Rencontre avec Rama Konaté, initiatrice du Salon de l’afrodescendance

Rama Konaté: « Le Salon de l’afro descendance est un lieu pour l’éveil de conscience. » Rama Konaté est l’initiatrice du Salon de l’Afrodescendance. La première édition s’est tenue jeudi 10 mai, à la cité du cinéma (Seine-Saint-Denis), lors de la Journée nationale de la commémoration de l’Abolition de l’esclavage et de ses traites. Une autre façon de se souvenir de nous et d’aborder ensemble les questions essentielles à notre construction. Cet événement, qui a réuni plus de 1500 visiteurs ainsi que des marques afro et de brillants  intervenants tels que Claude-Wilfried Ekanga Ekanga ou encore Claudy Siar;  offrait une market place bien fournie, animée par des conférences de qualité sur notre destin commun. La jeune sénégalaise originaire de Rouen y tenait et selon elle, l’entrepreneuriat Noir n’a pas de raison d’être sans la conscience communautaire.

Entretien avec une entrepreneure en phase avec son temps.

Qu’est-ce que le Salon de l’Afrodescendance ?

Le Salon de l’Afrodescendance est un lieu pour l’éveil des consciences. Pour créer une communauté forte, il faut qu’on consomme chez nous. Avant, quand j’allais à Château Rouge, je consommais chez le chinois ou l’indien. Aujourd’hui, je préfère marcher plus longtemps pour aller chez un frère ou une sœur. Je veux investir en me disant que je fais travailler un des miens, qui fait lui-même travailler des gens sur place, au pays. Même si ça ne va pas dans ma poche, je me dis que s’il grandit, on grandit tous.

Première édition du Salon de l’Afrodescendance à la Cité du cinéma.
Crédit photo: Gps Pictures

C’est pour ça que c’était important pour nous d’inviter la créatrice d’une marque comme Nana Wax par exemple.Cette femme a un grand cœur, elle travaille à partir d’un héritage. Elle a fondé sa société en Afrique, pour développer le continent et que cela profite aux Africains. Si elle avait ouvert sa société ici ce serait différent. Tout ce que font les Bolloré et consort, on peut le faire aussi et il est temps. Nous devons investir sur place pour travailler avec la population et non l’exploiter.

Quel message voulais-tu faire passer avec cet événement ?

Le message c’est que l’on vient tous d’Afrique et qu’on doit être ensemble. C’est comme ça que je me suis mise à réfléchir au nom à me demander ce qu’est l’afro descendant. Quand on voit que la définition du dictionnaire n’englobe que les descendants d’esclaves, on s’interroge sur sa propre identité. Je suis née au Sénégal, puis je suis arrivée en France à l’âge de 9 mois. Je suis donc sénégalaise en France mais lorsque je vais au Sénégal, on me dit que je suis française. Je me suis dit qu’il fallait intégrer tout le monde au concept d’afro descendance ; nous sommes tous la conséquence de l’esclavage aujourd’hui. S’il n’y avait pas eu l’esclavage, il n’y aurait pas eu la colonisation; sans la colonisation il n’y aurait pas eu l’immigration et ainsi de suite. On est trop dispersés. J’ai la nationalité française mais on me stigmatise. Aujourd’hui, on doit se retrouver et c’est pour ça que j’ai organisé cet événement à la cité du cinéma.

 

                          « Il faut qu’on crée nos propres espaces. »

 

Le choix du lieu était-il aussi important que le message que tu souhaitais faire passer ?

Absolument. Je voulais qu’on soit dans un endroit spacieux, pour montrer qu’on peut nous aussi faire de grandes choses. Il faut qu’au moins une ou deux fois dans l’année, on se retrouve autour d’un thème et que les entrepreneurs Noirs soient au coeur de ça. Pour moi, c’est nous qui devons donner l’exemple. Si j’ai choisi d’entreprendre en plus de mon emploi, c’est parce que je trouve important de faire les choses par soi-même. Au bout d’un moment, la condition de l’Afrique on la connaît plus ou moins mais on ne maîtrise pas les enjeux profonds. Donc je ne peux pas me revendiquer du panafricanisme. En revanche, on peut identifier un panafricaniste pour le soutenir parce qu’on sait qu’il a de vrais projets et que seul l’argent lui manque. Pourquoi ne pas créer des salons et lui reverser une partie de la recette ? Nous voulons donner du sens à c que nous faisons et pas seulement faire du business pour le business. On doit s’en servir comme moyen.

Première édition du Salon de l’Afrodescendance à la Cité du cinéma. Crédit photo: Gps Pictures

Quel est ton parcours entrepreneurial ?

J’ai un côté « femme d’affaires ». A la base, je travaille dans les assurances  et à côté de ça, je vendais des mèches. Plus tard, naturellement, j’ai ouvert mon salon de coiffure, Adyna Beauté. J’ai ensuite commencé la vente de produits cosmétiques pour cheveux naturel, pour arriver ensuite jusqu’à l’ éveil des consciences. C’est un processus qui part de 2012, quand je me rends en Inde pour acheter les mèches et les revendre sur Château Rouge, jusqu’à il y a peu. Au départ, je voulais seulement proposer de nouvelles techniques de pose mais j’ai ensuite vu l’importance de proposer des soins aux clientes. Ce ne sont pas forcément des produits connus mais ils sont fabriqués par des entrepreneurs de la communauté. Une manière de les soutenir et de mettre en avant de bons produits.

C’est donc en pénétrant dans l’univers capillaire que tu t’es posé la question de la conscience ?

Exactement. La question de savoir pourquoi on prend ou pas soin de nos cheveux s’est présentée à moi. J’ai ainsi commencé à faire de la pédagogie avec mes clientes. Avec mon équipe, on s’est dit que si elles voulaient  faire des tissages, on devait absolument leur vendre des soins. Plus elles font des soins et mieux le processus s’enclenche. Car, en défaisant leur tissage elles auront petit à petit des cheveux en bonne santé, qu’elles vont commencer à aimer et par-là, elles commenceront à s’aimer. Comme je suis beaucoup dans la communication, on a lancé « Les journées de la femme » à Rouen, ma ville d’origine. L’idée était de se retrouver entre femmes et d’échanger autour de cette thématique. On avait invité Chicoro au mois de mars et les gens ont pleuré. C’est là que je me suis rendu compte que les gens ne connaissaient pas leur histoire et qu’il y avait un réel besoin au niveau de la communauté.

La communauté, la diaspora, l’entrepreneuriat étaient-ce des questions qui avaient déjà attiré ton attention ?

Oui. On se pose des questions et moi, par rapport à mon éducation, j’y était sensible. Je pense que tous les Noirs qui sont nés et/ou ont grandi en France ont tous été confrontés à la discrimination à un moment donné. On sait ce que c’est. Avec mon travail de base, les Assurances, je fais chaque année le Salon des entrepreneurs et le déclic vient de là. Parce que dans ces événements je ne vois pas d’entrepreneurs Noirs.  Cela tient à plusieurs raisons ; d’abord, la place est à 30 000 euros ; quel entrepreneur de la communauté peut se retrouver dans ce genre de salon hyper-médiatisé qui reçoit des centaines de milliers de visiteurs ? Cela veut dire qu’il faut qu’on crée nos propres espaces. Ils existent déjà mais  selon nous, ils ne sont pas assez grands ou trop communautaires. Dans le sens où chacun le fait dans « sa » diaspora, les sénégalais avec les sénégalais etc…

Première édition du Salon de l’Afrodescendance à la Cité du cinéma. Crédit photo: Gps Pictures

Quel est ton ressenti après cette première édition ?

Je suis contente d’avoir vu autant de monde se déplacer. Certains Les gens doutaient mais plus on me disait que ce serait impossible, plus j’avais envie de leur prouver. On a fait plus de 1500 entrées sur cette première édition, pour un événement qu’on a créé en seulement un mois. Je trouvais également important que les entrepreneurs entendent les messages des différents intervenants. Je veux que pour nous, l’entreprenariat aille de paire avec la conscientisation. A partir de là, on pourra bâtir une communauté forte. Sur le salon, j’ai rencontré plein de gens qui sont prêts à s’impliquer et à travailler avec moi. Peut-être que comme ça, demain, on pourra louer toute la Cité du cinéma !

Dans cet esprit de soutenir les projets de la communauté, l’équipe du Salon de l’Afrodescendance soutient actuellement celui de Claude Wilfried Ekanga Ekanga, qui souhaite organiser dès le 31 mai son « Voyage africain ». Pour en savoir plus.

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SK
SK
SK est la rédactrice/ journaliste du secteur Politique, Société et Culture. Jeune femme vive, impétueuse et toujours bienveillante, elle vous apporte une vision sans filtre de l'actualité.

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