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DOSSIER Colbert (3/3): L’expansion coloniale de la France du XVIIe siècle

Histoire

DOSSIER Colbert (3/3): L’expansion coloniale de la France du XVIIe siècle

Par Anne Rasatie 18 mai 2018

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A partir de la création de la première Compagnie négrière française en 1626, de nouveaux établissements coloniaux vont voir le jour aux Antilles, aux Caraïbes et en Afrique, toujours sous la houlette de Jean-Baptiste Colbert. Durant ce XVII ème siècle, l’expansion coloniale de la France est alors amorcée .

Jusqu’à l’abolition de 1848, un grand nombre de Compagnies se succèdent les unes aux autres. La traite française atteindra son apogée en 1719, avec la création de la Compagnie perpétuelle des Indes fondée par John Law, qui contrôlera l’ensemble du trafic maritime colonial.

La Compagnie de Saint Christophe

Philippe de Champaigne, le cardinal de Richelieu

Nous sommes en 1626. Le Cardinal de Richelieu, chef général de la navigation et du commerce de France sous Louis XIII rencontre Levasseur, un flibustier huguenot français installé à Saint Christophe (île des Petites Antilles, renommée St-Kitts). Ce dernier lui fait part des richesses de l’île et lui demande son soutien pour développer un commerce. Le Cardinal y percevant une opportunité financière, s’associe au projet en fournissant un vaisseau estimé à 8000 livres, des armes et munitions, des soldats et 2000 livres en argent. La Compagnie de Saint Christophe, première compagnie négrière française, est née. Les lettres royales du 31 octobre 1626 lui octroient le monopole du commerce durant 20 ans. La Compagnie s’engage en retour à « travailler incessamment à la conversion des sauvages », à fonder et développer les colonies françaises et à favoriser l’expansion de la France. La même année, la Compagnie normande (ou Compagnie Rozée) obtient le monopole du commerce du Sénégal, de la Gambie et de la Guinée. Fondée par Jean Rozée et des marchands dieppois et rouennais, elle est également soutenue financièrement par Richelieu. Dissoute en 1659, elle sera remplacée par la Compagnie du Cap-Vert et du Sénégal.

La Compagnie de Saint Christophe prend le nom de Compagnie des Iles d’Amérique en 1635 lorsqu’elle passe aux mains de Jacques Berruyer. En ce milieu du 17ème siècle, la France accuse un retard sur ses principaux concurrents, les armateurs Portugais, Hollandais, Anglais et Espagnols, qui détiennent déjà des comptoirs en Amérique et en Afrique. Il lui faut peupler ses îles, non seulement d’esclaves mais aussi de colons. Pour ce faire, différentes populations sont expédiées : des religieux (Jésuites, Dominicains, Jacobins, Frères de la Charité…) pour évangéliser les autochtones et les esclaves, des nobles et des bourgeois qui deviennent propriétaires, et des engagés. Cette dernière caste est constituée de personnes sans ressources, de fraudeurs et de vagabonds embarqués d’office. Les engagés, obligés de « demeurer trois ans avec les représentants de la Compagnie », sont sacrifiés par la France pour servir de main d’œuvre. Certains d’entre eux sont des enfants de 10-12 ans. Tout comme les esclaves noirs, ils peuvent être revendus à d’autres maîtres, et comme eux, beaucoup s’enfuient. Le marronnage des Blancs est puni d’une amende et de 6 mois de plus au service de la Compagnie. Mais s’ils finissent leur engagement, ils accèdent au droit de propriété de terres…et d’esclaves. Les îles se peuplent très rapidement, accroissant les profits et le pouvoir de la Compagnie. Elle est confirmée dans ses privilèges dans le contrat que passe le cardinal de Richelieu avec le directeur Berruyer le 29 janvier 1642. Bénéficiant du monopole pour vingt autres années et de l’exemption des droits d’entrées, elle s’adonne à un import massif d’engagés et d’esclaves, jusqu’à sa liquidation et la vente de l’île de Saint-Christophe à l’Ordre de Malte, en 1651.

La Compagnie des Indes occidentales

Déclaration du roi sur les Compagnies des Indes orientales et occidentales

Le 28 mai 1664, Colbert alors Surintendant de Louis XIV crée la Compagnie des Indes occidentales. Le roi lui concède le monopole des échanges commerciaux entre la France et « toutes terres de notre obédience en Amérique du Nord et du Sud et aux îles d’Amérique », ainsi que sur la côte d’Afrique « depuis le Cap-Vert jusqu’au Cap de Bonne-Espérance ».

Plus puissante que la précédente et forte de près de quarante années d’expérience, la nouvelle Compagnie bénéficie du soutien inconditionnel du royaume de France. Le système des engagés s’étant arrêté avec les besoins en soldats des différentes guerres européennes, la recherche en main d’œuvre s’oriente désormais exclusivement vers l’Afrique. La Compagnie détient le monopole de l’exploitation des colonies africaines et américaines du royaume, principalement axée sur la culture du tabac. De son côté, le roi investit personnellement près de deux millions de livres et comble les déficits des quatre premières années. Afin d’encourager les armateurs privés de la Compagnie et concurrencer les Hollandais, l’arrêt du Conseil d’Etat du 26 août 1670 supprime les taxes prévues sur les esclaves en provenance de Guinée : « Et comme il n’est rien qui contribue davantage à l’augmentation des colonies et à la culture que le laborieux travail des nègres, Sa Majesté désire faciliter autant qu’il se pourra la traite qui s’en fait des côtes de Guinée auxdites îles ». De plus, l’Ordonnance royale du 13 janvier 1672 accorde une prime de 10 livres aux armateurs pour chaque esclave noir débarqué et 3 livres « par tête de nègre » aux capitaines. En parallèle, les principaux comptoirs africains du Sénégal et du royaume de Juda (actuel Bénin) se transforment en lieux d’affrontements entre les différentes puissances colonisatrices. Les armateurs Français, Anglais, Portugais, Hollandais et Danois se disputent les délimitations de territoire.

Bien que soutenue par le pouvoir royal, la Compagnie est avant tout une affaire financée par des capitaux privés. Son objectif prioritaire est donc la recherche de profits. Au vu des privilèges qui lui ont été cédés (monopole de l’achat et de la vente d’esclaves, gestion des comptoirs, exemption des taxes douanières), elle fait d’énormes bénéfices et s’affranchit peu à peu du pouvoir souverain de la France. Mais dix ans après sa création, le Conseil Supérieur de la Martinique (qui chapeautait de loin les affaires de la Compagnie), prend la décision de la dissoudre et rétablit « la pleine puissance et autorité royale » sur la gestion des colonies. Le Conseil créé la nouvelle Compagnie du Sénégal en décembre 1674 dans ville sénégalaise de Ndar, rebaptisée Saint-Louis par des marchants Dieppois, en l’honneur du précédent roi Louis XIII. Le Conseil Supérieur lui confie le commerce « tant en marchandises qu’en nègres », avec l’objectif d’importer durant 8 ans, 2000 esclaves par an dans les îles françaises d’Amérique. Le commerce lucratif du sucre domine désormais le marché. Les raffineries se développent dans les colonies et exigent toujours plus de main d’œuvre. Cet accroissement de la demande en esclaves est sinistrement lié à la brève espérance de vie dans les plantations. La Compagnie n’a plus le monopole de la traite. La première expédition négrière de Nantes en 1688 ouvre la voie aux négociants particuliers des grands ports français de La Rochelle puis Bordeaux. L’arrivée massive des armateurs européens sur les côtes d’Afrique fait flamber les prix. Louis XIV donne ordre de prendre les forts de Gorée (Sénégal) et d’Arguin (Mauritanie) aux ennemis Hollandais en 1677 et 1678. Ces nouveaux comptoirs sont cédés gratuitement à la Compagnie du Sénégal, afin qu’elle demeure concurrente dans la déportation d’esclaves et maintienne la cadence de la traite.

La promulgation du Code Noir

Le 8 janvier 1454, la Bulle du Pape Nicolas V (« Romanus Pontifex ») autorisait officiellement les armateurs portugais à la pratique du « Bois d’ébène ». Plus de deux siècles après, la France officialise elle aussi la traite avec l’Edit royal de mars 1685, communément appelé le « Code Noir ».

L’« Ordonnance du Roi, concernant la discipline de l’Eglise, et l’état et qualité des nègres esclaves aux Isles de l’Amérique » est un ensemble de décisions royales et textes juridiques élaborés pour administrer les colonies françaises. Elle est relative « aux droits et devoirs » du maître et de l’esclave. Dès 1681, Colbert réclame à son Intendant Patoulet installé aux Antilles, un rapport sur les normes juridiques locales et le mode de vie dans les colonies. Le roi souhaite de remettre de l’ordre dans les colonies car les intérêts des Compagnies,  des colons et du royaume ne coïncident plus. Ce premier mémoire daté du 20 mai 1682 sera terminé par son successeur, l’Intendant Béguon, le 13 février 1683. Mais Jean-Baptiste Colbert meurt en septembre de cette même année. Ce sera donc son fils, Jean-Baptiste Antoine Colbert, Marquis de Seignelay, qui en assurera la supervision. Il signera « Colbert » et publiera le texte sous forme d’Edit en mars 1685.

Les soixante articles, plus scandaleux les uns que les autres, font de l’esclave un « bien-meuble » (article 44) et prescrivent les tortures à lui infliger (article 38). C’est en Martinique, siège du gouvernement général des Iles d’Amérique depuis 1668, que le texte a été appliqué en premier, suivi de la Guadeloupe et de Saint Christophe. Les mesures et traitements inhumains rédigés dans le Code Noir y été déjà en vigueur. D’autres Codes ont ensuite été attribués aux différentes colonies : en 1687 à Saint-Domingue (actuellement Haïti), en 1704 en Guyane, en 1723 aux Mascareignes (Ile Maurice et La Réunion) ainsi qu’en 1724 en Louisiane (alors colonie française). Par ailleurs, l’appellation « Code Noir » n’apparaît qu’en 1718, à une époque où le préjugé racial est plus que jamais utilisé comme justification de l’esclavage.

Cette année 1685 marque également la création de la tristement célèbre Compagnie de Guinée. Succédant à la Compagnie du Sénégal, elle surpasse en nombre de déportés, tous les objectifs concourus jusque-là. Mandatée à ses débuts pour ramener « mille nègres chaque année aux îles françaises de l’Amérique », Louis XIV lui impose dès 1701 la déportation de « 3000 nègres pour chaque an ». En ce début de 18ème siècle, malgré les sursauts abolitionnistes de certains pays, la traite négrière est massive. Les Compagnies continuent à s’enrichir de la production sucrière des Antilles en mettant en place des réseaux clandestins de traite.

Le Décret d’abolition de l’esclavage du 27 avril 1848 dans les colonies françaises (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion) sonne la fin d’une bataille qui aura provoqué la déportation de plusieurs millions d’Africains.

 

Parce qu’aucun pan de cette histoire ne doit être occulté, une marche citoyenne et commémorative aura lieu le 23 mai 2018, du Jardin des Tuileries à la place de la République. Une mobilisation qui célèbrera la Journée nationale en hommage aux victimes de l’esclavage colonial. 

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