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Afrophobie et Blackface à la Sorbonne : Intersubjectivité, décoloniser les savoirs et les sachants

Société

Afrophobie et Blackface à la Sorbonne :  Intersubjectivité, décoloniser les savoirs et les sachants

Par Redaction NOFI 5 avril 2019

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Ghyslain VEDEUX, président du CRAN, conseil représentatif des associations noires

 » La capacité d’être seul constitue ici le pôle individuel d’une tension intersubjective dont le pôle opposé est la faculté à se fondre intégralement dans l’autre. L’acte d’intégration réciproque, par lequel les sujets se découvrent réconciliés, peut cependant prendre les formes les plus différentes selon la relation de la nature considérée. »* 

Par Ghyslain Vedeux_ Président du CRAN (conseil représentatif des associations noires)

La pièce des suppliantes devant se jouer à la Sorbonne le 25 mars 2019, n’a pas été censurée, sa mise en scène a été boycottée. En faisant le choix de l’utilisation des Blackfaces, pratique sanctionnée par le défenseur des droits, par le parlement et par L’ONU**, la mise en scène de Philippe Brunet, concernant la représentation de la pièce de la Grèce antique d’Eschyle est questionnée depuis plus d’un an par les concernées, et des étudiants de la Sorbonne où elle a déjà été jouée en laissant un énorme malaise. Le metteur en scène informé, et questionné, à plusieurs reprises et y compris avant cette représentation du lundi 25 mars 2019, ne pouvait ignorer que cette représentation serait boycottée. Se bornant à se présenter comme irréprochable car « helléniste » et se disant « héritier de la part africaine » dans ce type de représentation concernant la Grèce antique.

Curieusement, dans le même temps, se montrant incapable d’écoute, d’empathie, face aux remarques et ressentis de ses mêmes descendants d’Africains et leurs alliés qui, après maintes tentatives de dialogue, en guise de réponse, durent se contenter, du soliloque de Philippe Brunet qui dans un ultime élan, tente de désincarner les concernées de la représentation faite d’eux « dans cette héritage africain » dont il se donne pour mission de les « gratifier », en croyant opportun de donner pour exemple: les comédiens noirs, dont il participait avec d’autres grands auteurs Africains à faire jouer avec des masques blancs ou directement peints en blanc. Sans pour autant, aller jusqu’au bout de cette analyse en démontrant à quel moment de notre histoire les blancs furent déshumanisés par l’usage d’un déguisement, d’une peinture, d’un masque blanc…

Acte1: Les indignations se multiplient. Les étudiants contactent le centre culturel de la Sorbonne, mais reçoivent des réponses condescendantes. Globalement, il leur est demandé de mieux s’instruire…

Acte2: Le 25 mars au soir du spectacle, le metteur en scène doit faire face à l’indignation dont il avait été prévenu. Il propose de retirer les corps peints en Blackface et de les remplacer par des masques noirs. Les personnes et étudiant-e-s sur place rappellent que les masques sont grossiers, dévalorisants, indignent, racialisants et perpétuent les stéréotypes afrophobes et racistes. Face à cette mobilisation, les organisateurs de la représentation formulent une ultime proposition, celle de jouer avec des masques « dorés ». Les personnes présentes demandent à voir lesdits « masques dorés ». Sans succès. Entre temps sur le site internet de la troupe, les images avec les personnages grimées en Blackface sont retirées…

Acte3: Dès le lendemain de la mobilisation, le mardi 26 mars 2019, des étudiant-e-s tentent une nouvelle fois de nouer le dialogue avec la direction du centre culturel de la Sorbonne, en vain. [1]

Ce metteur en scène, ne comprend pas, c’est un allié pense t-il… il n’a pas de couleur. Seulement, les concernées noires et afrodescendants, les étudiants et leurs alliés le pensaient aussi et le voient d’ailleurs encore comme un possible allié avec qui le dialogue est possible… mais ils doivent se rendre à l’évidence :  Philippe Brunet descendant de samouraï japonais dans la mise en scène de cette présentation, est la transfiguration de « l’Antillais » tel que décrit par Frantz Fanon: « L’Antillais se caractérise par son désir de dominer l’autre. Sa ligne d’orientation passe par l’autre. Il est toujours question du sujet  et l’on ne se préoccupe nullement de l’objet. J’essaie de lire dans les yeux de l’autre de l’admiration, et si par malheur l’autre me renvoie une image désagréable, je dévalorise ce miroir: décidément, cet autre est un imbécile. Je ne cherche pas à être nu en face de l’objet. L’objet est nié en tant qu’individualité et Liberté. L’objet est un instrument. Il doit me permettre de réaliser ma sécurité subjective. Je me donne comme plein (désir et plénitude) et n’admets aucune scission. L’Autre entre sur la scène pour la meubler. Le Héros, c’est moi. Applaudissez au critiquez, que m’importe, c’est moi le centre. Si l’autre veut m’inquiétez par son désir de valorisation (sa fiction), je l’expulse sans autre forme de procès. Il n’existe plus. Ne me parlez pas de ce type. Je ne veux pas subir le choc de l’objet. Le contact de l’objet est conflictuel. Je suis Narcisse et je veux lire dans les yeux de l’autre, une image de moi qui me satisfasse… »***

Qu’importe si les étudiant-e-s avec leurs soutiens dont le conseil représentatif des associations noires**** proposent la mise en place d’un dialogue, d’un débat, sous forme de colloque avec les principaux protagonistes, l’helléniste se réfugie derrière ses alliés « autoritaires ». Conjointement, les ministres M. Riester de la Culture et Mme Vidal de l’enseignement supérieur, par voix de communiqué, tancent les concernés. Le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer intervient sur le même ton. Tous « ces gens heureux » sont gratifiés du soutien de l’extrême droite. [2]

Les concernées et les étudiants sont traités de « groupuscules » par le pouvoir. Au grand désarroi de la très grande majorité des étudiants de la Sorbonne, qui voyant la récupération politique, s’indignent dans un nouveau communiqué de presse en refusant d’être associés à ses projections qui, qu’on le veuille ou non, sont racialistes et racistes et donc ne reflètent pas, les valeurs de l’Université de la Sorbonne telles qu’ils les entendent.

Lire le communiqué des associations d’Etudiants de la Sorbonne du 28 mars 2019: http://le-cran.fr/wp-content/uploads/2019/03/Communique-final-R%C3%A9ponse-des-%C3%89tudiantes-et-%C3%89tudiants-de-Sorbonne.pdf

Fermés aux demandent de dialogue, d’autres soutiens de Philippe Brunet tenteront de « rééduquer » ces incultes étudiants, ces noirs et autres afrodescendants qui se « plaignent », à coup d’articles, démontrant que des masques grecs ne sont pas des blackfaces… [3]

Pourtant, tous issus d’une histoire, un temps commun traversé, avec des connotations racistes du 15e au 21e siècle, liées au crime contre l’humanité de la déportation des noirs et de l’esclavage qu’on ne peut nier, ni ignorer de nos jours. Cet argumentaire « des masques grecs qui ne sont pas des blackfaces » relève du raisonnement par l’absurde. Comme disserter pour prouver que la croix svastika n’est pas une croix gammée serait tout aussi absurde, tant initialement elle est bien le symbole de la prospérité et de l’Éternité. Puis l’histoire du crime contre l’humanité de la seconde guerre mondiale et à juste titre, l’a « gammée » d’un sens que l’on ne peut plus ignorer.

Les blackfaces ou ses reproductions (sur des corps, des vêtements, des effigies.. etc) ne peuvent être acceptés quelques soient leurs formes. Les concernées et les étudiants ont estimé que les masques noires proposés étaient dégradants, déshumanisants avec des connotations afrophobobes, colonialistes et racistes. [4]

Ce qui est à questionner ici est aussi et surtout la notion d’Intersubjectivité. Pour cela ils est urgent de décoloniser les savoirs et les sachants. De décoloniser les esprits. En France, quelles que soient nos origines, nos communautés existent belle et bien. Nous avons besoin de cette catharsis collective. Et voir nos contradicteurs pointer des arguments d’autorités, ou encore être sur la même ligne que l’extrême droite, confirme que les concernées noires et afrodescents, les étudiants et partenaires, le CRAN (conseil représentatif des association noires), avons gagné la bataille des idées. Ce qui se joue ici est aussi la lutte pour la reconnaissance, pour la Dignité des concernées noires et afrodescendands, sauf à considérer que le terme »dignitas » qui initialement: « indique le rang et l’autorité qui reviennent aux charges publiques et par extension ces charges elles-mêmes. La dignitas des individus chargés d’une magistrature publique…[…], elle était alors synonyme d’une position sociale et d’autorité »*****.
Or  Aimé Césaire ne pouvait mieux l’exprimer: « Le petit nègre t’emmerde… » rétorquait-il à qui osait bafouer cette dignité des peuples noirs et afrodescendants. C’était en 1934… en 2019, l’heure n’est plus à s’indigner. Seule la rencontre véritable de nos subjectivités réciproques et véritables nous mènera à cette catharsis collective et émancipatrice.

Ghyslain Vedeux
Président du CRAN (conseil représentatif des associations noires)
0652110034

*[p 178, Axel Honneth, La lutte pour la reconnaissance]

**La pratique du blackface est condamnée par :
Le défenseur des droits, voir ce lien: http://www.stopblackface.fr/le-mot-du-defenseur-des-droits/
Par l’Onu, voir ce lien: http://www.stopblackface.fr/le-mot-des-nations-unies/
Le Parlement Européens: Le 26 mars 2019 adoption d’une Résolution aux Parlement Européen qui inclut la condamnations des Blakfaces.
http://le-cran.fr/restitution-reparation-et-droits-des-afro-descendants-vote-historique-au-parlement-europeen/
https://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2014_2019/plmrep/COMMITTEES/LIBE/RE/2018/12-03/1166770EN.pdf

***[p 171, 172, Peau Noire, masque Blancs]

****CRAN site web:  www.le-cran.fr

*****[p41, La Dignité ou la mort, Norman Ajari]

[1] http://en.rfi.fr/culture/20190328-sorbonne-restage-play-blocked-racist-blackface-ancient-greek-tragedy-aeschylus-supp

[2] https://francais.rt.com/france/60458-blackface-sorbonne-jean-yves-le-gallou-polemia-louis-georges-tin-cran-debattent-rt-france

[3] https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/29/non-le-masque-grec-n-est-pas-un-blackface_5443329_3232.html

[4] https://blogs.mediapart.fr/jeanne-deaux/blog/280319/black-faces-matter