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Prince Hall: la première maçonnerie noire-américaine

Culture

Prince Hall: la première maçonnerie noire-américaine

Par Anne Rasatie 24 mars 2018

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Prince Hall (1748-1807) est le fondateur de la première maçonnerie noire aux États-Unis.

De nombreuses versions existent quant au début de la vie de Prince Hall. Il serait né à la Barbade, d’une mère métisse affranchie, originaire des colonies françaises (Guadeloupe ou Martinique) et d’un père marchand de cuir britannique. Arrivé aux États-Unis en 1775, à Boston, il vit la guerre d’indépendance américaine. Fervent abolitionniste et défenseur des droits civiques des Afro-américains, il milite pour faire voter une loi interdisant aux marchands d’esclaves de kidnapper les Noirs libres. De plus, il se positionne pour l’instruction des Afro-américains et fonde une école.

« Bien que vous soyez privés de l’accès à l’éducation, vous n’êtes pas privés de l’accès à la méditation. » Prince Hall à ses frères de l’African Lodge

La première maçonnerie noire: l’African Lodge

Le XVIIIe siècle américain est marqué par l’esclavage des Noirs et le préjugé de couleur. Les loges sont exclusivement réservées aux Blancs, sauf rares exceptions. De fait, la franc-maçonnerie, de par ses statuts, n’accepte que les personnes nées libres. Pourtant, le 6 mars 1775, Prince Hall et quatorze autres Afro-américains sont initiés aux trois premiers degrés de la Military Lodge n°441. Cette dernière est rattachée à l’armée britannique. Au moment du départ de l’armée anglaise de Boston, les nouveaux initiés auto-proclamés African Lodge n°1, sont autorisés à pratiquer la maçonnerie mais de façon limitée. Ils peuvent se réunir, tenir la procession le jour de la Saint Jean et enterrer leurs morts selon les rites maçonniques. Néanmoins, il ne leur est pas permis d’initier de nouveaux membres. En 1784, Prince Hall reçoit la reconnaissance officielle de la Grande Loge à laquelle ses frères et lui sont affiliés. La nouvelle obédience exclusivement noire prend alors le nom d’African Lodge n°459.

La nouvelle de la création d’une maçonnerie noire se répand. De fait, de nombreux noirs veulent aussi créer des loges dans leurs villes respectives. Philadelphie, Providence et New-York eurent respectivement leurs loges rattachées à Prince Hall. Ainsi, en 1791, les francs-maçons noirs de Boston se réunirent pour former l’African Grand Lodge of North America. Cette dernière est indépendante des loges américaines et anglaises. Prince Hall en fut nommé « Grandmaître » jusqu’à sa mort en 1807. Elle fut ensuite rebaptisée Prince Hall Grand Lodge en sa mémoire.

Portrait de Prince Hall

 

L’importance de la loge Prince Hall

La première loge noire fut l’instigatrice des premiers actes communautaires. Elle créa des journaux, des universités noires, finança des centres de soins. Aussi, elle prit part activement à l’organisation de l’« Underground Railroad ». Ce réseau cachait et extrayait les esclaves en fuite vers le Nord ou le Canada. Les francs-maçons de Prince Hall ont joué un rôle primordial dans la conscientisation des Noirs. Leurs objectifs étaient multiples.

  • Un réseau basé sur l’entraide, l’éducation, le secret, le culte du travail dans le contexte radical de la ségrégation.

En 1883, 4239 écoles avaient été crées permettant la scolarisation de 247 333 enfants noirs.  Parmi elles, 1324 auraient été subventionnées par la communauté. La population noire aurait payé 200 000 dollars sur les 1 002 896 dollars nécessaires au financements de ces établissements.

  • L’aspect initiatique.

Censé réguler l’influence de l’église noire et reproduisant d’une certaine manière l’organisation spirituelle des sociétés d’Afrique de l’Ouest. Les initiations étaient un équilibre entre confréries ésotériques et religions exotériques.

  • La symbolique maçonnique renoue également avec une spiritualité et une mythologie propres qui avaient été brisées par l’esclavage.

L’Égypte, l’ésotérisme biblique, l’Orient, la numérologie, la transmission initiatique, l’Éthiopie…Autant de sujets déterminants dans la construction d’une conscience noire, que l’on verra apparaître plus tard dans l’Afrocentrisme, et toutes ses composantes intellectuelles et artistiques.

  • L’organisation maçonnique favorise la défense d’une éducation politique autonome et structurée.

L’objectif était de favoriser une intelligentsia noire, fière et résistante. Prince Hall lui-même avait ouvert la voie, en devenant, avec son frère Richard Allen (par ailleurs créateur de la première église noire, l’ « African Methodist Church »), un abolitionniste et un éducateur de premier ordre.

Les frères de Prince Hall

Parmi la liste des personnalités connus qui ont appartenu à la loge Prince Hall, nous retrouvons des acteurs majeurs de l’émancipation des noirs aux États-Unis.

Prince Saunders, également membre d’African Lodge fonda la « Belles Lettres Society ». Après avoir rencontré le célèbre antiesclavagiste anglais, Wilberforce, il mit en place un système éducatif à Haïti. Citons également John Peterson, qui fut le premier instituteur noir à New York dans une école pour enfants noirs, entre 1855 et 1858. Il y eu également Don Carlos Bassett, qui dirigea l’Institute for Colored Youth in Philadelphia, en 1869 et exerça ensuite les fonctions de consul de Haïti.

Les deux maçons de Prince Hall les plus célèbres dans le secteur éducatif sont sans nul doute Booker T.Washington et William Edward Du Bois (NAACP). Il y a également les politiciens et militants Thurgood Marshall, Adam Clayton Powell, Ralph Abernathy,  Jesse Jackson ou Kwesi Mfume.

Quant aux sportifs, nous retrouvons Sugar Ray Robinson, Jack Johnson ou encore Scottie Pippen.

Parmi les musiciens, nous retrouvons Louis Armstrong, Duke Ellington, Lionel Hampton, Nat King Cole, Oscar Peterson…Sans compter les acteurs, metteurs en scène, et producteurs…La liste est longue !

Prince Hall en Afrique

Au-delà de son influence Outre-Atlantique, la loge Prince Hall a également séduit l’Afrique. Déjà présente au Liberia et en Afrique du Sud, la Prince Hall Grand Lodge envisage très sérieusement de s’implanter du Golfe du Bénin aux confins du Golfe de Guinée. Officiellement reconnue en Côte d’Ivoire et au Congo (Brazzaville), elle détrône peu à peu la la GLNF (maçonnerie française), installée depuis des décennies.

Certains y voient la volonté des jeunes francs-maçons de rompre définitivement avec le néocolonialisme. Par ailleurs, les rites auxquels se prêtent les francs-maçons américains sont proches de l’ésotérisme africain, avec notamment de nombreuses références à l’Égypte Antique. En outre, la loge Prince Hall communique sur des thèmes propres au peuple noir tels que la Traite, Gorée, Ouidah, Haïti. Mais aussi sur les personnages historiques comme Bookman, Toussaint Louverture, Abraham Lincoln et Martin Luther King. Sur le plan des idéologies, la loge enseigne l’histoire du « Negro Spiritual », la libération du peuple noir, la lutte contre l’apartheid, la Négritude… Autant de sujets qui font de plus en plus échos aux frères africains.

 

Grand maître Toby M. Fitch, Jr. de Caroline du Nord (à gauche) serrant la main du grand maître Samuel Badinga du Congo (à droite).  Fondation Prince Hall de l’Afrique

Aujourd’hui encore, l’influence de la loge Prince Hall est extrêmement puissante. Elle est financée par des dons privés d’artistes, politiques ou autres mécènes. Après près de deux siècles de résistance, toutes les obédiences maçonniques des États-Unis ont fini par reconnaître la franc-maçonnerie afro-américaine.  Seuls les États du Sud (Alabama, Arkansas, Delaware, Floride, Georgie, Kentucky, Louisiane, Mississippi, Caroline du Nord, Caroline du Sud, Tennessee et Virginie) y sont encore réfractaires. On estime à environ 500 000 le nombre de membres de la Prince Hall Grand Lodge en Amérique et aux Antilles.

 

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Sources:

Jazzmen, noirs et francs-maçons

Une autre Histoire

Prince Hall Foundation

Prince Hall Congo

Hiram3330

Cécile Révauger, « Noirs et francs-maçons : Comment la ségrégation raciale s’est installée chez les frères américains », Dervy éditions 2014.

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