L’histoire de la Nubie médiévale

Après un cinquième siècle où le contrôle du nord de la Nubie se dispute entre nomades blemmyes et nobades au profit de ces derniers, le sixième siècle après J.C. verra la Nubie divisée en trois royaumes : Makourie, Nobadie et Alodie. C’est le début de la période de l’ère dite ‘médiévale’ de la Nubie.

Par Sandro CAPO CHICHI

0. Les origines

Les Noba, dont le nom serait une insulte des Kouchites signifiant ‘esclave’, sont les ancêtres éponymes des Nubiens modernes. Il semble, d’après les recherches les plus récentes[1], que les Noba et les Kouchites avaient les mêmes ancêtres, que le temps et la distance géographique les auraient séparés en deux groupes ethniques distincts. D’après ces mêmes recherches[2], les ancêtres de ces groupes ethniques, qui sont aussi les ancêtres des Nara d’Erythrée ou les Nyimang du Soudan, seraient originaires de la région du Darfour au Soudan. Par la suite, lors de l’assèchement de cette vallée lors de la moitié du 3ème millénaire ou du 4ème millénaire avant notre ère, les ancêtres des Kouchites auraient immigré dans la Vallée du Nil pour contribuer à la création du royaume de Kouch de la période de Kerma.

 

Les ancêtres des Noba en revanche, se seraient déplacés dans la plus habitable région du Kordofan, toujours au Soudan. Quand le climat de la région devint trop difficile pour l’élevage, ils cherchèrent à s’installer dans la Vallée du Nil mais en auraient été empêchés par les Kouchites. Il semble toutefois que les Noba se seraient infiltrés progressivement dans la Vallée du Nil pour progressivement l’envahir et contribuer à la chute de Kouch. Cela semble en outre être attesté par le remplacement soudain de la poterie kouchite par la poterie nubienne traditionnelle, ainsi que la disparition de l’écriture, des coutumes, de l’art et de l’architecture kouchites[3].

 

Lors de la chute de Kouch aux alentours du IVème siècle, deux groupes nomades se seraient partagés le territoire de Basse Nubie : Les Blemmyes et les Nobades, ancêtres des Bedja et d’une portion des Nubiens modernes, tantôt en tant qu’adversaires, tantôt en tant qu’alliés.

 

Il semble toutefois qu’à la suite d’un conflit entre le roi nobade Silko et son rival blemmye Phonen, les Nobades aient définitivement gagné le contrôle de la Basse Nubie au détriment des Blemmyes dans la moitié du 5ème siècle de notre ère[4].

 

Les rois nobades, comme Silko, se seraient considérés soit comme des héritiers du pouvoir des vice-rois de Kouch[5] ou celui de leurs rois[6]. Leurs sépultures qui se trouvent à Ballana et à Qustul qui illustrent cette continuité tendent à fortement le suggérer.

 

Au sixième siècle, à côté du royaume des Nobades, que l’on appelle ‘Nobadie’, deux autres royaumes nubiens se partagent le territoire de l’ancien royaume de Kouch. Il s’agit des royaumes de Makourie et d’Alodie. Si les conditions de leur émergence sont mal connues, on sait grâce à l’archéologie que les cultures de ces deux états étaient à l’origine assez similaires, en tout cas, plus proches l’une de l’autre qu’elles ne l’étaient par rapport à celle des Nobades[7].

A cette époque, les métropoles de ces trois royaumes étaient respectivement à Faras, Dongola et Soba Est et d’après les textes de la période chrétienne que l’on va évoquer dans la partie suivante, l’Alodie et la Nobadie auraient entretenu un rapport assez cordial, alors que la Nobadie et la Makourie auraient entretenu un rapport bien plus belliqueux.

 

  1. L’introduction du Christianisme en Nubie

A la suite d’une volonté de l’Empereur byzantin Justinien (527-565) –qui avait fait fermer le dernier temple païen d’Egypte à Philae vers 535-537- de convertir les Nubiens pour en faire des alliés face à la menace perse[8], la foi chrétienne aurait pénétré en Nubie pendant le règne de cet empereur, sous la forme du christianisme monophysite[9] en Nobadie puis chez son allié d’Alodie et sous celle du christianisme melkite[10] chez le royaume ennemi de Makourie.

2.  Les invasions arabes de la Nubie

Après la conquête de l’Egypte en 639, les Arabes lancèrent une invasion, en 641/642 de la Nubie, peut-être la Nobadie. Les Arabes furent défaits de manière décisive et les deux parties signèrent peut-être un traité de paix, connu dans la littérature sous le nom de Bakt. Dix ans plus tard, peut-être à la suite de la violation du Bakt par les Nubiens, les Arabes tentèrent une nouvelle invasion poussées cette fois-ci jusqu’en Makourie à nouveau repoussée avec succès par les Nubiens. Elle donnera lieu à un Bakt, qui laissera pendant plusieurs siècles la Nubie en dehors du monde musulman.

Vers 700, le roi Mercurios de Makourie unifie les deux royaumes du nord de la Nubie, la Nobadie et la Makourie dont la capitale reste à Dongola. Sous l’un de ses successeurs, le roi Zakarios, le Baqt n’étant pas été payé depuis plusieurs années, un de ses fils Giorgios fut envoyé à la cour de Bagdad pour honorer le traité.

La Nubie après l’unification de la Nobadie et de la Makourie

En 748, pour libérer le patriatrche d’Alexandrie, le roi nubien Cyriaque défit sans difficultés les Arabes sur sa route jusqu’au Caire ou l’émir égyptien libéra sans résistance son otage. Les Nubiens se replièrent alors sur leur territoire sans revendiquer le gain d’une partie du territoire égyptien.

Au 9ème siècle de notre ère, El Omari, un Musulman à  la tête d’une armée indépendante de l’autorité égyptienne attaque les Bedjas, descendants des Blemmyes, en met en esclavage et convertit le reste à l’Islam. El Omari menace la Makourie et déclenche une guerre civile entre une faction dirigée par Nyuti, le neveu du roi Giorgios et les partisans de ce dernier. El-Omari sera finalement chassé de Nubie, mais cet événement annonce une détérioration des rapports entre Nubiens et musulmans au nord.

 

Lors de la conquête de l’Egypte fatimide par les Ayoubides, les Makouriens répliquèrent en envahissant la Haute Egypte en soutien aux Fatimides en 1172. La réplique des Ayoubides intervient  l’année suivante et la ville de Qasr Ibrim, résidence de l’éparche de Nobadie.

Les Musulmans se replient vers le Nord en raison des conditions de vie difficiles de la Nubie d’alors.

Les Makouriens continuent toutefois d’être harcelés par les tribus arabisées du désert occidental.

A la fin du 13ème siècle, en 1275, le roi David de Makourie attaque les villes égyptiennes d’Aidhab et d’Assouan, ce qui entraîne une réplique des Mameloukes l’année suivante. David est vaincu et emprisonné au Caire. Il est remplacé sur le trône par son rival makourien Shekanda qui est peut-être à l’origine de l’attaque de David.

A la même période, la province septentrionale du royaume d’Alodie, el-Abwab s’était émancipée et avait constitué un puissant royaume autonome dont le territoire ne nous était pas connu, mais dont on sait qu’elle prenait généralement le parti des Musulmans lors de leurs nombreux conflits avec la Makourie.

Entre 1286 et 1290 va se produire un véritable jeu de chaises musicales entre le roi nubien Semamun et  les Mameloukes. D’abord vaincu et chassé du pouvoir par les Mameloukes, puis remplacé sur le trône de Dongola, il profitera du départ de leurs troupes pour ré-établir son pouvoir sur la région.  Cette situation se reproduira une nouvelle fois en 1290 avec Semamun parvenant cette fois-ci à convaincre les Mameloukes d’accepter la paix en l’échange du paiement du Baqt.

En 1304, les relations entre Nubiens et Musulmans s’étaient effectivement apaisées et le roi makourien Ayay aurait demandé un soutien militaire de la part des musulmans. Les raisons  exactes de cette requête sont inconnues, mais le Sultan mamelouke lui apportera une réponse favorable. Les Mameloukes se retireront en 1306, après une difficile guerre contre un peuple noir.

En 1315, le trône de Makourie est occupé par le roi Kerenbes. En disgrâce auprès des Mameloukes, il fut chassé du trône par ceux-ci. A sa place, ils installèrent Abdallah Barshanbu, un neveu du roi David, éduqué à la cour du sultan.  Toutefois, Abdallah Barshanbu se révéla extrêmement impopulaire aux yeux du peuple et un neveu et partisan de Kerenbes, Kanz el-Dawla, alors prisonnier au Caire, s’échappa par un procédé retors et parvient à rejoindre Dongola où il défit Abdallah Barshanbu.

Kanz el-Dawla régna alors de manière officieuse sur la Makourie jusqu’à ce que le sultan ne dépêche Abram, le frère de Kerenbes, pour capturer Kanz el-Dawla , avec la promesse de sa libération et de celle de son frère, ainsi que de sa réinstallation sur le trône makourien en cas de réussite. Kanz el-Dawla n’offrit pas de résistance et se rendit, mais Abram mourut peu après et Kanz el-Dawla fut une nouvelle fois acclamé par le peuple et cette fois ci couronné roi de Makourie dont il fut le premier roi musulman en 1323. Bien que son règne fût loin d’impliquer  une islamisation du royaume, c’est  sous son règne que semble avoir été construite la première mosquée de Dongola.

Vers 1365, une lutte dynastique s’instaura entre un prétendant au trône de Makourie et soutenu par les Musulmans du désert oriental, probablement les Beja, et le roi légitime. Celui-ci fut tué, et le nouveau roi en profita pour massacrer les chefs musulmans du désert et faire la paix avec les partisans de l’ancien roi légitime à condition de se voir attribuer la fonction d’éparque. Les Arabes du désert oriental étant des ennemis farouches des Mameloukes, le nouveau roi makourien demanda de l’aide à ces derniers pour chasser les premiers de son territoire. Au terme de ce conflit, la capitale du royaume fut déplacée dans la ville de Daw, Dongola ayant été dévastée par les conflits et en proie aux attaques des Arabes.

Une autre période, celle du royaume de Dotawo, allait alors commencer.

Contrairement à son prédécesseur dans la région, Makourie, Dotawo n’est pas mentionné dans les  sources arabes mais seulement sur quelques graffitis locaux. Probablement centré autour du Jebel Adda, qui est peut-être le nom moderne de l’actuelle ville de Daw, il aurait été avant 1365, le siège d’un éparque, représentant du pouvoir royal makourien dans la région. Ensuite, si la ville de Daw  doit être identifiée à Adda, on admet généralement que la famille royale de Makourie se serait établie à Daw dont Dotawo ne serait qu’un nom signifiant en dessous de Do’[11]. Dotawo étant un lieu hors d’atteinte des attaques des Musulmans,  les rois de Dotawo semblent plutôt s’être attelés à pratiquer et à encourager le Christianisme dans le royaume.

Les hostilités entre Nubiens et musulmans reprirent toutefois en 1518 au plus tard lorsque l’Emir Al. Umar attaqua la Nubie. En 1560, sous Soliman le magnifique, une garnison turque était installée à Saï et à Qasr Ibrim. C’est probablement à la fin de cette période que le royaume de Dotawo aurait disparu.

Avec la défaite du royaume d’Alodie contre le sultanat funj (peuple peut-être d’origine shilluk) de Sennar  en 1505 s’éteignait alors la dernière flamme du dernier pouvoir nubien sur la Vallée du Nil.

 

[1]Claude Rilly (2008),“Enemy Brothers. Kinship and Relationship between

Meroites and Nubians (Noba)”, in: Włodzimierz GODLEWSKI – Adam

ŁAJTAR (eds.), Between the Cataracts. Proceedings of the 10th Conference of Nubian

Studies, Warsaw, 27 August – 2 September 2006. Part one. Main Papers,

Warszawa: PAM, p. 211-25.

[2]Claude Rilly (2008)

[3]Derek Welsby (2002), The medieval kingdoms of Nubia : pagans, Christians and Muslims along the middle Nile,  London : the British museum press, p.15.

[4] Welsby (2002), p.17-18

[5]Laszlo Török (1986), The Chronology of the Qustul and Ballana Cemeteries. in: M. Krause (ed.): Nubische Studien. Mainz : Ph. von Zabern,  p.193

[6] Patrice Lenoble (1999), ‘The division of the Meroitic Empire and the End of  Pyramid Building  in the 4th century AD : an Introduction to Fturther Excavations  of Imperial Mounds in Sudan’, in Derek Welsby, (éd.),
Recent
 Research in Kushite History and Archaeology  : Proceedings of the 8th International Conference for Meroitic Studies,
London : British Museum Press, pp. 157-198

[7] Welsby (2002), pp.24-26.

[8] Procope, 1.19.1.

[9] Doctrine du christianisme professant la divinité exclusive du Christ.

[10] Doctrine du christianisme professant la présence au sein du Christ d’une part divine et d’une autre part humaine.

[11] W.Y. Adams (1977), Nubia : Corridor to Africa, London : Princeton, p. 535.

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