait peut-être plutôt d’une volonté de légitimer son acte et de passer à la postérité comme un tueur de tyran amoureux de la liberté. Il y parviendra, obtenant notamment une célébrité post-mortem dans la pièce de Musset nommée d’après lui. Par ce meurtre, il met en tous cas fin à la branche principale des Médicis, celle du fondateur Côme l’Ancien et de Laurent de Médicis. Lorenzaccio tentera en outre de justifier son action en prétendant que son cousin aurait empoisonné sa propre mère pour cacher ses origines peu glorieuses. Il s’agit probablement de calomnie ou d’une référence aux origines paysannes de sa mère. En effet, lorsque ses rivaux veulent l’outrager lors de sa venue à Rome en 1535 pour répondre à leurs accusations de tyrannie devant le pape, ils mentionnent Colle Vecchio, la commune rurale de sa mère et non sa couleur de peau.

En outre, l’utilisation d’images d’hommes et de femmes noires sur des bagues camées au 16ème siècle florentin semble devoir expliquer les références à la naissance peu glorieuse d’Alexandre comme dues aux origines paysannes de sa mère, plutôt qu’à sa couleur. Il faut toutefois admettre que les esclaves à peau sombre étaient vendus moins chers que les esclaves à peau plus claire ; cela n’empêche toutefois pas de riches Italiens de chercher à s’en procurer pour répondre à un prestige, à un goût de l’exotisme ou un intérêt sexuel plus que pour un véritable besoin de main d’oeuvre.

Emblème d’Alessandro de’ Medici, basé sur le Rhinocéros de Dürer. Devise :  » Non buelvo sin vencer  » (vieil espagnol signifiant  » Je ne reviendrai pas sans victoire « ). Extrait du Dialogo dell’imprese militari et amorose de Paolo Giovio, 1557.

En conclusion, on dira que l’histoire d’Alexandre de Médicis, celle du premier homme de parent africain à accéder au pouvoir  d’une formation politique majeure moderne en Europe est fortement significative. Elle permet de voir que la couleur noire, qui empêche aujourd’hui certains Noirs à accéder à des fonctions d’importance, n’a pas empêché d’autres personnes de cette couleur d’accéder il y a 500 ans à la tête d’un prestigieux état, celui qui avait fait les génies de la Renaissance italienne.

Bibliographie

John Brackett (2005), Race and rulership: Alessandro de’ Medici, first Medici duke of Florence, 1529-1537, in T.F. Earle & ‎K. J. P. Lowe (éd.), Black Africans in Renaissance Europe, New York : Cambridge University Press, pp. 303-325

John Brackett (2008), Le duc Alexandre de Médicis et sa mère, Simonetta, 1510-1537,  in Dieudonné Gnammankou et Yao Modzinou (éd.), Les Africains et leurs descendants en Europe avant le XXe siècle, Toulouse : M.A.T. Editions, pp. 133-148.

Sergio Tognetti (2005), The trade in black African slaves in fifteenth-century Florence, in T.F. Earle & ‎K. J. P. Lowe (éd.), Black Africans in Renaissance Europe, New York : Cambridge University Press, pp; 213-224

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