A la rencontre de Luc Pinto Barreto, le « Dealer de livres »

Nofi vous propose l’interview du « Dealer de livres », jeune libraire pour qui « lire délivre ».

A la rencontre de Luc Pinto Barreto, le « Dealer de livres »

Nofi : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Luc Pinto Barreto, 33 ans, libraire de rue.

D’où vous vient cet engagement pour la valorisation des talents de la communauté afro-caribéenne ?

Je ne cherche pas spécialement à mettre les talents en avant mais plutôt les problématiques sociales et/ou raciales auxquelles les populations noires, et d’autres, peuvent être confrontées. Je pense que tout ça est né, ou s’est accentué, dans mon esprit au cours de l’année 2005. A cette époque, j’avais 19 ans, je venais d’avoir mon bac et je me questionnais beaucoup sur ce que je voulais faire dans la vie et sur la société qui m’entourait. Cette année plusieurs événements m’ont marqué :

  • Débat dans la société française sur les « bienfaits » de la colonisation ;
  • Polémique autour du titre du premier album de Youssoupha , « Négritude » ;
  • Incendies du boulevard Vincent Auriol, 17 morts dont une grande majorité d’enfants.
  • J’habitais le quartier et côtoyais une partie des victimes. Il y aura 3 incendies meurtriers cette année là à Paris, tous concerneront des familles africaines vivant dans des logements insalubres;
  • Mort de Bouna et Zyed, révoltes des banlieues ;
  • Gestion désastreuse par le gouvernement Bush des dégâts causés par l’ouragan Katrina qui touchera en grande partie les populations noires du sud des USA ;
  • Lecture du livre « Le pouvoir noir » de Malcolm X et « Nations Nègres et Culture » de Cheikh Anta Diop.

Parlez-nous de votre parcours

Après avoir obtenu mon bac en 2005 j’ai eu du mal à trouver une voie professionnelle qui m’intéressait. Ce n’est qu’à partir de l’année 2014 que je me suis stabilisé dans un domaine professionnel, la maintenance hôtelière. J’y suis entré en pensant que cela me permettrait facilement de trouver du travail à l’étranger, plus particulièrement en Afrique de l’ouest. En effet, un séjour de 3 mois à Dakar en 2009, effectué dans le cadre de mes études, m’avait donné l’envie de m’installer en Afrique. Après ce séjour, j’ai eu l’occasion de retourner en Afrique de l’ouest à plusieurs reprises (Bénin, Sénégal, Cap-Vert, Guiné-Bissau, Ghana, Togo) mais jamais plus d’un mois et rarement avec un projet concret allant au-delà du « tourisme ».

Finalement ne souhaitant plus évoluer dans le secteur hôtelier et étant de plus en plus tiraillé entre mes convictions et la réalité de mon quotidien, j’ai pris la décision, en concertation avec ma compagne, de quitter mon emploi de technicien de maintenance pour tenter une reconversion professionnelle en tant que libraire.

Qu’est-ce qui vous y a poussé ?

Mes convictions, le fait de prendre de l’âge, la peur de rester « prisonnier » du « métro, boulot, dodo » et la naissance de mon fils fin 2017.

« Dealer de livres », pourquoi un tel nom ?

A l’époque, fin 2015, je cherchais un nom pour la chaîne YouTube que mon ami Arlindo m’avait encouragé à créer. Je trouvais que le nom était accrocheur.

Pouvez-vous nous parler des actions que vous menez et des services que vous proposez dans votre librairie ?

Pour l’instant j’ai surtout un rôle de libraire classique, je conseille les personnes qui viennent me voir et essaye de les guider au mieux vers le ou les livres qui pourraient leur plaire. A l’avenir, une fois que j’aurais établi durablement ma librairie, j’aimerais mettre en place de l’animation culturelle et des actions sociales.

L’adage selon lequel « la meilleure façon de cacher quelque chose à un Noir est de le mettre dans un livre” se vérifie-t-il ?

Non, c’est une idée raciste qui malheureusement est véhiculée par trop de personnes. De plus, avoir la culture du livre est loin d’être naturelle quelle que soit son origine ethnique. En effet, si l’on grandit dans un environnement où le livre est peu présent (Y avait-il une bibliothèque chez vos parents ? Y en a-t-il une chez vous ?) et qu’en plus l’école a échoué à vous transmettre l’intérêt pour la lecture, il est plus difficile de s’y intéresser à l’âge adulte.

Que souhaitez-vous transmettre à ceux qui viennent à votre rencontre ?

J’aimerais leur transmettre l’envie de se questionner sur la société et que de ces questionnements découlent une envie d’être des acteurs sociaux, tout cela à travers les livres.

Quels conseils donneriez vous à ceux qui rêvent de se lancer ?

Je n’ai pas vraiment de conseil car mon projet est encore en construction.

Quels auteurs vous inspirent ? Pourquoi ?

Au-delà des auteurs, ce sont plus particulièrement des personnages historiques, comme Malcolm X et Amilcar Cabral, qui m’ont inspirés à travers leur parcours. J’ai également beaucoup été influencé par les textes de rappeurs. A travers leur art, certains m’ont amené à me poser des questions sur moi-même et sur le monde.

Où vous voyez-vous dans 10 ans ?

Dans 10 ans j’aimerais avoir ouvert 2 ou 3 librairies de rue et être plus impliqué sur les questions sociales, celles concernant les populations noires comme celles plus générales.

Selon vous qu’est-ce qu’être Noir&Fier ?

Pour moi c’est être bienveillant et exigeant envers sa communauté et aussi sans complexe vis-à-vis des autres communautés.

Parlez-nous un peu de votre actu.

Actuellement j’engage des démarches pour faire installer un container aménagé à la gare de Saint-Denis, il me permettra de pérenniser mon activité de librairie.

Où peut-on vous retrouver et suivre votre actualité ?

Vous pouvez suivre mon actualité sur mon compte Instagram et ma page Facebook : Dealer de Livres.

Vous pouvez m’aider à concrétiser mon projet en participant à ma cagnotte

Merci pour le temps que vous m’avez accordé.

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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