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Les créoles, les langues africaines et l’égyptien ancien

Culture

Les créoles, les langues africaines et l’égyptien ancien

Par Sandro CAPO CHICHI 16 avril 2020

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Bien que très séparés dans le temps et l’espace, les créoles d’Amérique, les langues d’Afrique sub-saharienne et l’égyptien présentent des similarités dues au passé commun des ancêtres de leurs locuteurs.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.media

Une caractéristique de plusieurs créoles

Les créoles du continent américain sont souvent présentés comme étant à base lexicale française (Martinique, Guadeloupe, Haïti, etc.) ou anglaise (Jamaïque, Trinidad, etc.). La majorité du vocabulaire de ces langues peut en effet être lié aux langues européennes. Toutefois, ces mots sont souvent utilisés dans un contexte africain. Par exemple, Si le créole haïtien a emprunté ‘(les) oiseau(x)’ au français, il l’a segmenté de manière différente. Le ‘s’ de ‘les’ est intégré dans le nom qui se dit zwazo. zwazo peut être utilisé au singulier comme au pluriel. Pour signifier ‘les oiseaux’, l’haïtien a recours au procédé suivant. Un affixe identique au pronom de la troisième personne du pluriel est combiné au nom. Ce pronom, en haïtien, est yo (qui vient au demeurant du français ‘eux’). Pour dire ‘les oiseaux’, le créole haïtien dira  donc zwazo yo.

On retrouve cette particularité dans un très grand nombre de créoles du continent américain, qu’ils soient à base lexicale anglaise ou française. En créole jamaïcain, le marqueur du pluriel nominal est aussi dem, le pronom de la troisième personne du pluriel. Pour dire un livre, le Jamaïcain dira di book. Pour dire ‘les livres’, il dira di book dem. D’autres créoles, ou langues du continent américain parlées par des Noirs, placent le marqueur du pluriel après le nom. En Ebonics, la langue populaire utilisée par beaucoup de Noirs Américains, dem est placé avant le nom ‘dem books‘.

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Quelle origine?

Généralement, pour définir l’origine d’une caractéristique d’un créole afro-américain, plusieurs explications sont proposées. Celle d’une origine européenne, africaine, amérindienne, d’une autre zone géographique ou celle d’universaux linguistiques. Les universaux linguistiques sont des caractéristiques communes au langage humain aux langues du monde en tant que formes du langage humain. Or les linguistes sont formels : cette façon de marquer le pluriel avec un affixe identique au pronom de la troisième personne du pluriel ne fait pas partie des universaux du langage humain et est originaire d’Afrique subsaharienne. En éwé du Togo et du Ghana par exemple, le pluriel des noms est marqué par le suffixe wo, qui est identique au pronom de la troisième personne du pluriel. Pour dire ‘une ‘personne’, l’éwé dira amè et pour dire ‘les gens’, amè-wo.  Le yoruba du Nigeria et du Bénin utilise won comme pronom de la troisième personne du pluriel. Pour marquer le pluriel des noms, il place awon avant le nom.

En égyptien

En égyptien ancien existe un pronom de la troisième personne du pluriel qui diffère des langues géographiquement proches comme le Sémitique et le Berbère. Ce pronom est -w. Le pronom est identique au marqueur du pluriel des noms -w. Pour dire ‘la maison’, l’égyptien dira pr.  Pour ‘les maisons’, il dira prw.  Cette identité de la forme du pronom de la troisième du pluriel et du marqueur du pluriel des noms est très vraisemblablement un des éléments issus d’un héritage commun à l’égyptien et aux langues subsahariennes. Cela est d’autant plus plausible que le -w lui même est commun aussi à des langues ouest-africaines comme le bambara.

Les créoles et langues afro-américains n’ont pas, dans leur grande majorité, de formes ressemblant à l’égyptien -w. Toutefois, ils forment de la même manière le pluriel avec une forme identique ou similaire à celle du pronom de la troisième personne du pluriel. De la même manière, de nombreuses langues d’Afrique connaissent la même particularité sans utiliser de forme proche de -w.

Lorsque les Jamaïcains, les Haïtiens ou d’autres Noirs des Amériques utilisent leur langue vernaculaire, ils proclament ainsi une africanité que partage l’Egypte ancienne.

Références

Pour la présence de -w  comme marqueur du pluriel dans certaines langues africaines Théophile Obenga / Origine commune de l’égyptien ancien, du copte et des langues africaines modernes

Pour la présence de -w  comme marqueur de la troisième personne du pluriel dans certaines langues africaines Théophile Obenga / Origine commune de l’égyptien ancien, du copte et des langues africaines modernes

Pour l’association entre l’utilisation du même marqueur pour la 3ème personne du pluriel et le pluriel nominal en égyptien pharaonique et dans beaucoup de langues d’Afrique sub-saharienne Werner Vycichl / Dictionnaire étymologique de la langue copte

Pour l’origine africaine de l’utilisation du même marqueur pour le pluriel nominal et la troisième personne du pluriel dans les créoles afro-atlantiques: Norbert Boretzky / Kreolsprachen: Substrate und Sprachwandel

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