Milli Vanilli, le plus gros scandale de l’histoire de la musique

Milli Vanilli était un groupe de pop qui remporta un  Grammy Award en 1989. Ce prix leur fut toutefois retiré quand leur producteur révéla qu’ils n’avaient jamais chanté une seule note des chansons pour lesquels ils avaient été récompensés, que ce soit en studio ou sur scène, où ils utilisaient la technique du ‘playback’.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.media

Frank Farian, une voix blanche derrière la ‘musique noire’

L’histoire de Milli Vanilli commence avec Frank Farian. Ce chanteur allemand devenu par la suite producteur est né en 1941. Il déclare avoir été victime de discrimination dans le monde de la musique. Cette discrimination n’est pas liée à la couleur de peau ou au statut social. Elle l’est en fait à son supposé manque de beauté. A cause de ce dernier, Farian doit de son propre aveu se battre deux fois plus que les chanteurs plus attirants. Il doit produire de la musique de véritablement bonne qualité pour être reconnu. Il en tirera un mépris pour les beaux chanteurs sans grand talent musical.

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Frank Farian, dans les années 70

Pour contourner cette injustice, Farian emprunte une voie qui n’est alors pas rare dans l’industrie de la musique disco des années 70. Dans le cadre d’un ‘groupe’, de véritables musiciens enregistrent des chansons en studio alors que des danseurs au physique plus ‘vendeur’ font semblant de les chanter sur scène en remuant leurs lèvres. C’et le cas du fameux groupe disco Boney M.  dont beaucoup ignorent que le chanteur phare, Bobby Farrell, n’a pas participé aux enregistrements des chansons.

Ici, Farian n’a pas seulement cherché à cacher sa laideur pour percer. Il a aussi caché sa couleur de peau blanche pour percer dans la musique noire. Farian a-t-il alors utilisé des artistes noirs comme un vulgaire maquillage de blackface? Non, car un pot de maquillage n’est pas payé comme l’a été Farrell et comme le seront plus tard Fabrice ‘Fab’ Morvan et Robert ‘Rob’ Pilatus. Cela n’empêchera pas ces trois derniers de se plaindre-à juste titre, il nous semble- de leur exploitation par Farian.

Fabrice Morvan, Rob Pilatus et le projet Milli Vanilli

A la fin des années 1980, Frank Farian travaille sur la production d’un titre, ‘Girl you know it’s true’. Il le destine à l’origine à une diffusion en discothèque. Les voix  sont celles de chanteurs d’expérience. Certains de ces chanteurs sont d’ailleurs des Noirs. Toutefois, particulièrement conscient de l’importance de l’image dans le monde de la musique , Farian cherche  à rendre l’ensemble plus ‘vendeur’.

Puis Rob Pilatus, un métis afro-américain/allemand et Fab Morvan, un Français d’origine guadeloupéenne récemment installé en Allemagne frappent à sa porte pour trouver du travail. Farian avait récemment manqué de peu de produire Terence Trent D’Arby, un musicien noir afro-américain aussi connu pour ses dreadlocks. Ces deux hommes ont  une petite vingtaine d’années, sont ‘beau garçon’, ont des dreadlocks et une bonne capacité à danser.

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Rob Pilatus, Frank Farian et Fab Morvan

Frank Farian décide les utiliser dans le groupe. Etait-il dès le début résolu à ne pas les faire chanter? On ne le sait pas. Toujours est-il qu’après des essais musicaux que Farian juge peu concluants, il relègue Fab et Rob aux rôles de performeurs de scène. Ils ne chanteront ni en studio, ni sur scène. Rob Pilatus et Fab Morvan expliqueront plus tard avoir été bernés par Farian. Âgés de 22 et 21 ans en 1987, ils signent début 1988 des contrats sans le conseil d’un avocat. Morvan, qui ne parlait pas allemand, aurait eu d’autant plus le mal à en comprendre le contenu. Ce n’est que fin 1988, peu après la sortie de leur premier album, qu’ils réalisent que leurs voix n’apparaîtraient jamais sur celui-ci.

Le carton Milli Vanilli

Entre temps, le single ‘Girl you know it’s true’ est sorti en Allemagne. Il y est devenu le single le plus vendu. Il y atteindra un rang similaire dans le reste de l’Europe avant de devenir numéro deux des charts aux Etats-Unis. L’album All or Nothing / Girl You Know It’s True connaîtra un sort similaire, produisant trois singles à la tête du Billboard Hot 100. En 1989, les deux jeunes hommes de 24 et 23 ans, sans moyens financiers il y a encore deux ans, se retrouvent alors propulsés au rang de superstars internationales…avec tout ce que cela implique souvent : célébrité, femmes, luxe, drogue, etc. Cette célébrité monte bientôt à la tête de Fab Morvan et surtout de Rob Pilatus, qui pas plus que Frank Farian, n’avaient prévu ce succès fulgurant.

Les doutes

Le tournant de l’aventure Milli Vanilli se produit en 1989. Contre l’avis de Frank Farian, Fab Morvan et Rob Pilatus décident se produire en tournée aux Etats-Unis. Les faits donnent raison à Frank Farian. Les deux hommes s’y comportent de manière extrêmement arrogante.  Ils contribuent ainsi à créer des ressentiments à leur endroit. Pire encore, des doutes commencent à apparaître sur les véritables voix derrière Milli Vanilli. Comment Pilatus et Morvan et leurs forts accents peuvent-ils chanter avec un tel accent américain sur leurs chansons?

Lors d’un concert dans le Connecticut en juin 1989, les pires craintes de Frank Farian se concrétisent. L’enregistrement diffusé en haut-parleur bogue. La phrase ‘Girl you know it’s’ est répétée plusieurs fois. Pris de panique, Pilatus s’échappe de la scène et court en coulisse avant d’être forcé de revenir par une membre de son staff. En décembre 1989, une des véritables voix du groupe, Charles Shaw révèle le pot-aux-roses à des médias américains. Morvan et Pilatus, qu’il voit recevoir à sa place la majorité des bénéfices du succès, sont des imposteurs. Il se rétracte peu après avoir reçu un chèque de 150000 dollars de Farian.

Le Grammy award ou la fausse consécration

En février 1990, le rêve de tout musicien se réalise pour Milli Vanilli. Le groupe remporte un Grammy Award, la plus prestigieuse récompense au monde dans le domaine de la musique, dans la catégorie du ‘meilleur nouvel artiste’. Morvan déclarera avoir eu l’impression de recevoir, avec le Grammy, une bombe entre ls mains. Farian expliquera avoir ressenti des douleurs à la poitrine à cette occasion.

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Pilatus et Morvan avec leur Grammy awards,

La révélation

Le mois suivant, dans le Time Magazine, Pilatus est cité comme ayant déclaré qu’il était le ‘Nouveau Elvis’, qu’il était plus talentueux que  Bob Dylan, Paul McCartney et Mick Jagger. Pilatus et Morvan démentiront ces propos, déclarant avoir été cités hors contexte dans une langue, l’anglais, que Pilatus ne maîtrisait pas.  Quoiqu’il en soit, une grande partie de l’Amérique et du monde attend désormais au tournant les deux jeunes hommes « qui pètent plus haut que leur cul ».

Les questions au sujet des véritables voix de Milli Vanilli se multiplient dans les médias. Morvan et Pilatus font pression auprès de Farian pour chanter  sur le prochain album du groupe. Ils en ont marre de mentir. Le producteur allemand leur fait à nouveau faire des essais. Une nouvelle fois, il les jugent de trop mauvaise qualité. Il refuse par conséquent leur requête. Etrangement, contrairement à l’opinion de Farian, les véritables voix de Milli Vanilli ne semblent pas non plus avoir été appréciées par la critique. Avant le scandale, le critique musical du Time Magazine Jay Cocks les avaient comparées à celle des ‘Chipmunks’. Il avait présenté le groupe comme étant méprisé par les critiques musicaux et adoré par les adeptes de MTV et des discothèques.

Les deux jeunes hommes contactent en tous cas un avocat pour faire valoir leurs droits. En réaction, Frank Farian les renvoie. Son mépris des beaux chanteurs sans talent musical lui fait penser qu’il pourra les remplacer sans problème. L’avenir lui donnera tort. Frank Farian annonce dans une conférence de presse en 1990 à New York que Morvan et Pilatus n’ont jamais chanté les chansons de Milli Vanilli.

Dans la foulée, les deux hommes reconnaissent la supercherie et décident de rendre leur Grammy Award lors d’une conférence de presse. C’est un fait unique dans l’histoire de cette récompense. Ils affirment savoir chanter, mais Frank Farian n’aurait pas voulu les laisser s’exprimer.

Pilatus évoquera même la dynamique ‘ethno-raciale’ de l’affaire. Farian serait « un Allemand blanc avec un grand complexe par rapport aux artistes noirs. Il l’a fait avec Boney M. et il l’a refait avec nous ».

La déchéance

Ceux qui attendaient la chute de ces agaçants chanteurs pour minettes se déchaînent sur eux. Leur maison de disques enlève leurs disques d’or et de platine de leurs murs et détruisent leurs disques. Les millions d’acheteurs de leurs disques ont droit à un remboursement. Les deux hommes sombrent alors dans la dépression.  Pilatus, de plus en plus dépendant à la drogue, effectuera notamment une tentative de suicide en décembre 1991. Menaçant de se jeter du balcon de son hôtel californien et se taillant les poignets, il se plaindra à des policiers du harcèlement contre lui et sa famille adoptive en Allemagne. De nombreux médias tourneront en dérision cette tentative. Ils la présenteront ainsi comme une mise en scène cynique pour attirer l’attention.

Le duo tentera malgré tout de refaire surface en 1993 avec un album sous le pseudonyme de Rob & Fab, sans succès. Ils se réconcilieront ensuite avec Frank Farian et prévoieront un nouvel album de Milli Vanilli. Il ne verra cependant jamais le jour. Entre deux cures de désintoxication, Robert Pilatus mourra après avoir consommé un mélange de médicaments et d’alcool.

L’après

Deux décennies après la mort de Pilatus et trois après le scandale, on ne voit plus l’histoire de Milli Vanilli de la même manière qu’alors. A une époque où des artistes triomphent à coups d’autotune ou de vocoder assumés, le grand public sur les réseaux sociaux est beaucoup plus empathique à l’endroit de Morvan et de Pilatus. Ces beaux jeunes hommes sont les victimes du producteur sans scrupule Frank Farian, au demeurant jaloux de leur beauté qu’il a toujours rêvé d’avoir. Farian bénéficie en plus de l’éternel stéréotype du ‘méchant Allemand’.  Pilatus, autrefois accusé de tous les noms (notamment celui d’agresseur sexuel) est aujourd’hui un ange parti trop tôt que Farian avait empêché de voler de ses propres ailes. Farian n’est guère vu comme une victime de l’injustice du délit de faciès dans la musique.

A plus de cinquante ans, Fab Morvan s’est juré de ne plus parler à Frank Farian. Il continue sa carrière de chanteur comme pour prouver, comme il le fait depuis le scandale, qu’il  sait chanter.

Il ne récupérera probablement jamais son Grammy Award. Toutefois, son combat pour sa légitimation et celle de Robert Pilatus pourrait déboucher sur un film dont le projet circule officiellement depuis 2007 et pour lequel il se bat.  Il ferait triompher sa version, celle qui le présente  comme une trop nombreuses victimes de l’industrie musicale, mais dont il aura su se relever.

 

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